Cet article est une dissertation rendue à la faculté Jean Calvin.
La question posée nous oppose à des évangéliques inspirés par le dispensationalisme, qui parlent de « théologie du remplacement » pour désigner notre doctrine de la relation entre l’Église et l’Israël. Pour peu que la polémique s’allume, on accuse cette doctrine traditionnelle d’être à la racine de l’antisémitisme de l’Église. Dans cette dissertation, nous tâcherons d’identifier avec précision le vrai et le faux dans cette accusation, et décrire avec précision la relation entre l’Église et l’Israël. Il est à noter que nous irons au-delà de la seule question du peuple de Dieu. Plus que la seule notion de peuple de Dieu, c’est la notion d’identité qui est en jeu. Ce que reprochent les dispensationalistes aux réformés, c’est que nous piétinerions l’identité d’Israël pour y substituer une nouvelle identité du peuple de Dieu, un motif qui ne leur semble pas biblique, et nous verrons cela ensemble. Il faut donc aller au-delà du seul concept de peuple et traiter aussi des autres éléments d’identité, qui rejoignent les promesses faites à Israël.
Dans son livre Pour lire le Pentateuque1, David J. Clines classifie les promesses à Israël en trois catégories : (1) un peuple ; (2) une alliance (ou la constitution de ce peuple); (3) une terre (le contexte de ce peuple).
Du point de vue du contenu [les promesses] se laissent naturellement organiser en trois groupes: la promesse d’une postérité, la promesse d’une relation avec Dieu et la promesse d’une terre. Les trois groupes sont présents, à des degrés divers en Genèse 12,1-3, et se retrouvent sous différentes combinaisons ailleurs dans la Genèse.
David J. Clines, Pour lire le Pentateuque, p. 42.
Je suivrai donc le plan suivant :
- L’Église est-elle vraiment distincte d’Israël dans le Nouveau Testament ? Nous poserons ici la question des peuples.
- L’Église possède-t-elle les mêmes promesses que l’Israël ancien ? Nous poserons ici la question de l’alliance.
- Israël perd-t-il ses promesses ? Nous poserons la question de la terre promise et comment la comprendre.
Conformément à la formulation citée en cours, l’Église ne remplace pas Israël, mais en prend la suite. Nous verrons ensuite que les promesses de l’Église sont les mêmes qu’Israël, en détaillant exactement quelle était la nouveauté de la Nouvelle Alliance. Enfin, nous verrons que les promesses matérielles d’Israël ne sont pas destinées à un peuple matériel, mais qu’elles étaient un signe de la Nouvelle Création à venir, et préparée pour l’unique peuple de Dieu.
I. L’Église est-elle vraiment distincte d’Israël dans le Nouveau Testament ?
I.1. Dans l’Ancien Testament
Nous avons vu dans le cours2 que le mot Église est déjà présent, à la fois textuellement et conceptuellement, dans l’Ancien Testament. Ce n’est ni un mot ni un concept qui apparaît soudainement dans le Nouveau Testament.
Présent textuellement : Dans la LXX, le mot εκκλησία est la traduction du mot קָהָל3 Loin d’être seulement une curiosité linguistique, on se rend compte qu’Étienne lui-même reprend cette équivalent en Actes 7,38 : « C’est lui qui, dans l’assemblée (εκκλησία) au désert, était avec l’ange qui lui parlait sur le mont Sinaï et avec nos pères ; ». Il y a donc une Église depuis au moins le Sinaï, et elle est entièrement confondue avec l’Israël.
Présente conceptuellement : Dès l’apparition de la première famille fidèle à Dieu après la Chute, à savoir la lignée de Seth, il est écrit en Genèse 4,26 : De Seth aussi naquit un fils qu’il appela du nom d’Enosh. C’est alors que l’on commença à invoquer le nom du Seigneur (YHWH). Or, cette formule désigne un culte rendu à Dieu, ainsi qu’on le voit clairement dans Genèse 12,8 ; 13,4. En Jérémie 10,25, le même mot semble désigner l’alliance, en parlant des peuples qui n’invoquent pas ton nom, et le salut en Joël 3,5 ; Psaume 50,15. C’est donc qu’avant même le Sinaï, il y a déjà une collectivité, la lignée de Seth (cf Genèse 4,26a) qui est la « collectivité de Dieu ».
Cette collectivité exclusive se concentre dans celle d’Abraham en Genèse 17,7 : J’établis mon alliance entre moi et toi — toi et ta descendance après toi, dans toutes ses générations — comme une alliance perpétuelle, pour être ton Dieu et celui de ta descendance après toi. Descendance qui est, comme on le sait, l’Israël quelques générations plus tard. Ainsi, il y a eu un « peuple », ou à tout le moins une collectivité propre à Dieu avant le Sinaï. Il y a eu une Église avant le Sinaï.
I.2. Entre les deux testaments
Nous avons vu en cours qu’après l’exil, les deux mots συναγωγή et ἐκκλησία en viennent tous deux à prendre le sens technique d’« assemblée religieuse » qu’il n’avait pas dans l’Ancien Testament. Nous voyons en Actes 15,21 et en Marc 1,21 et 62 que ce sont des réunions centrées sur la lecture de la Loi et son enseignement. La différence entre les deux mots est que la συναγωγή désigne l’assemblée concrète, tandis que l’ἐκκλησία désigne l’assemblée idéale. On voit dans cette différence de terme le précurseur de la distinction entre Église visible et invisible. Mais au cours du Nouveau Testament, la distinction cessera d’être aussi subtile, et deviendra beaucoup plus concrète et politique.
I.3. Dans le Nouveau Testament
Avant d’être une institution concurrente et séparée de la Synagogue, l’ἐκκλησία désigne d’abord la communauté de Jésus.
- Matthieu 16,18 : sur cette pierre je construirai mon Église : Donc Jésus envisage délibérément de créer quelque chose qu’il appelle Église. L’Église n’est pas une invention de « groupies » déçus cherchant à prolonger l’élan eschatologique de Jésus, selon la mauvaise formule « ils attendaient le retour de Jésus Christ et c’est l’Église qui est venue4».
- Matthieu 18,17 : S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Église ; et s’il refuse aussi d’écouter l’Église, qu’il soit pour toi comme un non-Juif et un collecteur des taxes. : Ici on voit qu’il envisage une discipline d’Église – et donc des mécanismes institutionnels. On voit aussi qu’il envisage une Église essentiellement juive (qu’il soit pour toi comme un non juif).
- Jean le Baptiste annonce que le Messie va faire un tri messianique en Matthieu 3,12. C’est donc que la communauté du Messie ne recouvrira pas l’intégralité de l’Israël concret. On comprend dès lors pourquoi choisir le mot qui désigne l’assemblée « idéale » et « abstraite » est une évidence.
- Jésus agit comme un fondateur d’un nouvel Israël, en désignant douze disciples (Matthieu 10,1-4 ; Marc 3,13-19 et Luc 6,12-16), en étant le nouveau Moïse qui interprète la loi (Matthieu 5-7). En combinant le point (3) et (4), nous comprenons que l’Église est le reste d’Israël après le tri messianique.
- Ce reste d’Israël est ensuite purifié et élargi à des membres d’autres nations. Paul utilise la métaphore des oliviers cultivés auxquels on retire des branches pour y greffer des branches d’olivier sauvage en Romains 11. En Jean 10,16, Jésus parle de faire un seul troupeau sous un seul berger avec des moutons étrangers à l’enclos des juifs.
- Cette communauté de Jésus se structure et s’institutionnalise après le départ de Jésus, ainsi qu’on le voit dans l’élection de Matthias (Actes 1), sans compter bien sûr, le témoignage des lettres pastorales qui explicitent comment perpétuer l’Église après le départ des apôtres, ou les instructions que laisse Paul à l’Église d’Éphèse en (Actes 20,17-38).
En résumé : l’Église, c’est le peuple de Dieu issu de l’ancienne alliance, trié par Jésus-Christ pour être désormais son peuple personnel, structuré de manière à ne plus seulement être limitée à une seule nation, mais pouvoir s’implanter dans toutes les nations.
I.3.1. Objection : il faut séparer l’Église d’Israël
Dans son livre Dispensationalism, (éd. Moody Press, 1995), Charles Ryrie défend qu’il faut absolument insister sur la particularité de l’Église (distinctiveness) dans le Nouveau Testament, qui lui vient de ce que Christ est à sa tête (Éphésiens 1,22 sq. ; Colossiens 1,18 ; 1 Corinthiens 12,27). Elle est particulière et unique à notre époque à deux titres :
- Parce que les juifs et les non-juifs sont cohéritiers de la même grâce. (Éphésiens 3,5-6)
- Parce que Christ y habite pleinement. (Colossiens 1,26-27)
It is distinct because of the new relationships of being in Christ and of Christ’s indwelling the members of that body. Both of these distinctives are unique with the church and were not known or experienced by God’s people in Old Testament times or even during the earthly lifetime of our Lord.
Charles Ryrie, Dispensationalism, éd. Moody Press, p.100-101.
The church as a living organism in which Jew and Gentile are on an equal footing is the mystery revealed only in New Testament times and able to be made operative only after the cross of Christ. It is the distinct character of the church—a character that was not true of the body of Old Testament saints.
Charles Ryrie, Dispensationalism, p.102
À cela nous répondons que si des non-juifs ne sont pas cohéritiers de la grâce en masse dans l’Ancien Testament, il y a tout de même plusieurs personnes non juives qui ont eu droit à la grâce de Dieu avant Abraham : Hénoch, Noé, Job par exemple. Du temps d’Abraham, Mélchisédek était prêtre de l’Éternel sans être de la lignée d’Abraham, et cette prêtrise extraordinaire est à ce point liée à la grâce salvatrice que l’auteur de la lettre aux Hébreux l’attribue à Christ. Naaman se voit accorder une forme de pardon de ses péchés en 2 Rois 5,18. Les rékabites se voient promettre le salut par la formule Jonadab, fils de Rékab, aura toujours des descendants qui se tiendront devant moi (Jérémie 35,19). Certes, ce sont des exemples individuels, ou familiaux dans le meilleur des cas. Mais ils sont malgré tout réels.
Quant à la pleine habitation de Christ, cela n’exclut pas que Christ était déjà présent au milieu de son peuple auparavant. Mais Ryrie l’admet, et nous traiterons le problème de l’achèvement plus tard.
La différence entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance est donc une différence de degré et non de substance. Cela suffit à contrer l’objection, en plus de l’argumentation principale.
Deuxième objection du genre : outre ces deux caractères, Ryrie dit aussi qu’elle est spécifique à ce chapitre présent de l’histoire du salut. L’Église n’a pas existé avant Jésus Christ :
- Parce que sinon, Paul ne parlerait pas de mystère révélé à notre époque en Éphésiens 3,5-6 et Colossiens 1,26-27.
- Paul dit clairement que l’Église trouve son début historique et son achèvement dans la mort et la résurrection de Christ. Cela ne peut pas s’être trouvé auparavant.
- « L’œuvre du baptême du Saint-Esprit n’a pas commencé avant la Pentecôte5». Avant la Pentecôte, il n’y a pas ce rattachement au corps de Christ semblable à ce qui est décrit en Actes 1,5.
À quoi nous répondons ceci :
- Portons attention à Éphésiens 3,5 : Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des fils des hommes dans les autres générations comme il a été révélé maintenant par l’Esprit à ses saints apôtres et prophètes. La précision comme il a été révélé… suggère une révélation relative plutôt qu’absolue. En des termes plus naturels : ce n’est pas que l’adjonction des nations était totalement inconnue sous l’Ancienne Alliance, c’est qu’elle était beaucoup moins connue. Cela est cohérent avec la littérature prophétique, qui parle assez explicitement de l’adjonction des nations à Israël à la fin des temps (cf Ésaïe 60 pour n’en citer qu’un). Cela est aussi ce que dit l’auteur de l’épître aux Hébreux lorsqu’il dit : La loi, en effet, possède une ombre des biens à venir et non pas l’image même de ces choses (Hébreux 10,1). Autrement dit : même si les biens de la Nouvelle Alliance n’étaient présentés que sous forme d’ombres, ils étaient quand même présentés. Même s’ils étaient beaucoup moins connaissables, on pouvait les connaître.
- On ne pourra pas contester que la mort et la résurrection de Christ soient une nouveauté radicale qui provoque une réforme profonde du culte de YHWH. Mais la question est justement : s’agit-il d’une réforme (un changement en continuité) ou d’une révolution (changement en discontinuité) ? Nous verrons dans la partie II que c’est une réforme et que la discontinuité réelle s’inscrit dans une continuité profonde. L’Église existait donc aussi sous l’Ancienne Alliance, mais dans un état « de chantier » et temporaire. Tout comme un bâtiment existe déjà avant son inauguration, même s’il est moins fonctionnel et bardé d’échafaudages ; ainsi l’Église existait déjà avant que Christ ne vînt y vivre pleinement, même si elle était moins fonctionnelle et achevée qu’elle ne le fut après la résurrection de Christ.
- Nous examinerons en partie II le baptême du Saint-Esprit, pour voir s’il était vraiment inconnu de l’ancienne alliance. Pour l’instant, contentons-nous de dire que graver la loi dans les cœurs chez Jérémie (que l’on interprète souvent comme désignant l’œuvre de régénération commencée à la Pentecôte) désigne avant tout un degré d’obéissance à la loi divine que le peuple n’avait encore jamais atteint. La Pentecôte est moins la fondation d’une religion nouvelle que la réforme en profondeur d’une alliance ancienne.
Pour ces raisons, nous admettons qu’il y a des différences entre l’Église de l’ancien testament et l’Église du Nouveau Testament, mais des différences de degré et non de substance. Or ce genre de différence ne permet pas de séparer radicalement l’Église de l’Israël.
I.3.2. Objection : dans le Nouveau Testament, L’Église est distincte d’Israël.
Il y a plusieurs occasions où Israël est décrit comme cohabitant avec l’Église, de façon extérieure à l’Église. Ryrie cite 1 Corinthiens 10,32, Ne soyez une pierre d’achoppement ni pour les Grecs, ni pour les Juifs, ni pour l’Église de Dieu, ou bien Romains 9,3-4, ceux qui sont les Israélites, à qui appartiennent l’adoption filiale, la gloire, les alliances, la loi, le culte, les promesses.
That these words were written after the beginning of the church is proof that the church does not rob Israel of her blessings. The term Israel continues to be used for the natural (not spiritual) descendants of Abraham after the church was instituted, and it is not equated with the church.
Charles Ryrie,Dispensationalism, p. 104.
Cependant, la question n’est pas de savoir si un Israël subsiste après le tri messianique opéré par Jésus. La question est de savoir si un Israël possédant toujours ses promesses propres est maintenu après la mort et la résurrection de Jésus. C’est ce dont nous traiterons dans la partie III, aussi vais-je me contenter de résumer : Les promesses d’Israël ont été accomplies en Jésus, même les plus matérielles d’entre elles. Elles n’ont pas cessé d’être matérielles, mais elles ont désormais un médiateur par lequel elles seront distribuées. Toutes les promesses de l’Ancien Testament sont donc pour l’Église, non parce que la terre serait soudainement « allégorique », mais parce que nul n’aura ni le salut, ni la Terre Sainte sans passer par Jésus Christ.
Arrivé à ce point, nous avons vu que nous avons des raisons de croire qu’Israël et l’Église sont une seule et même chose, comme l’enseigne Étienne en Actes 7,38. Mais nous ne pourrons définitivement l’établir que lorsque nous aurons montré que l’Église a les mêmes éléments identitaires que l’Israël, à savoir les promesses qui font d’Israël une nation à part.
II. L’Église possède-t-elle les mêmes promesses que l’Israël ancien ?
Nous avons déjà vu dans la partie I que le peuple est essentiellement le même. Mais nous avons vu aussi que les objections dispensationalistes ignorent cette continuité, sous prétexte que l’alliance nouvelle dont profite l’Église serait tout à fait différente de l’Ancienne Alliance. Il y a donc, selon eux, un peuple de l’Ancienne Alliance et un peuple selon la Nouvelle Alliance qui coexistent jusqu’au millénium.
Or, nous allons le voir, il n’y a pas deux alliances différentes, mais une seule alliance avec des économies différentes. Pour cela, je vais m’appuyer sur le mémoire de Pierre-Sovann Chauny, La Nouveauté de la nouvelle alliance, soutenu à la FLTE en 2013.
