Une introduction à la loi naturelle
4 avril 2024

Dans le passé, nous avons traité déjà plusieurs fois sur ce site de sujets en rapport avec la loi naturelle : 

Aujourd’hui, nous nous proposons de donner une explication et une défense (philosophique) assez complète et facile à comprendre de la loi naturelle. À cette fin, je m’inspirerai très fortement des livres d’Edward Feser : Aquinas, a Beginner’s Guide, chapitre 5 « Ethics » (ma recension) et The Last Superstition (pp. 132-153) traduit en français sous le titre La dernière superstition: Une réfutation du nouvel athéisme (ma recension).


Une définition philosophique de la loi naturelle

La loi naturelle désigne une théorie d’éthique qui affirme les points suivants et qui formule à partir de ceux-là des principes généraux d’éthique avec leurs implications dans la vie pratique : 

  1. Le bien (au sens moral/éthique), c’est choisir de faire une action qui accomplit un ou plusieurs des buts de nos capacités naturelles (c’est-à-dire définis par ce qu’on est, par notre nature/essence d’être humain3, d’où « naturelle » dans « loi naturelle ») et qui est donc propice à notre bien-être, donc au final se conformer à une « règle » (d’où « loi » dans « loi naturelle »). 
  2. Dans la même logique, une action est bonne si elle correspond à cette description juste avant et une caractéristique (une propriété) de quelqu’un est bonne si propice à son bien-être.
  3. Quelqu’un est bon s’il est un bon exemple de sa classe (en ce qui nous concerne celle des êtres humains), c’est-à-dire si en général il fait ce qui est bon pour lui, c’est-à-dire si en général les actions qu’il choisit de faire sont bonnes (ou au moins s’il cherche à en faire malgré ses difficultés) et donc qu’il se rapproche du modèle idéal de ce que devrait être un être humain « qui marche bien ».
  4. Le mal (au sens moral/éthique), par opposition, c’est choisir de faire une action qui s’oppose (qui est contraire à) à l’un ou plusieurs de ces buts « naturels » et qui est donc contraire à notre bien-être. 
  5. Dans la même logique, une action est mauvaise si elle correspond à cette description juste avant et une caractéristique (une propriété) de quelqu’un est mauvaise si contraire à son bien-être.
  6. Quelqu’un est mauvais s’il est un mauvais exemple de sa classe (en ce qui nous concerne celle de êtres humains), c’est-à-dire si en général il fait ce qui est mauvais pour lui, c’est-à-dire si en général les actions qu’il choisit de faire sont mauvaises (ou au moins s’il cherche en général à faire de mauvaises actions) et donc qu’il est loin du modèle idéal de ce que devrait être un être humain « qui marche bien ».

C’est la définition à laquelle on va essayer de parvenir avec des explications.

Bon ici ne veut pas dire parfait (sans aucun péché)

Bien sûr, ici et dans toute la suite, quand je dirai qu’un homme est bon, ça ne voudra pas dire qu’il est parfait moralement, qu’il ne fait jamais de mauvaises actions. Un homme bon dans ce sens sera toujours très loin de la perfection que Dieu exige des hommes pour éviter son jugement.

Tout ce que je vais écrire sera donc compatible avec ce que dit la Bible, que tous les hommes sont pécheurs (c’est le péché originel du christianisme ou plus spécifiquement la corruption totale, le premier point du calvinisme) comme ci-dessous : 

Juifs et non-Juifs sont tous sous la domination du péché, comme cela est écrit : Il n’y a pas de juste, pas même un seul; aucun n’est intelligent, aucun ne cherche Dieu ; tous se sont détournés, ensemble ils se sont pervertis ; il n’y en a aucun qui fasse le bien, pas même un seul ; […] en effet, personne ne sera considéré comme juste devant lui sur la base des œuvres de la loi […]. Il n’y a pas de différence: tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu.

Romains 3,9c-12, 20a, 22b-23.

Une définition théologique de la loi naturelle

On peut aussi reprendre une définition plus théologique (c’est-à-dire explicitement en rapport avec Dieu) du point de vue de Dieu : 

La loi naturelle est le fait que Dieu gouverne l’univers rationnellement et avec sagesse en maintenant, dans leur être, les choses créées qui évoluent naturellement vers des buts précis. Les roches et l’eau obéissent aux cycles de la roche et de l’eau, les oiseaux volent, mangent, construisent des nids et élèvent leurs petits, les plantes utilisent l’eau, le sol et la photosynthèse pour croître et se reproduire, et les êtres humains agissent vers certaines fins spécifiées par leur nature unique.

Maxime Georgel, « La loi naturelle ».

La loi naturelle dans l’histoire de l’Église et de la philosophie

La loi naturelle a été acceptée jusqu’à récemment par la majorité des chrétiens toute dénomination confondue. C’est par exemple la position officielle de l’Église catholique romaine. Il en est de même pour les Églises réformées confessantes4, les baptistes particulières5 et les luthériennes6.

C’était aussi la position majoritaire des philosophes dans l’Occident depuis l’Antiquité en passant par Platon, Aristote, les stoïciens (Marc-Aurèle, Sénèque, etc.), Augustin jusqu’aux philosophes scolastiques du Moyen-Âge comme Thomas d’Aquin, Johannes Althusius, Hugo Grotius, et Richard Hooker. Même des philosophes de la modernité continuent de s’y référer, bien qu’avec des nuances plus ou moins importantes comme Christian Wolff, Leibniz et Thomas Hobbes.

