La bataille des quatre sotériologies — Turretin (4.18)
28 septembre 2023

Y a-t-il un ordre dans les décrets divins et lequel?

Normalement, la piété chrétienne n’a pas besoin d’entrer dans ce niveau de détail, mais dans l’Europe du XVIIe siècle, la querelle sur la prédestination a absorbé une quantité phénoménale d’énergie. Il en est ressorti quatre famille de positions, que Turretin aborde et réfute tour à tour. Cet ordre est un ordre logique et non chronologique : cela veut dire que l’on considère les liens logiques tels que « 2+2 =4 » ; 2+2 n’existe pas ici quelques secondes avant « 4 » : il lui est logiquement antérieur.

Dans cette carte mentale, vous avez en gras les décrets avec des noms de personnes définis ; en italique, les décrets sans noms impliqués.

L’article promet d’être long, aussi je ne tarderai pas plus.

La position supralapsarienne

Ce fut la toute première position détaillée à être proposée, dans le camp réformé. Nous l’avons déjà traité dans la question 4.9. Turretin ne considère pas que cette position est hérétique, mais elle est inutilement dure et peu adaptée :

  • Selon cette position, le premier acte de Dieu serait un acte de haine contre ses créatures, alors même qu’elles ne sont pas encore pécheresses.
  • La haine de la créature est le principe, et la miséricorde de l’élu l’exception, alors que dans la position de Dordrecht, l’accent est mis sur la miséricorde.
  • Dieu a miséricorde de créatures qui n’ont pas encore pêché : c’est incohérent.
  • Cette position fait de la création un moyen de salut, ce qu’elle n’est pas.

À cela s’ajoutent donc aussi les arguments déjà traités dans cet autre article.

La position arminienne

Pour rappel de la carte mentale, l’ordre des décrets arminiens est le suivant–:

  1. Dieu décide que son fils Jésus-Christ sera médiateur, ou sauveur. Déjà traité dans la question 4.10.
  2. Il décide de sauver ceux qui se repentiront et auront foi au Christ. Aucun nom dans cette liste, juste la condition décrite.
  3. Dieu décide de donner à tous les moyens efficace d’avoir la foi en Christ, si bien que cela ne dépend maintenant plus que d’eux. Pas de noms dans ce décret, c’est ce que l’on appelle la « grâce prévenante ». Déjà traité dans la question 4.17.
  4. Dieu regarde dans le futur qui va spontanément choisir d’avoir foi en Christ ou non et il les sauve en fonction de cette réponse. Cette liste-là est déterminée, avec des noms précis. Déjà traité dans les question 4.11 et 4.15.

Même si chaque point a déjà été abordé, Turretin rajoute :

  • Elle rejoint le pélagianisme, dans le sens où c’est à l’homme de faire la bonne œuvre (se repentir) pour être sauvé.
  • La prédestination n’est plus due au bon plaisir de Dieu (sujet de Romains 9) mais seule sa justice équitable. On ne comprend plus pourquoi Paul passe autant de temps à défendre la justice de Dieu en Romains 9.
  • La foi est une oeuvre naturelle et humaine, alors que les Écritures disent qu’elle est surnaturelle et divine d’origine. (1 Corinthiens 4,7 ; Éphésiens 2,8)
  • Nous ne sommes donc pas élus à croire, mais seulement à être sauvés. Mais comment Dieu pourrait-il décider d’atteindre la fin sans décider que les moyens soient mis en œuvre ?
  • Il n’y a plus de distinction entre les damnés et les sauvés, mais seulement une condition à remplir, commune aux deux.
  • Si l’on regarde de plus près la conclusion de cette doctrine, on découvrira que ce n’est rien d’autre que l’introduction du pélagianisme et du papisme (maquillé) pour replacer l’idole du libre-arbitre dans la citadelle et et affaiblir la grâce de Christ par une méthode en effet plus subtile.

Ce ne sont là que des points généraux. Un problème important est que « l’élection » arminienne n’en est plus une !