II.1. L’alliance de Moïse est une alliance de grâce
Dans le chapitre 1, P.-S. Chauny relaie l’argumentation de Turretin6 pour soutenir que l’alliance mosaïque est une administration de l’alliance de grâce avec Abraham :
- L’exode démarre avec Dieu qui se présente spécifiquement comme le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. (Exode 2,24 ; Exode 3,6)
- L’alliance du Sinaï est déclarée être en continuité avec celle des patriarches. (Deutéronome 30,20)
- Dieu se présente comme le rédempteur de son peuple (Exode 20,2) ; il pardonne les péchés (Exode 34,6 sq.) ; il circoncit les cœurs et sanctifie (Deutéronome 30,6) ; Il est un père aimant (Deutéronome 32,6-10) ; un roi qui consent à demeurer au milieu de son peuple. (Exode 25,8 ; Lévitique 26,11)
Tout cela relève de l’alliance de grâce. Mais il y a aussi des éléments qui relèvent d’un principe des œuvres, tels que le sabbat (Exode 20,8-11) qui est le signe par excellence de l’alliance de Moïse ; et l’imagerie du nouvel Éden (Exode 3,8) évoque l’alliance des œuvres. Nul ne peut rater aussi la réciprocité entre promesses matérielles et bonnes œuvres en Lévitique 18,5.
Pourtant le principe de grâce et des œuvres sont réellement opposés (Romains 11,6). Pourtant, ce principe des œuvres est présent dans l’alliance mosaïque dès Exode 19,5. Comment le réconcilier ?
P.-S. Chauny s’appuie sur Karlberg et Kline : le principe des œuvres n’est incorporé qu’au niveau typologique. Tout comme la terre de Canaan est un symbole de l’éternité promise inconditionnellement par Dieu (cf. partie III), l’obéissance aux œuvres est un signe de l’héritage par la grâce.
Quelle est la fonction de cette superposition complexe ? Pourquoi réintroduire le principe des œuvres inopérant, après la chute, en ce qui concerne la justification et permettre que les Israélites déplacent ce principe de la sphère symbolique et typologique à la sphère du salut ? Précisément pour mettre en évidence l’inutilité du principe des œuvres pour la justification (cf. Ga 3.11) : puisque le peuple élu n’a pas été capable de se maintenir dans la terre promise, à combien plus forte raison est-il évident qu’aucun humain ne peut être justifié pour son salut par ses œuvres.
Pierre-Sovann Chauny, La Nouveauté de la Nouvelle Alliance, mémoire de Master à la FLTE, juin 2013, p.19.
Il n’y a donc pas d’obstacle à ce que l’alliance de Moïse soit en continuité avec la nouvelle alliance de pure grâce.
II.2. L’oracle de la Nouvelle Alliance est un oracle de renouvellement, et non de nouvelle fondation.
C’est le sujet du chapitre 2 du mémoire de P.-S. Chauny, consacré à l’étude de Jérémie 31,31-34, appelé aussi « l’oracle de la Nouvelle Alliance ». Dans ce passage, quatre choses sont promises au sujet de la Nouvelle Alliance :
- Je mettrai ma loi au-dedans d’eux, je l’écrirai sur leur cœur : Une formulation semblable se retrouve en Jérémie 24,7 et Jérémie 32,39, soit une restauration de l’obéissance à l’alliance (mosaïque) entre YHWH et son peuple de façon unilatérale. Or, il y a un lien entre la restauration de cette obéissance et l’œuvre de régénération commencée à la Pentecôte. P.-S. Chauny fait remarquer que la désobéissance est décrite en Jérémie comme une incirconcision du cœur (Jérémie 6,10 ; 9,25). Or, la proximité de Jérémie avec le Deutéronome est un fait exégétique désormais bien établi, et le rétablissement de l’obéissance est décrite en Deutéronome 30,6 comme la circoncision du cœur. La promesse de Jérémie est donc déjà celle de Moïse.
- Je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. C’est une formule classique depuis le début de l’alliance de grâce, on la retrouve en Genèse 17,7 et Exode 6,7. Dans le contexte de Jérémie, il a fait plus tôt le bilan de cette relation (Jérémie 7,23-8,3). En Jérémie 31, il annonce que Dieu va refaire à nouveau un peuple, à partir de ceux qui obéissent, comme prévu initialement au Sinaï.
- Celui-ci n’instruira plus son chemin… tous me connaîtront, depuis le plus petit jusqu’au plus grand. Cette formule est parfois retenue comme l’élément le plus nouveau (au sens absolu) de l’oracle. Mais P.-S. Chauny fait remarquer que Jérémie utilise l’expression de « connaissance de Dieu » non pas pour parler de l’expérience de la Pentecôte, mais pour exprimer l’obéissance à la Loi de Dieu (Jérémie 22,15 par ex.) ou pour confesser Dieu (Jérémie 9,23). Donc, même si l’expression est propre à Jérémie, la réalité décrite appartient bien à Moïse.
- Je pardonnerai leur faute, je ne me souviendrai plus de leur péché. C’est la promesse la moins deutéronomique, mais 1 Rois 8 lie bien les promesses du Deutéronome au pardon des péchés obtenus au Temple. Jérémie garde ce lien entre pardon et promesses du Deutéronome.
Ainsi, P.-S. Chauny défend que la Nouvelle Alliance promise en Jérémie est un renouvellement et une réforme de l’alliance de grâce (celle de Moïse au temps de Jérémie), et non la fondation toute nouvelle d’une alliance que personne n’a vu auparavant.
Mais alors pourquoi Jérémie dit-il qu’elle est nouvelle ? P.-S. Chauny dit que c’est pour les raisons suivantes :
- Pour souligner l’échec de l’ancienne économie. Depuis Manassé, la corruption est irrattrapable et l’exil est certain. Même la réforme de Josias ne suffit pas à annuler ce sort. Jérémie parle donc d’une nouvelle alliance pour dire que « ce qui n’a pas été suffisamment obtenu sous l’ancienne économie le sera seulement par l’établissement de la nouvelle7. »
- Parce que les spécificités du Nouveau Testament y sont tout de même présentes dans un sens spirituel : la loi gravée dans le cœur correspond bien à la régénération (Jean 3,3) ; la pleine communion à Dieu (1 Co 6,19) est exprimée par la formule vous serez mon peuple ; la connaissance de Dieu est réalisée en 1 Thessaloniciens 4,8 sq. Exception : la promesse de pardon des péchés est appliquée de façon littérale en Romains 3,26 et Hébreux 9,1-14.
