Voici une traduction d’un article du philosophe catholique thomiste Edward Feser. Dedans, il explique pourquoi le sexe est un sujet très important sur le plan moral, contrairement et en réaction à ce qu’affirme par exemple le philosophe Peter Singer (le sexe n’est pas une activité plus spéciale que conduire sa voiture). Pour cela il se base sur la morale sexuelle traditionnelle. Vous pouvez retrouver ici la deuxième partie de cet essai sur le sexe.
Dans la deuxième édition de son livre Questions d’éthique pratique, Peter Singer écrit que :
« [L]a première chose à dire au sujet de l’éthique, c’est qu’elle n’est pas un ensemble d’interdictions qui porte particulièrement sur le sexe. À l’ère même du SIDA, le sexe ne soulève aucun problème de morale particulier. Les décisions relatives au sexe peuvent impliquer des considérations sur l’honnêteté, le souci des autres, la prudence, et ainsi de suite. Mais le sexe à cet égard n’a rien de spécial car on pourrait en dire autant des décisions concernant la conduite d’une voiture. » (p. 2, souligné dans le texte original)
J’ai longtemps considéré cela comme l’une des choses les plus débiles qu’un philosophe ait jamais dites. Il est tout à fait évident que le sexe a une importance morale toute particulière, et même considérable. Et c’est pourquoi toutes les religions du monde, ainsi que de grands penseurs allant de Platon à Augustin, Thomas d’Aquin, Kant ou Freud ont pensé que le sexe avait une importance morale considérable. Il n’est même pas nécessaire d’être en accord avec les enseignements spécifiques à n’importe laquelle de ces religions ou de ces penseurs pour reconnaître que le sexe revêt une importance morale particulière. En réalité, il n’est pas non plus nécessaire de prendre position sur les questions sensibles habituelles – l’avortement, les relations extraconjugales, l’homosexualité, la contraception, etc. – pour comprendre que le sexe revêt une signification particulière. Ce qui demande un réel effort, en revanche, c’est de tout faire pour ne pas voir cette importance unique. Cela exige qu’il y ait à la fois un schéma idéologique, de la malhonnêteté intellectuelle et de la paresse, ou tout simplement une “évidente insensibilité morale”1 – ou encore un mélange de tout cela, comme c’est le cas chez les « éthiciens » comme Singer.
Le sexe revêt une signification morale bien particulière sous au moins trois aspects, et cela de manière évidente :
1. Le sexe est le moyen par lequel de nouvelles personnes viennent au monde. Notre manière de traiter les autres, notamment lorsqu’il est question de vie ou de mort, revêt évidemment une signification morale. L’éthique s’occupe justement en grande partie (même si pas que) de la manière dont nous traitons les autres. Puisque le sexe est précisément ce qui permet à de nouvelles personnes de venir au monde, il est évident qu’il revêt une signification morale bien particulière. Rajoutons à cela que personne ne nie que nous avons des responsabilités morales particulières vis à vis de nos proches, et en particulier envers nos enfants. Or, les nouvelles personnes auxquelles nous donnons vie par le sexe sont précisément nos enfants. Il s’ensuit donc que le sexe revêt une importance morale indéniable.
Certains contestent néanmoins le fait que de nouvelles personnes viennent à exister directement par le sexe. Par exemple, ceux qui défendent l’avortement soutiennent souvent que les embryons et même les fœtus ne sont pas vraiment des personnes mais seulement des « personnes potentielles ». Je ne partage évidemment pas cette opinion. Les embryons et les fœtus ne sont pas des « personnes potentielles ». Elles sont bien des personnes, mais elles n’ont pas encore réalisé certains de leurs potentiels clés. Mais nous n’avons pas besoin d’entrer ici dans ce débat. Même ceux qui tiennent de tels propos admettent que l’avortement soulève de graves problèmes de morale auxquels les défenseurs de l’avortement doivent se confronter. Ils admettent, au moins, que les embryons et les fœtus sont des « personnes potentielles » dans un sens où d’autres entités ne le sont pas car ils ont naturellement tendance à devenir des personnes, ce qui n’est pas le cas d’autres choses (comme un ovule non fécondé ou un chien). Or, il se trouve que le sexe est bien évidemment le moyen par lequel ces « personnes potentielles » viennent à exister. D’où il suit qu’on peut faire établir un lien indirect entre le sexe et l’engendrement de nouvelles personnes. Si l’avortement des « personnes potentielles » soulève des graves problèmes de morale, il en découle que le sexe soulève également de graves problèmes de morale.
