La raison formelle du libre arbitre consiste-elle dans l’indifférence ou la spontanéité rationnelle ? Nous nions le premier, affirmons le second contre les papistes, les sociniens et les remontrants.
La subtilité qui permet d’avoir une vision compatibiliste du libre-arbitre, c’est de se rendre compte que dans sa définition classique, le libre arbitre désigne ce qui vient de notre raison (et cela peut être déterminé). Mais dans la définition moderne à laquelle nous sommes habitués, le libre-arbitre désigne un état de neutralité et d’indifférence entre deux choix que nous seuls pouvons déterminer. Cette définition est incompatible avec le compatibilisme.
Nous ne nions pas, bien sûr, que nous soyons parfois indécis ou en indifférence entre plusieurs choix possibles. Mais nous nions que ce soit l’essence du libre-arbitre.
Argumentation négative : le libre-arbitre ne consiste pas en l’indifférence.
Premier argument : personne n’est dans un état d’indifférence entre deux choix, qu’il soit créateur ou créature.
- Dieu veut le bien très librement, mais pas selon un mode d’indifférence (puisqu’il ne peut pas vouloir le mal).
- Christ obéit à Dieu librement, mais il ne pouvait pas pécher pour autant.
- Les anges et les saints adorent volontairement le vrai Dieu, et pourtant sont déterminés au bien.
- Les démons et réprouvés ne peuvent pas s’empêcher de pécher et en même temps le font librement.
Deuxième argument : il n’y a pas de volonté « neutre », sans détermination de la part de Dieu. Même le Cardinal Bellarmin l’a prouvé1.
Il n’est pas objecté que la nature du libre arbitre consiste à se déterminer lui-même (car les subordinations ne s’opposent pas les unes aux autres). En effet, il est de la nature de la volonté de se déterminer elle-même, mais non pas seule. Ainsi, la détermination de la volonté n’exclut pas, mais suppose la détermination de Dieu. — François Turretin, Instituts de Théologie Elenctique, 10.3.7
Troisième argument : Personne n’est en indifférence entre la misère absolue et le bonheur absolu. Nous recherchons tous le bonheur suprême, seuls les moyens sont l’occasion de décisions divergentes.
Quatrième argument : si l’indifférence de la volonté était vraie, on aurait des conséquences absurdes :
- Cela ne sert à rien de prier Dieu pour qu’il change les cœurs (puisque ce changement est logiquement impossible).
- Les promesses de Dieu quant à la production de sainteté en nous, et le maintien de notre salut sont vaines, puisque notre libre-arbitre consiste en la neutralité entre sainteté et profanation.
- Il n’y a plus de consolation, puisque l’action de Dieu en nous dépend de notre bonne disposition et non de la bonté de Dieu.
- L’homme serait aussi indépendant que Dieu, puisque même après que Dieu nous ait donné toutes ses grâces, nous restons en indifférence entre Dieu et le mal, seulement déterminé par nous-même.
La liberté consiste en notre volonté rationnelle
Notre libre arbitre consiste en réalité en (1) un choix fait selon une délibération rationnelle plutôt qu’un instinct ou un appétit brut ; (2) une volonté libre, agissant par elle-même et non par contrainte. Turretin cite ici la définition d’Aristote2. