Le socialisme contre la famille — Edward Feser
4 décembre 2024

A l’occasion de l’examen de la motion de censure contre la loi sur le budget de 2025 à l’Assemblée nationale, voici une traduction de l’article Socialism versus the Family du philosophe catholique et thomiste Edward Feser où il explique comment le socialisme (la doctrine politique des socialistes) s’oppose à la famille (tout au moins à la vision traditionnelle). C’est à l’origine une conférence qu’il a donnée le 11 Février 2019 à la Heritage Foundation, à Washingon D.C. J’ai rajouté des notes de bas de page de ma propre main quand j’ai trouvé utile d’expliquer des choses et des choix de traduction.


À l’aube des révolutions de Reagan et de Thatcher, de l’effondrement de l’Union Soviétique et de la libéralisation de l’économie chinoise, beaucoup d’observateurs ont jugé que le socialisme était mort au début du vingt-et-unième siècle. Mais quand bien même ce jugement serait correct, le socialisme reste comme un cadavre qui continue à marcher, comme les zombies enragés de la culture populaire des quelques dernières années. Dans la décennie qui a suivi la crise financière de 2008, la politique et la rhétorique du socialisme –  mais, Dieu merci, pas encore sa réelle mise en pratique – ont connu aux États-Unis un renouveau grandissant. Durant la même période, le Venezuela a mis récemment en pratique le socialisme, entraînant de façon prévisible des conséquences désastreuses.  

Les problèmes économiques du socialisme sont bien connus de tous et plusieurs autres orateurs de cette conférence les ont déjà abordés. Ce dont je voudrais parler aujourd’hui, c’est du danger que le socialisme représente pour quelque chose d’encore plus fondamental que l’économie. Il s’agit bien évidemment de la base même de l’ordre social tout entier – à savoir, l’institution de la famille.  

Ce qu’est le socialisme 

Laissez-moi tout d’abord vous dire en quelques mots ce qu’est le socialisme étant donné qu’il s’agit d’un mot que les sympathisants et les ennemis utilisent tous deux dans un sens trop vague. On définit souvent le socialisme à la fois comme un certain genre d’ordre économique et politique, et comme un ethos, ou une conception morale que cet ordre est censé refléter. Examinons ces deux éléments, chacun à leur tour. En tant que système économique et politique, le socialisme, au sens strict du terme, inclut par essence la détention et le contrôle centralisés par un gouvernement des moyens de production les plus élémentaires, et la distribution des biens de consommation. Tout naturellement, cela implique que plus la propriété et le contrôle de ces moyens élémentaires sont répartis entre divers acteurs privés, moins un tel système sera socialiste. 

Il devrait ressortir clairement de cette description qu’il est incorrect de qualifier un État quelconque de socialiste seulement parce qu’il intervient dans son économie. En effet, les interventions de ce genre n’impliquent pas toutes une détention ou un contrôle centralisés des moyens élémentaires en question par le gouvernement. Par exemple, qu’un gouvernement mette en place une taxe ou un tarif précis ou un certain type de réglementations peut ou non être une bonne idée, mais les impôts et les réglementations n’ont en soi rien de socialiste. Tout dépend de la nature de l’impôt ou de la réglementation en question. Certaines personnes associent les impôts et les réglementations en général au socialisme pour ensuite ou bien condamner automatiquement tout impôt et tout réglementation sans exception (par leur opposition au socialisme), ou bien approuver le socialisme (parce qu’ils sont en faveur de certains impôts ou de certaines réglementations). De telles maladresses linguistiques et conceptuelles sont regrettables et à éviter. En faisant cela, on ne fait que jeter de l’huile sur le feu tout en créant des confusions. 

Ceci étant dit, il est vrai aussi qu’une politique ou un aspect de l’économie peut être socialiste en substance bien qu’il ne semble pas l’être sur le papier. La notion de propriété joue ici un rôle clé. Comme le soulignent souvent des philosophes qui réfléchissent à la nature de la propriété, posséder quelque chose revient essentiellement à posséder un ensemble de droits sur cette chose. Supposons par exemple que je possède un certain crayon. Cela inclut mon droit d’utiliser le crayon quand je le souhaite, le droit de le prêter à d’autres si j’en ai l’envie, le droit de ne pas le leur prêter si c’est ce que je préfère, le droit de le mastiquer si je suis tendu, le droit de le casser en deux si je souhaite le raccourcir ou si je souhaite exprimer ma frustration de cette façon, et ainsi de suite. Posséder un crayon, c’est posséder un ensemble de droits de ce genre, et posséder un ensemble de droits sur ce crayon, c’est le posséder.  

Supposons désormais de façon purement théorique que je sois l’unique propriétaire d’une parcelle de terrain donnée. Supposons également que le gouvernement m’ait interdit de l’utiliser, de construire dessus, de la mettre en location ou de vendre ce terrain sans son autorisation, qu’il revendique le droit de toucher une partie ou l’entièreté des bénéfices produit grâce à ce terrain, le droit de construire dessus ou sinon le droit de le modifier en lui-même si jamais il le souhaitait, et ainsi de suite. Force est de constater qu’en substance, le gouvernement est copropriétaire de ce terrain ou même l’unique véritable propriétaire de celui-ci étant donné qu’il a revendiqué pour lui seul la plupart des droits qu’implique la possession d’un bien. 

Par conséquent, bien qu’il soit vrai que la fiscalité et la réglementation ne sont pas en eux-mêmes socialistes, il est vrai aussi que la fiscalité et la réglementation des ressources et des entreprises peuvent prendre une telle ampleur que cela équivaut de facto à une prise en main des ressources par le gouvernement, et donc de facto à une forme de socialisme. En effet, si un gouvernement se réserve un nombre suffisamment grand de droits en lien avec l’utilisation d’une ressource ou la direction d’une entreprise, alors elle est en pratique le propriétaire de cette ressource ou entreprise, même si la propriété sur le papier appartient à des intérêts privés. Dans ce cas-là, cette forme subtile de socialisme rencontrera la même inefficacité et les mêmes problèmes économiques que ceux des systèmes officiellement socialistes. C’est bien sûr ce qui inquiète beaucoup de gens au sujet du système de santé à payeur unique. 

J’ai affirmé que le socialisme désigne la détention et le contrôle par un gouvernement des moyens élémentaires de production et de distribution des biens. Les biens sont d’autant plus élémentaires que d’autres biens qui les présupposent. Supposons que l’État revendique le droit exclusif de produire et de distribuer des cure-dents en bois mais qu’il laisse l’économie entre les mains du secteur privé. Ce ne serait pas vraiment un système socialiste car très peu de choses dépendent des cure-dents en bois. L’économie s’en sortirait sans eux. Mais si l’Etat revendiquait le droit exclusif de décider de l’utilisation du bois – qu’il soit utilisé pour fabriquer des cure-dents, des meubles, des maisons ou autres -, alors nous nous rapprocherions beaucoup plus d’un système socialiste puisque le bois est indispensable pour fabriquer beaucoup d’autres choses. De plus, il va de soi que si l’Etat revendiquait le droit de décider de la distribution et de l’utilisation de toutes les matières premières (le bois, la pierre, le fer, le verre, etc.), nous aurions alors un système plus ou moins entièrement socialiste, puisque rien ne peut être fabriqué sans elles. 