De ce point de vue, la continuité des alliances est signifiée, malgré la discontinuité due à l’échec de l’ancienne disposition, puisque ces alliances contiennent les mêmes promesses : ce qui était requis et promis sous l’Ancienne Alliance est promis par la nouvelle8.
II.3. L’Église a bien les mêmes promesses, sous l’Ancienne comme la Nouvelle Alliance
On peut le voir aussi par les éléments synthétiques suivants, eux aussi tirés du chapitre 2 du mémoire de Pierre-Sovann Chauny :
- Le coeur circoncis/régénéré est promis en Deutéronome 30,6. La loi gravée dans le coeur est décrite en Deutéronome 30,14 ; Psaumes 37,31 ; Psaumes 40,9 ; Proverbes 3,1-3.
- Juda et Israël ont toujours été le peuple de Dieu. La formule est transportée telle quelle au Nouveau Testament (2 Corinthiens 6,16).
- Connaître Dieu s’applique déjà à Abel et Enoch, sous David et sous Salomon.
- Le pardon des péchés est déjà au cœur du système lévitique (Cf le jour de l’expiation en Lévitique 16). Le pardon déjà expérimenté sous l’Ancien Testament : Psaumes 32,5 ; 103,3.
Nous pouvons donc dire avec certitude que l’Église et l’Israël sont un même peuple, bénéficiant de la même alliance, certes selon des administrations différentes. Pourtant, ces considérations pèsent peu dans les discussions en Église, et paraissent même passer à côté du principal de l’argumentation dispensationaliste. Cela vient du fait que le dispensationalisme propose une réponse plus directe à un problème plus concret que les alliances : celui du statut de la terre promise.
III. L’Israël perd-t-il ses promesses ?
Pour parachever le traitement de la question, nous devons donc formuler comment comprendre les promesses de terre à la descendance d’Abraham, particulièrement dans un contexte où ces promesses sont utilisées comme argument pour un soutien concret d’un État d’Israël considéré comme l’accomplissement des prophéties bibliques. Nous allons voir que la promesse pour les enfants d’Abraham de posséder la terre de Canaan était elle aussi à prendre en un sens typologique, et que de nos jours c’est dans la seconde création inaugurée par Christ que ces promesses s’accompliront.
Nous commencerons par voir que les apôtres n’avaient pas en tête que la terre de Canaan continue d’être un patrimoine distinct. Ensuite nous traiterons aussi brièvement que possible du problème d’interprétation qui nous amène à en croire autrement. Puis nous expliquerons comment il faudrait interpréter ces promesses.
III.1. Les apôtres ne s’attendaient pas à ce qu’Israël eût une terre promise particulière
III.1.1. Hébreux 11,8-10
L’auteur le plus explicite là-dessus est l’auteur de la lettre aux Hébreux, en Hébreux 11,8-10 :
C’est par la foi qu’Abraham obéit à un appel en partant vers un lieu qu’il allait recevoir en héritage : il partit sans savoir où il allait. C’est par la foi qu’il vint s’exiler sur la terre promise comme dans un pays étranger, habitant sous des tentes avec Isaac et Jacob, héritiers avec lui de la même promesse. Car il attendait la cité qui a de solides fondations, celle dont Dieu est l’architecte et le constructeur.
Or, si l’on interprète littéralement ce que peut être cette cité, même la Jérusalem de David et Salomon n’a pas eu Dieu comme architecte et constructeur. Il est même écrit que tous ceux-là, qui avaient reçu par leur foi un bon témoignage, n’ont pas obtenu ce qui avait été promis (Hé 11,39) : ni Abraham, ni ses successeurs9. L’espérance d’Abraham, et de tous les patriarches consistait en autre chose que la seule poussière de Canaan : notre Seigneur Jésus Christ (Hébreux 11,39-12,2) le pionnier de la foi et qui la porte à son accomplissement (Hé 12,2).
Mieux encore, la même promesse dont les patriarches et leurs héritiers sont les bénéficiaires, c’est la Jérusalem céleste.
III.1.2. Romains 9,3-5
L’apôtre Paul ne considère pas non plus que la possession de la terre promise soit un des avantages promis aux juifs. En Romains 3,2, il dit que les juifs ont pour avantage de posséder les saintes Écritures. En Romains 9,3-5, il est plus explicite encore, en ciblant bien les israélites ethniques distincts de l’Église. Il cite tous les avantages d’être juifs et leurs possessions particulières :
Car je souhaiterais être moi-même anathème, séparé du Christ, pour mes frères, les gens de ma parenté selon la chair, eux qui sont les Israélites, à qui appartiennent l’adoption filiale, la gloire, les alliances, la loi, le culte, les promesses, les pères, et de qui est issu, selon la chair, le Christ, qui est au-dessus de tout, Dieu béni pour toujours ! Amen !
Il y a trois choses très remarquables dans cette liste des particularités de l’Israël opposé à l’Église :
- La liste de ce qu’il possède appartient aussi à l’Église10.
- La terre ne fait pas partie de ce qui appartient à Israël.
- La seule chose qui est irréductiblement particulière à Israël, c’est leur lien ethnique avec Christ.
Dans ces conditions, comment peut-on encore dire avec assurance qu’Israël et l’Église sont deux peuples distincts, lorsque leurs patrimoines sont si semblables ? En commentant ce passage11, Ryrie dit que ce passage renforce la distinction entre Israël et l’Église, mais ne semble pas avoir remarqué que leur patrimoine est le même, et leurs particularités sont légères.