On l’oppose souvent à d’autres systèmes éthiques comme la théorie du commandement divin associée à William d’Ockham, à l’utilitarisme de John Stuart Mill et de Jeremy Bentham ou au déontologisme de d’Emmanuel Kant.

La loi naturelle : une éthique basée sur une métaphysique

Selon des philosophes contemporains comme Hilary Putnam et John Rawls, il est possible d’avoir une éthique qui ne dépende aucunement d’une théorie métaphysique quelconque. Pour rappel, la métaphysique ou l’ontologie est la matière de la philosophie qui étudie de la façon la plus générale ce que sont les choses qui existent, en gros leur « identité », leurs propriétés fondamentales qu’elles ont en commun ou de différentes : les hommes, les animaux, les plantes, les cailloux, les atomes, les anges, Dieu, etc.

Au contraire, Thomas d’Aquin (et avec lui, plus généralement la plupart des philosophes antiques et médiévaux), fonde sa morale sur sa métaphysique7 : en gros, on ne peut pas savoir ce qu’est le bien ou le mal sans savoir quelque chose ni indépendamment de ce qu’est l’homme. Plus généralement, cela vaut pour chaque type de choses. On voit que la loi naturelle est une éthique qui repose sur une métaphysique parce qu’elle affirme que les choses naturelles8 ont une nature avec des limites et des propriétés spécifiques, et qu’elles « obéissent » donc à des « règles » (des normes objectives) qui décrivent ce qu’elles sont. C’est ce qu’on appelle plus techniquement l’essentialisme aristotélicien9

Pour rappel, la loi naturelle se prononce sur ce qui est bien et sur ce qui est mal. Donc pour bien la comprendre, il faut d’abord comprendre ce que signifient les mots bien et mal (et les adjectifs bon et mauvais qui vont avec). C’est justement ce qu’on va étudier en détail. On verra progressivement plusieurs sens à « bien » et « mal », de plus en plus complexes au fur et à mesure qu’on se rapproche de l’être humain10 en partant des choses inanimées et en passant par les êtres vivants. On verra enfin la principale règle (le premier principe) de la loi naturelle, puis on répondra à de nombreuses objections pour dissiper un maximum d’ambiguïtés.

I. Le bien

A. Qu’est-ce que le bien ?

Nous allons essayer de déterminer ce qu’est le bien (moral). Mais avant cela, il est important de s’intéresser au bien en général. C’est-à-dire au sens du mot bien (et bon) dans un sens plus général que gentil.

Par exemple, quand je dis que ce kebab est bon ou que ce film est vraiment bon, je n’utilise pas le mot bon au sens moral (de gentil ou méchant). Je l’utilise dans un sens plus large : le kebab et le film sont bons dans le sens où ils sont de bonne qualité, réussis, ils sont ce qu’ils devraient être : conformes ou au moins proches d’un modèle parfait. Pour reprendre l’exemple du kebab, pour qu’un kebab soit bon, il doit se rapprocher au maximum du kebab parfait : pas trop salé, avec une viande bien cuite mais pas trop, une bonne sauce, un bon pain, etc. De même que quand dit qu’un plat est mauvais pour dire non pas qu’il est méchant mais plutôt qu’il n’est pas délicieux ou au moins pas aussi bon que ce à quoi l’on s’attendait. 

On peut déjà donner une définition générale de bien et bon (au sens général, non moral) avant davantage d’exemples concrets. 

  • Une chose (au sens général, non moral) est bonne si c’est un « bon spécimen » ou un « bon exemple » d’une sorte ou d’une classe de choses11

En gros, bon signifie ici conforme à un modèle correct, une norme d’une classe de choses.

1. L’exemple du triangle : être conforme à un modèle

Pour comprendre ce qu’est la bonté, on peut prendre l’exemple du triangle. Le triangle, par définition a trois côtés parfaitement relié chacun aux autres et a la somme de ses angles qui vaut 180°. Cependant, dans la réalité, quand on dessine des triangles, on les différencie bel et bien en fonction de leur précision et de leur exactitude. Car un triangle dessiné sera toujours imparfait : un ou plusieurs côtés pas entièrement droit(s), la somme des angles vaudra toujours autre chose que 180° exactement. 

Prenons par exemple, un triangle tracé par un enfant de trois ans et un autre par un adulte. Celui de l’adulte ressemblera plus à un vrai triangle que celui de l’enfant. Ainsi, on dit que le triangle dessiné par l’adulte est un meilleur triangle ou un triangle mieux réussi (meilleur) que celui tracé par l’enfant. Il ne s’agit pas là d’un jugement purement subjectif. En effet, on a bien un critère objectif (« un modèle correct/parfait », la définition mathématique du triangle) pour comparer factuellement tous les triangles qu’on dessine pour tester/vérifier leur qualité. Plus nos triangles « artificiels » se rapprochent de cette norme (la définition abstraite du triangle, le triangle « parfait » qui n’existe pas dans la réalité), plus on dira qu’ils sont « bons ».