Le socialisme se décline donc sous différentes formes.  Plus les politiques fiscales et réglementaires spécifiques se rapprochent de la détention de droits de propriété de facto sur diverses ressources, et plus les ressources sur lesquelles ces droits sont exercés sont élémentaires, plus un système sera socialiste en substance.  

Tous ces propos concernent l’aspect économique du socialisme, mais comme je l’ai dit précédemment, il existe également une éthique ou une vision morale qui se rattache au socialisme. Supposons que l’État exerce un contrôle total sur l’économie, mais que celui-ci soit essentiellement la propriété personnelle d’un dictateur, qui mobilise toutes ses ressources dans le seul but d’en tirer un bénéfice personnel. Bien que l’économie d’un tel système soit socialiste, aucun socialiste ne le considérerait comme tel dans son esprit. La raison en est que le socialisme soutient que l’État devrait posséder et contrôler les moyens élémentaires de production et de distribution dans l’intérêt commun pour la société considérée dans son ensemble, plutôt que dans l’intérêt d’un individu ou d’un groupe au sein de la société. 

On peut désormais interpréter cet ethos collectiviste de deux manières, en fonction de l’attitude du socialiste à l’égard de la vaste tradition libérale qui a prévalue dans la politique occidentale depuis les temps de Hobbes et de Locke, avec son engagement en faveur des idéaux de liberté et d’égalité individuelles. Une première approche consisterait à rejeter purement et simplement cette tradition, et en particulier à rejeter l’idée qu’une société juste a un quelconque rapport avec le fait de traiter tous les individus sur un même pied d’égalité ou de garantir leur liberté. Selon cette première approche, la justice consiste plutôt à garantir le bien de la société considérée comme une nation ou une race, un organisme collectif unique, au-dessus de la somme des individus qui la composent. Selon ce point de vue, tous les individus n’ont pas la même importance pour assurer le bien de la nation ou de la race, et le respect de leur liberté peut être contraire à la réalisation de ce bien.  On peut donc sacrifier des individus pour le bien de la nation ou de la race. Il s’agit du national-socialisme, dont l’exemple le plus connu de tous est l’Allemagne nazie. 

Bien entendu, la plupart des socialistes seraient terrifiés par cette conception des choses et se considèrent comme les héritiers de la tradition libérale qui considère le respect de la liberté et de l’égalité de tous les individus comme l’essence même d’une société juste. Ils affirment simplement qu’un ordre économique socialiste, plutôt que capitaliste, est le seul moyen de garantir une liberté et une égalité réelles. Selon eux, l’État devrait posséder et contrôler les moyens de production et de distribution élémentaires, non pas pour veiller au bien de la société vue comme une sorte d’organisme collectif (ce qui pourrait requérir le sacrifice de certains individus pour au profit de l’ensemble de la société), mais plutôt pour veiller de manière égale au bien de chaque individu membre de la société. Appelons cela le socialisme égalitaire

Comme les libéraux contemporains, les socialistes égalitariens considèrent qu’il est nécessaire que les citoyens de chaque race, ethnie et contexte religieux participent à la vie politique sur un même pied d’égalité et qu’ils bénéficient tous du même niveau de bien-être économique afin de garantir la liberté et l’égalité de tout individu. A nouveau comme les libéraux contemporains, ils pensent également que l’affranchissement des attentes traditionnelles en matière de sexualité est nécessaire pour garantir la liberté et l’égalité. Tout ceci explique pourquoi les socialistes égalitariens tout comme les libéraux contemporains se sont engagés dans l’agenda féministe qui vise à s’assurer que les femmes travaillent dans les lieux publics et occupent un poste politique à peu près dans les mêmes proportions que les hommes. Ils sont déterminés à éliminer toute forme de discrimination, ou bien sûr toute forme de stigmatisation contre les personnes avec des penchants homosexuels ou transgenres. Et ainsi de suite. Les libéraux contemporains et les socialistes égalitaires sont tous deux favorables à des lois visant à promouvoir cet idéal d’égalité des résultats économiques et politiques pour les citoyens de toute race, ethnie, origine religieuse, sexe et orientation sexuelle. 

La différence entre les libéraux contemporains et les socialistes égalitaires, c’est que le socialiste est enclin à exercer un contrôle beaucoup plus important sur le système économique afin de garantir de tels résultats. Bien qu’on retrouve la rhétorique de la liberté et de l’égalité aussi bien chez les libéraux que chez les socialistes, le libéral met l’accent sur la liberté alors que le socialiste privilégie davantage l’égalité. De ce fait, le libéral est prêt, au nom de la liberté, à défendre un marché essentiellement libre ou une économie de marché1, et à atténuer les inégalités qui en résultent au moyen d’une réglementation et d’une fiscalité redistributive. Par opposition, le socialiste est prêt, au nom de l’égalité, à accorder à l’État un contrôle beaucoup plus important sur l’économie et à atténuer la privation de liberté qui en résulte en faisant valoir que la liberté de protection contre les discriminations qu’il cherche à garantir est plus importante que la liberté économique qu’il supprime. D’une façon similaire, les libéraux mettent tellement l’accent sur la liberté que cela rend la plupart des libéraux réticents à censurer même les discours politiques qu’ils estiment être racistes, sexistes ou homophobes. Dans l’autre sens, les socialistes mettent tellement d’emphase sur l’égalité qu’il semble que cela rend au moins une partie d’entre eux enclins à envisager la censure de tels propos comme une possibilité.  

Comme l’indique ce dernier point, même le socialiste démocrate sera tenté d’accroître le contrôle de la sphère politique pour mieux contrôler la sphère économique, car la frontière entre les deux est floue. Si vous pensez que la justice implique de garantir des résultats économiques égaux, même si cela revient à restreindre la liberté économique d’une façon significative, mais que vous constatez que la liberté d’expression ne cesse d’y faire obstacle, il est difficile de voir pourquoi il ne faudrait pas la restreindre également au nom d’un type de liberté soi-disant plus important, à savoir la liberté de ne pas être victime de discrimination ou d’autres choses de ce genre. 

A la lumière de toutes ces considérations, nous pouvons dorénavant décrire le socialisme de cette sorte auquel je m’intéresse dans cette conférence en pratique même si ce n’est pas sur le papier un contrôle centralisé par le gouvernement des moyens élémentaires de production et de distribution des biens afin de garantir des résultats économiques égaux pour tous les citoyens, peu importe leur race, leur ethnie, leur contexte religieux, leur sexe et leur orientation sexuelle. 

