L’athéisme n’est-il qu’une simple absence de croyance en Dieu ? — Matthieu Lavagna
5 novembre 2024

Voici un extrait d’un livre Les travers de la zététique : Réponse au livre « Dieu, la contre-enquête » de notre ami Matthieu Lavagna, un jeune apologète catholique où il répond à la nouvelle définition de l’athéisme comme absence de croyance en Dieu proposée par Thomas Durand dans son livre Dieu, la contre-enquête1 et apparemment à la mode chez les zététiciens (un courant à la mode sur internet qui promeut l’esprit critique). Il montre qu’il est plus judicieux de définir l’athéisme comme le fait de croire que Dieu n’existe pas : ce qui est la définition traditionnelle de l’athéisme en philosophie. C’est ce que pensent tous les meilleurs philosophes athées de niveau universitaire (Graham Oppy, John Schellenberg, William Rowe, Paul Draper etc.)


Qu’est-ce que l’athéisme ?

Au chapitre 22 intitulé « Qu’est-ce que l’athéisme ? », Thomas Durand affirme : « C’est aux apologètes que l’on doit la classification qui intercale les agnostiques entre les croyants et les athées, peut-être pour éviter de s’interroger sur la distinction pourtant capitale qui existe entre l’opinion que l’on se fait d’un sujet comme l’existence de Dieu, d’un côté, et de l’autre le degré de certitude ou de preuve à l’appui de cette opinion » (p. 225).

Or, cette assertion est fausse. Ce ne sont pas les « apologètes » qui ont créé cette classification (théiste, athée, agnostique). Les philosophes athées et agnostiques (dont Thomas Huxley) y ont contribué aussi. Cette classification a l’avantage de permettre de répondre directement à la question « Dieu existe-t-il ? ».

L’athéisme n’est pas une absence de croyance

Thomas Durand tente de rejeter la définition traditionnelle de l’athéisme et de le redéfinir à sa manière, en suivant la ligne du « Nouvel athéisme » américain. Alors que les philosophes (croyants ou non) ont toujours défini le théisme par la proposition « Dieu existe » et l’athéisme par sa négation (c’est-à-dire la proposition « Dieu n’existe pas »), Thomas Durand, lui, pense pouvoir redéfinir l’athéisme comme étant une absence de croyance en Dieu2 (p. 24).

Or l’idée que l’athéisme serait une « absence de croyance en Dieu » est parfaitement absurde. Si cette définition était vraie, alors on devrait dire que les plantes, les cailloux, les atomes (etc.) sont tous athées, puisqu’ils ont tous une absence de croyance en Dieu. On aurait alors plus de 10^80 athées dans l’Univers ! Tout cela n’a aucun sens évidemment.

Ici, Thomas Durand répondrait sûrement que sa définition de l’athéisme ne s’applique qu’aux personnes, et non aux objets inanimés. Cependant, les problèmes demeurent. En effet, on devrait alors en conclure que les bébés, les handicapés mentaux ou les personnes dans le coma sont athées, parce qu’ils ont une absence de croyance en Dieu, étant donné leur état mental. On aurait alors des scénarios absurdes où un grave accident de voiture pourrait transformer un théiste en athée en lui faisant perdre sa mémoire (et donc son adhésion à la proposition « Dieu existe »).

Supposons à présent que Thomas Durand veuille modifier sa définition de l’athéisme ainsi, pour éviter ces objections : « P est un athée si et seulement si P a les capacités mentales de croire que Dieu existe, mais présente tout de même une absence de croyance en Dieu. » Cette définition serait aussi problématique. Elle implique, en effet, que les agnostiques sont athées de facto (puisque les agnostiques sont mentalement capables de croire que Dieu existe, mais ont une absence de croyance en Dieu). Par exemple, si quelqu’un pense qu’il y a 50 % de chances que Dieu existe, on ne peut pas dire qu’il adhère pleinement à la croyance « Dieu existe ». Cette personne a une absence de croyance positive en l’existence de Dieu. Pourtant, on ne peut pas dire qu’elle soit athée.

Prenons le cas d’un agnostique qui pense que l’existence de Dieu est aussi probable que sa non-existence, et décide d’opter pour le pari de Pascal. Il choisit alors de remettre sa vie à Dieu, même s’il se montre hésitant sur son existence. Il prie au quotidien, va à l’église, mais pense toujours que l’existence de Dieu est aussi probable que sa non-existence. D’après la définition de Thomas Durand, une telle personne serait athée, ce qui semble absurde.