2. L’exemple des êtres vivants : prise en compte du bien-être comme facteur

Dans le cas des êtres vivants, on rajoutera la notion de bien-être dans la définition de « bien » et « bon ». Pour reprendre la définition de « bon » utilisée jusqu’ici, un être vivant est bon si c’est une bon exemple de sa classe. Mais dans ce cas précis des êtres vivants, cela implique qu’il ne présente pas de caractéristiques ou qu’il ne fasse pas (au moins en général) des actions qui lui font du mal, qui sont contraires à son bien-être. Donc le cas spécifique d’un être vivant, on définit le bien de cette manière :

  1. Un être vivant est bon si c’est un bon exemple de sa classe, c’est-à-dire s’il ne présente pas de caractéristiques contraires à son bien-être et s’il fait en général des actions qui lui font du bien, propices à son bien-être. Il est mauvais si c’est l’inverse.
  2. Quelque chose/une action est un bien ou bon(ne) pour cet être vivant si elle lui fait du bien, si elle est propice à son bien-être. Cette chose ou action est mauvaise si c’est l’inverse.

Par exemple, un chat avec trois pattes est anormal et moins bon (moins « réussi ») qu’un chat à quatre pattes. Ses trois pattes au lieu de quatre ne sont pas propices à son bien-être car elles l’empêchent de marcher correctement. Et donc de courir assez rapidement pour attraper chasser ses proies comme les souris et pour échapper à des dangers comme des voitures ou des vélos, ce qui diminue ses chances de survie. 

Ce qui est bon pour un chien, c’est ce qui lui permet de manger à sa faim, de se reproduire, de fonctionner comme un chien normal (aboyer, manger des os et de la viande au lieu de bonbons par exemple, etc.). Un chien qui fait tout ça est un « bon » chien.

Feser donne un exemple sur les écureuils : « Un bon écureuil est un écureuil qui a les marques typiques de l’espèce et qui accomplit avec succès les activités caractéristiques de la vie d’un écureuil, par exemple en n’ayant pas de membres cassés, en ne ramassant pas de cailloux pour sa nourriture plutôt que des glands, etc.12.» Par conséquent, un écureuil qui veut tout le temps aller s’allonger sur les autoroutes est clairement un mauvais écureuil car il met anormalement sa vie en danger. Pour les mêmes raisons, un écureuil qui aime vivre toute sa vie dans une cage, qui ne mange que du dentifrice Colgate® et qui refuse de faire ce que la plupart des autres écureuils font (grimper des arbres, casser et manger des noisettes, etc.) n’est pas un bon écureuil. 

3. Le bien implique la téléologie (des buts)

La définition générale du bien inclut la téléologie. La téléologie, c’est le fait que les choses suivent des tendances précises et particulières, inconsciemment (les êtres inanimés comme les atomes et les planètes, les plantes et les animaux) ou consciemment (les êtres intelligents comme les hommes et les anges).

Si l’on reprend les êtres vivants, ces derniers doivent accomplir certains buts précis (ou fins ou encore causes finales pour prendre des mots plus techniques) afin d’être de bons êtres vivants, des êtres vivants « réussis ». Naturel dans fins naturelles ne veut pas dire issu de nos désirs psychologiques ou déterminé par nos gènes mais ce qui est défini par la nature / l’essence de quelque chose. Parmi ces fins, on a : 

  1. La nutrition : recharger son « énergie » en mangeant/absorbant des molécules (de la nourriture) ;
  2. La reproduction : faire durer son espèce sur le long terme ;
  3. La survie (en termes plus techniques, la conversation de son être) ;
  4. La protection de la progéniture.

Les plantes ont pour fins celles de 1 à 3, et les animaux de 1 à 4. C’est pour cela qu’on attribue traditionnellement ces quatre fins aux animaux. Et comme l’homme (pour reprendre Aristote) est un animal rationnel et donc un animal, il possède aussi ces quatre fins. On verra les fins qui lui sont spécifiques en tant qu’homme. Ces quatre fins sont toutes nécessaires dans le sens où un être vivant est obligé de les accomplir pour ne pas mourir et pour faire perdurer son espèce.

On peut donc rajouter la notion de but dans notre définition du bien (et du mal) pour les êtres vivants :

  1. Une chose ou une action est bonne pour un être vivant si elle accomplit un ou plusieurs des buts de ses capacités naturelles (c’est-à-dire définis par ce qu’on est, par notre nature / essence d’être humain) définis par ce qu’il est et est donc propice à son bien-être. Cette chose ou action est mauvaise si c’est l’inverse.
  2. Un être vivant est bon si c’est un bon exemple de sa classe, c’est-à-dire s’il fait en général des actions qui accomplissent un ou plusieurs des buts de ses capacités naturelles déterminés par ce qu’il est et qui sont donc propices à son bien-être.

Par exemple, manger de la viande est un bien ou bon pour le lion car cela lui permet d’accomplir un de ses buts naturels qu’est la nutrition. Simba du Roi lion est un bon lion car c’est un bon exemple de lions : il fait tout ce qu’un lion devrait faire pour accomplir ses buts naturels et donc pour son bien-être (chasser les gazelles, faire des enfants avec Nala comme dans Le Roi lion 2, prendre soin de sa famille et de son clan, etc.).

4. Le bien et le mal sont différents en fonction des espèces

Bien sûr, ce qui est bon (le bien) pour une chose d’un type peut ne pas l’être ou être carrément un mal pour une chose d’un autre type. En termes techniques, d’une certaine manière, le bien et le mal sont relatifs. Par exemple, il est bon pour une vache de brouter de l’herbe, mais pour nous les êtres humains, ce serait mauvais car nous ne pouvons pas la digérer correctement. Il est bon pour un lion de manger de la viande, mais un pour  cheval c’est mauvais car il aura sûrement mal au ventre…

Malgré ces différences, il y a de façon générale des biens que de nombreuses espèces partagent ensemble. Par exemple, comme on l’a vu, il est bon pour tous les êtres vivants de se nourrir, de se reproduire. Il est bon pour tous les animaux de prendre soin de leur progéniture. Ce qui va varier, ce sera les moyens d’accomplir ces buts, par exemple les aliments à manger (viande pour les carnivores comme les lions, les plantes pour les herbivores comme les vaches, « tout » pour les omnivores comme les ours).

