Cinq caractéristiques du christianisme libéral — J. I. Packer
13 novembre 2021

Voici la traduction d’un extrait de Fundamentalism and the Word of God (chapitre II) du théologien anglican réformé J. I. Packer où il présente les principales caractéristiques du christianisme libéral. Il vient compléter précédent article sur ce sujet.


On peut résumer en cinq points les principales croyances des Eglises libérales d’Amérique du XXe siècle1 :

  1. Dieu aime tout le monde de la même manière, son amour n’a aucune limite. Tous les hommes sont ses enfants (pas seulement les chrétiens, ceux qui croient en Jésus). Le péché n’a aucun impact sur notre relation avec lui.
  2. Au fond de lui, l’homme est bon. Il faut seulement l’encourager à développer son plein potentiel (enfoui en lui) pour qu’il exprime sa bonté naturelle. Il n’a pas besoin d’une transformation radicale pour passer du mal au bien.
  3. Jésus-Christ ne sauve pas les hommes de leurs péchés et de l’enfer mais est seulement un sage et un enseignant à suivre. Il est le « premier chrétien » et notre grand frère dans la famille de Dieu. Quand on dit qu’il est Dieu, ce n’est pas pour dire qu’il l’est vraiment mais qu’il était tout particulièrement conscient de Dieu et guidé par lui. Il n’est pas né d’une vierge, il n’a pas accompli de miracles au sens d’actions surnaturelles réalisés par la puissance de Dieu et il n’est pas ressuscité des morts.
  4. De même qu’il n’y a qu’une différence de degrés et non de nature2 entre Jésus et les autres hommes, le christianisme n’est au fond pas vraiment différent des autres religions. Il est seulement la meilleure apparue jusqu’à ce jour. Toutes les religions sont différentes expressions d’une seule et même religion, tout comme chaque homme est membre de la famille de Dieu. Par conséquent, les missionnaires ne doivent pas chercher à convertir leur prochain à leur propre religion. Ils doivent plutôt chercher à dialoguer avec les autres religions pour que toutes s’épanouissent mutuellement.
  5. La Bible n’est pas un ensemble de paroles que Dieu aurait révélées aux hommes mais un livre d’histoire (un compte rendu) où des gens ont décrit ce que les hommes pensaient à propos de la religion3. La doctrine chrétienne n’est pas la parole de Dieu chargée de dire aux chrétiens comment ils doivent vivre leur foi et censée diriger cette « expérience chrétienne ». C’est tout l’inverse. L’expérience chrétienne ressemble à une maladie contagieuse qu’on attrape dans l’Église, tout comme on attrape la grippe. C’est cette expérience qui définit la doctrine et la contrôle. Ainsi, la doctrine n’est plus qu’une description avec des mots d’une expérience et non plus un ensemble de vérités à accepter. Le poète anglais Wordsworth décrit la poésie comme un souvenir de nos émotions dans la tranquillité. C’est exactement ce qu’est la doctrine pour les libéraux. Formuler une doctrine, c’est s’efforcer d’exprimer en paroles le contenu de nos sentiments, de nos impressions et de nos intuitions à propos de la religion. Les affirmations doctrinales décrivent uniquement des sentiments subjectifs4 et non pas des faits objectifs qui ont vraiment eu lieu. La doctrine n’est qu’un produit dérivé de la religion. On trouve dans le Nouveau Testament la première description de l’expérience chrétienne avec des mots. Ce qui le rend précieux, c’est qu’il a été écrit par des témoins oculaires de cette expérience5. Cependant, le travail ne s’arrête pas là : les générations suivantes doivent décrire cette expérience mais avec leurs propres mots. La formulation des doctrines change avec le temps en fonction de la culture de chaque époque. Tout comme les expressions poétiques pour continuer la comparaison de Wordsworth. La théologie du Nouveau Testament du premier siècle ne peut donc pas servir de norme aux hommes du XXe siècle. Mais il n’y a pour autant aucune raison de s’inquiéter. En réalité, nous ne perdons rien : la religion n’a pas besoin de doctrine. Du coup le christianisme peut se passer de formules doctrinales et des credo. Si toutefois il y a bien un message chrétien permanent et immuable, ce dernier n’est pas de nature doctrinale mais éthique. Il s’agit de l’enseignement moral de Jésus.

