Claude de Turin (750-829) contre la vénération des icônes
25 juillet 2025

En août 2017, je publiais un article sur les vaudois, ces chrétiens médiévaux qui anticipent de diverses façons la Réforme protestante. À cette occasion, je citais des extraits de Claude de Turin, tirés de l’histoire des vaudois de Monastier. Je n’étais toutefois jamais parvenu à trouver la source primaire de cet écrit, c’est désormais chose faite. Avant de vous en proposer la lecture, quelques mots d’introduction.

Comme le dit Monastier, Claude était d’abord chapelain de Louis le Pieux, déjà du vivant de Charlemagne et fut nommé par le premier évêque de Turin, sous le pontificat de Pascal I, qui mourut le 13 mai 824. Il administra le diocèse jusqu’en 839, époque de sa mort. Prédicateur éloquent et versé dans la connaissance de la Parole de Dieu, il exerça un ministère actif et fructueux durant dix-sept années dans ce diocèse, qui était le plus grand diocèse de cette époque. Dans cet article, je vous propose de lire la façon dont il argumentait contre le culte rendu aux icônes dans sa Lettre apologétique à l’abbé Théodémir qui sera reproduite intégralement. Dans celle-ci, il livre aussi son interprétation de la parole « Tu es Pierre » et du rôle de l’évêque de Rome. Je vous propose également un autre extrait de son commentaire de l’épître aux Galates, relatif à la justification par la foi.

Cette lecture est l’occasion de rappeler que le second concile de Nicée n’a pas été accepté comme œcuménique dans un premier temps, à la fois chez les francs, mais également comme on le voit ici en Italie.

Si la loi justifie, alors Abraham, qui vécut bien avant la loi, ne l’était pas. Puisque cela ne peut être admis, force est de reconnaître que l’homme n’est pas justifié par les œuvres de la loi, mais par la foi. En même temps, force est de constater que tous les anciens pères qui ont été justifiés l’ont été par la foi seule1.


J’ai reçu, écrit-il, par un certain porteur campagnard, ta lettre pleine de babil et de sottises avec les additions dans lesquelles tu déclares que tu as été troublé, en quelque sorte, de ce que le bruit s’est répandu, à ma honte, depuis l’Italie dans toutes les Gaules, jusqu’en Espagne, que je prêche pour former une nouvelle secte, contre la règle de la foi catholique, ce qui est entièrement faux; et ce n’est pas merveille, si les membres de Satan parlent de moi de la sorte, puisqu’ils ont appelé notre chef séducteur et démoniaque. Car je n’enseigne point une nouvelle secte, moi qui reste dans l’unité et qui proclame la vérité. Mais, autant qu’il a dépendu de moi, j’ai étouffé les sectes, les schismes, les superstitions et les hérésies, et je les ai combattus, écrasés, renversés, et, Dieu aidant, je ne cesse de les renverser autant qu’il dépend de moi. Depuis que, malgré moi, je me suis chargé du fardeau de l’épiscopat, et, que, envoyé par le pieux Louis, fils de la sainte Eglise de Dieu, je suis arrivé en Italie, j’ai trouvé à Turin toutes les basiliques remplies de souillures dignes d’anathème et d’images, contrairement à l’ordre de la vérité ; et, comme tout ce que les autres adoraient, seul je l’ai renversé, c’est aussi sur moi seul qu’on s’est acharné. C’est pour cela que tous ont ouvert leur bouche pour me calomnier ; et, si le Seigneur ne m’eût été en aide, ils m’auraient peut-être dévoré vif. Ce qui est dit clairemen t: Tu ne le feras aucune ressemblance des choses qui sont au ciel, ni sur la terre, etc., s’entend non-seulement de la ressemblance des dieux étrangers mais aussi des créatures célestes et de ce que l’esprit humain a pu inventer en l’honneur du Créateur.