Bref, cette notion d’absence de croyance est défectueuse. Le propre de l’être humain, c’est justement d’avoir des croyances ! Reste à savoir si ces croyances sont justifiées ou non. C’est pour cela que les dictionnaires et les encyclopédies philosophiques définissent bien l’athéisme comme l’affirmation de l’inexistence de Dieu : ce n’est pas une « invention » des méchants théistes ou apologètes ! Cette définition de l’athéisme est partagée par la quasi-totalité des philosophes athées eux aussi. Comme le dit le leader mondial de l’athéisme philosophique, Graham Oppy, « l’athéisme est la croyance selon laquelle il n’existe aucun dieu3. »

Le philosophe athée Paul Draper, auteur de l’article sur l’athéisme dans la fameuse Stanford Encyclopedia of Philosophy, déclare : « En philosophie, et plus spécifiquement dans la philosophie de la religion, le terme « athéisme » est utilisé pour désigner la proposition selon laquelle Dieu n’existe pas (ou, plus largement, la proposition selon laquelle il n’y a pas de dieux). Ainsi, pour être athée d’après cette définition, il ne suffit pas de suspendre son jugement sur l’existence d’un Dieu. Au lieu de cela, il faut nier que Dieu existe4. »

Le philosophe britannique Robin Le Poidevin, athée, écrit de son côté : « Un athée est celui qui nie l’existence d’un créateur personnel et transcendant de l’univers, plutôt que celui qui vit simplement sa vie sans référence à un tel être5. »

John L. Schellenberg, philosophe athée, affirme lui aussi : « L’athée n’est pas juste quelqu’un qui n’accepte pas le théisme, mais plus fortement quelqu’un qui s’y oppose ». En d’autres termes, c’est la « négation du théisme, l’affirmation qu’il n’y a pas de Dieu6. »

Cette définition se retrouve également dans de multiples encyclopédies et dictionnaires de philosophie. Par exemple, dans la Concise Routledge Encyclopedia of Philosophy, William L. Rowe (athée également) écrit : « L’athéisme est la position qui affirme la non-existence de Dieu. Il propose une incrédulité positive plutôt qu’une simple suspension de croyance7. »

Une raison évidente qui rend la définition philosophique de l’athéisme (« Dieu n’existe pas ») préférable à celle de Thomas Durand est qu’elle permet de donner une réponse directe à l’une des questions métaphysiques les plus importantes de la philosophie de la religion, à savoir « Dieu existe-t- il ? » Cette question n’a que deux réponses directes possibles : « oui » (théisme) ou « non » (athéisme). Des réponses telles que « je ne sais pas », « personne ne sait », « je m’en fiche », « une réponse affirmative n’a jamais été établie » ou « la question n’a pas de sens » ne sont pas des réponses directes à cette question8.

Une autre raison de préférer la définition traditionnelle en philosophie d’après Paul Draper est qu’elle rend symétriques les définitions de « l’athéisme » et du « théisme ». En effet, si le théisme est défini par la proposition « Dieu existe », alors, par symétrie, l’athéisme devrait être défini par la proposition « Dieu n’existe pas ». De manière générale, tous les –ismes en philosophie sont compris comme l’affirmation d’une position, pas une absence de position.

Ceci est crucial si l’on veut argumenter en faveur du théisme ou en faveur de l’athéisme. Les états psychologiques des individus ne peuvent pas être vrais ou faux, ni être les conclusions d’arguments. Par conséquent, si l’athéisme était une simple absence de croyance en Dieu, on ne pourrait pas dire des choses comme « l’athéisme est vrai » ou « l’athéisme est faux », car une absence de croyance ne reflète aucun contenu propositionnel portant sur la réalité, mais un simple état psychologique dans lequel se trouve une personne.

Ainsi donc, si l’athéisme est défini comme « l’état mental de l’absence de croyance en Dieu », alors il ne peut exister aucun argument contre l’athéisme en principe, car les arguments ne peuvent s’attaquer qu’aux affirmations portant sur la réalité. Vous ne pouvez avoir un argument dont la conclusion est : « Donc l’absence de croyance en Dieu est fausse. » En conséquence, un argument en faveur de la proposition « Dieu existe » ne serait plus un argument contre l’athéisme, ce qui n’a pas de sens.