Certes, les défenseurs de l’avortement diffèrent pour dire à quel point les problèmes moraux suscités par l’avortement sont sérieuses. Certains reconnaissent que l’avortement est pour le moins regrettable et qu’il vaut mieux l’éviter toutes choses égales par ailleurs, même s’ils estiment qu’il doit rester un droit. Ils affirment que l’avortement devrait être « sûr, légal et rare ». D’autres, en revanche, ne se préoccupent guère de savoir s’il est rare. Mais même ces derniers admettent en général qu’il faut un certain nombre d’arguments pour montrer que leur position est moralement défendable. Ainsi, même Peter Singer — qui explique que son livre « ne fait nullement mention de la morale sexuelle » car, selon lui, le sexe n’a pas de signification morale particulière — consacre un chapitre entier à la question de l’avortement. Or, sans le sexe, il n’y aurait évidemment aucun débat sur l’avortement. Par conséquent, si même Singer admet que l’avortement soulève des problèmes moralement importants, il devrait aussi admettre que le sexe revêt une signification morale bien particulière. Après tout, la plupart des avortements ont pour objectif d’éviter d’assumer la responsabilité morale toute particulière d’un nouvel être humain qu’impliquerait l’enfant si on le laissait naître. Même les défenseurs de l’avortement devraient admettre que tout comportement qui place une personne dans la situation où elle doit choisir entre avorter ou assumer la responsabilité morale bien particulière d’un nouvel être humain est un comportement qui revêt une importance morale significative.
Vous remarquerez que mettre en évidence que la plupart des comportements sexuels ne donnent pas vraiment la vie à de nouvelles personnes, ou que de nouvelles personnes pourraient venir au monde par d’autres moyens (l’insémination artificielle et le clonage) ne constitue pas une objection convaincante. Il est évident que le sexe et la procréation sont liés d’une manière bien particulière. D’une part, la fonction biologique du sexe est de donner vie à de nouvelles personnes, même si dans les faits, il n’aboutit pas toujours à un tel résultat. Le sexe existe en premier lieu pour remplir cette fonction reproductive. (Cela vaut, qu’on adopte une analyse naturaliste réductionniste ou une analyse aristotélicienne non réductionniste de la fonction biologique, et ce, quoi qu’on pense des implications morales spécifiques que nous, défenseurs de la loi naturelle traditionnelle, en tirons.)
D’autre part, les autres moyens de procréation sont soit relativement rares (seul un faible pourcentage de grossesses est le fruit d’une insémination artificielle), soit encore purement théoriques (le clonage). En tout état de cause, ils viennent parasiter la façon par laquelle les nouvelles personnes viennent habituellement au monde, à savoir les relations sexuelles. C’est uniquement parce que les humains se reproduisent déjà en général au moyen du sexe qu’il existe des processus naturels sur lesquels nous pouvons intervenir pour engendrer des personnes par ces moyens différents et inédits.
Considérez l’analogie suivante. On peut supposer que la plupart des gens qui abordent le sexe de la même manière que Singer diraient aussi que les armes à feu soulèvent de sérieuses questions morales contrairement à d’autres artefacts humains, en raison des dangers particuliers qu’elles représentent pour la vie humaine. Ils diraient en plus que cela malgré le fait que la plupart des morts ne découlent pas de l’usage d’armes à feu et que la plupart des décès ne découlent pas de l’usage des armes à feu. En effet, les armes à feu ont une propension à causer la mort, ce qui justifie qu’on les utilise avec une grande prudence. Ce qui soulève des questions morales et juridiques. (Vous noterez que ces questions se posent quelle que soit la réponse qu’on y apporte. L’argument ne dépend pas d’une position libérale ou conservatrice sur des questions liées à la réglementation des armes à feu.) De la même manière, le sexe a évidemment une propension à engendrer de nouvelles personnes, ce qui suffit à lui conférer une signification morale particulière. Et ce même si toutes les relations sexuelles ne donnent pas vie à de nouvelles personnes et si toutes les nouvelles personnes ne viennent pas de relations sexuelles.
