Chrétiens et non-chrétiens face à la souffrance — Lucas Cobb
15 janvier 2023

Lucas Cobb est étudiant en second cycle de théologie à la faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Cette prédication a été donnée dans l’Église réformée évangélique du Vigan (Cévennes), où il effectue son stage de fin d’études, le 9 octobre dernier.


Je suis content d’être parmi vous ce matin pour apporter ce moment de prédication, c’est-à-dire un moment de méditation autour de la Bible. Aujourd’hui, il y a quelques changements puisque c’est le stagiaire qui prêche, on en profite pour faire des choses un peu différentes. Vous m’entendrez souvent cette année citer des auteurs non-chrétiens. Ce n’est pas parce que je ne suis pas chrétien, mais c’est parce que souvent leur manière de penser nous impacte négativement et que j’aimerais nous rapprocher de ce que la Bible dit. Parfois, ces auteurs peuvent mettre des mots qui raisonnent plus avec nos questions que je ne pourrais le faire. C’est dans cette optique que nous allons maintenant parler de la souffrance.

Avez-vous déjà souffert ? D’une certaine manière, cette question ne se pose même pas. Tout le monde souffre, qu’il soit vieux ou nouveau-né, que ce soit physiquement ou mentalement. Dans nos vies, nous passons tant d’énergie et de temps à éviter la souffrance. On essaie de montrer aux autres que nos vies sont parfaites et qu’il n’y a pas de problème alors que l’on sait que ce n’est pas vrai. Donc, d’un côté on a un groupe non chrétien qui cherche absolument à éviter la souffrance. Ce qui est interessant c’est qu’il y a aussi un autre groupe de personnes qui reconnaissent que la souffrance nous aide à avancer et qu’il faut simplement l’accueillir avec joie. Voici, par exemple, deux citations de personnes qui font du développement personnel : « Ce n’est que par la souffrance que l’on peut changer et s’améliorer » (Haval Ravikant) et « le caractère, la personne ne peut pas se développer dans la facilité et la tranquillité. Ce n’est que par l’expérience de l’épreuve et de la souffrance que l’âme peut être renforcée, l’ambition inspirée et le succès atteint. » (Helen Keller) Donc, d’un côté, on se retrouve avec une souffrance qui ne fait aucun sens et qu’il faut à tout prix éviter, de l’autre, avec une souffrance qui nous aide à grandir mais avec des personnes qui ne sont plus capables de dire que la souffrance est tout de même une mauvaise chose.

La Bible nous donne une tout autre perspective sur la souffrance. L’apôtre Pierre a écrit une lettre à des Églises en situation difficile. Les chrétiens du premier siècle dans la région de la Turquie actuelle se faisaient persécuter par les autorités et par les citoyens des villes où ils habitaient. Pierre leur écrit pour les encourager malgré les difficultés et nous donne ainsi tout un enseignement sur la souffrance. C’est pour cela que je vous invite à lire ce passage avec moi ce matin :

18Serviteurs, soyez, en toute crainte, soumis à vos maîtres, non seulement à ceux qui sont bons et doux, mais aussi à ceux qui sont difficiles, 19car c’est une grâce que de supporter des peines, par motif de conscience envers Dieu quand on souffre injustement. 20Quelle gloire, en effet, y a-t-il a supporter de mauvais traitements pour avoir péché ? Mais si, tout en faisant le bien, vous supportez la souffrance, c’est une grâce devant Dieu. 21C’est à cela, en effet, que vous avez été appelés, parce que Christ lui aussi a souffert pour vous et vous a laissé un exemple, afin que vous suiviez ses traces ; 22lui qui n’a pas commis de péché, et dans la bouche duquel il ne s’est pas trouvé de fraude ; 23lui qui, insulté, ne rendait pas l’insulte ; souffrant, ne faisait pas de menaces, mais s’en remettait à Celui qui juge justement ; 24lui qui a porté nos péchés en son corps sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice ; lui dont la meurtrissure vous a guéris.25Car vous étiez comme des brebis errantes, mais maintenant, vous êtes retournés vers le berger et le gardien de vos âmes.

