Y a-t-il un dogme central en théologie réformée ?
4 juillet 2025

Cet article est une dissertation faite pour le cours de dogmatique de la Faculté Jean Calvin.

Je me souviens d’un auteur, dont malheureusement je n’ai pas gardé de note, qui disait que toute la doctrine réformée était le développement organique et logique de la seule doctrine de la prédestination. Peut-on vraiment identifier un dogme central autour duquel graviteraient toutes les autres vérités ?

Posons les définitions :

  • Dogme : Il s’agit d’un article doctrinal normatif. A ce titre, en théologie protestante, nous considérons que sa forme et sa fondation doivent venir de l’Écriture, même si son expression peut emprunter à la Tradition et la philosophie.
  • Central : ce terme est souvent utilisé de façon abusive, pour désigner un dogme important ou essentiel. Dans cette dissertation, nous le prendrons en son sens étroit désignant sa position (les autres dogmes sont liés à ce dogme central) ; et son orientation (les autres dogmes sont ultimement orientés vers ce dogme central).
  • Confession de foi : constitution doctrinale d’une église, précisant les doctrines essentielles qui seront enseignées, défendues et gardées par l’Église la confessant.
  • Les catéchismes : documents pédagogiques de l’Église, souvent sous la forme de questions/réponses.
  • Dogmatique : dans le cours, nous avons vu que c’est la discipline intellectuelle qui décrit, arrange, et défend le système doctrinal de l’Église.

Dans cette dissertation, nous montrerons qu’il n’est pas possible d’avoir un dogme central en son sens étroit.

Dans cette dissertation, je n’aborderai pas du tout les questions de comment discerner la vraie théologie (et ses différents modes) de la fausse théologie. Nous ne parlerons ici que de vrais dogmes, vraies confessions de foi et vrais articles doctrinaux. Nous n’ignorons pas que toutes nos dogmatiques et confessions de foi sont faillibles et donc potentiellement fausses sur certains points, mais ce n’est pas le sujet de notre dissertation. Nous postulerons que notre dogmatique et nos confessions de foi sont conformes aux Écritures. Nous postulerons aussi ne parler que d’églises confessantes, selon le modèle historique, qui administrent efficacement leurs constitutions.

Nous développerons les trois raisons suivantes :

  1. La dogmatique complémente les confessions de foi et catéchisme, qui ne sont pas strictement centralisés.
  2. Il n’y a pas de centres dans les dogmes, mais la catégorie essentiel/secondaire, qui sera qualifiée.
  3. La recherche centralisée d’un dogme est une curiosité philosophique sans intérêt pour l’Église. Nous poserons ici la question de l’utilité de la dogmatique comme science.

1. La dogmatique complémente les confessions de foi

Il y a ici deux hypothèses à défendre : 1. que la dogmatique complémente et dépend des confessions de foi et des catéchismes. 2. Que ces documents constitutionnels sont a-centralisés.

1.1 Dépendance de la dogmatique aux confessions de foi.

Cette thèse ne semble pas évidente : + Les théologies systématiques sont des œuvres distinctes des commentaires des confessions de foi. Elles ont des structures beaucoup plus variées. En guise d’illustration, il est fascinant de voir la différence entre l’Institution de la Religion Chrétienne de Jean Calvin et la confession de foi de la Rochelle, qu’il a pourtant écrit tous deux. Il n’a aucunement cherché à garder la même structure et organisation des dogmes. + La dogmatique n’a pas vocation à un usage juridique comme la confession de foi. Sa mission scientifique ne devrait pas être limitée par un document constitutionnel de l’Église. La dogmatique décrit l’enseignement biblique, elle n’a pas à être dépendante de la tradition ecclésiale. + Les confessions de foi ne sont employées que comme arguments d’autorités, pour augmenter la probabilité de nos conclusions. Ce ne sont pas des composants structurants de nos dogmatiques.

A ceci je réponds que l’Apôtre nous dit de nous éloigner de tous ceux qui ne vivent pas selon la tradition reçue de nous. (2 Thess 3,6) et l’apôtre Jude décrit cette tradition comme la foi qui a été transmise aux saints une fois pour toutes. (Jude 5)

Il n’y a pas lieu de séparer exagérément la tradition de l’Église résumée dans les confessions de foi et la dogmatique exprimant l’enseignement des Écritures. Si nous sommes dans la vraie tradition, conforme aux Écritures, il y a alors une convergence nécessaire et efficace entre la dogmatique et les confessions de foi, chacune selon leurs mode et intégrité propre. La vraie dogmatique ne peut que s’accorder avec la vraie confession de foi.

Certes, mais je parlais plus tôt d’une dépendance de la dogmatique aux confessions de foi. Comment la dogmatique pourrait-elle être en aval des confessions de foi, alors qu’elle vient d’une consultation directe des Écritures ? La dogmatique est en aval des confessions de foi pour plusieurs raisons : + Les dogmatiques sont autant d’opinions privées, tandis que les confessions de foi sont des documents constitutionnels utilisés pour sélectionner les dits docteurs à la chaire qu’ils occupent. + Les dogmaticiens ont dû d’abord recevoir un enseignement de l’Église pour pouvoir enseigner à leur tour, et cet enseignement est normé par la confession de foi. + Parce que l’application de la dogmatique ne consiste pas seulement en ouvrage purement académique, mais en documents ecclésiaux qui sont contraints par la confession de foi déjà en place.

Ainsi il n’y a pas besoin d’intervention a posteriori pour qu’une dogmatique devienne réformée : elle l’est dès le début par éducation et discipline. Les confessions de foi jouent un double rôle pour la dogmatique : d’une part, elles fournissent une autorité doctrinale sur laquelle le dogmaticien peut s’appuyer pour légitimer ses conclusions ; d’autre part, elles structurent la formation théologique en amont, influençant ainsi l’organisation même de la dogmatique.

Réponses aux objections : + Les dogmatiques peuvent avoir des formes différentes et variées des confessions de foi, car la confession de foi prédétermine le contenu des dogmes, et laisse libre leur organisation. Il y a même besoin que les dogmatiques aient des ordres différents, car elles présentent plus de doctrines dans leur système que les confessions de foi. + La mission scientifique de la dogmatique se déroule dans l’Église, et elle a pour vocation de décrire les données de l’Écriture telles qu’une Église particulière l’a comprise (cette détermination était préréalisée par discipline et éducation). + La dogmatique étant en aval des confessions de foi, il est normal qu’elle en use comme argument d’autorité, pour confirmer la conclusion déjà atteinte.

Si la dogmatique dépend effectivement des confessions de foi, il reste à examiner une caractéristique essentielle de ces dernières : leur structure a-centrée. Cette observation confirme que l’idée d’un dogme central est incompatible avec la nature même des confessions réformées.

1.2 Le système dogmatique réformé est a-centré.

On peut ici être exhaustif et regarder toutes les confessions de foi réformées : elles ne sont pas écrites de façon centralisées. Il suffit de consulter une synopse pour voir qu’elles ne coïncident pas tout à fait, et que même dans leurs articles communs, elles les articulent et les placent de façon tout à fait différente. Cela suggère que l’ordre de chaque confession de foi est dictée par des circonstances extérieures (propres à chacune, de natures historiques et philosophiques) et non un principe interne.

Ainsi puisque la dogmatique est en aval des confessions de foi (prouvé au 1.1) et que les confessions de foi sont a-centrées, alors il est vain de développer des centres doctrinaux en dogmatique.

L’objection est évidente : et pourtant, elle tourne!, les théologies systématiques et ouvrages de dogmatiques sont parmi les plus structurés qui soient, et plusieurs d’entre eux admettent un ou plusieurs concepts centraux et centralisants. C’est donc qu’il est possible d’avoir des dogmes centraux.

A ceci je réponds : la multitude des opinions privées divergentes est au contraire la preuve qu’il n’y a pas de centre objectif et unique à la doctrine chrétienne. Je ne défends certes pas que le système chrétien soit anarchique, nous avons vu le contraire en cours: si Dieu se révèle d’une façon rationnellement exprimable, il y a donc un ordre rationnel dans les doctrines chrétiennes. Ce que je nie, c’est que l’on puisse réduire cette révélation à un dogme central et ses dogmes périphériques. Si c’était le cas, nos confessions de foi qui sont les résumés ecclésiaux de la Révélation des Écritures convergeraient vers le centre des Écritures et ses périphériques.

On pourrait alors objecter plus avant : Certes, mais l’Église a été aveuglée jusqu’ici et moi seul ait trouvé le dogme central de toute la Révélation. Je me contenterai de répondre que c’est l’Église et non l’individu qui est la colonne et l’appui de la révélation. (1 Timothée 3.15)

Après avoir constaté que la dogmatique réformée repose sur des confessions a-centrées, il convient d’explorer un critère structurant plus pertinent : la distinction entre dogmes essentiels et secondaires. Cette distinction offre une meilleure grille d’analyse pour comprendre l’organisation de la dogmatique.

2. La distinction entre dogme essentiel et secondaire

Revenons sur l’ordre des confessions de foi : elles ne sont ni centralisées, ni anarchiques. C’est parce que leur vrai principe d’organisation est la distinction entre dogme essentiel et secondaire. Historiquement, c’est la raison pour laquelle les symboles anciens et les confessions modernes ont été écrits : formuler les doctrines essentielles à croire pour se définir comme chrétien. Mais il y a aussi des raisons internes à la Révélation.

2.1 Turretin sur la distinction entre dogme essentiel et secondaire.

Nous allons synthétiser ce que dit François Turretin, dans son Institution de Théologie Élenctique, locus 1, question 14. Il commence par proposer des distinctions de bon sens dans notre approche des Écritures :

  1. Il faut distinguer entre ce qui fait partie de la foi chrétienne, et ce qui est nécessaire à la foi chrétienne.
  2. Il faut considérer que toutes les vérités ne font pas le même poids dans le système doctrinal chrétien.
  3. Toutes les vérités n’ont pas la même sorte de nécessité.
  4. Certaines lois bibliques sont pertinentes pour la doctrines, d’autres ne parlent que des rites et cérémonies.
  5. Certains passages bibliques portent sur la substance de la doctrine (par exemple Jésus est mort et ressucité), d’autres que les circonstances (Jésus a été crucifié par Ponce Pilate, entre deux voleurs). Chipoter sur le deuxième n’est pas aussi grave que sur le premier.

Selon Turretin cette distinction entre articles vrais et articles vrais et fondamentaux est prouvé par les passages suivants :

  1. 1 Corinthiens 3,11-13 : Car personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé, savoir Jésus-Christ. Or, si quelqu’un bâtit sur ce fondement avec de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, du bois, du foin, du chaume, l’œuvre de chacun sera manifestée ; car le jour la fera connaître, parce qu’elle se révélera dans le feu, et le feu éprouvera ce qu’est l’œuvre de chacun. Dans ce passage, Paul distingue la fondation et ce que l’on bâtit dessus.
  2. Philippiens 3,15 : Nous tous donc qui sommes des hommes faits, ayons cette même pensée ; et si vous êtes en quelque point d’un autre avis, Dieu vous éclairera aussi là-dessus. Il y a donc des doctrines sur lesquels les chrétiens peuvent différer sans détruire l’unité de l’Église.
  3. Galates 1,8: Mais, si nous-mêmes, si un ange du ciel annonçait un évangile s’écartant de celui que nous vous avons prêché, qu’il soit anathème ! En sens inverse, il existe des articles fondamentaux dont la négation mérite l’anathème.
  4. Romains 14,1: Accueillez celui qui est faible dans la foi, et ne discutez pas les opinions. Il faut de la tolérance dans notre cohabitation.
  5. En résumé, nous citons Philippiens 3,15-16 : Nous tous donc qui sommes des hommes faits, ayons cette même pensée ; et si vous êtes en quelque point d’un autre avis, Dieu vous éclairera aussi là-dessus. Seulement, au point où nous sommes parvenus, marchons d’un même pas.

Par ailleurs, toutes les doctrines ne sont pas de même nature :

  1. Certaines doctrines sont essentielles pour l’existence même de la foi (par exemple la création) d’autres seulement pour son confort (la création en six jours).
  2. Certaines doctrines ne sont pas essentielles quand on débute dans la foi, mais le deviennent au fur et à mesure que l’on gagne en maturité en Christ (Hébreux 6,1; 5,13-14).
  3. De même, il faut tenir compte des dons individuels, de l’appel, de l’âge, du sexe, etc. Certaines erreurs sont tout à fait pardonnables quand vous êtes une jeune chrétienne bien plus douée pour la pratique de l’hospitalité que pour la métaphysique. La même est impardonnable chez un pasteur aguerri ayant longuement réfléchi à sa théologie.

Ainsi, contrairement à l’idée de dogme central l’idée de dogme essentiel est bien mieux fondée dans la Raison et l’Écriture. Mais nous pouvons en dire davantage encore.