Nous ne prétendons pas, disent ceux contre qui nous défendons l’Église, nous ne prétendons pas que l’image que nous adorons ait quelque chose de divin, mais nous l’adorons avec le respect qui est dû à celui qu’elles représentent. A quoi nous répondons : que si les images des saints sont adorées d’un culte diabolique, mes adversaires n’ont pas abandonné les idoles, ils n’ont fait qu’en changer le nom. Si donc tu écris ou peins sur les murs les images de Pierre, de Paul, de Jupiter, de Saturne ou de Mercure, ce ne sont ni des dieux, ni des apôtres ; ni les uns ni les autres ne sont des hommes ; le nom est changé, mais l’erreur reste et demeure à toujours, en ce sens qu’ils ont une image de Dieu privée de vie et de raison, au lieu d’images d’animaux, ou, ce qui est plus exact, au lieu de pierre et de bois.

On doit donc bien considérer que, s’il ne faut ni adorer ni servir les oeuvres de la main de Dieu, à bien plus forte raison on ne doit ni adorer ni servir les oeuvres de la main des hommes, pas même de l’adoration due à ceux qu’on prétend qu’elles représentent. Car si l’image que tu adores n’est pas Dieu, tu ne dois nullement l’adorer de l’adoration offerte à des saints, qui ne s’arrogent point du tout les honneurs divins.

Il faut donc bien retenir ceci, c’est que tous ceux qui accordent les honneurs divins, non-seulement à des images visibles, mais à une créature quelconque, qu’elle soit céleste ou terrestre, spirituelle, ou corporelle, et qui attendent d’elle le salut qui vient de Dieu seul, sont de ceux dont parle l’Apôtre quand il dit : Ils ont servi la créature plutôt que le Créateur.

Pourquoi t’humilies-tu et t’inclines-tu devant de vaines images ? Pourquoi courbes-tu ton corps devant des simulacres insensés, terrestres, esclaves ? Dieu t’a créé droit, et tandis que les animaux sont penchés vers la terre, il veut que tu élèves tes yeux au ciel et que tu portes tes regards vers le Seigneur. C’est là qu’il faut regarder; c’est là qu’il faut lever les yeux. C’est en haut qu’il faut chercher Dieu, pour apprendre à se passer de la terre. Élève donc ton coeur au ciel ; pourquoi t’étendre dans la poussière de la mort avec l’image insensible que tu sers ? Pourquoi te livrer au diable pour elle et avec elle ? Garde l’élévation où tu es né ; maintiens-toi tel que Dieu t’a fait.

Mais voici ce que disent les misérables sectateurs de la fausse religion et de la superstition. C’est en mémoire de notre Sauveur, que nous servons, honorons et adorons la croix peinte ou érigée en son honneur. Rien ne leur agrée donc en notre Sauveur que ce qui a plu même aux impies, l’opprobre de sa passion et l’ignominie de sa mort. Ils croient de lui ce qu’en croient les méchants, tant juifs que païens, qui rejettent sa résurrection et ne savent le considérer que comme torturé, et qui dans leur coeur le regardent toujours dans l’agonie de la passion, sans penser à ce que dit l’Apôtre, et sans comprendre cette parole : Nous avions connu Christ selon la chair, mais maintenant nous ne le connaissons plus de cette manière.

Voici ce qu’il faut répondre à ces gens-là. Que s’ils veulent adorer tout bois taillé en forme de croix, parce que Christ a été suspendu à la croix, il y a bien d’autres choses que Christ a faites pendant qu’il était dans sa chair et qu’ils feront mieux d’adorer.

