De l’usage protestant du Notre Père avec des catholiques
8 février 2024

Dans des circonstances récentes, que je ne souhaite pas préciser davantage, un catholique romain offensé a jugé bon de dire que tout protestant qui refuserait de prier le Notre Père avec un catholique ne serait tout bonnement pas chrétien. Cet article souhaite préciser quelques éléments de culture et de notre vision qui explique pourquoi il peut arriver que nous ayons des scrupules à prier le Notre Père en commun avec un catholique. Ces scrupules naissent de la crainte du Seigneur, et ne sauraient être une preuve de notre damnation.

Rappel de la position protestante sur l’Église de Rome

La confession de foi de la Rochelle dit : nous condamnons les assemblées de la Papauté, parce que la pure vérité de Dieu en est bannie, que les Sacrements y sont corrompus, altérés, falsifiés ou totalement anéantis, et que toutes sortes de superstitions et d’idolâtries y ont la vogue (article 28). Les jugements quant à la pertinence de ces accusations varient, mais le cœur demeure. Nous confessons que l’Église romaine est une fausse Église.

Cependant, cela ne signifie pas que tout est faux en elle, depuis la tête jusqu’au membre le plus individuel. Ainsi que l’a dit Jean Calvin:

Les Églises romaines sont des Églises, d’abord, parce que Dieu y conserve miraculeusement un peuple, bien qu’il soit tristement dispersé ; ensuite, parce qu’il y reste des marques de l’Église, principalement celles dont la qualité ne peut pas être abolie, ni par la rouerie du diable, ni par celle des hommes.

Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, livre IV, chapitre 2.

Pour ne pas être excessivement long, je résume donc la vision protestante des catholiques ainsi : nous croyons que l’Église catholique en tant que communion est une fausse Église pouvant abriter de vraies Églises et des vrais croyants. Cette tension explique la position qui va suivre.

Les implications d’unité induites par le Notre Père.

La formule même du Notre Père implique que si nous prions de concert avec quelqu’un cette prière, c’est que nous reconnaissons avoir un même Père et que nous sommes spirituellement frères. Problème : nous n’avons pas de vision spirituelle, nous ne pouvons pas juger les cœurs et les reins, seul Dieu le peut. Tout ce que nous avons, ce sont des éléments extérieurs à partir desquels nous essayons de faire un jugement, partiel et incomplet, de la sincérité et de la consistance de la confession chrétienne de notre interlocuteur.

C’est là une deuxième tension importante à comprendre : prier le Notre Père ensemble implique une unité spirituelle et intérieure, mais nous ne pouvons juger qu’avec des critères extérieurs. C’est donc sur le fondement objectif de ce que notre interlocuteur confesse d’une part et des liens de communion avec son Église, d’autre part, que ce genre d’évaluation s’opère.

Prier avec des laïcs catholiques, en dehors d’un contexte cultuel.

Dans des réunions avec Alliance Vita, il m’est arrivé de prier le Notre Père – certes avec quelques doutes au départ – avec des laïcs catholiques, à la fin de la réunion. Pourquoi ? Parce que si j’exerce un jugement de charité avec les quelques éléments dont je dispose à leur sujet, je n’ai pas de raison de douter de leur foi sincère. Extérieurement, il était donc raisonnable de croire qu’ils étaient en l’espèce de vrais croyants, quelle que soit leur Église. Et ma conduite a suivi.

Prierais-je avec un prêtre?

Si je pouvais prier avec un prêtre en solitaire, le ferais-je ? À l’heure actuelle, et personnellement, je n’y suis pas prêt. Comme je l’ai dit plus haut, dire « notre Père » implique une unité spirituelle, mais je n’ai que des critères extérieurs. Or, le prêtre est par définition le serviteur et le relais d’une hiérarchie ecclésiale dont je confesse qu’elle enseigne des choses contraires à l’Évangile. Contrairement aux laïcs, je ne peux pas facilement distinguer ici entre la personne qui se trouve être catholique d’un côté et son institution de l’autre. Il est littéralement le représentant d’une Église anti-évangélique, au sens biblique. J’aurais donc beaucoup de scrupules à prier avec lui, aussi sincère, zélé et charitable qu’il fût.

Si je devais en plus me retrouver dans une situation où je me ferais surprendre par une prière commune que je n’avais pas anticipée lors d’une réunion pourtant non cultuelle, il y aurait de fortes chances que, dans l’improvisation, je me refuse à prier avec lui. Je pense à un cas où par exemple, à la fin d’une réunion de parents d’élèves d’une école catholique, le prêtre était présent et soudainement demandait que l’on priât.

Assistant à une messe, y prierais-je ?

La situation est plus claire dans le cas d’un contexte ouvertement religieux et cultuel. Ici, nous sommes dans la manifestation et l’acte d’une Église que je confesse, pour plein de raisons, comme étant contraire à la volonté de Dieu. Aussi, je m’abstiendrais de tout acte religieux, même conforme à la volonté de Dieu, au sein de ce culte.

Remarques générales sur l’œcuménisme

Je parle désormais à des catholiques avant tout : comme vous le voyez, il ne s’agit pas d’un manque de chrétienté, mais de scrupules issus de considérations religieuses et spirituelles. Je comprendrais que des catholiques trouvent ces scrupules scandaleux ou choquants. Mais ils ne naissent pas d’un manque de foi. D’une mauvaise foi, si vous voulez, mais pas d’un manque.