5. Attention à la confusion entre naturel et génétique

Il faut faire attention de ne pas confondre naturel et génétique. Ce n’est pas parce qu’un comportement a une origine génétique qu’il est bon et qu’il n’est pas anormal. Si par exemple, si l’envie naturelle de l’écureuil d’en haut de dormir sur les autoroutes est provoquée par ses gènes (qui par exemple ont subi des mutations), son comportement reste quand même non naturel ou contre-nature dans le sens “d’anormal”. 

Donc par exemple (sans même en conclure sur qui au final a raison ou a tort !), même si l’on suppose que l’homosexualité est d’origine génétique (naturel veut dire ici « causé par des gènes »), cela n’implique pas du tout que ce comportement soit normal. Certes, ce contre-argument (la distinction entre naturel et génétique) ne montre effectivement pas que l’homosexualité est bonne ou mauvaise. Cependant, il démontre au moins que l’argument en faveur de l’homosexualité basé sur la génétique est un mauvais argument.

5. Le bien moral (le bien pour les êtres humains et autres créatures rationnelles)
Les êtres humains sont doués d’intelligence et de volonté

Nous nous tournons maintenant désormais vers les êtres humains pour définir et comprendre le bien moral qui leur est spécifique. Contrairement aux êtres inanimés, aux plantes et aux animaux (qui fonctionnent en suivant leur instinct), les êtres humains sont dotés de deux facultés particulières : d’une volonté et d’une intelligence. Leur intelligence leur permet de savoir si quelque chose est bon ou non pour eux et leur volonté leur permet de choisir ou non cette chose. Les penseurs chrétiens (théologiens, philosophes) ont traditionnellement associé ces deux facultés (intelligence et volonté) à l’image de Dieu en chaque homme. Cela permet de fonder la dignité de tout homme et leur égalité en valeur et en droits.

Le mot rationnel dans qui est dans la définition animal rationnel que donne Aristote à l’homme fait renvoie à ces deux facultés qui les distingue des animaux (le mot animal dans animal rationnel).

Les différents types de bien l’homme

Comme les êtres humains sont différents des plantes et des animaux par leur intelligence et leur volonté, on retrouve de nouveaux biens propres à l’homme, des nouvelles actions qui contribuent à son bien-être. Ce sont des biens liés à l’aspect rationnel (intelligent) et libre (doté d’une volonté) de l’homme.

On peut donc dénombrer au total trois différentes catégories de biens inhérentes à notre nature humaine (les plus bas supposent ceux plus hauts) :

  1. Les biens que nous partageons avec tous les êtres vivants (y compris les plantes) tels que la préservation de notre existence, la reproduction
  2. Les biens que nous partageons avec les animaux comme la protection de notre progéniture
  3. Les biens propres aux animaux rationnels que nous sommes : la recherche de la vérité (en raison de notre intelligence) la vie en société, la connaissance de la vérité à propos de Dieu, la fuite de l’ignorance, éviter de nuire à autrui

On peut d’ailleurs conclure par un raisonnement que le bien ultime pour l’homme, c’est Dieu lui-même, auquel tous les autres biens sont subordonnés car en gros lui seul peut satisfaire nos désirs profonds.

Les fins nécessaires et les inclinations naturelles (désirs) de l’homme

Chez les êtres vivants et en particulier chez les êtres humains, on trouve à côté des fins nécessaires (définies ci-dessus) les inclinations naturelles qu’on peut aussi appeler désirs (ce qu’ils désirent dans les faits, leurs envies). Les êtres vivants ont naturellement tendance à faire des choses précises. En particulier, les hommes, étant rationnels, peuvent choisir d’aligner ou non leurs désirs sur leur raison (ce qu’ils pensent être bon pour eux). Le plus souvent, ces désirs coïncident avec les fins en vue de la bonté. Par exemple, le désir de manger coïncide avec la fin nécessaire qu’est la survie, le désir sexuel avec la fin nécessaire de se reproduire pour avoir des enfants etc.

Mais il arrive qu’ils aient d’autres désirs de faire des actions qui contredisent leurs fins nécessaires (donc par définition, ce sont des désirs de faire le mal moral). Par exemple : 

  1. Le mensonge : contredit la fin nécessaire qu’est la recherche de la vérité.
  2. La gloutonnerie : contredit la fin nécessaire qu’est la nutrition dans le sens d’un excès (manger plus que ce que le corps humain peut supporter).
  3. Les relations sexuelles hors-mariage ou en particulier détournées de la procréation (adultère, fornification, convoitise, utilisation de moyens de contraceptions artificiels et en particulier abortifs) : contredit la fin nécessaire qu’est la procréation et les autres fins qu’elle implique comme la protection des enfants, le fait de pouvoir à leurs besoins physiques, leur éducation intellectuelle et morale sur le long terme (ce qui implique le mariage).
  4. L’avortement : contredit la fin nécessaire de la mère de protéger son enfant et d’en prendre soin et encore une fois la fin qu’est la procréation car on annule le résultat naturel du rapport sexuel.