Ce qu’est la famille 

Parlons maintenant de la famille. Qu’est-ce qu’une famille ? Le regretté sociologue James Q. Wilson nous a donné une première approximation utile en la caractérisant comme « une obligation durable, imposée par la société, entre un homme et une femme, qui autorise les relations sexuelles et la supervision des enfants »2. Il s’agissait pour lui d’une description plutôt que d’une norme, d’une caractérisation de ce qui a été en réalité l’acccord de base habituel sous-jacent aux diverses formes concrètes spécifiques que la famille a pris dans les différentes cultures et périodes de l’histoire. L’idée fondamentale, c’est qu’une famille implique habituellement un homme et une femme entretenant des relations sexuelles durables, ayant pour résultat des enfants où des normes sociales réglementent leur relation pour pourvoir aux besoins des enfants et pour que les deux s’attendent au moins un minimum à ce que leur relation perdurera. Dans certaines cultures, ce type de relation requiert un contrat de mariage formel, dans d’autres, le contrat est plus souple. Dans certaines cultures, on s’attend uniquement à de la monogamie alors que dans d’autres, la polygamie est autorisée. Dans certaines, il y a un droit au divorce, et dans d’autres, non. Dans certaines, mais pas toutes, les mariages sont arrangés par les parents. Et ainsi de suite. Mais on retrouve ce même schéma fondamental dans tous les mariages malgré quelques différences secondaires. 

Comme le souligne Wilson, la famille ainsi comprise est plus fondamentale que le mariage. Historiquement parlant, l’institution du mariage est apparue comme un moyen de protéger la famille et a connu des changements car différentes cultures avaient des critères différents sur les moyens nécessaires de protéger la famille. 

Bien évidemment, il y a parfois des familles qui ne rentrent même pas dans la description simpliste de Wilson. Par exemple, le cas d’une femme célibataire qui vit seul qui adopte un enfant comme famille d’accueil. Mais ces cas viennent en quelque sorte « parasiter » les mariages que Wilson décrit. Dans ces cas-là, les enfants viennent au monde en premier lieu seulement suite à une relation sexuelle au moins brève entre leurs parents biologiques, et la femme de mon exemple endosse un rôle calqué sur celui d’une mère biologique. Comme le fait effectivement remarquer Wilson, le schéma de base de famille qu’il décrit tel quel, est universel justement parce qu’il se fonde sur des principes élémentaires de la biologie humaine. 

Avant de revenir à la biologie dans un instant, il sera d’abord utile de prêter attention aux implicatives normatives ou prescriptives qu’on a souvent associées à la nature de l’institution fondamentale que Wilson décrit. Pour rendre mon exposé plus simple, j’utiliserai de temps à autres des mots et expressions que les défenseurs de la loi naturelle dans la tradition de Thomas d’Aquin emploient souvent. Cependant, il est bon à savoir qu’ils ne sont aucunement les seuls à adhérer aux principes généraux de cette façon de comprendre la moralité du sexe, du mariage et de la famille que je m’apprête à décrire. C’est à peu près ce que le gens de toutes les religions et de toutes les cultures pensaient autrefois. Il va sans dire que ces points de vue traditionnels sur la morale sont devenus très controversés dans la société occidentale moderne précisément parce qu’ils entrent en conflit avec la conception de la liberté individuelle et de l’égalité que les libéraux contemporains et les socialistes égalitaires partagent tous deux comme je l’ai dit. Je reviendrai également sur cette controverse, mais pour l’instant, permettez-moi d’abord de présenter la position traditionnelle. 

Etant donné que c’est un fait biologique bien avéré que le sexe existe dans le but de procréer et qu’en général, il y a une probabilité significative que tout rapport sexuel aboutisse à une grossesse, les systèmes de morale sexuelle ont souvent traditionnellement soutenu que le sexe en dehors du mariage et de la famille était quelque chose de honteux. En effet, les enfants ont besoin d’un tel contexte pour s’épanouir. De plus, comme le sexe existe justement pour leur permettre de voir le jour, il serait indécent ou même pervers de s’y adonner d’une manière à priver les enfants qui en résulteraient d’un tel environnement sain. C’est ainsi que les gens ont traditionnellement désapprouvé toute activité sexuelle qui rompt le lien entre le sexe et la famille (la fortification, la promiscuité, l’adultère, l’homosexualité, et ainsi de suite) car elles déstabilisent l’institution de la famille. Pour utiliser le jargon habituel de la loi naturelle, le sexe a pour fonction principale la procréation et pour autre fonction légitime l’union mutuelle du père et de la mère, et par ce moyen de la famille qu’ils ont créée. 

Etant donné que l’activité sexuelle a une tendance naturelle à donner naissance à des enfants, selon la morale sexuelle traditionnelle, les hommes et les femmes ont des devoirs naturels envers ces enfants et envers la famille composée de la mère, le père et leurs enfants en vertu de leur engagement dans cette activité sexuelle. C’est-à-dire que si vous faites quelque chose qui pourrait faire de vous un père ou une mère, si cela finit par être le cas, vous devrez vous comporter comme un père ou une mère, avec tous les devoirs ce que cela implique. Mais nous sommes bien entendu naturellement fortement enclins à avoir des rapports sexuels. D’où le fait que nous sommes naturellement faits pour être des pères et des mères, et donc pour former des familles. C’est une des façons d’accomplir notre nature tout comme les oiseaux le font en construisant des nids et en nourrissant leurs petits. C’est ce qui fonde radicalement notre identité d’animal social pour reprendre les termes d’Aristote. Nous sommes faits les uns pour les autres, l’homme pour la femme, la femme pour l’homme, et l’homme et la femme ensemble pour leurs enfants. La famille est donc une institution naturelle, dotée d’une sorte d’unité organique. Même dans les sociétés traditionnelles où le divorce était permis, il était plus comparable à l’amputation d’une partie du corps qu’à la rupture d’un contrat commercial – quelque chose qui est contre nature et à éviter dans la mesure du possible. 

D’après la position traditionnelle que je suis en train de décrire, comme les autres ensembles organiques, chaque partie de la famille joue son rôle particulier qui contribue au bon fonctionnement de son ensemble. La grossesse, l’accouchement, l’allaitement et s’occuper d’enfants en bas âge prennent tellement de temps, surtout (comme c’était le cas pendant la plus grande partie de l’histoire de l’humanité) lorsqu’une femme a beaucoup d’enfants, qu’elles ont historiquement parlant, eu tendance à s’occuper des soins domestiques. Au cours de l’histoire, les hommes, ayant une plus grande force physique et n’étant pas confrontés aux rigueurs de la grossesse et de l’accouchement, et la famille, souvent nombreuse, ayant besoin d’un revenu pour survivre, ont eu tendance à endosser le rôle de subvenir aux besoins de la famille. Rajoutez à tout cela le fait que les femmes ont tendance à faire preuve de plus d’empathie et de bienveillance, et les hommes à être plus analytiques et à avoir un esprit plus compétitif, et vous verrez que le modèle de la mère au foyer et du père comme gagne-pain est à plusieurs égards un arrangement bien plus naturel qu’artificiel, suivant la perspective traditionnelle de la morale que je suis en train de décrire. Bien qu’en pratique les choses soient plus compliquées que cette courte description ne le laisse entendre, selon la morale traditionnelle, le fait que ce modèle basique ait persisté depuis si longtemps dans une si grande variété de cultures montre qu’il reflète quelque chose de profond concernant la nature humaine. 