1 Pierre 2,18-25.

Dieu nous appelle à nous soumettre et à souffrir pour le bien

Ce que Pierre dit ici est évident : nous devrions être prêts à assumer les conséquences de nos mauvaises actions. C’est le b.a.-ba de l’éducation d’un enfant. Si tout à coup il casse son jouet parce qu’il n’est pas content, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même et assumer les conséquences de sa bêtise. Mais Pierre va beaucoup plus loin… Êtes-vous prêts à souffrir injustement parce que vous avez fait quelque chose de juste, quelque chose de bien ? Dans le contexte de cette lettre, c’était très concret comme application. Parce que les chrétiens refusaient de renier le Christ, ils souffraient, parce qu’ils dénonçaient les péchés de la société. Ils faisaient cela parce qu’il voulaient vivre une vie de justice et souffraient pour cela. Le Bouddha disait que la souffrance révèle où sont nos attachements ; et il avait bien raison. Le degré de souffrance que nous sommes capables de supporter révèle à quel point nous aimons réellement les autres ou pas, à quel point nous aimons réellement Dieu ou pas.

Dans cette épître, Pierre donne l’exemple des serviteurs qui sont appelés à se soumettre à leur maîtres, même s’ils sont injustes (et sauf s’ils sont contraires à la loi de Dieu). Mais nous pouvons avoir des tas d’autres illustrations pour notre époque. Nous aussi, nous nous faisons parfois exploiter par nos supérieurs. Il y a quelques mois, j’étais à Lyon pour rendre visite à des amis. Et dans la rue, nous avons vu quelqu’un essayer de détruire une trottinette électrique pour en récupérer la batterie. Et… je n’ai rien fait. Mes amis n’ont rien fait. Personne dans la rue n’a osé faire quoi que ce soit. Mais vous voyez, le fait que je ne sois pas prêt à souffrir pour arrêter cette personne montre à quel point j’y attachais de l’importance… ou pas, en l’occurence.

Alors, est-ce que la souffrance que vous endurez montre que vous cherchez réellement à aimer Dieu et les autres ? Dans le mariage, le taux de divorce montre que nous ne sommes pas réellement prêts à aimer les autres, parce que nous ne sommes pas prêts à souffrir pour eux. Le taux de suicide et d’euthanasie montre également que nous avons un seuil de tolérance de la souffrance qui est beaucoup trop faible.

Dieu connaît la souffrance

Alors que devons-nous faire quand on commence à comprendre cela ? La solution qui est généralement avancée, mais qui est mauvaise, est en fait celle de Bouddha : éviter la souffrance. Et pour éviter la souffrance il faut éviter les attachements. La méditation transcendantale a pour but de supprimer l’individualité et la personne, parce que s’il n’y a plus de personne, il n’y a plus de souffrance. S’il n’y a plus de « je », il n’y a plus de « je souffre ». Vous comprenez, c’est logique d’une certaine manière. Mais le problème de cette vision c’est que s’il n’y a plus de « je », il n’y a plus de « je t’aime ». Si nous cherchons à fuir la souffrance, il n’y a plus d’héroïsme, il n’y a plus de sacrifice pour les autres. Et c’est ce que l’on voit dans notre société en ce moment. Mais le christianisme est tout autre. Bien sûr, la souffrance montre ce à quoi nous sommes attachés, mais pour la Bible, ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’attacher aux autres. Au contraire ! La Bible se fonde sur le fait que Dieu, oui, Dieu ! descend de son ciel d’où il aurait très bien pu rester, que par amour pour nous, il se fait homme en la personne de Jésus-Christ et se sacrifie pour nous, pour toi, en mourant sur une croix ! Cela parce qu’il t’aime, parce qu’il nous aime !

Pierre dit que nous sommes appelés à imiter le Christ même dans la souffrance. Le mot grec que Pierre utilise ici est un mot qui signifie copier, comme si on demandait à un enfant de recopier une lettre ou un mot sur un papier. Il regarde la lettre A et il essaie de la refaire.

Nous aussi, nous sommes appelés à aller dans les pas du Christ et à nous sacrifier pour les autres. Mais nous savons que Dieu est présent dans nos plus grandes détresses parce qu’en Jésus-Christ, il a connu la douleur. Et ça, c’est libérateur ! Avoir quelqu’un qui nous écoute et qui comprend réellement ce par quoi on passe. Ça nous donne une réelle joie. Mais réellement aimer les autres nous fait aussi tellement de bien.