2. Le sexe est le moyen par lequel nous nous épanouissons en tant qu’hommes et femmes. Il va sans dire que les organes sexuels d’une personne ont besoin de ceux d’un être humain du sexe opposé pour remplir leur fonction biologique. En ce sens, sans le sexe, nous restons “incomplet”2. Mais cela ne se résume pas à une simple question de plomberie ou de physiologie. La plupart des gens, à un moment ou un autre de leur vie, ressentent de la frustration et un manque d’épanouissement s’ils ne peuvent pas vivre une relation romantique avec une autre personne, relation qui a pour suite logique le sexe. Comme je l’ai soutenu dans un article précédent avec des arguments basés sur la loi naturelle, notre psychologie, tout comme notre physiologie, nous oriente naturellement vers un autre être humain comme fin indispensable à notre accomplissement. Comme j’y ai aussi défendu la chose suivante : cette psychologie sexuelle forme un continuum qui va, pour reprendre la terminologie de C. S. Lewis, du simple désir sexuel (Vénus) à l’une des extrémités au véritable élan romantique (Éros) à l’autre extrémité.
Il y a bien sûr des exceptions. Certains renoncent à ce genre de relations car ils sont appelés à un état de vie plus noble comme le sacerdoce ou la vie religieuse. C’est précisément parce que ce bien est plus noble que ceux qui y sont appelés parviennent à dépasser l’insatisfaction qu’un tel renoncement pourrait entraîner. D’autres encore ne ressentent tout simplement aucun désir sexuel ou romantique significatif. Mais dans la majorité des cas, les êtres humains souffriront de l’absence de relations sexuelles avec un autre être humain.
Pour notre part, en tant que types qui défendent la loi naturelle traditionnelle, nous soutenons bien sûr que ce genre de relations ne devraient exister que dans le cadre du mariage. Et aussi (comme j’ai abordé cela dans un autre article) que la fin naturelle vers laquelle se dirige la psychologie sexuelle de l’homme est un être humain du sexe opposé et non vers “une personne” abstraite. Mais encore une fois, en ce qui nous concerne ici, il n’est pas nécessaire d’être d’accord avec tout cela. Le livre de la Genèse décrit notre incomplétude sexuelle avec des termes résolument à connotation hétérosexuelle. Le mythe d’Aristophane dans le Banquet de Platon la dépeint avec bien plus de liberté. Mais dans les deux cas, ces récits témoignent aujourd’hui de l’ancienneté de l’idée selon laquelle un être humain a besoin sexuellement d’un autre être humain pour s’accomplir. Les militants du « mariage pour tous » témoignent tout autant de ce besoin dans la mesure où ils défendent le “mariage pour tous” au nom de l’amour romantique et de l’épanouissement personnel.
Subir des échecs dans la vie amoureuse peut non seulement s’avérer en soi frustrant mais peut aussi affecter l’estime de soi d’une personne. Tout comme le fait de se sentir incapable d’attirer ou de satisfaire un partenaire. C’est pourquoi il est particulièrement cruel et humiliant de se moquer des sentiments romantiques d’une personne, de dénigrer son attractivité envers le sexe opposé ou ses performances sexuelles. De même, la dimension sexuelle d’un préjudice ou d’un drame personnel le rend bien plus dur à supporter. On considère l’adultère comme une trahison bien plus profonde qu’une simple rupture de contrat. Le viol et la pédophilie sont bien plus cruels et provoquent des traumatismes bien plus graves qu’une agression physique sans connotation sexuelle. Révéler des détails intimes sur la vie sexuelle d’une personne est bien plus humiliant que divulguer des irrégularités financières ou d’autres crimes.
Le fait que les gens accordent autant d’importance au sexe — qu’ils estiment que réussir dans ce domaine est essentiel à leur bonheur et qu’y échouer est source de misère — montre qu’il est tout simplement grotesque de dire comme le fait Singer que « le sexe ne soulève aucun problème de morale particulier » ou qu’il « n’a rien de spécial » vis-à-vis des considérations d’ordre morale le concernant. Au vu de l’importance que les gens accordent au sexe, il va de soi qu’ils peuvent causer de lourds préjudices graves à eux-mêmes ou aux autres selon leurs comportements sexuels. Dire le contraire reviendrait à affirmer qu’être parent, extrêmement riche, policier ou fonctionnaire n’a rien de spécial sur le plan moral.
For example, you could with no less plausibility say about the distribution of wealth or the state of the environment that they “raise no unique moral issues at all” and that “there is nothing special about” them, but that they merely involve attention to “considerations of honesty, concern for others, prudence, and so on… [which apply also to] decisions about driving a car.” Yet Singer devotes to each of these topics a chapter in Practical Ethics, and has devoted much attention to them elsewhere as well.
Il est absurde de prétendre que les considérations d’ordre moral sont totalement extrinsèques au sexe — qu’elles se limitent à « des considérations sur l’honnêteté, l’attention aux autres, la prudence, etc. [choses qui s’appliquent aussi] aux décisions quand on conduit une voiture. », et qu’elles ne diffèrent en rien des décisions à prendre en matière de conduite automobile, comme l’affirme Singer. Vous pourriez tout à fait en dire autant des questions que Singer considère comme particulièrement importantes. Vous pourriez par exemple affirmer avec autant de plausibilité que la répartition des richesses ou l’état de l’environnement « ne soulèvent aucun problème de morale particulier » et « n’ont rien de spécial », mais se réduisent à « des considérations sur l’honnêteté, l’attention aux autres, la prudence, etc. [choses qui s’appliquent aussi] aux décisions quand on conduit une voiture. », tout comme la conduite automobile. Pourtant, Singer consacre à chacun de ces sujets un chapitre entier dans Practical Ethics et s’est particulièrement penché dessus dans d’autres écrits.
3. Le sexe est le domaine de la vie humaine où le côté animal de notre nature lutte de la façon la plus implacable contre son côté rationnel. Le plaisir sexuel est le plus intense de tous les plaisirs. Cela s’explique par les éléments évoqués dans les deux premiers points. Le sexe est nécessaire pour engendrer de nouveaux êtres humains, mais cela nous impose des coûts et des responsabilités énormes que nous sommes très réticents à assumer. La nature est ainsi faite que le sexe est si agréable que les gens y ont recours malgré sa propension à engendrer de nouvelles personnes qu’ils devront prendre en charge. Le sexe est également l’acte qui consomme les relations amoureuses de la manière la plus intime sur le plan à la fois physique et émotionnel, ou la plus unificatrice3, relations dans lesquelles nous cherchons à combler notre sentiment d’incomplétude. Cela ajoute au plaisir une dimension psychologique riche, renforçant ainsi ce qui procure déjà un plaisir intense à un niveau purement animal.
Il n’est donc pas surprenant que la satisfaction promise par ce genre de plaisir nous pousse à faire toutes sortes de choses profondément irrationnelles. Beaucoup de gens risquent de ruiner leur réputation et de briser des familles, y compris la leur, pour quelques instants de plaisir sexuel. La passion sexuelle ou romantique peut empêcher certaines personnes de voir qu’une personne donnée ne peut tout simplement pas être un époux ou une épouse convenable ou quelqu’un avec qui avoir des enfants. La jalousie romantique et sexuelle peut pousser certains à espionner ou harceler l’objet de leurs affections, voire à commettre un meurtre. La quête du plaisir romantique et sexuel peut revêtir un caractère compulsif. C’est pourquoi les gens adoptent des mœurs sexuelles libres ou deviennent accros à la pornographie, ou en proie à des fantasmes romantiques excessifs : ils tombent amoureux et rompent sans cesse. L’amour romantique ou le désir sexuel peuvent bien sûr nous pousser de diverses façons moins graves à faire des choses que nous aurions en temps normal de toute évidence trouvé stupides (des tentatives irréfléchies pour impressionner une personne par laquelle on est attiré, des avances oscènes, etc.).
Il y a une autre façon par laquelle le sexe peut nous conduire à nous comporter de manière irrationnelle. Nous pouvons être à tel point troublés par sa tendance à nous faire agir ainsi que nous réagissons de manière excessive face à ses dangers potentiels. Horrifiés par les extrêmes auxquels certains vont dans leur quête du plaisir sexuel, d’autres peuvent parfois avoir tendance à se tourner vers l’extrême opposé. Ils en déduiront peut-être pudiquement que tout plaisir sexuel est, par nature, suspect et qu’il vaut mieux l’éviter complètement, ou au moins autant que possible, même dans le mariage. Même mariés, certains peuvent se préoccuper minutieusement des moindres détails de chaque désir sexuel ou de chaque aspect de leurs ébats amoureux, constamment en proie à la panique de savoir s’ils sont tombés dans le péché. (Cette tendance est, bien sûr, beaucoup moins rare aujourd’hui que l’extrême inverse. Mais si l’on se base sur les quelques énergumènes que vous pouvez trouver en train de donner des leçons sur internet et sur certains e-mails occasionnels que je reçois, elle existe bel et bien. Elle a certainement existé historiquement chez un grand nombre de personnes.)