Il est important de souligner que da la morale traditionnelle considère que les rôles du père et de la mère sont complémentaires, et non pas en compétition l’un avec l’autre. Le but n’est pas pour les hommes de rechercher leur propre intérêt et pour les femmes de les servir. Le travail et le salaire du père ne lui appartiennent pas à lui seul, mais à la famille. Là encore, on voit la famille comme une unité organique où chaque membre fait sa part dans l’intérêt de la cellule familiale3 et non pas dans son propre intérêt. L’idée que les mères ou bien les pères soient des individus principalement motivés par leur intérêt personnel liés aux autres par des obligations contractuelles et volontaires est une idée profondément libérale, moderne et individualiste, que la plupart des cultures dans l’histoire auraient trouvée incompréhensible et que les tenants de la morale traditionnelle auraient rejetée. J’y reviendrai plus tard. 

Continuons notre analyse. Pour pouvoir aux besoins de la famille et fonder un foyer, il faut des ressources matérielles. Pour les penseurs de la loi naturelle, ce besoin fonde le droit naturel à la propriété privée. Car devoir faire quelque chose implique de pouvoir le faire. Si j’ai le devoir de pourvoir matériellement aux besoins de ma famille que j’ai contribué à fonder, je dois donc avoir le droit d’acquérir les ressources matérielles dont j’ai besoin pour le faire. Puisqu’il n’est pas possible de prévoir le nombre d’enfants précis qu’il y aura au total et prévoir tous les besoins que cela implique, et comme une fois que les enfants auront eux-mêmes leurs propres familles, ces derniers auront à leur tour besoin de soutien matériel, je dois également avoir le droit d’accumuler ces ressources et de les leur donner en héritage. Les parents sont également les mieux placés pour subvenir aux besoins matériels de leurs enfants, puisqu’ils ont une connaissance directe de ce dont ils ont particulièrement besoin et qu’ils ont une tendance innée à se préoccuper du bien-être de leurs propres enfants, ce de quoi les étrangers sont dépourvus. 

Contrairement aux descendances des animaux non-humains, les enfants humains ont aussi bien des besoins spirituels que des besoins matériels. Pour les penseurs de la loi naturelle, ces besoins spirituels fondent le droit naturel des parents d’éduquer leurs propres enfants. Quand je donne la vie à des enfants, j’assume le devoir de leur donner la connaissance et l’éducation morale dont ils ont autant besoin que de la nourriture, des vêtements et d’un abri. Si j’ai un devoir de subvenir à de tels besoins, je dois donc avoir le droit de pouvoir le faire. Les parents sont également les mieux placés pour répondre aux besoins en éducation de leurs enfants (qu’ils les instruisent eux-mêmes ou qu’ils choisissent des enseignants pour le faire) étant donné qu’à nouveau, ils connaissent mieux que personne les besoins et les capacités de leur propres enfants, et sont les plus motivés à voir de tels besoins satisfaits. 

A nouveau, bien que pour les besoins mon exposé, j’ai utilisé des concepts de la théorie de la loi naturelle comme la fonction procréative et la fonction « unitive », la complémentarité des sexes et les droits naturels, tout ceci n’est qu’une formalisation de ce que quasiment toutes les cultures ont considéré comme relevant du bon sens pendant la plus grande partie de l’histoire de l’humanité. Quoiqu’on en pense, la psychologie évolutive et les sciences sociales confirment que les arrangements basiques que j’ai décrits, reflètent quelque chose en profondeur de la nature humaine. Même en des termes purement évolutionnistes, la structure familiale de base correspond à ce à quoi l’on pourrait s’attendre. 

A partir d’ici, prenons en considération quelques faits biologiques de base avec leurs implications. Un homme est capable en pratique d’engendrer un très grand nombre d’enfants et n’a pas besoin de leur être « attaché » physiquement ou de l’être à leur mère une fois qu’ils sont nés. Mais s’il les quitte, il lui sera bien beaucoup plus difficile de savoir quels enfants sont les siens. A l’inverse, une mère est capable d’avoir un nombre d’enfants bien plus petit et leur est « attachée » physiquement sur de longues périodes compte tenu des exigences que représentent la grossesse, l’allaitement et d’autres tâches semblables, mais peut en même temps s’assurer que les enfants dont elle prend soin sont bien les siens. Bien qu’un homme, étant donné ces facteurs biologiques, soit susceptible d’avoir un intérêt relativement plus prononcé pour les rapports sexuels que les femmes, il a un intérêt à rester aux côtés de la femme avec qui il a eu des enfants afin de s’assurer que les enfants aux besoins desquels il subvient sont bien les siens. Et pour se motiver encore plus, il aura tendance à préférer une femme attirante et fertile, et donc probablement plus jeune que lui. Une femme, quant à elle, se motivera à trouver un homme capable de pouvoir à ses besoins et à ceux de ses enfants, et sera donc attirée par des hommes qui présentent des signes de statut et de pouvoir. Ces impératifs biologiques pousseront les deux sexes à tendre vers la jalousie, bien que de manière quelque peu différente. Les deux sexes haïront l’infidélité, mais chez l’homme, l’accent sera mis sur la crainte que la mère de l’enfant lui soit sexuellement infidèle dans le futur car cela pourrait l’amener à faire des efforts pour subvenir aux besoins de la progéniture d’un autre homme. Chez la femme, l’accent se portera plutôt sur la crainte que le père de l’enfant tombe à l’avenir amoureux d’une autre femme, ce qui pourrait le conduire à l’abandonner, elle et ses enfants. 

Ce que je décris ici, est bien évidemment l’explication classique que les psychologues évolutionnistes donnent aux différences entre les sexes, que le bon sens a toujours reconnu et que beaucoup de sociologues tendent à réaffirmer. Le fait que les hommes soient davantage attirés par la pornographie et plus susceptibles de fréquenter des prostituées, et les femmes davantage attirées par des romans d’amour reflètent les tendances biologiquement fondées des hommes à se concentrer davantage sur les rapports sexuels et les femmes sur l’engagement. Dans chaque culture, les femmes sont davantage préoccupées que les hommes par l’éducation des enfants et les relations personnelles intimes, et semblent être excellentes pour lire le langage corporel, les expressions faciales et les nuances verbales. De même, dans chaque culture, les hommes sont généralement plus agressifs, violemment compétitifs et davantage sujets à des comportements à risques que les femmes, et semblent exceller dans la visualisation et le raisonnement spatiaux, et être plus intéressés par les choses que par les personnes. On pense souvent que ces différences reflètent des caractéristiques que la sélection naturelle a favorisées respectivement chez les nourriciers (nurturers) et chez les chasseurs qui pourvoient à leurs besoins. Même dans les pays occidentaux modernes profondément influencés par le féminisme, les femmes ont tendance à obtenir la garde des enfants quand un couple se sépare et sont plus susceptibles de sacrifier leurs objectifs de carrière pour le bien de la famille. Les hommes, eux ont davantage tendance à être plus nombreux que les femmes dans le monde des affaires et dans les affaires publiques. Pour les psychologues évolutionnistes, ces tendances reflètent le fait que les femmes s’investissent plus physiquement dans l’éducation des enfants, et que les hommes sont de nature plus agressive et ressentent le besoin d’attirer les femmes en atteignant la richesse et un certain statut social. 