Paul lui-même pousse à la confusion entre Israël et l’Église lorsqu’il dit dans le verset qui suit immédiatement (Romains 9,6-8) :
Ce n’est pas que la parole de Dieu soit devenue caduque. Car tous ceux qui sont issus d’Israël ne sont pas Israël. Pour être les enfants d’Abraham, tous ne sont pas sa descendance ; mais : C’est en Isaac que tu auras ce qui sera appelé ta descendance ; – c’est-à-dire : ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu, mais ce sont les enfants de la promesse qui sont comptés comme descendance.
Ici nous voyons que :
- Paul semble anticiper une objection que portent les dispensationalistes : « alors vous dites que les promesses de terre ont disparu ? » Paul répond que non, la parole de Dieu n’est pas devenue caduque.
- Il fait remarquer que depuis la Genèse, le facteur ethnique et matériel du peuple de Dieu est secondaire par rapport à l’Évangile. Ce n’est pas qu’il y a « un peuple matériel » et « un peuple spirituel » : dès la première génération après Abraham, les vrais héritiers sont les héritiers non des biens et de la terre, mais de l’alliance de grâce. Appliqué aux question contemporaines, cela revient à dire que l’Israël contemporain n’est pas plus concerné par les promesses de la terre promise qu’Ismaël et ses descendants ne sont concernés par l’alliance avec David.
- D’après Ryrie12, il s’agit d’un avertissement seulement adressé aux juifs, pour leur rappeler qu’il ne suffit pas de dire « nous sommes les enfants d’Abraham » pour être sauvés, comme ce que disent les prophètes de l’Ancien Testament et Jean Baptiste. C’est très juste et biblique, mais ce n’est pas ce que dit la lettre aux Romains, qui est écrite à une communauté mixte où les juifs semblent minoritaires : Paul explique à des gens des nations comment ils sont rattachés à la promesse des juifs, il n’enseigne pas aux juifs comment rester dans l’alliance de leurs pères.
- Les « enfants de la promesse » : la promesse ici mentionnée est celle de Genèse 17, et que nous avons résumé tantôt en (1) un peuple ; (2) une alliance et (3) un pays. Le pays aussi est entièrement donné à l’Église, qui est la Jérusalem Céleste encore à venir au retour de Christ (Hébreux 11,10 ; Apocalypse 21).
III.1.3. Galates 3,28-29
Paul fusionne plus explicitement encore les promesses faites à Israël en Galates 3,28-29 :
Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un en Jésus-Christ. Et si vous appartenez au Christ, alors vous êtes la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse.
Pareillement, Paul confond ensemble à la fois les peuples, comme on l’a déjà vu, mais aussi les promesses et donc la promesse de la terre. Si on s’arrête là, cela veut dire que la terre promise à Israël est désormais autre chose qui appartient pleinement à l’Église, et que Christ va nous obtenir.
Ryrie conteste cette lecture13 en distinguant 3 descendances d’Abraham :
- Les descendants physiques d’Abraham (Ésaïe 41,8) ;
- Christ (Galates 3,16) ;
- Les chrétiens (Galates 3,29).
Or, ce que dit Galates 3,28, c’est que précisément il ne doit pas y avoir d’autres semence distinctes que celle de Jésus-Christ (Galates 3,16). Même la citation d’Ésaïe 41 est accomplie par Christ plutôt que par Israël14. Mais cette confusion des deux peuples en Christ est ignorée de Ryrie, qui préfère contester aux chrétiens la légitimité de s’appeler Israël, contre l’apôtre Paul lui-même.
III.2. Un point de méthode : une interprétation littérale ?
Les dispensationalistes ne s’appuient pas beaucoup sur le Nouveau Testament pour justifier la possession encore actuelle et future de la Palestine par les juifs. Ils se fondent généralement sur les promesses de possession du sol contenues en Deutéronome 30, confirmées par les prophètes, et les prophéties de restauration nationale des prophètes postérieurs à l’exil. C’est la méthode d’interprétation de ces prophéties et promesses qui fait la différence.
Dans le chapitre 5 de Dispensationalism, Charles Ryrie définit l’herméneutique dispensationaliste de la manière suivante :
Literal hermeneutics. Dispensationalists claim that their principle of hermeneutics is that of literal interpretation. This means interpretation that gives to every word the same meaning it would have in normal usage, whether employed in writing, speaking, or thinking. It is sometimes called the principle of grammatical-historical interpretation since the meaning of each word is determined by grammatical and historical considerations. The principle might also be called normal interpretation since the literal meaning of words is the normal approach to their understanding in all languages.
Charles Ryrie, Dispensationalism, p.64.
Of course, literal interpretation is not the exclusive property of dispensationalists. Most conservatives would agree with what has just been said. What, then, is the difference between the dispensationalist’s use of this hermeneutical principle and the nondispensationalist’s? The difference lies in the dispensationalists claim to use the normal principle of interpretation consistently in all his study of the Bible. He further claims that the nondispensationalist does not use the principle everywhere. He admits that the nondispensationalist is a literalist in much of his interpretation of the Scriptures but charges him with allegorizing or spiritualizing when it comes to the interpretation of prophecy.
Ibid., p.65.
Il précise ensuite que cela n’exclut pas d’interpréter en tenant compte des caractéristiques de chaque genre (par exemple, ne pas interpréter « scientifiquement » une imagerie poétique). Sur la question de la particularité de cette méthode dispensationaliste, Ryrie dit simplement que les dispensationalistes sont les seuls à le faire de façon cohérente et suivie.
Pourtant, malgré ces intentions très claires, l’interprétation dispensationaliste n’est pas si cohérente que cela.