  • Les Écritures décrivent l’élection comme étant éternelle, immuable, absolue et donc efficace. Mais dans l’arminianisme, toute élection est muable, révocable, conditionnelle et suspendue à la faiblesse de l’homme. À aucun moment il n’y a quelque chose de vraiment efficace qui vienne sceller le décret, pas même le quatrième qui se contente de « pré-voir » ce que fait l’homme.
  • Dans les Écritures, la prédestination ne va pas à une liste indéterminée de gens satisfaisant une certaine condition, mais à des individus déterminés.
  • Dans les Écritures, la grâce de la prédestination est toujours particulière, alors que trois étapes sur quatre chez les arminiens sont générales : la miséricorde, la rédemption et l’appel.
  • La prédestination à la vie éternelle implique nécessairement la prédestination à la foi (cf Actes 13,48 ; Romains 8,29-30). Or dans aucun de ces quatre décrets les arminiens ne décrivent Dieu donner la foi.
  • Il n’y a qu’une seule élection dans l’Écriture, qui est ferme, définitive, complète, absolue, éternelle et irrévocable. Il y en a deux chez les arminiens : l’une est révocable, et conditionnelle, l’autre est définitive, etc.

Si l’on va dans les détails, ce n’est pas mieux :

  • Lorsque Dieu a choisi son fils comme médiateur, il lui a donné comme mission de sauver une liste de gens particuliers (Jean 17,2, 6 et 9), de mourir pour ses brebis (Jean 10,11, 26 et 29) pour son peuple (Matthieu 1,21), bref : pour l’Église seulement (Éphésiens 5,25). Or dans le premier décret arminien, Jésus est médiateur de tous, la condition ne vient qu’après.
  • La mort de Christ donne efficacement le salut, il n’est pas mort juste au cas où. Dans l’arminianisme, il est théoriquement possible que Christ soit mort sans que personne ne fasse le choix d’avoir foi en lui.
  • Christ mourant pour les siens, il est appelé à juste titre notre Justice, l’auteur de notre salut, etc. Dans le système arminien, Christ n’est pas mort pour l’Église, mais pour que le Père pose ensuite des conditions de salut que peut-être – allez, espérons-le –, des hommes choisiront de remplir.

Dans le deuxième décret, celui qui définit la foi comme condition du salut, ce n’est pas mieux :

  • La prédestination consiste en ce que Dieu veut faire dans l’avenir, et non seulement ce qu’il nous ordonne de faire. Ici, Dieu nous demande de faire quelque chose, mais ne réalise rien par lui-même, efficacement.
  • L’élection est un acte défini et certain. Ici, ce « salut par la foi» est vague et indéfini.

Dans le troisième décret, celui de la grâce prévenante, on a aussi les problèmes suivants :

  • Les Écritures témoignent que tous n’ont pas reçu les moyens de croire et être sauvés : Psaumes 147,19 ; Matthieu 11,25 ; 13,11 ; Romains 8,28-29.
  • La grâce salvatrice est irrésistible, et non résistible comme l’indique ce troisième décret.

Dans le quatrième décret, celui où Dieu préconnaît les élus, on retombe dans le pélagianisme, où le salut de Dieu dépend, en fin de compten uniquement de l’homme et sa bonne volonté. Ce ne sont pas les fioritures ajoutées avant qui rendent ce pélagianisme plus acceptable. Dieu dépend de l’homme.

La position amyraldienne

C’est le « calvinisme 4-points » tenté par Moïse Amyrault, comme compromis entre calvinisme et arminianisme. Il est dans la carte mentale du dessus, mais je le rappelle ici :

  1. Dieu décide que Jésus sauvera le monde, comme dans l’arminianisme.
  2. Dieu appelle tout le monde au salut, avec les moyens qui conviennent, comme la grâce prévenante arminienne.
  3. Dieu décide qui répond à cette grâce prévenante. Ce traité est nominatif et ferme.
  4. Dieu sauve les élus. Ce décret est nominatif et ferme.

Les deux premiers décrets tombent sous les mêmes critiques que les arminiens. Mais cette configuration apporte des critiques supplémentaires : l’amyraldisme est incohérent, parce que Dieu veut à la fois sauver tout le monde et sauver seulement certains.

Ensuite, cela veut dire que Dieu a décidé les moyens avant la fin, un peu comme ces ingénieurs soviétiques qui concevaient des avions de combat, mais sans savoir ce qui devait être fait avec ; et ils étaient en fin de compte mal conçus.