Dans les faits, comme notre volonté est moralement imparfaite13, elle nous empêche souvent de reconnaître le bien pour ce qu’il est et nous pousse alors à le chercher ailleurs dans les mauvaises choses, à tort et en vain. Par conséquent, nos désirs à eux seuls ne peuvent pas être un guide sûr pour nous guider vers ce qui est bien pour nous. Nous avons donc besoin d’un regard extérieur à notre volonté (à nos désirs) et donc objectif (impartial) pour nous dire ce qui peut accomplir / épanouir notre nature au lieu de nous baser sur nos désirs contingents, qui sont faillibles et trompeurs. C’est exactement ce que propose la théorie de la loi naturelle : réfléchir avec raison objectivement sur notre nature humaine pour en déduire ce qui accomplit nos fins naturelles et ce qui contribue donc à notre bien-être, et après réaliser ou non ces actions.

Le bien pour l’homme (le bien moral) : la notion de choix se rajoute

Contrairement aux autres êtres vivants, nous pouvons donc faire des choix (exercice de notre volonté) basés sur notre intelligence : faire ce qui est bon et refuser de faire le mal (en refoulant nos mauvais désirs). On retrouve donc chez les êtres humains la notion de choix qu’il n’y avait pas dans les définitions précédentes du bien. Si on rajoute la notion de choix donc dans nos définitions d’avant on obtient alors le bien moral et le mal moral. Ce sont les premières définitions que j’ai données tout en haut, je vous y renvoie sans les recopier ici par peur de trop me répéter.

II. La loi naturelle

A. Les deux règles fondamentales de la loi naturelle

La première règle fondamentale

La règle la plus importante de la loi naturelle se formule ainsi : « Il faut faire et rechercher le bien, et éviter le mal. » Le mot bien est à prendre ici dans son sens général (la dernière définition donnée avant le bien moral) : ce qui permet de nous épanouir, d’accomplir notre nature humaine selon nos capacités et nos fins naturelles (ce vers quoi nous nous dirigeons naturellement pour accomplir nos « objectifs » propres à notre nature d’être humain). Par opposition, on définit le mal par tout ce qui s’oppose au bien. 

Objection : Pourquoi rechercher le bien plutôt que le mal ?

Réponse : Si quelqu’un nous demande « Pourquoi rechercher le bien plutôt que le mal ? » (c’est une façon de demander : comment savoir que ce principe est vrai ?), on lui répondra que c’est une vérité évidente qui s’impose immédiatement à tous les hommes car on ne peut la nier sans se contredire et qui ne peut pas prouvée à partir de principes plus fondamentaux (au contraire, il fonde tous les autres vérités de la morale). En termes plus techniques, on dira que c’est un premier principe.

Thomas d’Aquin compare ce premier principe de la morale (ce qu’il appelle la raison pratique) aux premiers principes de la logique (ce qu’il appelle la raison spéculative) comme le principe de non-contradiction. « Rechercher (ce qui nous semble être) le bien plutôt que le mal », c’est que tout le monde sans exception fait vraiment en pratique. Même ceux qui font le mal recherchent dans leurs crimes à accomplir ce qui leur semble être bon (bien qu’effectivement ce ne soit pas réellement bon).

Il ne s’agit pas d’un commandement imposé par nous par une autorité extérieure (Dieu ou le gouvernement), auquel cas il serait effectivement légitime de se demander s’il est juste et pertinent. Au contraire, il nous est dicté de l’intérieur par ce que nous sommes (notre nature d’animal rationnel) : des hommes. Comme nous sommes rationnels, nous cherchons à accomplir ce que nous estimons avec notre intelligence être bon pour nous. C’est ce qui rend ce principe inévitable (« inéchappable »). Comme le dit la Bible : Un Éthiopien peut-il changer sa peau, et un léopard ses taches ? (Jérémie 13,23) De même, de par notre condition humaine rationnelle, nous sommes incapables d’échapper à cette maxime.

Objection : Mais si ce principe est vrai, pourquoi des gens font-ils le mal ?

Mais alors, si ce principe est vrai, pourquoi des gens font-ils le mal ? Si c’est gens font le mal, cela prouve qu’ils ne recherchent en fait pas le bien, et donc que comme c’est ce que dit ce principe, il est faux. 

Réponse : En réalité, même les gens qui font le mal le font dans le but d’atteindre ce qui leur semble être un bien. Par exemple, le voleur qui agresse quelqu’un pour lui voler son iPhone™ le fait même s’il sait que c’est mauvais (un acte méchant) car il considère que le résultat de son vol (l’iPhone qu’il gagne) est quelque chose de bon dans le sens de désirable, qui lui procure un avantage. De même, quelqu’un qui assassine quelqu’un d’autre le fait souvent sachant que c’est mal car pour lui, la mort de cette personne qu’il déteste est un bien, quelque chose qui lui fait plaisir.

La deuxième règle fondamentale

Voici la seconde qui se bâtit sur la première : « Si je désire ce qui est bon pour moi, alors je dois rechercher ce qui accomplit mes buts naturels et éviter tout ce qui m’en détourne. »

Cette obligation (en termes techniques, cet impératif moral) est tout le temps valable (en termes techniques catégorique) et non pas lors de certaines situations (en termes techniques hypothétique). En effet, sa première partie : « Je désire ce qui est bon pour moi » (en termes techniques l’antécédent) est toujours vraie. Encore une fois, c’est le cas parce que les hommes, même quand ils font le mal, visent toujours ce qui leur semble bon (c’est-à-dire le bon dans le sens de désirable, digne d’être recherché et non pas de moralement bon). Or comme par définition ce qui « bon pour moi », c’est « rechercher ce qui accomplit mes buts naturels et éviter tout ce qui m’en détourne », l’antécédent de la règle implique bien sa deuxième partie (le conséquent).