Les sociologues font remarquer que l’institution du mariage, dont les grandes lignes reflétaient pour la plupart des gens jusqu’à très récemment ces faits biologiques de base, présente des avantages pour toutes les parties concernées. Le mariage pourvoit aux femmes et à leurs enfants quelqu’un pour pouvoir à leurs besoins. Il « civilise » les hommes, cannalise leur compétitivé d’une façon constructive et leur permet de prendre moins de risques inconsidérés. Il offre aux enfants un environnement stable et serein, et tout particulièrement aux garçons de la discipline et un modèle à imiter, choses sans lesquelles ils ont tendance à adopter des comportements destructeurs. 

Il s’agit effectivement de stéréotypes, mais les données scientifiques et des sciences sociales révèlent que c’est le cas parce qu’ils sont précisément vrais. Bien entendu, les choses en pratique sont bien plus complexes que ne le laisse entendre ce bref résumé. De même, il va de soi que ce n’est pas parce qu’une caractéristique a été favorisée par la sélection naturelle que nous devrions nous-mêmes la favoriser. Il faut également insister sur le fait qu’affirmer que les différences entre les sexes sont ancrées dans la biologie n’a rien à voir avec le fait de défendre une supériorité des hommes vis-à-vis des femmes. Qu’il y ait des différences ne signifie pas que l’un soit meilleur que l’autre. Cela veut juste dire qu’il y a des différences. Le fait est que la biologie moderne tend à confirmer le jugement à la fois du bon sens et des partisans la loi naturelle qui affirme que la complémentarité des sexes et la structure familiale de base trouvent leur fondement dans la nature humaine et ne sont pas de pures constructions sociales contingentes. C’est ce que reconnaissent des libéraux comme Steven Pinker et Robert Wright qui somment leurs collègues égalitariens d’encadrer leurs efforts de réforme d’une façon réaliste et cohérente avec la biologie4. Si on laissait les gens faire ce qui leur semble naturel, on verrait apparaître spontanément des modèles qui reflètent la structure familiale de base et la division sexuelle traditionnelle du travail, au moins d’une manière très grossière et générale. Les évolutions dans le monde de la politique et culturelles comme la montée en puissance de l’individualisme et du féminisme en Occident peuvent affaiblir et déformer ces modèles. Mais elles ne les détruiront pas totalement. Comme Horace l’a très justement formulé, vous aurez beau chasser la nature avec une fourche, elle finira toujours par revenir. 

Au cœur du conflit 

Tout ceci nous amène enfin au conflit entre le socialisme et la famille. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, le socialisme égalitaire partage avec le libéralisme les causes suivantes : l’envie de garantir des résultats économiques égaux et un pouvoir politique égal à tous peu importe le sexe, la liberté à la protection contre toute forme de discrimination ou de stigmatisation peu importe l’orientation sexuelle. La différence entre les deux tient à cela près : les socialistes privilégient une intervention bien plus radicale de l’Etat dans l’économie pour atteindre ces objectifs. La menace que cela représente pour la famille saute peut-être déjà aux yeux de tous après ce qui a déjà été dit, mais elle a le mérite d’être explicitée. 

Il est cependant important de souligner d’emblée que c’est la tradition libérale et individualiste, et non pas le socialisme qui a fait le premier pas fondamental qui a mis la famille en danger. Le socialiste ne fait qu’emprunter la voie ouverte par l’individualiste libéral.   

Ce premier pas fondamental en question qu’a fait le libéralisme, c’est remplacer la conception aristotélicienne classique de l’être humain conçu comme un animal social par nature par l’idée libérale de l’homme conçu comme un individu souverain. C’est l’occasion de le répéter, pour les penseurs de l’Antiquité et du Moyen Âge, l’homme, par nature est fait pour la femme et la femme pour l’homme, leur union a pour résultat naturel une « nouvelle cellule familiale »5. Ce contexte familial correspond à notre état naturel : les devoirs qui en découlent s’imposent à nous non pas en vertu de quelque contrat social que ce soit sur lequel nous nous mettrions d’accord mais de notre nature. Nos droits naturels fondamentaux sont ceux de faire ce que nous avons besoin de faire afin de respecter nos obligations en tant que pères, mères et enfants. La famille est l’élément fondamental de la société et nous sommes des animaux sociaux parce que nous sommes premièrement des « animaux familiaux »6. Un individu sans famille est incomplet7. De plus, les organismes sociaux plus grands comme l’Etat existent en premier lieu pour aider et protéger la famille. 

Le libéralisme a remplacé cette vision des choses par l’idée selon laquelle l’individu constitue l’élément fondamental social et il n’est lié aux autres êtres humains uniquement par contrat et non pas par une obligation naturelle. J’ai des devoirs envers les autres si seulement j’accepte d’en assumer. Mais si je n’accepte pas cela, alors je n’ai aucun devoir vis-à-vis d’eux. De ce point de vue, l’individu n’est par nature pas fait pour la famille ou pour n’importe quelle autre fin que ce soit. On se retrouve tout simplement avec des buts individuels ou des désirs quel qu’ils soient, et aucun n’est intrinsèquement meilleur ou pire que les autres. On peut les remettre en cause seulement dans le seul cas où ils pousseraient un individu à frustrer les désirs d’autres individus. L’Etat existe dans le but de permettre à chaque individu de satisfaire ses propres désirs, quelle que soit leur nature, du moment qu’ils n’entrent pas en contradiction avec les désirs que d’autres individus cherchent à satisfaire, peu importe leur nature. Toute barrière politique ou social qui tend à empêcher des individus à accomplir leurs désirs, en particulier ceux qui sont compatibles avec la concrétisation des désirs d’autres individus, est considérée comme étant oppressive et injuste. La justice finit par être considérée comme une question de libération de ces barrières.  

L’histoire du libéralisme de Hobbes et Locke jusqu’à nos jours, et de la politique occidentale en général dans les temps modernes est par essence, l’histoire d’une réflexion des implications de cette idée fondamentale. C’est une histoire de conceptions toujours plus élargies de l’égalité et de revendications pour la libération toujours plus radicales. La célébration des diverses « expériences de vie » de l’individu par John Stuart Mill et son exhortation à démanteler les barrières érigées face à de telles expérimentations, non seulement par la loi mais également par l’opinion publique et la coutume, est une expression philosophique classique de l’idée. 