Pour ces raisons, les philosophes préfèrent définir l’athéisme comme la négation de l’existence de Dieu. Un athée est donc quelqu’un qui affirme que Dieu n’existe pas9.

L’erreur de l’analogie des jarres Pour justifier sa définition, Thomas Durand propose l’analogie suivante : « Prenons une jarre dans laquelle on a placé une quantité importante mais inconnue de billes. Si vous me demandez si je crois que la jarre contient un nombre pair de billes, je vous répondrai « non ». Si vous voulez en conclure que je crois que la jarre contient un nombre impair de billes, vous êtes imprudent. En réalité, je ne crois pas non plus que la jarre contient un nombre impair de billes. Je peux regarder cette jarre, admettre qu’elle contient des billes et ne tenir aucune croyance du genre. Notez que je ne suis pas agnostique du nombre de billes puisque j’admets qu’on peut tout à fait l’ouvrir et effectuer un comptage qui apporte une réponse définitive. Mais en attendant, je ne crois rien par rapport à la question d’un nombre pair ou impair. Il s’agit bien d’une absence de croyance. » (p. 233)

Thomas Durand vient en réalité de nous décrire ce qu’on appelle l’agnosticisme épistémique, qui diffère de l’agnosticisme épistémologique. En effet, l’agnosticisme épistémologique déclare qu’il est impossible de savoir si Dieu existe ou non. Au contraire, l’agnosticisme épistémique soutient que la proposition « Dieu existe » a à peu près autant de chances d’être vraie que la proposition « Dieu n’existe pas ». Ne croire « rien », ce n’est donc pas croire qu’il n’y a pas de preuve que Dieu existe. Or, il semble que Thomas Durand ne prenne pas cette notion en compte. L’attitude rationnelle face au scénario de la jarre qu’il décrit est de dire que la probabilité épistémique qu’il y ait un nombre pair de billes est de 0,5. Il faut donc opter pour un agnosticisme épistémique10.


Illustration : Allan Ramsay, Portrait de David Hume, huile sur toile, 1766.

  1. Matthieu Lavagna, Les travers de la zététique: Réponse au livre « Dieu, la contre-enquête », éd. Marie de Nazareth (2024), pp. 25-28.[]
  2. La raison qui pousse Thomas Durand à donner cette définition est qu’elle lui permet de n’avoir pas à justifier ou à argumenter en faveur de l’inexistence de Dieu, et d’imposer l’athéisme comme un présupposé par défaut.[]
  3. https://www.youtube.com/watch?v=jieFHDilAws.[]
  4. Voir l’article « Atheism and Agnosticism », Stanford Encyclopedia of Philosophy, disponible en ligne : https://plato.stanford.edu/entries/atheism-agnosticism/.[]
  5. Robin Le Poidevin, Arguing for Atheism: An Introduction to the Philosophy of Religion, Routledge, 1996.[]
  6. John L. Schellenberg, Progressive Atheism: How Moral Evolution Changes the God Debate, Bloomsbury, 2019, p. 5.[]
  7. Voir l’entrée « Atheism », Concise Routledge Encyclopedia of Philosophy, Edward Craig ed., Routledge, 2000, pp. 62–63.[]
  8. Voir Robin Le Poidevin, Agnosticism: A Very Short Introduction, Oxford University Press, 2010, p. 8.[]
  9. Un terme existe déjà pour définir celui qui a une « absence de croyance » en l’existence de Dieu : le « non-théiste », qui désigne donc celui qui n’affirme pas la proposition « Dieu existe ». Cette catégorie comprend à la fois les athées, les agnostiques et autres.[]
  10. On notera d’ailleurs que l’analogie des boules dans la jarre n’est pas vraiment adéquate pour décrire la position de Thomas Durand, puisqu’il ne semble pas croire que la proposition « Dieu existe » ait autant de chances d’être vraie que fausse. C’est pourquoi le Larousse définit le déisme comme une doctrine qui « rejette toute révélation et ne croit qu’à l’existence d’un Dieu comme cause du monde et à la religion naturelle » (https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/déisme/22981). En bonne logique, la négation de « A et B » revient à affirmer « A et non(B) » ou « non(A) et B » ou « non(A) et non(B) ». Ici, A = « Dieu existe » et B = « Dieu s’est révélé ». B étant inclus dans A (car B implique A), la négation de « A et B » revient à affirmer « non(A) » ou « A et non(B) », c’est-à-dire « Dieu n’existe pas » ou bien « Dieu existe et il ne s’est pas révélé ».[]

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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