Qu’est-ce que le wokisme ? — Edward Feser
4 août 2023

Nous assistons en France à la croissance du wokisme dans tous les milieux aussi bien médiatiques, politiques que scolaires. Face à cette aberration qui se répand tel un cancer, il nous semble urgent de proposer des ressources de qualité pour réfuter ce poison infect. Plus spécifiquement aussi d’équiper les chrétiens face à cette idéologie dangereuse clairement contraire à la Bible et à la foi chrétienne. Voici donc une traduction d’un article du philosophe catholique thomiste Edward Feser où il présente le mouvement wokiste comme un délire paranoïaque. J’ai rajouté des notes de bas de page de ma propre main quand j’ai trouvé utile d’expliquer des choses et des choix de traductions.


Parmi les partisans du wokisme, certains prétendent que le terme woke est un terme mal défini par ses détracteurs sans aucun sens précis. Peut-être que c’est une critique répandue parmi les wokistes ou que beaucoup sont mal renseignés sur leur propre courant. Dans tous les cas, cette affirmation est fausse. Je dirais que les opposants du wokisme ont en tête cette définition quand ils y pensent : le wokisme est un état d’esprit paranoïaque, illusoire et « hyper-égalitaire » qui a tendance à voir de l’oppression et de l’injustice où il n’y en a pas ou à les exagérer là où elles existent.

En voici quelques exemples : prendre des comportements sans danger et au pire ordinairement grossiers pour des « micro-agressions » racistes ; taxer des résultats économiques d’« inégalités » racistes sans qu’il n’y ait aucune donnée empirique permettant d’en conclure qu’ils ont pour cause le racisme ; taxer de « transphobie » l’affirmation qu’il n’y a que deux sexes alors qu’elle est pourtant soutenue et par la science et par le bon sens ; traiter de « racistes » ceux qui pensent que la politique publique ne devrait pas prendre en compte la couleur de peau et que toute distinction entre des groupes ethniques1 est mauvaise, peu importe lesquelles ; traiter d’« homophobes » tous ceux qui pensent qu’il est inapproprié pour les écoles primaires d’aborder des sujets liés à la sexualité sans l’autorisation des parents, et ainsi de suite.

Si vous vous demandez quel mal il y a avec cela, vous devriez vous réveiller et demander de l’aide : ce sont des attitudes profondément irrationnelles. Dans mon livre All One in Christ: A Catholic Critique of Racism and Critical Race Theory, j’explique ce qui ne va pas avec tous ces courants qui se prétendent « antiracistes » alors qu’ils n’ont rien à voir avec cela. (Même si vous n’êtes pas catholique, vous trouverez une grande partie du livre utile étant donné que j’y offre des raisonnements philosophiques et basés sur les sciences sociales et non pas de nature théologique.)

Quand je décris le wokisme comme étant paranoïaque et délirant, je n’utilise pas des termes exagérés, au contraire, je ne fais que décrire ses caractéristiques psychologiques. Dans leur livre The Coddling of the American Mind (j’en dis quelques mots dans mon propre livre), Greg Lukianoff et Jonathan Haidt constatent que les wokistes (les adeptes de la Critical Race Theory2 et de la théorie du genre, les social justice warrior et autres) sont exactement dans l’état d’esprit que la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) a identifié comme une cause majeure de troubles psychologiques.

Cet état d’esprit a pour symptômes :

  1. L’appel aux émotions : laisser nos sentiments dicter notre manière d’interpréter la réalité au lieu de la laisser les filtrer.
  2. La dramatisation : être obsédé par le pire scénario possible inimaginable au lieu de s’occuper des scénarios les plus probables d’après les données dont nous disposons.
  3. L’amalgame : tirer des conclusions hâtives à partir de trop peu d’incidents.
  4. Le faux dilemme : dire qu’il n’y a que deux positions (ou plus généralement un autre nombre précis) possibles alors qu’une réflexion plus rigoureuse montre qu’il y a d’autres options.
  5. La prétention de pouvoir lire dans les pensées des autres : tirer des conclusions hâtives sur ce que pensent les autres.
  6. Les étiquettes : enfermer quelqu’un ou un phénomène dans une description simpliste, ce qui cache sa complexité3.
  7. Le biais de sélection : sélectionner uniquement les cas qui soutiennent une vision pessimiste des choses ou omettre ceux qui montrent qu’au contraire tout n’est pas aussi mauvais qu’on ne le pense.
  8. La culpabilisation : tenir les autres pour responsables de ses sentiments négatifs au lieu d’assumer d’en être soi-même la cause.