L’éthique de la loi naturelle consiste à formuler des principes généraux de morale à partir de ces deux premières règles fondamentales sur la base d’une analyse des différentes capacités des hommes et de leurs fins tout en développant leurs implications pratiques. La méthode de Thomas à suivre pour déterminer ce qui est bon et mauvais est claire. Par contre, c’est son application correcte qui est sujette à controverse (au moins actuellement) : comme par exemple sur l’éthique sexuelle comme sur les moyens de contraception, la procréation, etc.

B. Loi naturelle, loi éternelle, loi humaine et loi divine

Traditionnellement chez les chrétiens, la loi naturelle s’inscrit souvent dans une théorie encore plus générale qui étudie le lien entre les différents types de lois : la loi éternelle (en Dieu lui-même), les lois humaines (les lois d’un pays, par exemple les lois de la France), la loi mosaïque (la loi que Dieu a donnée aux Juifs à travers Moïse, par exemple les Dix commandements).

Par manque de place, pour aller plus loin, vous pouvez consulter les articles suivants :

III. Objections et réponses

Voici quelques objections courantes. Le but est bien sûr d’y répondre mais bien sûr d’en profiter pour mieux comprendre certains points.

§ 1 : La loi naturelle interdit les opérations médicales et nous interdit d’utiliser des objets artificiels car tout cela n’est pas naturel, ce qui est absurde : c’est donc une théorie fausse. Par exemple, elle nous interdit de porter des lunettes, une canne pour mieux marcher, de faire du vélo, etc.
→ La loi naturelle interdit toute action qui nous empêche d’accomplir nos buts naturels et qui va donc à l’encontre de notre bien-être. Or tous ces objets médicaux ou moyens de transport ne font pas cela. Au contraire, ils nous aident à mieux accomplir nos fins naturelles, soit en réparant quelque chose de défectueux (les lunettes pour corriger la vue, une prothèse pour remplacer une jambe), soit en améliorant nos capacités (le vélo qui « agrandit » et « accélère » nos jambes pour aller plus vite).

§ 2 : L’homosexualité est naturelle, donc la loi naturelle souvent utilisée par les croyants la rend légitime.
→ Voir la section qui explique la confusion à éviter entre naturel et génétique et qui répond donc ainsi à cette objection.

§ 3 : Il n’est pas légitime de tirer une règle à partir d’un fait (distinction is / ought, entre « faits » et « valeurs » du célèbre philosophe des Lumières écossais David Hume). Ou comme le formule Raymond Boudon : « aucun raisonnement à l’indicatif ne peut engendrer une conclusion à l’impératif14. » En effet, la seule chose qu’on peut faire avec des faits, c’est les décrire objectivement, mais on ne peut rien conclure à partir d’eux sur la morale.
→ Deux remarques en réponse :

  1. Ce problème existe seulement dans une vision du monde mécaniste (comme chez René Descartes, Pierre Gassendi, Thomas Hobbes, John Locke, etc.) qui ne reconnaît l’existence que des causes efficientes et des causes matérielles et qui exclut les causes formelles et les causes finales. Une fois qu’on accepte l’existence des causes formelles et des causes finales (comme le fait le thomisme, ou l’aristotélisme plus généralement), le problème n’a plus lieu d’être car par définition, les causes finales sont « inscrites » dans la nature de chaque chose (chacune a tendance à faire des choses précises, à causer des effets précis).
  2. Je reconnais qu’il s’agit là en réalité d’un débat bien plus complexe, la littérature est vaste et que cette réponse mériterait un plus ample développement.

§ 4 : La loi naturelle nie qu’une chose (plus précisément un organe) peut avoir plusieurs fonctions, ce qui est absurde, carrément faux. Feser rapporte par exemple que « The Conservative Soul [lui] reproche d’avoir laissé entendre qu’un organe corporel ou une capacité naturelle ne pouvait avoir qu’une seule fonction.15».
→ Deux remarques en réponse :

  1. Aucun défenseur de la loi naturelle n’a jamais affirmé cela. Dans cette même section de son livre, Feser admet par exemple tout à fait que le pénis a comme fonctions non seulement « d’introduire du sperme dans le vagin, mais aussi d’uriner. »
  2. Il précise aussi que la loi naturelle ne dit pas que l’un des deux buts est plus fondamental que l’autre et ne demande donc à personne de les accomplir immédiatement en même temps. On a le droit d’accomplir l’un d’abord avant l’autre : l’ordre n’a aucune importance du moment qu’on les accomplit tous deux.