Tous les libéraux ne sont pas allés aussi loin. Mais on retrouve au moins implicitement les positions détaillées au-dessus dans l’ensemble de la tradition libérale. Au moins quelques libéraux étaient prêts à tous les affirmer. Comme Machen insistait là-dessus :

La manière la plus efficace d’évaluer un mouvement spirituel, c’est d’examiner les relations logiques de ses croyances : la logique exprime sa dynamique et on finit toujours par découvrir tôt ou tard ses conséquences logiques.

Christianity and liberalism, Gresham Machen

Il a démontré dans Christianity and Liberalism que le libéralisme formait un système cohérent. Mais un système qui n’a clairement plus rien de chrétien. En réalité, le libéralisme est la conséquence logique d’une thèse populaire du XIXe siècle qui voyait uniquement la religion comme un phénomène humain universel6. Une position elle-même en phase avec la position philosophique et scientifique dominante de l’époque. Au XIXe siècle, il était courant de croire que chaque phénomène pouvait entièrement être expliqué par la loi de causalité et qu’il n’existe pas d’événements à caractère unique. La philosophie du XIXe siècle, que ce soit celle des empiristes ou des idéalistes, des matérialistes, des déistes ou des panthéistes, trouvait absurde que l’ordre naturel pût être interrompu de manière surnaturelle. C’était pour eux un non-sens philosophique. La science et la philosophie reposaient toutes deux sur des concepts évolutionnistes pour expliquer toute chose7. Le libéralisme était une tentative de faire coller le christianisme avec ces hypothèses naturalistes. Machen résume brièvement ce que cela a donné :

En essayant de réconcilier le christianisme avec la science moderne, les libéraux ont abandonné tout ce qui différenciait le christianisme des autres religions. De sorte qu’il ne reste plus qu’une vague aspiration religieuse, celle en vogue avant l’arrivée du christianisme dans le monde […]. L’apologète a véritablement abandonné ce qu’il cherchait à défendre, à savoir le christianisme.

Christianity and Liberalism, pp. 7-8.

Le libéralisme s’est complètement débarrassé de l’Évangile, la bonne nouvelle du Dieu venu racheter des pécheurs par sa grâce souveraine. Elle a réduit la grâce à la nature, la révélation de Dieu à de simples réflexions humaines, la foi en Christ au simple fait de suivre son exemple moral et la nouvelle naissance à une transformation superficielle. Elle a fait du christianisme une religion naturelle, un mélange de morales et de mysticisme alors que ses fondations sont surnaturelles (venant de Dieu). Comme Hebert le dit avec raison : « La religion a remplacé Dieu8. »


Illustration : Richard Rummell, L’université de Princeton, aquarelle, vers 1913.

  1. Les croyances des libéraux du XXIe siècle ne sont bien sûr pas identiques à celles des libéraux du XXe. Mais il y a quand même de nombreux points communs et une continuité. De même pour les différents courants libéraux d’avant le XXe. C’est d’ailleurs ce qui rend pertinents et actuels des livres du XXe comme celui de Packer et Christianity and Liberalism (recension d’Étienne) de J. Gresham Machen[]
  2. Par exemple, plusieurs piano ont la même nature même s’ils peuvent être produire un son plus ou moins beau (différence de degré). Mais un piano et une guitare sont de nature différente comme ils n’ont pas le même son.[]
  3. Du coup, la Bible est aussi humaine que n’importe quel livre d’histoire comme la Guerre des Gaules où Jules César raconte sa vie, ou les Antiquités juives où Flavius Josèphe rapporte l’histoire de son peuple.[]
  4. C’est-à-dire personnels, propres à chacun, différent d’une personne à l’autre. Par exemple, notre plat préféré est subjectif. L’un préfère un kebab, l’autre un burger, etc.[]
  5. Par des personnes qui ont vécu personnellement « l’expérience chrétienne » et n’en ont pas seulement entendu parler.[]
  6. Au sens de phénomène purement culturel et sociologique, comme les langues et les comportements humains. Il n’y a donc plus rien de surnaturel dans la religion. C’est une activité aussi normale que parler, manger, boire et dormir.[]
  7. Évolutionniste, dans un sens plus large que la théorie de l’évolution en biologie, au sens de progression. Par exemple, la théorie sur les religions en vogue affirmait que le monothéisme venait du polythéisme, lui-même venant de l’animisme.[]
  8. Gabriel Hebert, Fundamentalism and the Church of God, p. 78[]