- Beaucoup de prophéties qui sont accomplies lors du retour d’exil sont arrachées de leur contexte pour ensuite être appliquées à l’Israël contemporain. Ézéchiel 37 est ainsi utilisé pour décrire la fondation d’Israël en 194815. Si c’est le cas, quel est l’intérêt de cette prophétie pour les contemporains d’Ézéchiel, à qui Dieu promet la vengeance de leurs torts et la restauration de leur pays ? (Ézéchiel 36) Le prophète a-t-il donc parlé pour rien à cette époque ? Nous sommes contraints de dire qu’il ne faut pas tenir compte de ce qu’Ézéchiel dit à ses contemporains et faire semblant que cette prophétie est restée en l’air pendant plus de 2 500 ans, sans accomplissements. C’est une interprétation faussement littérale, parce qu’elle ne respecte pas l’aspect historique du discours tout en se revendiquant historico-grammaticale.
- Certains reconnaissent la difficulté, mais parlent d’accomplissements successifs, ou accomplissement partiels et pleins. La difficulté n’est pas allégée : cela veut dire qu’il y deux sens littéraux à la fois. Est-ce là « l’interprétation normale » dont parle Ryrie ? Pour quelle littérature en dehors de la Bible admet-on deux sens littéraux à la fois ? Notez que nous ne renions pas qu’un texte puisse avoir plusieurs sens, et nous y reviendrons après. Ce que nous contestons, c’est qu’il y ait plusieurs sens littéraux et concrets possible, à la fois. Nul ne lirait un article de journal en parlant de « description partielle/description pleine » ou en parlant de « descriptions successives » d’une même conjoncture boursière, par exemple. Et pourtant, c’est la méthode d’interprétation « normale » que Ryrie prétend appliquer mieux que tous les autres.
- Ce n’est pas un défaut présent chez tous, mais beaucoup se permettent d’interpréter très allégoriquement quand l’envie leur en prend. Par exemple, l’association entre Amalec et le Hamas, très en vogue depuis le 7 octobre 202316, ne résulte pas d’une interprétation littérale, mais allégorique. Au lieu de considérer qu’Exode 17,6 oblige les contemporains de Moïse à détruire un peuple issu du premier-né d’Ésaü (Gen 36,12), les dispensationalistes spiritualisent le texte de telle manière qu’Amalec désigne, au-delà des apparences, un esprit d’opposition totale et durable à Israël, qui attaque par traîtrise. C’est ainsi que les fils d’Ismaël présents à Gaza se voient attribués les malédictions et prophéties associées aux philistins (issus des « peuples de la mer ») et aux amalécites, alors qu’ils n’ont aucun lien littéral ni historique avec aucun des deux, sinon une coïncidence géographique. Je ne discute pas ici de la vérité de ce lien : je dis simplement que c’est une interprétation allégorique, contrairement à ce que revendiquent les dispensationalistes, qui se veulent plus littéralistes.
Pour ne pas nous éterniser sur le sujet, nous confessons la théorie des quatre sens telle que Thomas d’Aquin la formule dans la Somme Théologique (question 1, article 10)17.
- Il n’y a qu’un seul et unique sens littéral, seul apte à fonder l’argumentation doctrinale.
- Ce sens littéral peut être propre (description directe d’un fait) ou impropre (métaphore à interpréter selon les conventions du genre littéraire). On retrouve donc ici ce que visait Ryrie avec l’interprétation historico-grammaticale.
- À ce sens littéral est associé aussi un sens que l’on peut dire allégorique, ou typologique, ou spirituel : tout comme un mot est le signe d’une chose, la chose désignée par le sens littéral et le signe même d’une autre réalité, et cette relation est le sens allégorique.
- Ce sens allégorique doit être exprimé ailleurs dans la Bible par un sens littéral.
Il y a des exemples d’interprétations allégoriques dans le Nouveau Testament : 1 Corinthiens 10, 1-11 ; Galates 4,21-27 ; 1 Corinthiens 9,9.
Ayant traité aussi rapidement que possible de ce point de méthode, nous allons maintenant tâcher de donner notre propre interprétation des promesses de sol et de territoire national contenu dans l’Ancien Testament.
Mais alors, comment interpréter la promesse d’hériter de Canaan comme terre promise ?
Dans la partie I, nous avons relayé ce que disait P.-S. Chauny sur le principe des œuvres présent dans l’alliance mosaïque. Nous avons dit que ce principe des œuvres n’était introduit qu’à titre typologique, pour enseigner au peuple qu’il était incapable d’obéir à la loi.
Nous défendons une interprétation semblable de la terre de Canaan promise à Israël : elle n’est introduite qu’à titre typologique, pour enseigner au peuple à espérer dans un état de repos complet au sein d’une création nouvelle. La terre de Canaan avait pour but principal d’apprendre l’espérance à Israël, et non une conquête militaire plus de 2 500 ans après le retour d’exil. Une fois le Christ venu, une réalité supérieure vient accomplir ce que représentait « l’ombre » de l’ancienne Canaan. Notre espérance est dans la Jérusalem céleste, dans laquelle nous fera entrer Jésus-Christ, dans laquelle nous serons efficacement protégés et dont le mal sera banni à tout jamais.
- Tout d’abord, cela semble être l’enseignement – littéral – de Hébreux 11,10, qui dit que l’espérance d’Abraham était dans la Jérusalem céleste.
- Ensuite, cela explique pourquoi la terre de Palestine n’est pas mentionnée par Paul comme l’héritage particulier des juifs : il avait intégré que Christ et sa nouvelle création était le vrai patrimoine du vrai peuple de Dieu. Cela explique aussi ses efforts pour confondre ensemble les promesses aux nations et les promesses aux juifs.
- Le langage de nouvelle création utilisé pour désigner Canaan (Exode 3,8) fait référence à Éden comme à un prototype, mais en sens inverse, il préfigure les nouveaux cieux et la nouvelle terre, son parachèvement.