Il va de soi que plus l’on est habitué à ces schémas de pensée, plus l’on aura tendance à avoir une vision excessivement pessimiste des choses, et donc à se sentir misérable. La thérapie cognitivo-comportementale a justement pour but d’aider les gens à identifier ces mauvais schémas de pensée et à les contrer. Au contraire, le wokisme favorise tous ces biais cognitifs. Par exemple, il inculque l’appel aux émotions en opposant les récits personnels sur l’oppression à l’idéal de la rationalité et de l’objectivité et en faisant des réactions subjectives des personnes offensées le critère qui permet de juger si elles sont victimes ou non de « micro-agressions ». Il promeut la culpabilisation en faisant comme si les accusations de micro-agressions ou d’autres maux ne pouvaient pas être dûs à une hypersensibilité ou paranoïa de la personne qui se sent offensée. Il s’en donne à cœur joie quand il retient que ce qu’il y a de mauvais et balaie d’un revers de main ce qu’il y a bon en redéfinissant arbitrairement des termes tels que « racisme », « sexisme », « transphobie », « homophobie » et d’autres du même genre. Il les définit dans un sens tellement large que n’importe quoi peut désormais être qualifié de raciste, de sexiste, de transphobe ou d’homophobe. Y compris même ce qui a pourtant été compris historiquement comme des politiques égalitaires par excellence (telles que les politiques qui ne prennent en compte ni la couleur de peau ni l’origine ethnique et l’opposition à toute discrimination raciale). De la même manière, il a pour habitude de ranger les personnes dans des catégories simplistes qui ignorent la complexité des causes de ces disparités et les différents motifs qui sous-tendent diverses actions et politiques. Il se contente tout simplement de les traiter de « racistes”, “sexistes”, etc. Il fait la promotion du faux dilemme car pour lui on doit soit se plier aux idées du wokisme, soit être rejeté comme « raciste », « transphobe », etc. Il aussi tendance à dramatiser les choses : il insiste sur le fait que si nous ne mettons pas en œuvre ses politiques sous leurs formes les plus radicales, nous en resterons à une société injuste qui n’aura fait peu voir aucun progrès. Il encourage les gens à lire dans les pensées de leurs opposants en les accusant de « racisme », « d’intolérance », de « haine », de « biais implicite », de « fragilité blanche » et d’autres attitudes semblables. Et ce même s’il n’existe aucun fait objectif qui puisse justifier de telles accusations. Il surgénéralise en faisant de chaque cas particulier d’injustice un argument en faveur de la vision woke du monde.

Pour résumer les choses, le wokisme encourage les gens à adopter des manières de penser paranoïaques semblables à celles des personnes souffrant de dépression, d’anxiété ou d’autres troubles psychologiques. Voir le monde avec le regard du wokiste, c’est voir l’oppression et l’injustice même là où il n’y en pas, se sentir concerné par cette oppression et cette injustice imaginaires, et considérer les plaintes qui en découlent comme un indice venant valider ces illusions. 

Les facteurs psychologiques sous-jacents au wokisme que nous avons mentionnés précédemment permettent de mieux comprendre deux de ses caractéristiques. Elles seront familières à toute personne ayant déjà été confrontée au wokisme, bien qu’elles puissent sembler déconcertantes. D’une part, les wokistes sont si sûrs d’eux-mêmes qu’il leur semble inconcevable que quelqu’un puisse être en désaccord avec eux. Pourtant, d’autre part, on dirait presque que c’est dans leur ADN d’être incapables d’être calmes et de donner une réponse rationnelle à leurs opposants. Au lieu de s’attaquer aux arguments, ils s’en prennent inévitablement aux personnes. Imaginez une personne atteinte de délire paranoïaque qui croit que tout le monde lui veut du mal. Parce qu’elle surinterprète énormément le comportement des autres (en voyant des mauvaises intentions même dans les remarques et les actions les plus anodines), elle est persuadée que tout justifie sa peur alors qu’en réalité, très peu de raisons la fondent. Mais en même temps, elle est incapable d’avoir une discussion calme et raisonnée avec toute personne qui la contredit, exactement pour la raison mentionnée ci-dessus. « C’est si évident ! Vous devez fou pour ne pas le voir ! En fait, vous faîtes même partie de ce complot contre moi ! » On pourrait dire qu’une telle personne paranoïaque et délirante s’est « éveillée4 » à la réalité (le fait que tout le monde lui veut du mal) alors qu’en fait elle est juste perdue dans ses fantasmes. Pensez à au personnage John Nash du film A Beautiful Mind interprété par Russell Crowe : il voit des complots et des ennemis partout, même dans des endroits où il n’y a littéralement personne. 

La différence entre le wokisme et d’autres formes de paranoïa est la suivante : les délires et la paranoïa du wokiste sont le reflet de ce que j’ai appelé plus haut une vision « hyper-égalitaire » du monde. Vous remarquerez qu’à aucun moment je n’ai dit que toutes les formes d’égalitarisme étaient mauvaises. Bien au contraire : par exemple, j’affirme dans mon livre All One in Christ que tous les êtres humains sont égaux en droits et en dignité parce qu’ils ont tous la même nature peu importe leur origine ethnique. Il serait donc injuste, qu’un gouvernement protège uniquement la vie, les libertés et les droits de propriété des citoyens d’un groupe ethnique précis sans le faire pour les citoyens d’autres origines ethniques. Il s’agirait d’un cas flagrant d’inégalité inique. 