Dieu a vaincu la souffrance et la mort

Mais si la mort de Jésus est un exemple, elle n’est pas uniquement cela. En allant sur la croix, Jésus a porté toutes nos souffrances. Pierre dit que Jésus a lui-même porté nos péchés dans son corps à la croix afin que, libérés du péché, nous vivions pour la justice. Pierre cite ensuite le prophète Ésaïe, qui au sujet de Jésus dit qu’il était méprisé et délaissé par les hommes, homme de douleur habitué à la souffrance… nous l’avons méprisé… Pourtant ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de notre douleur qu’il s’est chargé… Mais lui, il était blessé à cause de nos fautes : la punition qui nous donne la paix est tombé sur lui, et c’est par ses blessures que nous sommes guéris. (Ésaïe 53,3-5) La mort de Jésus est beaucoup plus qu’un simple exemple à imiter, c’est aussi une force qui nous libère de l’emprise du mal, de l’emprise de l’égocentrisme et du péché. Par la croix, nous avons la possibilité de vivre pour la justice de manière sacrificielle parce qu’en mourant sur la croix, Jésus met à mort le mal. Trois jours plus tard, il ressuscite corporellement, historiquement et vainc la souffrance, le mal et la mort. Par la résurrection du Christ, nous avons l’assurance qu’un jour, la souffrance sera anéantie. Qu’un jour la mort n’existera plus parce que la souffrance et la mort n’auraient pas dû exister. Par la Résurrection, nous avons la promesse que le monde ne connaîtra plus ni la mort, ni la souffrance.

Décrire la force que l’amour nous donne pour nous libérer du mal est assez complexe. Plusieurs personnes ont essayé de la faire sans forcément réussir. Nous voyons cela dans les livres de Narnia où C. S. Lewis décrit la mort d’Alsan. Nous voyons cela également dans le Seigneur des anneaux, avec le désir de servir de Frodon. Il est prêt à mourir pour pouvoir sauver les autres. Et c’est cela qui fait la beauté de tous ces romans. Un dernier exemple plutôt frappant est celui d’Harry Potter. Tout le monde n’apprécie pas forcément ces livres, et peut-être à juste titre. Mais ce qu’il faut savoir c’est l’auteur, J. K. Rowling, a essayé de décrire dans ces romans la puissance sacrificielle de cet amour du Christ. En parlant de la mort de la mère d’Harry Potter, Dumbeldore dit : « ta mère est morte pour te sauver et s’il y a quelque chose que Voldemort ne peut pas comprendre, c’est l’amour. Il ne réalise pas que l’amour aussi puissant que celui de ta mère laisse une trace… Avoir été aimé si profondément… nous donne une protection éternelle… Quirell qui était rempli de haine, avide et plein d’ambition… ne pouvait pas te toucher à cause de cela. C’était un supplice de toucher une personne marqué par une chose aussi bonne1».

Vous comprenez ? L’amour du Christ ne peut pas nous laisser insensible. Soit nous le refusons et ne pouvons pas le supporter, soit nous l’acceptons et nous décidons de nous sacrifier pour les autres, de les aimer réellement. Mais en faisant cela, nous allons souffrir puisqu’un véritable amour est un amour sacrificiel pour les autres. Cela ne veut pas dire qu’il faut rechercher la souffrance mais plutôt que le véritable amour va toujours engendrer des souffrances. Puisse cet amour marquer vos vies, nos vies à tout jamais pour que nous puissions accepter de souffrir par amour pour les autres.


Illustration : Jean-Louis Théodore Géricault, Le Radeau de la Méduse, huile sur toile, 1819 (Paris, musée du Louvre).

  1. Harry Potter à l’école des sorciers, trad. personnelle.[]

Arthur Laisis

Linguiste, professeur de lettres, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin et lecteur dans les Églises réformées évangéliques de Lituanie. Principaux centres d'intérêts : ecclésiologie, christologie, histoire de la Réforme en Europe continentale. Responsable de la relecture des articles du site.

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