La causalité, les décrets divins et le péché
25 juin 2022

Qu’est-ce que la causalité ?

Depuis bien longtemps déjà, le calvinisme et l’arminianisme luttent l’un contre l’autre sur les sujets de la souveraineté de Dieu, de la prédestination (élection et réprobation), de la grâce et plus encore. Je défends, comme vous le savez sûrement, la doctrine réformée, qui elle-même défend le calvinisme.

Dans cet élan, je vous propose tout d’abord d’étudier ensemble la causalité, telle que la conçoit Aristote dans sa Métaphysique (mais également plusieurs théologiens par la suite, qui ont emprunté son génie) en harmonie avec notre compréhension des décrets divins.

En premier lieu, nous pouvons discuter des quatre causes. Les voici avec une courte description :

    1— Instrumentale (ou formelle) — La forme que le décret réalise (qu’est-ce que c’est ?).

    2— Matérielle — La matière nécessaire (de quelle matière est-ce fait ?).

    3— Efficiente — La source du processus qui conduit à ce qu’elle est (qui l’a fait ?).

    4— Finale — La raison pour laquelle elle a été produite (pourquoi l’a-t-il fait ?).

Prenons une illustration simple pour mieux comprendre comment fonctionne la causalité. Imaginons ensemble la construction d’une maison.

La cause instrumentale (ou formelle) ici serait le le plan de la maison, son design, si on veut. La cause matérielle serait le bois, ainsi que tout autre matériau utile. La cause efficiente serait le charpentier et finalement, la cause finale serait la maison.

Quel est le lien avec les décrets divins ?

Si nous souhaitons étudier les décrets à la vue de ces quatre causes, voici ce qu’on propose :

L’accent [de la doctrine scolastique réformée] est mis sur le fait que Dieu détermine dans son décret (plan) éternel tout ce qui se passe dans le ciel et sur la terre. En arrière-plan, on trouve la quadruple causalité d’Aristote : le décret comme cause efficiente ; le Christ comme matière ; la foi (Esprit) comme instrument ; et la gloire de Dieu comme cause finale.

Philip C. Holtrop, ” Decree(s) of God “, Encyclopedia of the Reformed faith (Louisville, KY ; Edinburgh : Westminster/John Knox Press ; Saint Andrew Press, 1992), pp. 97-98.

Le décret de Dieu est donc la source du processus qui conduit à ce qu’elle est (ou doit être), par rapport à la raison pour laquelle elle a été produite (ou sera produite). Elle est, si on veut utiliser l’illustration ci-dessus, le plan de la maison. Calvin précise à ce sujet :

À l’examen des quatre causes envisagées par les philosophes, nous n’en trouvons pas une seule qui convienne aux œuvres, lorsqu’il est question de notre salut.
– L’Écriture enseigne partout que la cause efficiente de notre salut est la miséricorde de notre Père céleste et l’amour gratuit qu’il a éprouvé pour nous.
– La cause matérielle, selon l’Écriture, est l’obéissance de Christ, par laquelle il nous a acquis la justice.
– À propos de la cause dite instrumentale (ou formelle), que dirons-nous qu’elle est, sinon la foi ? Jean a rassemblé ces trois causes dans la phrase : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3,16).

Institution de la religion chrétienne, III.14.17.

Lorsque Dieu décrète le péché d’un homme — et j’insiste sur le mot « décrète » et pas seulement « permet » (même si l’un n’exclut pas l’autre ipso facto) —, qu’est-ce qui justifie qu’il ne se rend pas coupable de péché ? La réponse (réponse unique soutenue de deux façons) se trouve à deux endroits, soit un argument biblique et un argument théologique.