Quand j’utilise le mot « hyper-égalitarien », je veux parler de la tendance à soupçonner que toutes les égalités en soi sont injustes. Par exemple, supposons que 10 % de la population d’un pays soit d’un certain groupe ethnique et qu’elle représente pourtant moins de 10 % de ses actionnaires. Le wokisme dira qu’il s’agit d’une inégalité « raciste » qui ne pas avoir une autre explication « innocente » et que le gouvernement doit à tout prix faire disparaître. Pensez juste à la fameuse phrase d’Ibram X. Kendi : « Là où je vois des disparités raciales, je vois du racisme. ». À nouveau, repensez à l’interprétation de Russell Crowe dans A Beautiful Mind, mais remplacez cette fois-ci les messages secrets, les complots des Soviétiques et les espions qu’il voit partout par des racistes, des sexistes, des homophobes, des transphobes, etc., et imaginez qu’il range désormais les gens dans deux camps : d’un côté les « intolérants » qui visent à maintenir ce système « d’oppression intersectionnelle5 » et de l’autre les « alliés » qui œuvrent avec lui à le renverser. Ce monde d’illusions semble effroyablement réaliste. Mais ce sont en fait des raisonnements circulaires et des attaques ad hominem contre tous ceux qui tentent de convaincre Crowe du contraire qui lui permettent de subsister.

Bien évidemment, je ne dis pas que tous les wokistes sont aussi dérangés que le personnage joué par Russell Crowe. Tous non plus ne sont pas aussi agressifs que le social justice warrior stéréotypé en ligne ou les hordes de Twitter. Tout comme les autres formes de délires paranoïaques, le wokisme existe sous différentes formes plus ou moins radicales. Mais si vous pensez qu’il est si évident que des points de vue comme la Critical Race Theory, la théorie du genre, etc. soient vrais qu’aucune personne saine d’esprit et bien informée sur le sujet ne pourrait s’y opposer et que vous avez au moins du mal à vous engager dans un débat calme et rationnel avec quiconque pense l’inverse, alors vous êtes wokiste. Et c’est justement parce que vous peinez à ne serait-ce qu’envisager calmement et rationnellement la possibilité que vous ayez tort que votre attitude est typiquement irrationnelle.

Pour aller plus loin :

Countering disinformation about Critical Race Theory

“Diversity, equity, and inclusion”: Good, bad, or indifferent?

The Gnostic heresy’s political successors

Woke Ideology Is a Psychological Disorder

All One in Christ: A Catholic Critique of Racism and Critical Race Theory


Illustration : Salvador Dalí, Le grand paranoïaque, huile sur toile, 1936 (Rotterdam, musée Boijmans Van Beuningen).

  1. Le mot original est race mais comme ce mot a une mauvaise connotation en France et donc pour ne pas choquer inutilement le lecteur français, j’ai préféré le remplacer à chaque fois par “groupe ethnique” ou “origine ethnique” (que j’ai souvent entendu sans que je pense que personne en soit choqué dans des conversations de tous les jours avec des membres de la famille, amis, camarades, collègues). A l’inverse, il est intéressant de noter que le mot race n’est péjoratif pour personne chez les anglais. Le youtubeur Le Précepteur l’explique très bien dans sa longue vidéo de présentation du wokisme.[]
  2. Traduit et connu en français sous l’expression théorie critique de la race.[]
  3. Par exemple : traiter d’extrême droite tous ceux qui remettent en cause ou émettent juste des réserves sur un avis de la gauche dominante actuelle en France (ex : à propos de l’immigration, du patriotisme, des politiques familiales, d’aborder ou non la sexualité à l’école), traiter de complotiste tous ceux qui rejettent ou restent juste indécis à propos du vaccin ARNm contre le covid et/ou du politique du passe sanitaire, traiter de catholique intégriste toute personne qui a un avis traditionnel ou tout simplement “plus modéré” sur la sexualité (ex : avortement, moyens de contraceptions artificiels, etc.).[]
  4. D’où le terme anglais woke qui signifie réveillé, éveillé. Sous-entendu éveillé aux inégalités dont sont victimes les minorités.[]
  5. On parle d’oppression intersectionnelle lorsque que quelqu’un cumule les oppressions. Par exemple la femme noire cumulera l’oppression raciste (car elle est noire) et l’oppression sexiste/patriarcale (car elle est une femme). La femme blanche lesbienne cumulera l’oppression sexiste/patriarcale et l’oppression homophobe (car elle est lesbienne).[]

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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