§ 5 : La loi naturelle interdit du coup aux couples stériles (sans que ce soit leur faute) de se marier (ou rend leur relation maritale inutile).
→ Trois remarques en réponse :

  1. Cette objection sous-entend que, comme un couple stérile ne peut pas avoir d’enfants et que la loi naturelle interdit toute relation sexuelle opposée à la procréation (la fin naturelle en question), alors ce couple n’a pas le droit de se marier. Or, dire que « la loi naturelle interdit toute relation sexuelle opposée à la procréation » est faux : il faut rajouter « volontairement ». Ce qui donne « la loi naturelle interdit toute relation sexuelle volontairement opposée à la procréation ».
  2. De plus, ce rapport sexuel du couple stérile qui ne donne jamais vie à un enfant ne rentre pas dans la catégorie « volontairement opposé à la procréation » car il est stérile sans que sans que ce soit leur faute, leur choix.
  3. Pour finir, si on veut être précis, « opposé à la procréation » signifie qu’on « interfère soi-même avec les processus naturels[Ibid.]», ainsi « Le fait que la procréation ne puisse pas en résulter n’est pas pertinent16». Or, il n’y a ici aucune interférence, les choses sont juste telles qu’elles sont : un ou les deux partenaires qui ont un problème biologique anormal qui l’éloigne de ce que devrait être un être humain fonctionnel (qui n’a pas de problème biologique).

§ 6 : La loi naturelle a plein d’implications absurdes comme l’interdiction de faire des actions neutres pourtant sans importance. Par exemple, il serait interdit de soulever une table avec sa jambe car la jambe est faite pour marcher et non pas pour soulever des choses pour rien et de tenir un clou entre ses dents (par exemple quand on bricole avec ses deux mains déjà prises) parce qu’elles ne sont pas faites pour manger des métaux mais pour manger des aliments comestibles.
→ La loi naturelle interdit l’utilisation d’une capacité naturelle ou d’un organe « d’une manière contraire à sa fonction naturelle, contrecarrant sa fin naturelle16» mais pas une utilisation « autrement que pour sa fonction naturelle16».

  1. On a donc grosso modo le droit d’utiliser une capacité naturelle (ou un organe) comme l’on veut (même pour faire des actions neutres, voire inutiles) tant qu’on ne fait pas avec une action contraire à sa fonction naturelle (ce pour quoi elle était prévue).
  2. Donc, on a bien le droit de soulever une table avec sa jambe car cela ne nous empêche pas de marcher (la fonction naturelle des jambes) avec après.
  3. De même, on a aussi le droit de tenir un clou dans ses dents si on n’a pas le choix, car de toute façon on ne va pas le mâcher et l’avaler, et donc cela ne s’opposera pas à leur fonction naturelle qui de mâcher des aliments pour reprendre de l’énergie.

§ 7 : La loi naturelle nous interdit de faire des opérations médicales « non naturelles » pourtant nécessaires pour guérir des malades, voir les sauver de la mort, par exemple de pratiquer une hystérectomie pour sauver une mère enceinte ou d’amputer la jambe de quelqu’un pour sauver sa vie, ce qui est absurde.
→ Deux remarques en réponse :

  1. La loi naturelle affirme que le bien des différentes parties du corps est subordonné au bien de l’ensemble du corps, de la personne qui possède ce corps. Donc, s’il n’y a pas d’autre solution que de sacrifier le bien d’une partie (ici la jambe du patient) au profit du bien de l’ensemble du corps (la vie du patient), on a le droit de le faire, c’est même nécessaire.
  2. En ce qui concerne l’hystérectomie, on donnera la même réponse que celle à l’objection qui précède.

VI. La relation entre Dieu avec le bien et le mal

On peut maintenant se demander quel est le lien entre le bien et Dieu. Est-ce que c’est Dieu qui dicte ce qu’est le bien ? Le bien et le mal peuvent-il vraiment exister sans Dieu ?. Voici la réponse dans la prochaine partie.

Le dilemme d’Euthyphron

Ce qui est bon pour nous (car cela découle nécessairement de notre nature propre) ne peut pas être changé arbitrairement par Dieu. Ces natures existent premièrement en tant qu’idées dans la pensée de Dieu. Par conséquent, quand Dieu crée ses créatures, il le fait toujours en accord avec les idées qui sont dans sa pensée. On remarque donc une conséquence de la priorité de l’intellect sur la volonté : il n’y a donc rien d’arbitraire dans les commandements/les ordres de Dieu envers ses créatures. Cela permet ainsi d’échapper au dilemme d’Euthyphron17 qui affirme que :

  1. Soit c’est Dieu qui définit arbitrairement ce qui est bon (en particulier ce qui l’est pour nous les hommes). Par exemple, dans les versions les plus extrêmes, il pourrait sans problèmes nous ordonner de le haïr ou de torturer des bébés par plaisir. C’est la position de William d’Ockham (la position volontariste). Son point fort : permettre de subordonner la morale à Dieu (de ne pas le rendre dépendant de celle-ci). Son point faible : impliquer que Dieu peut définir la morale de façon arbitraire (et donc potentiellement injuste). En opposition directe à celle-ci, Thomas pense que Dieu veut les choses en tant qu’elles sont en cohérence avec nos natures. Par exemple, pour fixer les règles qui disent ce qui est bon pour nous les hommes, Dieu prend en compte nos natures d’êtres humains. En particulier le fait que nous sommes des créatures intelligentes et douées d’une volonté (du libre arbitre).
  2. Soit le bien a une définition indépendante de Dieu et est donc indépendant de lui. Dans ce cas, on se retrouve avec un Dieu soumis au bien. Point fort : cela permet d’éviter une définition arbitraire de la morale. Point faible : Dieu n’est alors plus vraiment Dieu comme par définition18, Dieu est censé être indépendant de toute chose, ne dépendre de rien (c’est-à-dire posséder l’attribut qu’on appelle traditionnellement l’aséité, l’indépendance vis-à-vis de toute chose). Contrairement à cet avis, Thomas rappelle de manière ferme que la définition du bien n’est pas autonome et dépend bien de Dieu. En effet, les natures qui définissent ce qui est bon pour chaque être (les chiens, les chats, les cerisiers, les hommes, etc.) ne viennent pas de nulle part mais sont des calques des idées présentes dans la pensée de Dieu. Ces natures ne sont que des réalisations, des calques des modèles parfaits de ces natures que sont les idées de Dieu.