les décrets divins et le péché

Le premier, dans les Écritures : « Vous aviez formé le projet de me faire du mal, Dieu l’a transformé en bien […] » (Gn 50,20)1. Lorsque l’homme pèche, il le fait avec le projet de faire du mal, alors que Dieu le décrète avec le projet de le transformer en bien. Dieu est évidemment sans péché, je crois que personne ne contredira cet argument. Le péché est, en soi, un affront à la moralité divine et puisque Dieu ne peut se renier lui-même, il ne peut pécher (2 Ti 2,13). Dans notre conception de concevoir la responsabilité, il est donc absolument primordial de garder à l’esprit la finalité du décret et de la permission du péché. L’homme convoite, ensuite l’homme conçoit et enfante le péché (Ja 1,15). Il le fait dans une totale inimité envers Dieu, dans un esprit d’affrontement conscient (Rm 1-2). Nous voyons donc que la raison pour laquelle Dieu décrète le péché, et la raison pour laquelle l’homme commet ce péché sont totalement différentes. L’homme le fait pour des raisons égoïstes et arrogantes, Dieu le fait pour le bien de son plan.

la causalité et les décrets divins

Le second est en termes de causalité. C’est la cause finale qui définit si la pensée est mauvaise ou non. En bref, la fin justifie les moyens.

Lorsque Dieu décrète (éternellement) qu’un homme va pécher (temporellement), il le fait de façon omnisciente conformément à sa nature, c’est-à-dire qu’il connaît les raisons pour lesquelles l’action doit prendre place afin de participer au plan éternel du salut pour les hommes, alors que l’homme le fait conformément à sa nature pécheresse avec le désir d’accomplir ses propres intérêts.

Le blâme pour le péché repose sur la cause seconde, ou cause instrumentale 2. Dans cette coopération (décret saint de Dieu, intention/action pècheresse de l’homme), Dieu décrète une action qui s’accorde avec la nature de l’instrument (l’homme). La nature de l’homme étant souillée par le péché, il n’est pas contre nature pour lui de pécher.

Nous pouvons conclure à une double « prescription » dans le décret. La première, c’est le retrait temporaire de la grâce commune de Dieu, grâce qui permet de restreindre le péché chez l’homme afin de préserver sa race pour le salut de ses élus 3, nous pouvons le définir comme une prescription passive. Le deuxième, c’est la prescription active dans lequel Dieu décrète que l’homme commettra le péché. Thomas Watson y commente : « Dieu met sa main sur l’action qui commet le péché, mais jamais sur le péché 4. »

Augustin est très intéressant sur le sujet, lorsqu’il défend :

Supposons que vous décidiez d’imputer le péché au Créateur. Vous innocentez effectivement le pécheur, puisqu’il n’a fait que suivre les décrets de son Créateur ; mais si cette ligne de défense réussit, il s’avère que la créature n’a pas péché du tout, et qu’il n’y a donc rien à reprocher à Dieu. Louons donc le Créateur si nous pouvons défendre le pécheur, et louons-le si nous ne le pouvons pas. Car si le pécheur est défendu à juste titre, il n’est pas pécheur ; louons donc le Créateur. Et si le pécheur ne peut pas être défendu, il est pécheur dans la mesure où il se détourne du Créateur ; donc, louons le Créateur. Je ne trouve donc aucun moyen — en fait, je suis certain qu’il n’y a aucun moyen — de rendre Dieu, notre Créateur, responsable de nos péchés…

De libero arbitrio, 3.16.

Dans tous les cas, nous pouvons être heureux, puisque nous vivons sous la grâce et que le salut ne nous est pas accordé selon nos mérites, ce qui serait équivalent à dire que nous serions tous perdus éternellement, puisque nous sommes sans mérite, mais que le salut nous est offert par grâce par le moyen de la foi en celui qui a tous les mérites, Jésus-Christ.


Illustration : Saint Thomas d’Aquin, détail de la facade de la basilique Santa Maria Novella (Florence).

  1. Même si ce verset se situe dans un contexte particulier des Écritures — la vente de Joseph par ses frères — il n’en demeure pas moins qu’une vérité éternelle y est dissimulée.[]
  2. Philip C. Holtrop, op. cit., p. 96.[]
  3. D’autres applications de la grâce commune peuvent être étudiées, mais pour le bien de l’étude, nous en resterons là pour le moment.[]
  4. A Body of Divinity, Édimbourg : Banner of Truth, 1958, p. 122.[]

Michael St-Amour

Michaël est marié et père de 2 enfants. Il est candidat au ministère pastoral pour l'Église réformée du Québec ainsi qu'étudiant en théologie au Davenant Hall, ou il poursuit le cursus du Master of Letters in Classical Protestantism.

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