Tout le monde sait tout cela ; encore une fois, vous n’avez pas besoin d’être d’accord avec la théorie traditionnelle de la loi naturelle pour comprendre ce point. Mais il est évident que cette tendance qu’a le sexe à obscurcir capacité à raisonner revêt une signification morale bien particulière. Ce à quoi elle nous tente, c’est un certain vice. Il existe donc aussi une vertu en matière de sexe, un juste milieu qui permet d’éviter les extrêmes irrationnels. Ceux qui rejettent la théorie traditionnelle de la loi naturelle seront évidemment en désaccord sur le contenu spécifique de la vertu en matière de sexe. Mais il est tout simplement contraire à la raison de prétendre, comme le fait Singer, que « le sexe ne soulève aucun problème de morale particulier. ».
Effectivement, ceux qui, face à l’implacable évidence, disent que le sexe n’est « ne représente pas grand chose »4, ne font qu’ainsi fournir un nouvel exemple d’irrationalité à laquelle nous sommes sujets en matière de sexe. Car ce genre de remarque constitue bien souvent une tentative de rationaliser ou d’excuser un comportement sexuel largement jugé moralement discutable, mais auquel la personne souhaite pourtant se livrer.
Jusqu’à présent, j’ai eu recours à des considérations avec lesquelles toute personne raisonnable devrait être d’accord, qu’elle accepte ou non tout ce qu’un défenseur de la loi naturelle ou un théologien moraliste catholique maintiendrait concernant la morale sexuelle. Ce que je cherche à montrer, c’est qu’il n’est pas nécessaire d’adopter la morale sexuelle traditionnelle dans son ensemble pour constater que le sexe a bien le genre de signification morale que Singer refuse de lui accorder.
Toutefois, même tout ce qui a été dit jusqu’ici contribue largement à démontrer à quel point la morale sexuelle traditionnelle est raisonnable. La théologie morale catholique distingue trois fins ou buts du mariage : la procréation et l’éducation des enfants, l’aide mutuelle des époux et l’apaisement de la concupiscence. Il devrait être évident que ces fins visent précisément à traiter les trois aspects sous lesquels le sexe soulève des problèmes de morale particuliers. Le sexe a tendance à aboutir à l’engendrement de nouveaux êtres humain. Le mariage permet d’assurer à ces nouveaux êtres humains un environnement stable dans lequel leurs besoins matériels et spirituels peuvent être satisfaits. Notre désir de relations sexuelles et romantiques reflète notre sentiment d’être profondément incomplets. L’institution du mariage, par laquelle nous nous engageons envers une autre personne à travers vents et marées, permet de nous garantir que nous trouverons une complétude5 stable et substantielle plutôt qu’éphémère et superficielle. Le désir sexuel nous pousse à agir à l’encontre de la raison d’une manière susceptible de nuire à la fois à nous-mêmes et les autres. Le mariage permet d’exercer un contrôle de soi au niveau de ses ces désir sexuels en les canalisant d’une façon à la fois bénéfique pour la société et propice à nos propres intérêts.
Il est évident qu’il y aurait besoin d’autres arguments pour défendre l’ensemble des affirmations que la théologie morale catholique et la théorie due la loi naturelle font au sujet de la morale sexuelle, mais ce n’est pas le sujet ici. Ce qui compte, c’est plutôt qu’il n’y a tout simplement aucun fondement pour affirmer — Singer n’est certainement pas un cas isolé — que « le sexe ne soulève aucun problème de morale particulier » ou pour soutenir l’allégation ennuyeuse qu’il est courant d’entendre selon laquelle les préoccupations des moralistes traditionnels à l’égard de la morale sexuelle ne sont que le reflet de la pure superstition ou de la pruderie.
Beaucoup plus pourrait être dit au sujet des problèmes de morale particuliers que le sexe soulève d’un point de vue spécifiquement thomiste (et donc inévitablement plus controversé). Mais pour cela il faudra attendre un prochain article.
Illustration : Henri Bles, Paysage avec Sodome en feu, Loth et ses filles, 1530 (Musée national de Varsovie).
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