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

2 Commentaires

  1. Le bihan

    Bonjour, dans cet article vous dites que les libéraux croient souvent que toutes les religions mènent à Dieu.Ce que vous conservateurs ne comprenez pas c’est que votre foi mène également à cette idée.En effet vous avez beaucoup de valeurs en commun avec d’autres croyants : charité , travail, famille, frugalité ect… Il n’y a aucune raison au termes de plusieurs siècles d’incompréhension que vous ne reconnaissiez pas les autres croyants comme vos frères.Dire « les œuvres doivent suivre la conversion «  ou « il faut des œuvres pour être sauvé «  ne sont pas des propositions qui amènent une pratique différente.

    Réponse
    • Maxime Georgel

      Bonjour,

      “Mener à Dieu” s’entend ici dans le sens “procurer le salut éternel avec Dieu”. La position conservatrice à ce sujet est que le nom de Jésus est le seul qui soit donné aux hommes pour être sauvé et que seule la foi en son nom sauve. Dès lors, le fait que des valeurs communes existent est hors de propos. Des valeurs communes existent entre tous les hommes d’ailleurs, croyants ou non. Ce n’est pas une éthique commune qui sauve. Lorsque Paul précise son éthique sexuelle en 1 Corinthiens 5 et 6, il la fonde sur les articles de la foi chrétienne et non sur des valeurs communes.

      En argumentant pour l’excommunication d’une personne immorale sexuellement en 1 Corinthiens 5 et 6, Paul invoque des vérités qui composeront le credo :

      1. La communion de l’Eglise nécessite d’en conserver la sainteté (5.6-8) : un peu de levain fait lever toute la pâte. La moralité n’est pas l’histoire d’individus, l’Eglise est une communion aussi morale. C’est protéger toute l’Eglise et non uniquement prendre soin de la corruption d’un individu.
      2. Le retout du Christ pour juger les vivants et les morts est invoqué par Paul pour le fait qu’il faille juger aujourd’hui la situaiton en question (5.3-5, 6.9). Cette doctrine ne peut pas être conçue indépendamment de ses conséquences éthiques.
      3. En 5.7 et 6.19-20, c’est sur la mort sacrificielle du Christ, rachetant nos corps, que Paul fonde son argumentation. Ces corps sont demeure du Saint-Esprit.
      4. Une allusion au sens du baptême pour la rémission des péchés est faite en 6.11. Notre ancienne manière de vivre, avant notre baptême, est censée être délaissée.
      5. La résurrection des corps est aussi mentionnée par Paul en 6.13-17 : le corps du chrétien est consacré pour la resurrection.
      6. Paul mentionne de plus le récit de la création : puisque Dieu est créateur de nos corps, c’est lui qui définit la nature de ce que nous faisons avec notre corps et il a voulu que la relation sexuelle unisse en une seule chair.
      7. Enfin, Paul cite un texte des Écritures vétérotestamentaires pour justifier qu’on doive extraire le méchant de la communauté. Il agit “selon les Écritures” comprises comme chrétiennes, y compris l’Ancien Testament.

      Ainsi, prétendre que parce qu’il y a des valeurs communes, il y a une voie commune vers Dieu est incongru, principalement parce que c’est le fondement doctrinal de cette éthique qui importe autant que l’éthique.

      Réponse

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