Ce qui m’amène à une autre considération : se scandaliser que des protestants puissent hésiter à prier le Notre Père est en réalité la preuve d’un double manque de respect : (1) envers les protestants et (2) envers les catholiques.

  • Un manque de respect envers les protestants : indépendamment de notre histoire traumatisante en France, nous avons des raisons profondes et valables de rejeter l’unité visible avec l’Église romaine. Si nos accusations envers elle sont valides, il serait d’une singulière gravité de témoigner d’une communion qui n’existe pas réellement par cet acte.
  • Un manque de respect envers les catholiques : rappelez-vous pourquoi vos pères nous ont anathématisé. Nous aurions rejeté l’institution faite par Jésus-Christ lui-même. Nous aurions blasphémé les sacrements que Jésus a institués pour sauver son peuple. Nous aurions méprisé et insulté ses envoyés les prêtres, tout comme les Juifs ont maltraité les prophètes. Nous attaquerions physiquement les saints et les outragerions par notre refus des images. Telles furent du moins les affirmations catholiques. Si vous êtes catholiques, ces considérations ne vous freinent-elles donc pas ? N’avez vous donc pas égard envers vos pères qui ont dépensé tant d’énergie à purger de la France ces blasphémateurs « prétendument réformés » ?

Il convient de rappeler qu’il n’est pas non plus censé être évident pour un catholique de prier avec un protestant. Nous rejetons des articles comme l’Immaculée Conception, dont le vicaire de Christ a officiellement dit que ceux qui le rejettent ont « fait naufrage dans la foi1». Nous sommes anathèmes aux yeux du concile de Trente, puisque nous croyons au salut par la foi seule. Rome a enseigné qu’il était « nécessaire à toute créature humaine d’être soumise au pontife romain pour parvenir au salut2» et, dans le même document, quelques lignes avant, affirme que ceux qui ne reconnaissent pas l’autorité du pape ne sont pas des brebis du Seigneur :

Si donc soit les Grecs, soit d’autres prétendent qu’ils ne sont pas confiés à Pierre ou à ses successeurs, ils doivent nécessairement avouer qu’ils ne font point partie des brebis du Christ, puisque le Seigneur a dit dans saint Jean qu’il n’y a qu’un seul bercail et un seul et unique pasteur.

Unam Sanctam.

Quant à une prière cultuelle en commun avec les protestants, voici ce que dit le pape Pie XI au début du XXe siècle :

On comprend donc, Vénérables Frères, pourquoi ce Siège Apostolique n’a jamais autorisé ses fidèles à prendre part aux congrès des non-catholiques : il n’est pas permis, en effet, de procurer la réunion des chrétiens autrement qu’en poussant au retour des dissidents à la seule véritable Église du Christ, puisqu’ils ont eu jadis le malheur de s’en séparer.

Pie XI, encyclique Mortalium Animos

Quand Rome désigne les protestants par le terme de « frères », ce n’est jamais sans rappeler que ce sont des « frères séparés ». Et, bien entendu, il s’agit de dire que nous nous serions séparés volontairement et de manière coupable d’eux. Rome, d’ailleurs, n’accorde jamais le nom d’Églises aux communions protestantes mais y substitue « communautés ecclésiales ». Pour cette raison, j’ai plus confiance en un catholique qui me désigne comme hérétique, qu’en un autre qui m’appelle « frère, frère ! ». Je sais que le premier a à cœur la vérité alors que je ne peux pas savoir, concernant le deuxième, si c’est par charité ou par simple relativisme qu’il est si affectueux. Or, je crois qu’il n’y a pas d’amour sans vérité.

Et je crois que la vérité vaincra.

Voilà pourquoi, en attendant que notre Seigneur achève son Règne et sépare les brebis des boucs, et en espérant ne pas être parmi les boucs, j’aurais des scrupules avant de prier le Notre Père, parce qu’en fin de compte, c’est à Dieu que je veux obéir.


Illustration : Anonyme, Saint Denys l’Aréopagite en prière (détail), huile sur bois (Amsterdam, Rijksmuseum).

  1. Pie IX, constitution apostolique Ineffabilis Deus, 1854.[]
  2. Boniface VIII, bulle Unam Sanctam, 1302.[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

2 Commentaires

  1. Laurent

    Merci pour cet article (et pour le site) ! Ça me semble une conception assez individualiste de la relation à Dieu, et je m’étonne qu’on puisse se demander dans quel état se trouve la personne avec qui je prie. Puisqu’effectivement seul Dieu peut sonder les cœurs, pourquoi ne pas seulement faire confiance en l’interlocuteur, essayer de sauver son intention, pour le gain plus grand de la communion, qui me semble être le plus grand désir de Dieu ? (Pardon si je suis agressif dans ma formulation) Bien à vous, L.

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    • Étienne Omnès

      Bonjour et merci. Dans une situation privée, je suis d’accord avec vous qu’il n’y a pas lieu de prendre de grandes précautions : s’il a Jésus aux lèvres, assumons qu’il a Jésus au coeur. Le problème est dans une situation publique, où votre conduite pourrait faire un exemple ou un contre-exemple pour les autres. Ici, il me semble sensé de prendre aussi en compte des facteurs institutionnels et extérieurs.

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