Dieu détermine la fin de notre vie — Turretin (4.5)
28 avril 2023

La fin de la vie de chaque homme est-elle fixée de façon immuable et inamovible par le décret de Dieu, si bien qu’il ne pourrait pas mourir à un autre moment ou d’une autre façon ? Nous l’affirmons contre les sociniens et les remontrants.

Les sociniens et les remontrants (ou arminiens) niaient que Dieu détermine même le jour et la façon de notre mort. Cette opinion avait eu sa défense la plus élaborée dans Epistolica quaestio de vitae termino (1636) écrite par le célèbre médecin Johan van Beverwyck. C’est avec lui surtout que dialogue Turretin.

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Jan van Bewervijck, qui disait que Dieu ne détermine pas le terme de notre vie.

Pour préciser la question, voici une carte des nuances que nous allons poser :

La question est de savoir si c’est Dieu qui détermine avant toutes choses le terme de notre vie, ou bien si nous sommes capables de changer le décret de Dieu en ayant de mauvaises habitudes de vie, ou bien au contraire de vivre plus longtemps que ce que Dieu veut en ayant un bon médecin. Les orthodoxes affirment que ces paramètres même sont déterminés par Dieu, si bien que Dieu seul détermine exactement et précisément le terme de notre vie. Nous ne pouvons pas vivre plus ou moins longtemps que ce que Dieu ordonne.

Arguments (§§ 5-12)

À partir de Job 14,5

Si ses jours sont fixés, si tu as compté ses mois, si tu en as marqué le terme qu’il ne saurait franchir

Donc il y a un nombre de jours déterminés par l’homme.

Objection : On parle ici du terme général à l’homme. Cela ne s’applique pas à celui qui boit comme un trou et réduit son espérance de vie ainsi.
→ On parle ici de jours particuliers et d’un nombre particulier de mois. Cela ne peut s’appliquer à qu’à des individus particuliers.

À partir de Psaumes 39,5-6

Éternel ! dis-moi quel est le terme de ma vie, quelle est la mesure de mes jours ; que je sache combien je suis fragile. Voici, tu as donné à mes jours la largeur de la main, et ma vie est comme un rien devant toi. Oui, tout homme debout n’est qu’un souffle.

Nous voyons 1° que Dieu préconnaît le terme de la vie de l’homme, et donc qu’il l’a déjà fixé (qui pourrait le faire sinon?) et 2° qu’il s’agit bien de la vie particulière de David.

À partir d’Actes 17,26

Il a fait que tous les hommes, sortis d’un seul sang, habitent sur toute la surface de la terre, ayant déterminé la durée des temps et les bornes de leur demeure.

Tout d’abord, il est clairement affirmé que c’est Dieu qui détermine le terme de la vie. Ensuite, nous savons qu’il s’agit des vies individuelles (et pas seulement d’un vague terme général) parce que peu avant, au verset 25, il est écrit qu’il donne la vie à chaque chose ; que peu après, au verset 28, il est écrit que c’est en lui que chaque individu a sa vie, son mouvement et son être.

À partir de Matthieu 10,28-30

Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr l’âme et le corps dans la géhenne. Ne vend-on pas deux passereaux pour un sou ? Cependant, il n’en tombe pas un à terre sans la volonté de votre Père. Et même vos cheveux sont tous comptés.

Voyez l’argumentation : Jésus nous invite à ne pas craindre de mort prématurée, parce qu’il contrôle la moindre chose, et même des choses qui ont beaucoup moins d’enjeu que notre mort. C’est donc que Dieu détermine le terme de vie individuelle, au point où cela sert d’argument pour consoler.

À partir des prédictions de morts

Des quantités de morts sont précisément annoncées par Dieu, au point où l’on ne peut expliquer autrement que par sa détermination.