Mill était aussi parfaitement au clair sur ce qu’impliquait cette idée en ce qui concerne le mariage et la famille8. Il prétend que nous devrions être sceptiques au sujet des affirmations selon lesquels les hommes et les femmes ont par nature des rôles et des caractéristiques psychologiques différentes au motif que ces différences observées pourraient refléter l’oppression des femmes par les hommes plutôt que le libre cours de la nature. Même les femmes qui semblent naturellement préférer les arrangements traditionnels9 pourraient penser cela uniquement parce qu’elles ont intériorisé l’opinion conventionnelle au lieu d’agir normalement comme elles l’auraient fait en son absence. Mill préconisait de redéfinir le mariage comme un contrat entre des individus intéressés par leur épanouissement personnel, et non pas comme l’union organique et indissoluble pour le bien des enfants et de la famille. Ceci exigeait à son tour que les hommes et les femmes soient plus ou moins indépendants l’un de l’autre du point de vue financier à la fois avant et après le mariage, et un assouplissement des obstacles juridiques et la stigmatisation sociale du divorce. Selon Mill, une famille résultant d’un mariage doit devenir ce qu’il appelle une « école de sympathie dans l’égalité » et une « école des vertus de la liberté ». C’est-à-dire que pour Mill, la famille se doit d’être un contexte où les enfants s’imprègnent de l’idéal libéral de la liberté d’avoir part aux et l’égalité entre les diverses « expériences de vie » que les enfants « idéaux » apprennent en voyant leurs parents s’y livrer. 

Il va sans dire que le libéralisme de Mill est fondamentalement devenu dès les années 6010 le principe qui régit le fonctionnement de la société américaine moderne. Le féminisme, la révolution sexuelle et tout ce à quoi ils ont mené – l’arrivée en masse des mères sur le marché du travail, la généralisation du divorce et du remariage, l’utilisation routinière de la contraception et de l’avortement légal, la disparition de toute forme de stigmatisation envers le sexe en dehors du mariage, le mouvement pour les droits des gays et le mariage homosexuel, le mouvement pour les droits des personnes transgenres et ainsi de suite – sont tous des conséquences de l’application du principe de Mill de la liberté d’avoir diverses « expériences de vie » aux domaines du sexe, du mariage et de la famille. Mill en personne n’aurait bien évidemment pas nécessairement approuvé et encore moins prévu certaines de ces évolutions. Mais elles étaient des conséquences inévitables des principes qu’il a lui-même établis. 

Pour revenir à notre sujet principal, ces évolutions n’ont en soi rien de particulièrement socialiste. Mais pour autant, le libéralisme a eu tendance à conduire de diverses manières la société occidentale vers une direction de plus en plus socialiste en affaiblissant le point de vue moral traditionnel sur le sexe, le mariage et la famille. 

Le libéralisme a poussé la société vers le socialisme tout d’abord en considérant les principes fondamentaux du féminisme et de la révolution sexuelle comme une question de justice. De ce point de vue, il est injuste que les hommes et les femmes ne soient pas représentés dans les mêmes proportions sur le marché du travail en dehors du foyer et dans divers secteurs de carrière, que certaines femmes manquent de moyens pour acheter des contraceptions ou pratiquer des avortements, que des entreprises ou d’autres organisations privées refusent d’offrir leurs services pour un mariage homosexuel ou de recruter une personne transgenre, et ainsi de suite. Le gouvernement étant censé s’assurer que justice soit rendue, c’est pour ces raisons que les principes du libéralisme impliquent logiquement l’obligation pour le gouvernement d’intervenir dans l’économie privée afin de veiller autant que possible que les hommes et les femmes soient représentés dans les mêmes proportions dans différents secteurs, que les points de vue moraux traditionnels sur la morale sexuelle n’exercent pas une influence sur la politique de recrutement des entreprises et d’autres organisations privées, et sur leur manière de mener leurs activités, que leurs plans de santé recouvrent l’avortement et la contraception, et ainsi de suite. En résumé, l’Etat sera obligé de revendiquer pour lui-même davantage de droits de prendre des décisions sur le fonctionnement des organisations privées. Etant donné que posséder une entreprise implique comme je l’ai dit, posséder un ensemble de droits sur son fonctionnement, le fait pour l’Etat de s’arroger le droit pour lui-même de prendre des décisions à ce sujet, signifie que les entreprises privées sont en partie sa propriété – implique une « socialisation » de celles-ci, pour ainsi dire. 

L’écroulement de la morale traditionnelle du sexe, du mariage et de la famille a tendance à donner lieu au socialisme de cette deuxième manière : plus la structure familiale traditionnelle s’écroule, plus on se retrouve avec des individus – en particulier les mères isolées et les enfants – sans moyens « privés » suffisants pour vivre et qui ont donc davantage besoin d’aides financières du gouvernement. Cela semble une explication plausible de ce que les experts en sciences sociales ont appelé « le trou du mariage »11 dans les habitudes de vote aux Etats-Unis12. Les hommes et les femmes mariés ont tous deux plus de chance de voter pour des candidats conservateurs. A l’inverse, les hommes et les femmes non mariés ont beaucoup plus de chance de voter pour des candidats libéraux. Si vous êtes un gagne-pain assez efficace pour subvenir aux besoins de votre famille ou son épouse, vous aurez besoin de moins d’aides financières de la part de l’Etat et vous serez tout naturellement agacés par le fait que l’Etat pioche dans vos revenus alors qu’ils auraient pu être utilisés au profit de votre famille. A l’inverse, si vous n’avez pas de famille à nourrir, vous serez moins énervés par les impôts, et si vous êtes une mère qui élève ses enfants seule ou une femme incapable de trouver un mari, vous êtes tout naturellement tenus de considérer le gouvernement comme un pourvoyeur financier de la famille par substitution. 

Ce sont des facteurs clés qui mènent au socialisme, mais il faut prendre en compte un troisième type de facteurs : des facteurs spirituels et moraux. Les êtres humains sont par nature des animaux sociaux, et demeurent ainsi, même lorsque l’individualisme libéral les empêche d’accomplir leur nature sociale comme ils l’ont toujours fait traditionnellement. Les gens aspirent à appartenir à quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes, et quand la famille n’est plus là pour répondre à ce besoin, ils y chercheront un substitut. C’est qui peut rendre attractive l’idée d’une société socialiste, tout particulièrement pour les jeunes qui n’ont jamais connu une vie de famille stable dans une culture où le divorce, le remariage, les enfants en dehors du mariage et les familles monoparentales sont généralisés, avec les beaux-pères que tout cela implique. En même temps, la révolution sexuelle a transformé les gens en créatures pleines d’appétits et de convoitises, impatients et incapables de supporter la moindre discipline, et qui souhaitent recevoir des bénéfices sans produire le moindre effort. 

Si le déclin des familles traditionnelles a tendance à mener la société au socialisme, le socialisme a également tendance à leur porter atteinte. Il existe un lien de causalité dans les deux sens. Examinons d’abord la politique socialiste d’un point de vue purement économique. Les socialistes défendent un revenu de base universel, un système de santé à payeur unique, un financement public de l’éducation pour tous, études supérieures incluses et de lourdes taxes de succession. C’est donc l’Etat qui subvient à tous ces besoins matériels élémentaires et non pas le père de famille, ni même le père et la mère. Ceci étant, le rôle de « gagne-pain » disparaît et avec lui, la motivation qu’avaient les pères pour subvenir aux besoins de leurs enfants et celle qu’avait les mères pour chercher un père dans ce même but. L’Etat devient de facto le gagne-pain de tous et détruit les liens économiques qui rapprochent le père, la mère et les enfants. Bien entendu, la dépendance vis-à-vis de l’État serait d’autant plus grande dans une nationalisation socialiste à part entière des moyens de production ou dans une société où la propriété privée serait abolie. Il faut toutefois bien souligner que même dans un socialisme plus « léger » qui n’irait pas aussi loin, et qui se contenterait uniquement de mettre en place de telles mesures redistributives, l’Etat finirait par assumer, en substance, le rôle de pourvoyeur matériel de tous les citoyens. Les parents seraient réduits au statut d’administrateurs locaux des largesses de l’Etat. 