  • Au lieu de dire que Christ est venu sauver les hommes, voici que les hommes sont sauvés pour concrétiser la mission de Christ.
  • En Matthieu 1,21, il est écrit que Jésus a été envoyé pour sauver son peuple. Donc il est censé y avoir déjà un peuple identifié dès le premier décret. Ce n’est pas le cas dans le système amyraldien.
  • Le principe même d’être médiateur et tête de l’Église, c’est qu’il existe une Église déjà définie : l’on n’est pas chef de quelque chose qui n’existe pas, même en projet. Or c’est ainsi que fonctionne l’amyraldisme.

Troisièmement, cela veut dire que le Christ n’est pas mort pour sauver telle personne, mais pour donner les moyens au Père de sauver telle personne. Ce n’est pas ainsi que parlent les Écritures : le salut est le don du fils en Éphésiens 1,3 ; Phillipiens 1,29 ; Hébreux 12,2.

Quatrièmement, dans l’amyraldisme, l’appel précède l’élection, alors qu’il faut dire que Dieu appelle ceux qu’il a déjà choisis. L’ordre ne convient pas.

En fin de compte, l’amyraldisme est trop incohérent pour être retenu dans les Églises réformées. Il n’atteint même pas ce qu’il se proposait d’atteindre.

  • Il n’exalte pas la bonté de Dieu, puisqu’au contraire on a un Dieu qui veut une chose et son contraire comme un sénile.
  • Il n’esquive pas l’accusation d’hypocrisie quant à l’appel, puisqu’en fin de compte, on retrouve la grâce irrésistible des calvinistes.
  • La réprobation n’est pas rendue plus facile à accepter, puisqu’on a toujours la grâce irrésistible calviniste.
  • Il y a d’autres façons (et de meilleures !) de réconcilier la grâce particulière de Dieu avec l’appel universel de Christ.

La position réformée

Elle est dans la carte mentale du dessus, mais je la rappelle :

  1. Dieu décide de créer l’homme (création).
  2. Dieu permet la chute de l’homme (décret de chute).
  3. Dans sa miséricorde, Dieu choisit de sauver certains hommes (décret d’élection).
  4. Dieu envoie Jésus-Christ pour sauver ces hommes.
  5. Dieu applique efficacement le salut à ces hommes par le Saint-Esprit.

Outre la réfutation des autres positions, et la défense des détails de chaque décret à travers tout le locus 4, on prouve la position réformée très rapidement ainsi :

  • Les Écritures subordonnent la mission de Christ à l’élection : Éphésiens 1,3-4 et 7 ; Romains 8,29-30 ; Jean 3,16 ; 17,2 et 6 ; 1 Thessaloniciens 5,9 ; 1 Pierre 1,2. Et ensuite, l’œuvre du Saint-Esprit suit l’œuvre de Christ : Jean 16,7 ; Romains 8,32 ; Éphésiens 1,3-5 ; Philippiens 1,29 ; Hébreux 9,14-5. Les décrets 3 à 5 sont donc biens dans cet ordre.
  • La nature même des choses à ordonner. Pour mettre en place des moyens, il faut déjà avoir l’idée de la fin : donc l’élection doit précéder la médiation de Christ et l’efficacité du Saint-Esprit.
  • Les étapes du salut dans la Trinité : le Père choisit les élus, le Fils donne les moyens de les sauver et le Saint-Esprit applique efficacement.

Bien que ce soit ainsi que nous pensions que les décrets de Dieu doivent être arrangés, nous devons toujours avoir conscience que ce n’est que selon notre manière de concevoir. […] En Dieu il n’y a qu’un seul décret unique. […] Nous devons acquiescer avec simplicité et sobriété plutôt que nous faire du souci quant à des questions vaines et interminables que la profane témérité des hommes ont l’habitude d’agiter ici.

François Turretin, Institution de théologie élenctique, 4.18.24

L’usage de cette doctrine, c’est que l’on évite à la fois le désespoir et la licence : contre le désespoir, nous affirmons que l’élection est immuable et que son efficacité ne dépend que de Dieu. Contre la licence, nous affirmons que le salut passe par les œuvres et qu’elles sont des marques nécessaires de celui-ci. Le vrai fruit des doctrines de la prédestination, c’est la sainteté.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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