  • Le déluge et la mort du premier monde est annoncée cent vingt ans avant en Genèse 6,3.
  • La mort de Moïse en Deutéronome 31,14.
  • La mort de l’enfant de David en 2 Samuel 12,14.
  • La mort du fils de Jéroboam en 1 Rois 14,12.
  • La mort d’Achazia, roi d’Israël en 2 Rois 1,4.
  • La mort de Pierre en Jean 21,18.
  • La mort de Christ, dont on a prédit non seulement la façon (Luc 18,32-33 ; Jean 12,33) mais aussi l’heure et le temps (Jean 7,30 ; 13,1 ; 17,1).
  • La mort des fils d’Éli le prêtre (1 Samuel 2,34).
  • La mort des Israélites frappés de la peste (2 Samuel 24,15).
  • La mort de Belschatsar (Daniel 5,25-6).
  • La mort d’Achab et de Jézabel (1 Rois 21,22-23)

De là Turretin conclut :

Vu que ce qui est préconnu de Dieu a sa venue à l’existence définitive et infaillible à partir du conseil fixe et de la préconnaissance de Dieu (Actes 2,23), il est nécessaire que le jour et la manière de la mort des individus soient déterminés infailliblement et préconnu avec certitude par Dieu. Prétendre que quoi que ce soit soit préconnu indéfiniment et conditionnellement par Dieu (ce que nos adversaires désirent) est absurde.

François Turretin, Institut de théologie élenctique, 4.5.

Autres arguments

Même les morts les plus accidentelles sont déterminées par Dieu. À combien plus forte raison les autres types sont déterminées aussi par lui. On a déjà vu que la Bible dit au sujet des homicides accidentels que Dieu l’ait fait tomber sous sa main (Exode 21,13). Achab, dont la mort a fait l’objet d’une prophétie en 1 Rois 22,34 est tué au hasard (1 Rois 22,34). Si Dieu détermine parfaitement ce qui est fortuit et dû au hasard, en quoi les décisions libres lui échapperaient-elles ?

Dieu prédetermine déjà toutes les circonstances de notre vie, depuis notre naissance (Psaumes 139,16 ; 106 ; 107 ; 144 ; 121). Il est même écrit que l’Eternel, le Seigneur, peut nous garantir de la mort. (Psaumes 68,20). Comment donc le terme de notre vie pourrait lui échapper ?

Enfin, si nous pouvons déterminer le jour de notre mort plus efficacement que Dieu par notre conduite, alors c’est toutes choses dans notre vie que nous déterminons plus efficacement que Dieu. Dieu n’est plus Dieu, un Seigneur indépendant et absolu qui fait tout ce qu’il veut, mais un Seigneur conditionnel, limité par les conditions. Tout cela est impie et blaphématoire.

Réponses aux objections (§§ 13-27)

§ 13 : Lorsqu’Ézéchias tombe malade (2 Rois 20) il obtient un rallongement de sa durée de vie par sa supplication, donc le terme de sa vie est muable.
→ Le terme de sa vie n’a changé que selon des causes secondes (cf diagramme en tête), pas selon l’intention première de Dieu. La prophétie qui annonçait sa mort n’était qu’une menace et non une annonce de ce qui est prédestiné. Elle était secrètement conditionnelle, à savoir qu’elle ne serait pas appliquée si Ézéchias suppliait Dieu. On voit qu’Ézéchias la comprenait ainsi par le fait qu’il s’est mis à prier Dieu, et donc qu’il comprenait que ce n’était pas la détermination absolue du terme de sa vie, mais une menace qui pouvait être mise à distance par la prière.

§ 14 : Il est écrit: Les hommes de sang et de fraude n’atteindront pas la moitié de leurs jours. (Psaumes 55,23) Donc il est possible de vivre moins longtemps que ce que Dieu prédétermine par notre conduite.
→ On ne parle ici que du terme général (cf diagramme plus haut) et d’une simple comparaison à vue humaine.