Si Turretin met en lumière la distinction fondamentale entre articles essentiels et secondaires, cette catégorisation mérite d’être précisée davantage. Il est possible d’affiner cette distinction en identifiant plusieurs types de dogmes essentiels, chacun jouant un rôle spécifique dans la structure doctrinale réformée.

2.2 Différents sens de dogmes essentiels

Dans la pratique, les dogmes essentiels sont définis par la confession de foi : tout ce qui n’est pas écrit dedans est libre. Mais cela ne veut pas dire pour autant que tous les articles d’une confession de foi sont importants à égalité. Ils ont des poids différents, et lorsqu’on commence à regarder chaque article en se posant la question : “peut-on l’enlever?” on s’aperçoit qu’il y a trois catégories d’articles essentiels dans nos confessions de foi.

  • Dogmes essentiels structurants : ce sont les articles tels que l’on pourrait supprimer la confession de foi toute entière si on les supprimait. Dans la confession de foi de la Rochelle, c’est le cas de l’article 1 sur la doctrine de Dieu, ou l’article 12 sur notre élection en Jésus Christ. Ce sont des dogmes essentiels structurants, parce qu’ils structurent la confession de foi et sans eux il faut tout reconstruire.
  • Dogmes essentiels modulants : ce sont des articles “localement” essentiels, en ce qu’ils feraient tomber plusieurs articles s’ils étaient absents, sans remettre en cause toute la confession de foi. Le meilleur exemple dans la confession de foi de la Rochelle est l’article 25 (le ministère de la prédication et les sacrements) n’est pas indispensable au document : l’article 1 ne requiert pas par exemple que le ministère de l’Église existe. Par contre, s’il manquait, tous les articles 26 à 38 devraient être enlevés car il n’y a aucun sens de parler des qualités et actes de l’Église si l’on ne confesse pas d’abord qu’il y a un culte à administrer. Ce sont des dogmes essentiels modulants, parce qu’ils introduisent des “modules” de doctrines pour lesquels ils sont essentiels dans les doctrines essentielles.
  • Dogmes essentiels isolés : ce sont des articles qui sont dans la confession de foi, sans être l’origine ou le devéloppement d’autres articles. Les articles 39 et 40 de la confession de foi de la Rochelle pourraient être enlevés sans modifier son équilibre. D’où le nom de doctrines essentielles isolées.

Ainsi, la théologie réformée a déjà une structure, et une structure plus fine qu’il n’y paraît. C’est juste que cette structure n’est définie par un centre et ses périphéries. # 3. L’intérêt d’un centre pour la discipline dogmatique.

Mais alors à quoi bon chercher un centre à la doctrine réformée? L’intérêt est principalement académique : faire une théologie réformée proprement centralisée serait une prouesse intellectuelle digne d’éloges, selon des standards académiques. Il n’y aurait même pas besoin que ce soit bien exécuté, l’aspect insolite même de son modèle lui vaudrait une bonne quantité de citations.

Et c’est là qu’il faut poser la question de la cause finale de la dogmatique : est-elle pour l’académie ou est-elle pour l’Église? Étant donné que la dogmatique est, selon les mots du cours, l’étude scientifique de la foi chrétienne dans son ordre et son harmonie on peut raisonnablement défendre qu’elle est entre les deux mondes. Mais elle ne peut pas l’être à égalité.

  • Tout d’abord parce que si sa forme est scientifique, sa cause finale est ecclésiale, et sa matière est divine (les Écritures). La cause efficace de la dogmatique (le théologien) sera donc plus proche de l’Église que de l’Académie.
  • Parce que les confessions de foi qui sont le principe proche de la dogmatique, comme dit plus haut, appartiennent et servent l’Église, et non l’Académie.
  • Parce que la dogmatique est une forme d’enseignement de l’Église, pour ses proposants au ministère, et non pour faire progresser un savoir dont les bornes sont posées, inviolables, par la Révélation.

Des lors, je condamne comme futile et illusoire la recherche d’un dogme central et ses périphériques.

Je concluerai cette dissertation par la récapitulation suivante : nous avons vu que la dogmatique n’avait pas de structure centralisée en première partie ; nous avons vu que le principe d’organisation interne de la vraie dogmatique est orientée sur la distinction dogmes essentiels et secondaires à la place ; enfin, nous avons vu que cette quête même est futile. Il n’y a donc pas de dogme central unique en théologie réformée. Le plus proche que nous ayons est le dogme essentiel structurant, défini plus haut.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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