Peut-il exister une loi morale objective sans Dieu ?

Comme c’est une question très complexe qui demande une bonne connaissance du champ de la philosophie qu’on appelle la métaéthique et que même les philosophes chrétiens (même thomistes !) ne sont pas d’accord entre eux, je n’ai pas pour l’instant d’avis tranché. Cela impliquerait aussi d’étudier sérieusement les différents arguments moraux en faveur de l’existence de Dieu (c’est-à-dire qui prétendent la démontrer à partir de l’existence du bien et du mal dans le monde).

Par contre, il y a des points d’accords basiques dans la tradition chrétienne. Nous avons vu que le bien et le mal pour chaque chose dépendent de la nature de cette chose. Les chrétiens disent que cette nature (ces « définitions ») ne sortent pas de nulle part, ne flottent pas dans l’air toutes seuls mais c’est que Dieu qui les a créées en tant que Créateur. C’est lui qui « définit » les choses, ce qui est bon et mauvais pour chacune d’entre elles. Il aurait pu créer des animaux différents : par exemple créer des licornes pour qui c’est bon de manger de l’herbe, créer des phénix pour qui il est bon de voler, des castors volants pour qui il est aussi bon de voler, et ainsi de suite. Il aurait aussi pu faire que les animaux qu’on connaît soient différents : par exemple donner des dents acérées aux chevaux pour qu’ils soient carnivores au lieu d’être herbivores, etc. 

Dans ce sens au moins, les valeurs morales objectives universelles dépendent de Dieu car elles dépendent des natures de choses, et que c’est justement lui qui a créé ces natures.

Pour aller plus loin

On pourra lire cette article de Par la foi sur l’articulation entre loi éternelle et loi naturelle chez Thomas d’Aquin. Puis les livres suivants :

  1. La loi naturelle ou loi non écrite et La philosophie morale (vol. I : examen historique et critique des grands systèmes) de Jacques Maritain ;
  2. The Metaphysics of Good and Evil et Moral Theory & Applied Ethics de David S. Oderberg ;
  3. The Cambridge Companion to Natural Law Ethics édité par Tom Angier.

Illustration de couverture : Claude Lorrain, Capriccio aux ruines du Forum romain, huile sur toile, 1634 (Genève, musée d’art et d’histoire).

  1. C’est-à-dire qu’on cherche prouver que l’idée de loi naturelle est compatible avec la Bible et qu’elle s’y trouve même dedans au lieu d’être une théorie qu’on imposerait artificiellement.[]
  2. Comment les chrétiens d’autrefois ont interagi avec la loi naturelle[]
  3. Définies au sens d’Aristote, ce qui est forcément commun à toutes les choses d’un groupe, en termes technique au sens de l’essentialisme aristotélicien.[]
  4. Voir par exemple, sur par la foi, cet article sur ce que dit la confession de foi de Westminster sur la loi naturelle, l’une des confessions de foi réformées les plus connues, et ailleurs « What is Natural Law? »de David VanDrunen et « What Can We Do With Natural Law? » de R. Scott Clark.[]
  5. Voir l’article « Natural Law in the Second London Confession » de Timon Cline sur ce que dit sur la loi naturelle la confession baptiste réformée la plus connue, celle de 1689[]
  6. Voir par exemple l’anthologie Natural Law: A Lutheran Reappraisal éditée par Robert C. Baker[]
  7. On peut tout de même noter que certains philosophes contemporains comme Germain Grisez et John Finnis ont tenté de purger l’essentialisme de l’éthique de Thomas. C’est ce qui a donné la New natural law theory.[]
  8. Aussi bien les choses inertes (« non-vivantes ») comme l’eau et les roches, les plantes, les animaux et les hommes.[]
  9. L’essentialisme aristotélicien est défendu en détails par exemple par le philosophe thomiste David Oderberg dans son livre Real Essentialism.[]
  10. Plus précisément, il faudrait dire des créatures rationnelles car on peut y inclure les êtres humains mais aussi les anges ou encore des extraterrestres intelligents, par simple expérience de pensée peu importe s’ils existent ou non.[]
  11. Edward Feser, La dernière superstition : Une réfutation du nouvel athéisme, ch. 4.[]
  12. Edward Feser, La dernière superstition: Une réfutation du nouvel athéisme, ch. 4.[]
  13. On dira en philosophie morale que nous avons des vices qui nous détournent de nos fins naturelles (en gros ce qui permet notre survie) et de notre fin dernière (Dieu).[]
  14. Raymond Boudon, Le relativisme, PUF, « Que sais-je ? », 2008. p. 10.[]
  15. Edward Feser, La dernière superstition : Une réfutation du nouvel athéisme, ch. 4.[]
  16. Ibid.[][][]
  17. L’une des principales objections que les sceptiques formulent souvent contre le théisme (en particulier le christianisme).[]
  18. En tout cas selon celle du théisme classique.[]

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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