§ 15 : Ne sois pas méchant à l’excès, et ne sois pas insensé : pourquoi mourrais-tu avant ton temps ? (Écclésiaste 7,17) Donc on peut par sa conduite abréger notre vie plus court que ce qui était prédéterminé.
→ On parle ici d’une détermination selon les causes secondes, pas selon la volonté immédiate de Dieu. De plus, il faut voir que l’on meurt toujours trop tôt quand on ne se repent pas, et que même un centenaire réfractaire est impréparé au jour de sa mort, et en ce sens « meurt trop tôt ». En revanche, pour l’homme pieux et qui appartient à Christ, même mourir jeune n’est pas mourir « avant son temps ».

§ 16 : Très souvent dans la loi, Dieu parle de rallonger ou raccourcir les jours selon notre degré d’obéissance ou de désobéissance à la loi. Par exemple, en Exode 20,12 ; Deutéronome 4,40 ; 30,19 ; 20 ; Psaumes 91,16 ; 1 Rois 3,14 ; Proverbes 10,27. Donc nous pouvons changer la volonté de Dieu au sujet du terme de notre vie.
→ Ce « changement » et surtout le raccourcissement du terme ne doit être compris que comme l’opinion commune des hommes, et non des décrets de Dieu : on constate en général que les méchants ont tendance à mourir plus tôt que les autres, et celui qui mène une vie sans troubles ni conflits vit plus longtemps. Cela ne fonde pas l’autodétermination de nos vies, mais est tout à fait cohérent avec la détermination de Dieu.

Turretin s’exprime ensuite sur les moyens de prolonger la vie apportés par la médecine humaine :

La certitude de l’événement n’abolit absolument pas la nécessité et l’usage des moyens pour l’atteindre, au contraire elle les présuppose. […] Ainsi Dieu donne à Paul la vie de tous ceux qui étaient dans le bateau (Actes 27,24) et pourtant quand les marins ont souhaité abandonner le navire, l’apôtre dit au centurion : Si ces hommes ne restent pas dans le navire, vous ne pouvez être sauvés. (v. 31) Ainsi, il est clair que que l’aide des médecins, appointés par Dieu pour soulager les maladies, ne peut pas être négligé sans témérité (bien que nous ne devrions pas nous mettre sous leur entière dépendance). Ils ne doivent pas non plus cesser leur travail sous prétexte qu’ils ne savent pas ce que Dieu a déterminé quant à la vie et la mort de cet individu malade. Il n’est même pas nécessaire qu’ils le sachent. Nous devons faire notre devoir et laisser le résultat à Dieu. Si le terme de la vie n’est pas encore arrivé, que le médecin bénisse les remèdes et les utilise pour atteindre leur but. S’il est déterminé autrement, l’art du médecin sera fait en vain, mais au moins il aura accompli son devoir.

François Turretin, Instituts de théologie élenctique, 4.6.19.

Sur le suicide :

Les suicides ne peuvent pas être excusés à cause de cela, parce que ces crimes ne sont pas commis pour accomplir le décret de Dieu (dont les suicidés sont ignorants), mais pour accomplir la fureur diabolique dont ils sont saisis. Ils ne sont pas plus excusés par Dieu parce que c’était le terme déterminé de leur vie que ne le sont les brigands qui tuent les voyageurs sous prétexte de la providence de Dieu.

Ibid., 4.6.20.

Et sur l’attitude fataliste des musulmans :

La doctrine sur le terme fixe de la vie doit nous rendre brave et calme au milieu de tous périls qui nous entourent, alors que nous suivons notre appel. Mais elle ne doit pas produire de la précipitation à tenter Dieu et flirter inutilement avec tous les dangers. Sous prétexte que leurs jours sont comptés, les Turcs ne fuient devant aucun danger et n’ont pas peur de la peste et sa contagion. Comme le fait remarquer Busbequius, ils sont « sécurisés mais pas en sécurité face à la peste ».

Enfin Turretin cite plusieurs poètes païens et philosophes profanes, comme pour confirmer cette doctrine. Il cite Pindare, Lucrèce, Silius Italicus, Cicéron et Sénèque.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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