La toute-puissance de Dieu — Turretin (3.21)
6 décembre 2022

Qu’est ce que la toute-puissance de Dieu, et s’étend-elle aux contradictions ? Nous le nions.

La puissance de Dieu, le principe exécutif des œuvres divines, n’est rien d’autre que l’essence divine elle-même produisant vers l’extérieur.

François Turretin, Instituts de théologie élenctique, 3.21.1

Comme souvent dans ces questions, Turretin fait en fait l’inventaire de la scolastique médiévale :

Certains de nos théologiens ont eu l’air de rejeter la puissance absolue de Dieu en disant que c’était une invention profane et détestable [cf. Jean Calvin, IRC 3.23.2]. Ils ne la comprenaient pas dans un sens absolu, mais relativement aux abus faits par les scolastiques qui en avaient déduit beaucoup de doctrines monstrueuses. Ces derniers suggéraient que la nature de la puissance absolue de Dieu consistait en ce que Dieu pût faire tout ce qui peut être imaginé par nous, que ce soit bien ou mal, contradictoire ou non ; par exemple, qu’il pût mentir et pécher ; qu’il pût faire ce qui est répugnant à la nature des choses. Calvin niait à juste titre cette puissance absolue parce que cela ne relève pas de la puissance et de la vertu, mais de l’impuissance et l’imperfection. Mais il ne niait pas que Dieu pût, par sa puissance absolue, faire bien plus que ce qu’il fait actuellement.

C’est devenu depuis une attaque des néo-athées : « Dieu peut-il mentir ? Non ? Alors je peux faire une chose que Dieu ne peut pas, il n’est pas tout-puissant ; Dieu peut-il créer une roche si lourde qu’il ne peut pas la soulever ? Soit il ne peut pas créer une limite à sa toute-puissance et il n’est pas tout-puissant ; soit il la crée mais ne peut pas la soulever, et il n’est pas tout-puissant. Stupides chrétiens joufflus. »

Mais le problème, ainsi que le défend Turretin, n’est pas dans le concept de Dieu ; il est dans leur concept de ce qui est contradictoire et de la toute-puissance.

Argumentation (§ 12)

La thèse de Turretin est la suivante : Dieu peut faire tout ce qui est possible, c’est à dire ce qui ne répugne pas à la nature même de la chose ou à la nature de Dieu. Sont donc exclues les impossibilités qui viennent de la nature même des choses : créer de l’eau qui ne mouille pas par exemple. Ou qui répugne à la nature de Dieu : Dieu ne peut pas mourir, mais cela ne relève pas de la toute-puissance de Dieu.

  1. Ce sont des contradictions absolues, qui ne peuvent pas être vraies à la fois : un Dieu menteur n’est tout simplement pas Dieu, c’est logiquement impossible.
  2. Le pouvoir de Dieu s’exerce sur ce qui est, non pas sur des non-entités comme les contradictions.
  3. S’il pouvait accomplir les contradictions, on violerait le principe de non-contradiction, et bon courage pour prouver que le principe de non-contradiction est renversable.

Le sens de « possible » et « impossible » (§§ 6-11)

Posons-nous maintenant pour examiner de plus près ces histoires de « possibles » et d’« impossibles ». Une fois qu’on aura clarifié ce que l’on veut dire par ces mots, ce sera plus clair.

Il y a trois sortes de possibles et d’impossibles :

  • L’impossible surnaturel est ce qui ne peut pas être fait, même par Dieu : une pierre sensitive, un homme sans esprit. Le possible surnaturel est ce qui peut être fait au moins par Dieu, comme la résurrection des morts.
  • L’impossible naturel est ce qui ne peut pas être fait par les pouvoirs de la nature ou des causes secondes mais peut tout de même être fait par ce qui est surnaturel : la conception virginale, la création du monde, etc. Le possible naturel est tout ce qui peut être fait par la nature ordinaire des choses (ce qui est étudié par la science).
  • Le moralement impossible est ce qui ne peut pas être fait en toute sainteté. Le moralement possible est ce qui convient aux lois de la vertu.

Cette distinction sert à faire remarquer que Dieu peut faire ce qui est naturellement impossible, mais pas ce qui est surnaturellement ou moralement impossible.

Pour traiter l’exemple archi-connu de la « pierre incapable d’être soulevée par Dieu » : elle est dans la catégorie du surnaturellement impossible ; la définition de Dieu est de pouvoir agir comme il veut sur tout être. Si cette pierre ne peut pas être soulevée, c’est que l’être dont vous parlez n’est pas Dieu. Mais si vous insistez pour dire que vous parlez de Dieu avec un grand D, alors sachez que la proposition pierre incapable d’être soulevée par Dieu est une contradiction qui n’a aucun sens. Elle s’autoréfute avant même d’avoir une chance d’exister.

Dernière remarque : quand nous disons que Dieu ne peut pas faire ce qui est surnaturellement impossible, ce n’est pas un « défaut » de Dieu ; c’est une limite de la chose-même. La perfection de Dieu n’est donc pas atteinte.

Objections (§§ 13-28)

§ 14 : Il est écrit celui qui peut faire, par la puissance qui agit en nous, infiniment au-delà de tout ce que nous demandons ou pensons. (Éphésiens 3,20) Il peut donc aller au-delà de ce qui semble contradictoire à nos petites raisons humaines.
Réponse : Dieu peut faire ce qui est au-delà de notre imagination et nos raisonnements, c’est vrai, mais pas des choses contraire à la Raison grand R.

§ 16 : Il est écrit rien n’est impossible à Dieu. (Luc 1,37) Rien, c’est rien, pas vos subtiles finasseries de scolastiques.
Réponse : Ce qui est contradictoire n’existe pas ; c’est un néant, une non-entité.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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