En effet, à peine est-il resté six heures suspendu à la croix, tandis qu’il a passé neuf mois dans le sein d’une vierge ; adorons donc les vierges, parce que c’est une vierge qui a donné le jour à Jésus-Christ. Adorons les crèches, puisque d’abord après sa naissance il fut couché dans une crèche. Adorons de vieux haillons, puisqu’il fut emmailloté dans des haillons. Adorons les navires, puisqu’il navigua souvent, qu’il enseigna les troupes du haut d’une barque, qu’il dormit sur une barque, et que ce fut d’une barque qu’il ordonna de jeter le filet, lors de la pêche miraculeuse. Adorons les ânes, puisqu’il entra à Jérusalem monté sur un âne. Adorons les agneaux, puisqu’il est écrit de lui : Voici l’Agneau de Dieu qui Ote les péchés du monde. Mais ces fauteurs de dogmes pervers veulent dévorer les agneaux vivants et les adorer peints sur les murailles. Adorons les lions, car il est écrit de lui : Le lion de Juda, race de David, a vaincu. – Adorons les pierres, puisque, descendu de la croix, il a été placé dans un sépulcre de pierre, et que l’Apôtre dit de lui : Or, ce rocher était Christ. Mais Christ est appelé rocher, agneau, lion, figurément et non dans le sens propre. Adorons les épines des buissons, puisque c’est de là que vint la couronne d’épines placée sur sa tête, au temps de sa passion. Adorons les roseaux, puisqu’ils fournirent aux soldats un instrument pour le frapper. Enfin, adorons les lances, puisque l’un des soldats le frappa dune lance au côté, et, qu’il en sortit du sang et de l’eau.

Tout cela est ridicule ; il vaudrait mieux le déplorer que l’écrire. Contre des sots nous sommes contraint d’avancer des sottises, et de lancer contre des coeurs de pierre, non pas les traits ou les maximes de la Parole, mais des projectiles de pierre. Convertissez-vous, prévaricateurs, qui vous êtes retirés de la vérité, et qui aimez la vanité, et qui êtes devenus vains, qui crucifiez de nouveau le Fils de Dieu et l’exposez à l’ignominie, qui avez rendu ainsi une foule d’âmes complices des démons, et qui, les éloignant de leur Créateur, au moyen des sacrilèges détestables de vos images, les avez abattues et précipitées dans la damnation éternelle.

Dieu commande une chose, et ces gens en font une autre. Dieu commande de porter la croix, et non pas de l’adorer. Ceux-ci veulent l’adorer, et ne la portent ni corporellement ni spirituellement. Servir Dieu de cette manière, c’est s’éloigner de lui. Il a dit lui-même : Que celui qui veut venir après moi renonce à soi-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive, sans doute parce que celui qui ne renonce pas à soi-même ne s’approche pas de celui qui est au-dessus de lui, et qu’il ne peut saisir ce qui se passe, s’il n’a appris de bonne heure à le connaître.

Quant à ce que tu me reproches que j’empêche le monde de courir en pèlerinage à Rome pour y faire pénitence, tu ne dis pas la vérité. En effet, je n’approuve pas le voyage, parce que je sais qu’il ne nuit pas à tous et qu’il n’est pas utile à tous ; qu’il ne profite pas à tous et qu’il n’est pas dommageable à tous. Je veux premièrement te demander à toi-même, si tu reconnais que c’est faire pénitence que d’aller à Rome, pourquoi depuis si longtemps as-tu damné tant d’âmes que tu as retenues dans ton monastère et que tu y as même reçues pour y faire pénitence, les ayant obligées à te servir, au lien de les envoyer à Rome ? Tu prétends en effet posséder cent quarante moines, qui se sont tous rendus auprès de toi pour faire pénitence, qui se sont livrés au monastère, et à aucun desquels tu n’as permis d’aller à Rome. S’il en est ainsi, qu’aller à Rome soit faire pénitence, et que cependant tu les empêches, que diras-tu contre cette déclaration du Seigneur : Que celui qui aura mis achoppement à l’un de ces petits, il voudrait mieux qu’une meule de moulin lui fût pendue au col et qu’il fut jeté au fond de la mer ? Il n’y a aucun scandale plus grand que d’empêcher un homme de suivre un chemin qui pourra conduire au bonheur éternel.