- Enfin, il est inadéquat de s’attendre à un accomplissement historique futur des prophéties de restauration nationale des prophètes postérieurs à l’exil. Ce qu’il y a d’historique dans ces prophéties a déjà été accompli historiquement (ce qui n’exclut pas des applications spirituelles pour notre temps). Ce qui n’a pas encore été accompli historiquement a été tout entier accompli en Jésus-Christ (ex : le nouveau temple d’Ézéchiel 40-48) et nous est attribué à travers le Saint-Esprit, selon le régime du « déjà et pas encore »18.
Israël perd-t-il ses promesses ? Oui et non.
- Oui, parce que les particularités mosaïques promises en Deutéronome 30 ont cessé de s’appliquer matériellement, et ont été remplacées par une administration et un objet matériellement différent.
- Non, parce que ces particularités mosaïques n’étaient de toute façon pas le véritable objet de la promesse d’Abraham, et que le destin de l’ethnie juive a toujours été d’annoncer l’alliance de grâce à toutes les nations pour hériter enfin du repos complet en Dieu, en une création nouvelle.
Israël n’a donc été remplacé que matériellement, mais non formellement. Or, c’est dans la forme que se situe la substance des choses. Donc même s’il y a une mutation matérielle, il est juste de dire qu’Israël n’a pas perdu la substance de ses promesses.
Conclusion
Rappelons la question : « L’Église, en tant que peuple de Dieu sous la Nouvelle Alliance, a-t-elle remplacé Israël ? » Nous avons élargi cette question pour parler non seulement du peuple, mais de l’identité entière d’Israël, qui était structuré autour du peuple, de sa constitution (l’alliance) et de son contexte (la terre promise).
- Nous avons vu que le peuple est substantiellement le même, dans l’Ancienne comme sous la Nouvelle Alliance. Les différences entre l’Église et l’Israël n’existent que matériellement (composition ethnique différente, quoiqu’en continuité avec l’Ancienne Alliance).
- Nous avons vu que l’alliance a connu des discontinuités réelles, mais que la Nouvelle Alliance est fondamentalement en continuité avec l’Ancienne, et qu’elle est le renouvellement de cette dernière et non une « deuxième alliance » parallèle.
- Nous avons vu enfin que la terre était un signe des nouveaux cieux et la nouvelle terre encore à venir en Jésus-Christ, comme nous l’enseignent les apôtres. Nous avons dit que malgré les différences matérielles, la promesse était substantiellement la même.
Il est donc facile de répondre brièvement à la question du sujet : L’Église n’a remplacé l’Israël que dans un sens matériel. Formellement, la substance est la même, et nous pouvons nous appuyer sur cette continuité formelle pour nier l’accusation de théologie du remplacement que l’on nous oppose parfois.
Illustration : Vlad Zabavskiy, The Sixth and I Historic Synagogue, huile sur toile, 2018.
- David J. Clines, Pour lire le Pentateuque, éd. Artège spiritualité,1978.[↩]
- Pierre-Sovann Chauny, polycopié de cours 3.24, cinquième partie, II.A.[↩]
- Deutéronome 18,16, au sujet d’Exode 19 : Il répondra ainsi à la demande que tu fis à l’Éternel, ton Dieu, à Horeb, le jour de l’assemblée (qahal), quand tu disais : Que je n’entende plus la voix de l’Éternel, mon Dieu, et que je ne voie plus ce grand feu, afin de ne pas mourir.[↩]
- Cf. Jean Delumeau, Le Christianisme Va-t-Il Mourir ?, 1977.[↩]
- Charles Ryrie,Dispensationalism, p. 103.[↩]
- François Turretin, Institutes of Elenctic Theology, vol. II, locus 12, question 12.[↩]
- P.-S. Chauny, La nNouveauté de la Nouvelle Alliance, p. 30.[↩]
- Ibid., p.31.[↩]
- Il est à noter qu’encore aujourd’hui, les interprètes juifs et dispensationalistes reconnaissent qu’Israël n’a pas encore obtenu toute la portion promise « de l’Euphrate à la mer ».[↩]
- Voici les références où ces propriétés sont attribuées à l’Église : l’adoption filiale à Romains 8,15-17 ; la gloire à Colossiens 1,27 ; les alliances : Ephésiens 2,12 ; la loi : Romains 8,2-4 ; le culte Philippiens 3,3 ; les promesses à 2 Corinthiens 1,20 ; les pères à Romains 4,16.[↩]
- Charles Ryrie, Dispensationalism, p.103.[↩]
- Charles Ryrie, Dispensationalism, p.104.[↩]
- Ibid. p.113.[↩]
- « Mon serviteur » au verset 8 est un titre messianique chez Esaïe. La nudité évoquée en Ésaïe 41,14 correspond au mépris que l’on voue au serviteur du Seigneur en Ésaïe 53 ; la victoire sur les montagnes et collines des nations est parallèle au Psaume 97,5, qui est spécifique à Dieu.[↩]
- Pour un exemple populaire et contemporain, cf. https://www.youtube.com/watch?v=X4PUv-rao1Q [07’36 »] ; consulté le 17/06/2024.[↩]
- Un exemple ici : https://www.youtube.com/watch?v=X4PUv-rao1Q à partir de 17’22 » ; consulté le 17/06/2024.[↩]
- Nous nous appuyons ici sur l’article de Maxime Georgel, « Les quatre sens de l’Écriture », https://parlafoi.fr/2022/06/10/quatre-sens/ ; consulté le 17/06/2024.[↩]
- Cf. P.-S. Chauny, La Nouveauté de la Nouvelle Alliance, conclusion du chapitre 5 et chapitre conclusif.[↩]
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