Il faut cependant savoir que l’Etat socialiste n’usurpe pas seulement la fonction de pourvoyeur matériel des parents. Celui qui paie les violons choisit la musique. Si l’Etat paie les factures, c’est donc lui aussi qui décidera pour quoi il paiera, quand et comment. Les militants libéraux passent déjà beaucoup de temps à se demander si les parents prennent les bonnes décisions sur ce que mangent leurs enfants, s’il faut les vacciner, et ainsi de suite, et sont prêts à interférer dans ces décisions des parents relatives à la santé de leurs enfants en interdisant la « junk-food » dans les écoles et en exigeant la vaccination obligatoire. Les libéraux sont aussi déjà prêts à interférer avec les décisions des parents liées à la santé de leurs enfants d’une manière bien plus significative, dans la mesure où ils se sont opposés depuis bien longtemps aux lois qui obligent à prévenir les parents et à obtenir leur consentement quand un mineur demande un avortement. Ils s‘opposent désormais bien souvent aux lois qui nécessitent le consentement parental quand un mineur souhaite bénéficier de traitements transgenres comme des injections hormonales. L’existence d’un Etat socialiste où le gouvernement s’immisce de plus en plus dans la sphère privée en général et contrôle plus spécifiquement, directement le système de santé, finira inévitablement par usurper le rôle des parents dans la prise de décisions liées à la santé d’une manière encore plus radicale que ce que font déjà les gouvernements libéraux. Dans un Etat socialiste, cela impliquera forcément des cours d’éducation à la sexualité obligatoires – présentés comme une forme d’éducation à la santé et fondés sur les valeurs du féminisme et de la révolution sexuelle – et une mise à disposition directe par l’Etat aux mineurs de moyens de contraception, de l’avortement et de traitements transgenres. 

Vu de cette manière, l’Etat socialiste, même cantonné à son rôle d’unique pourvoyeur de soins de santé aura une influence considérable dans le façonnement de la personnalité des enfants. Il aura tout naturellement une influence encore plus profonde dans son rôle d’unique pourvoyeur de l’éducation des enfants. Dans un Etat profondément socialiste, les écoles privées et l’école à la maison seront abolies, et tous les enfants seront obligés d’être scolarisés dans les écoles publiques. Mais même un gouvernement socialiste qui s’abstiendrait d’aller si loin pourrait obtenir des résultats à peu près similaires en réglementant strictement le contenu de l’enseignement privé. Inutile de dire que ce sont les valeurs du féminisme et de la révolution sexuelle qui détermineraient ce qu’on enseigne aux enfants, et comment on le fait. Tout ce qui serait ressemblerait à ce que les libéraux et les socialistes qualifient de sexisme, d’homophobie, de transphobie et autres choses du même genre serait interdit. La vision de Mill d’une société déterminée à favoriser diverses « expériences de vie » deviendrait par essence une sorte de religion d’Etat inculquée dès la maternelle et qui sous-tend chacune de ses politiques. Les seules « expériences de vie » interdites seraient celles qui impliquent un retour au système traditionnel de la famille ou à un mode de vie religieux traditionnel. Enseigner ce genre de choses à ses propres enfants serait interdit car considéré comme une forme de maltraitance des enfants. 

L’usurpation par l’Etat socialiste du rôle traditionnelle de la mère, tout autant que celui du père facilitera cette prise de fonction de façonner la personnalité des enfants. Des socialistes comme Friedrich Engels, le collaborateur de Marx, et Simone de Beauvoir ont affirmé que l’égalité des femmes était un but impossible à atteindre tant que certaines femmes continuaient à se consacrer à la maternité et l’éducation des enfants13. Selon leur estimation, ce choix reflète une sorte de fausse conscience, l’internalisation de l’idéologie patriarcale qui n’a pas à être respectée. Libérer les femmes de cette oppression patriarcale implique de les libérer du foyer, ce qui implique à son tour de les obliger à intégrer le monde du travail en entreprise. En parfait accord avec cette manière de penser, l’écrivaine féministe Sarrah Le Marquand a affirmé dans un article controversé publié en 2017 qu’il devrait être illégal pour une femme d’être femme au foyer14. Sarrah Le Marquand écrit que : 

Ce n’est que lorsqu’on tuera et qu’on enterrera l’affirmation fastidieuse et totalement infondée selon laquelle « le féminisme est une question de choix » (ce n’est pas une question de choix, c’est une question d’égalité) que nous reléguerons les stéréotypes sexistes dans l’histoire. 

Peu de socialistes sont prêts à dire ce genre de choses, au moins publiquement. Mais c’est une conclusion tout à fait naturelle à tirer si l’on emploie des moyens socialistes à des fins féministes. De plus, des politiques moins extrêmes ont le même but. Le but des crèches subventionnées par le gouvernement est, bien évidemment, de faire sortir plus facilement les mères de leurs foyers pour les faire retourner sur le marché du travail. Cela permet en plus d’offrir un contexte éducatif où l’Etat socialiste peut commencer à façonner la personnalité des enfants dès leur plus jeune âge – ce que les femmes faisaient traditionnellement en restant aux côtés de leurs enfants toute la journée et ce pendant l’intégralité de leurs premières années de vie. Le but est de rendre les hommes et femmes essentiellement identiques – des collègues de travail dans la sphère publique qui poursuivent chacun leurs propres objectifs de carrière individuels – en faisant disparaître les rôles paternels et maternels propres à chacun et en transformant les couples en colocataires qui ont des relations sexuelles et qui sont chargés d’administrer les services de l’Etat aux enfants. 

Rappelez-vous qu’avoir un droit de propriété sur une chose équivaut à posséder un ensemble de droits sur celle-ci. Bien qu’on ne puisse pas vraiment dire que les parents possèdent leurs enfants, ces derniers sont sous leur responsabilité, et celle-ci ressemble à la propriété en ce qu’elle implique un ensemble de droits similaires sur eux. La responsabilité parentale implique des droits comme celui de prendre des décisions pour subvenir aux besoins de ses propres enfants, celui de prendre des décisions en ce qui concerne leur éducation, celui de prendre des décisions liées à leur santé, et ainsi de suite. Mais comme je l’ai soutenu auparavant, l’Etat socialiste s’arrogera de tels droits au moins dans une grande mesure. En outre, il mettra en place, au nom du féminisme et de la révolution sexuelle, des politiques qui atténueront les rôles traditionnels de père et de mère des hommes et des femmes, et valorisera le carriérisme individualiste et la liberté sexuelle au détriment du sacrifice de soi pour la famille. C’est de cette façon que l’Etat socialiste se fera le père et la mère de tous, et transformera les parents biologiques en quelque chose qui s’apparente aux nounous qui mettent en œuvre les directives de cet « État-papa »15. Son but est de transformer les êtres humains des animaux sociaux qu’ils sont, en animaux socialistes. 