Nous savons bien que cette sentence de l’Evangile est très-mal entendue : Tu es Pierre et sur cette pierre j’édifierai mon Église, et je te donnerai les clefs du royaume des cieux. C’est en vertu de ces paroles du Seigneur qu’une tourbe ignorante, négligeant toute intelligence spirituelle, tient à se rendre à Rome pour acquérir la vie éternelle. Celui qui entend convenablement les clefs du royaume des cieux ne recherche pas une intercession locale de saint Pierre. En effet, si nous examinons la valeur des paroles du Seigneur, il n’a pas été dit à saint Pierre seul « Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux ». En effet, ce ministère appartient à tous les vrais surveillants et pasteurs de l’Eglise, qui l’exercent tandis qu’ils sont en ce monde ; et quand ils ont payé la dette de la mort, d’autres succèdent à leur place et jouissent de la même autorité et puissance. Tu ajoutes encore l’exemple de David : Au lieu de tes pères, il t’est né des fils, et tu les établiras princes sur toute la terre.

Revenez, aveugles, à votre lumière. Revenez à celui qui illumine tout homme venant au monde. Cette lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne font point comprise. Tous tant que vous êtes, qui, ne voyant pas ou ne regardant pas cette lumière, marchez dans les ténèbres et ne savez où vous allez, parce que les ténèbres ont aveuglé vos yeux. Écoutez insensés, qui en allant à Rome, cherchez l’intercession de l’Apôtre, écoutez, ce que dit entre autres saint Augustin, au livre IX de la Trinité : Viens avec moi, et considère pourquoi nous aimons l’Apôtre : Est-ce à cause de sa figure humaine que nous connaissons fort bien ? Est-ce parce que nous croyons qu’il a été homme ? Non certes, autrement nous n’aurions plus rien à aimer, puisque cet homme-là n’existe plus ; son, âme a quitté son corps. Mais nous croyons que ce que nous aimons en lui vit encore maintenant. Si le fidèle doit croire Dieu quand il promet, combien plus quand il jure et dit : Que s’il y avait au milieu de cette ville-là Noé, Daniel et Job, c’est-à-dire, si les saints que vous invoquez étaient remplis d’une sainteté, d’un mérite et d’une justice aussi grande que ceux-là, ils ne délivreraient ni fils ni fille. Et c’est à cette fin qu’il l’a déclaré ; savoir, afin que nul ne mette sa confiance ni dans les mérites, ni dans l’intercession des saints, parce que s’il ne persévère dans la foi, dans la justice, dans la vérité où ils ont persévéré, et par laquelle ils ont plu à Dieu, il ne pourra être sauvé. Quant à vous, qui cherchez l’intercession de l’Apôtre en allant à Rome, écoutez ce que dit contre vous saint Augustin, si souvent cité : Ecoutez ceci, peuples pervers, fous que vous êtes ; devenez une fois avisés : Celui qui a planté l’oreille n’entendra-t-il point ? Celui qui a formé l’oeil ne verra-t-il point ? Celui qui châtie les nations, Celui qui donne à l’homme la science, ne reprendra-t-il point ?

La cinquième chose que tu me reproches, c’est qu’il te déplaît que dominus Apostolicus (monsieur l’Apostolique) se soit indigné contre moi (tu parles ainsi du défunt évêque de Rome, Pascal), et qu’il m’ait honoré de ma charge. Mais puisque apostolique veut en quelque sorte dire gardien d’apôtre, il ne faut certes pas appeler apostolique celui qui est assis dans la chaire de l’Apôtre, mais celui qui remplit les fonctions d’apôtre. Quant à ceux qui occupent cette chaire sans en remplir les devoirs, le Seigneur a dit : Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ; observez et faites ce qu’ils vous diront – mais ne faites pas comme ils font, parce qu’ils disent et ne font pas2.


  1. Claude de Turin, Commentaire de l’épître aux Galates, dans Early Medieval Theology, ed. George E. McCracken, p. 233.[]
  2. Claude de Turin, Apologeticum atque rescriptum Claudii episcopi adversus Theutmirum abbatem dans la Patrologia latina, ed. Jean-Paul Migne, 221 vols, Paris, 1844-1864, 105:459-64. Traduction anglaise dans Early Medieval Theology, ed. George McCracken et Allen Cabaniss, Philadelphia, 1957.[]

Maxime Georgel

Maxime est médecin à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs quatre enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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