Le premier homme possédait-il l’immortalité, ou était-il mortel en sa nature et condition ? Nous affirmons la première proposition, nous nions la seconde contre les sociniens.
Comme les sociniens cherchaient à défendre une religion naturelle purement rationnelle, où l’homme pouvait se sauver seul, ils devaient nier pour cela le péché originel. Mais alors, d’où vient la mort, si ce n’est pas à cause du péché originel ? C’est naturel, disaient les sociniens, Adam était mortel. Turretin le nie.
La notion d’immortalité étant plus floue qu’il n’y paraît, quelques précisions :
- On ne parle pas de l’immortalité où il n’y a aucune destruction possible : celle-là n’appartient qu’à Dieu seul immortel (1 Timothée 6,16).
- On ne parle pas de l’immortalité des saints dans la gloire, où nous ne pourrons plus mourir, mais celle d’Adam, avant le péché, où il pouvait ne pas mourir.
- On ne parle pas de la mortalité lointaine comme celle des elfes dans le Seigneur des Anneaux : certes ils sont destructibles, mais uniquement par fragilité ; sauf accident ou violence, ils pourraient vivre indéfiniment. On parle ici d’une mortalité proche qui implique la nécessité de mourir après un temps défini.
Voici la thèse de Socin :
La mort naturelle, dans ce qu’elle a de naturel et commun à tous, n’est pas le salaire du péché, mais le résultat propre de la nature, qu’Adam lui-même a reçu à la Création.
Socin, De Iesu Christo Servatore, cité par Turretin, Institution de théologie élenctique, 5.12.2.
Et voici la thèse réformée que défend Turretin :
Les orthodoxes nient qu’Adam, quoique lointainement mortel, soit prochement mortel. Ils pensent qu’il ne serait jamais mort s’il avait persévéré dans son intégrité à cause de la sainteté de son âme qui aurait préservé son corps de la mort et de la corruption.
Argumentation (§§ 3-7)
- L’homme a été fait à l’image de Dieu, qui consiste en justice 1 et sainteté 2. Ces deux qualités étaient destinés à l’associer à Dieu dans son immortalité (d’une façon participative bien entendu).
- Si Adam était juste, alors il aurait dû être immortel, car l’immortalité va avec la justice (Ézéchiel 18). Par ailleurs, argument philosophique qui renforce cette idée: des choses homogènes ne doivent pas être séparés. Tout comme le bien moral et physique sont homogènes, ainsi le mal moral répond au mal physique. Si temporairement on peut être juste et mort, ultimement, Dieu ne supportera pas que la justice et la vie soient séparés.
- Il est écrit que la mort est la punition du péché. Les références bibliques seront mises après.
- Ce qui est contre nature ne peut être le résultat de la nature. Or la mort est contraire à la nature parce qu’elle dissout ce qui est harmonieusement assemblé et ne peut pas être « très bonne ».
- Il n’y a pas de causes de décès possibles avant la Chute : pas de colère ou tendance à la violence, pas de manque d’aliments ou d’hostilité de la faune. C’est pourquoi le concile de Mileum (en Numidie) en 416 a jeté l’anathème sur ceux qui disaient qu’Adam était mortel.
[Anathème] sur ceux qui disent qu’Adam, le premier homme, fut fait mortel, si bien que ayant péché ou non, il serait mort en son corps, non à cause du péché mais par nécessité de nature.
Concile de Mileum.
Sur le fait que la mort est la punition des péchés :
- Genèse 2,17 : Tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais, car le jour où tu en mangeras, tu mourras.
- Genèse 3,19 : C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes à la terre, puisque c’est d’elle que tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras à la poussière.
- Romains 5,14 : Pourtant la mort a régné depuis Adam jusqu’à Moïse, même sur ceux qui n’avaient pas péché par une transgression semblable à celle d’Adam, lequel est la figure de celui qui allait venir.
Réponses aux objections
Turretin utilise le mot sacrement pour parler de l’arbre de vie:
L’arbre de la vie n’a pas été donné à Adam pour l’empêcher de mourir (comme si sa vie en dépendait). Il a été donné en partie pour sceller l’immortalité de l’homme en cet état, et être un gage et un sacrement […] et en partie pour préserver sa vie dans une égale vigueur.
Turretin, Institution de théologie élenctique, 5.12.10.
Objection : Christ a payé pour nous le salaire du péché, et pourtant nous continuons de mourir. Donc la mort n’a rien à voir avec le salaire du péché.
→ Bien que Christ ne nous ait pas libéré de l’exposition à la mort, il nous a néanmoins délivré de sa peine parce que la mort n’est plus la punition du péché pour les croyants, mais le passage à une vie meilleure ; elle n’est plus une malédiction mais une bénédiction. (Apocalypse 14,3)
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