Ce qu’il y a à craindre, ce n’est pas qu’un tel programme réussisse. Si l’économie socialiste s’oppose à l’ordre naturel des choses, c’est encore plus le cas des politiques familiales socialistes. Elles sont vouées à l’échec. Le problème est que le socialisme, le féminisme radical et la révolution sexuelle sont des idéologies révolutionnaires, et que celles-ci n’admettent jamais que leurs révolutions ont échoué, peu importe à quel point les preuves sont accablantes. Ils en concluent plutôt que la révolution n’est pas encore allée assez loin, et redoublent d’effort tout en accusant ceux qui résistent à leur révolution d’être responsables de la souffrance humaine dont ils sont pourtant eux-mêmes inévitablement à l’origine par leur révolution. C’est ce qui s’est passé dans l’Union soviétique, dans la Chine communiste, à Cuba, en Corée du Nord, et c’est ce qui est en train de se passer au Venezuela. C’est aussi ce qui s’est passé dans le sillage de la révolution sexuelle. 

Comme l’ont démontré des experts en sciences sociales tels que David Popenoe et David Blankenhorn, les enfants qui ont grandi dans des familles sans père ont plus de chance d’être sujets à des problèmes émotionnels et comportementaux, des problèmes de santé et des problèmes scolaires, d’avoir de plus grandes difficultés dans leurs propres relations personnelles et dans leurs mariages, de commettre des crimes, d’être victimes d’abus et de vivre dans la pauvreté16. Des experts toujours en sciences sociales comme Betsey Stevenson et Justin Wolfers ont noté qu’au fur et à mesure que l’agenda du féminisme et de la révolution sexuelle transformait la société occidentale dès la fin des années 1960, les sondages d’opinion ont systématiquement permis de constater une corrélation avec un déclin constant du bonheur chez les femmes, à la fois en termes absolus et en termes relatifs au bonheur rapporté chez les hommes17. Les féministes ont nié que les hommes et les femmes différaient fondamentalement dans leur rapport au sexe, et la révolution sexuelle a détruit les normes traditionnelles en lien avec la modestie et la galanterie masculine. Tout ceci a eu pour conséquence l’explosion des comportements pervers agressifs à l’origine du mouvement #MeToo. Et pourtant, les défenseurs de la révolution sexuelle refusent d’admettre l’évidence : que les enfants ont besoin à la fois d’un père et d’une mère, que les normes traditionnelles telles que la pudeur et la retenue ont protégé les femmes des hommes rustres, que les femmes sont biologiquement programmées pour désirer avoir des enfants et un pourvoyeur stable, et que la plupart seront par conséquent malheureuses lorsque le carriérisme et la promiscuité sexuelle retarderont ces choses, ou les laisseront même sans enfants, non mariées et seules à l’âge mûr. Et puis il y a le nombre terrifiant d’avortements pratiqués depuis les débuts de la révolution sexuelle – des dizaines de millions. Quand une mère, pourtant biologiquement conçue pour élever et protéger un enfant, le tue, alors qu’il est encore à son état le plus vulnérable, cela laisse inévitablement en elle des traces de culpabilité et un vide profond que les fausses excuses idéologiques du féminisme ne pourront que difficilement mettre sous le tapis. 

La nature catastrophique de la révolution sexuelle est un sujet à part entière que je n’aborderai pas plus en détail ici. Il suffira pour l’heure, de noter qu’à mesure que le libéralisme américain se transformera en socialisme, ces conséquences néfastes ne feront qu’empirer, les défenseurs de la révolution sexuelle s’endurciront encore plus dans la pensée idéologique qui les empêche d’admettre la cause de la catastrophe, et l’initiative délirante dans son ensemble recevra comme soutien la pleine puissance de l’Etat. 

L’action politique est naturellement nécessaire pour contrer cette tendance, mais chacun de ces succès politiques sera limité et temporaire tant qu’on ne traitera pas la cause profonde de la crise de la famille. Cette cause profonde, c’est le culte de l’individu souverain, et malheureusement, un trop grand nombre de conservateurs adhère à moitié à un tel culte. La tentation est forte chez les conservateurs, surtout ces dernières années, de troquer la riche tradition conservatrice axée sur la famille, la culture et la religion, qui va de Edmund Burke à Roger Scruton, pour la maigre bouillie du libertarianisme18. Sur le court terme et dans certains cas, cette stratégie présente bien des avantages politiques, mais sur le long terme, elle est suicidaire. L’économie de marché et la société libre ne peuvent survivre sans des familles fortes et indépendantes. Ce que Margaret Thatcher a dit de la première vaut également pour la seconde : Il n’y a aucune alternative. 


Illustration : Vincent van Gogh, Cabane avec paysan rentrant chez lui, huile sur toile, 1885.

  1. Je remercie mon ami Michaël L. de mon Eglise pour son aide pour cette phrase compliquée.[]
  2. WILSON, James Q., The Marriage Problem: How Our Culture Has Weakened Families (New York: HarperCollins, 2002), p. 24.[]
  3. Traduction approximative de the family unit.[]
  4. PINKER, Steven, The Blank Slate: The Modern Denial of Human Nature (New York: Penguin Books, 2002), chapter 18; and WRIGHT, Robert, The Moral Animal: The New Science of Evolutionary Psychology (New York: Vintage Books, 1995), chapitre 2-7.[]
  5. Traduction approximative de new family unit.[]
  6. Traduction approximative de familial animals.[]
  7. Traduction approximative de incomplete.[]
  8. Cf. Voir l’analyse utile des positions de Mill dans YENOR, Scott, Family Politics: The Idea of Marriage in Modern Political Thought (Waco, TX: Baylor University Press, 2011), Chapitre 6.[]
  9. Traduction approximative de traditional arrangements.[]
  10. Dans le contexte francophone, on parlera plutôt chez nous de mai 68.[]
  11. Traduction approximative de mariage gap.[]
  12. WILCOW, W. Bradford, « Mind the Marriage Gap: The 2014 Election Edition, » Institute for Family Studies (November 6, 2014)[]
  13. ENGELS, Friedrich, The Origin of the Family, Private Property and the State (New York: Penguin Books, 2010); DE BEAUVOIR, Simone, Le Deuxième Sexe ; et l’analyse de YENOR dans Family Politics, Chapitres 7 et 9.[]
  14. LE MARQUAND, Sarrah, « It Should Be Illegal to Be a Stay-at-home Mum, » Daily Telegraph (Mars 20, 2017).[]
  15. Traduction approximative de governmental parent.[]
  16. BLANKENHORN, David, Fatherless America (New York: Basic Books, 1995); and POPENOE, David, Life Without Father (New York; The Free Pres, 1996).[]
  17. STEVENSON, Betsey et WOLFERS, Wolfers, 2009. « The Paradox of Declining Female Happiness, » American Economic Journal: Economic Policy 1: 2190-2225.[]
  18. Traduction approximative de the thin gruel of libertarianism[]

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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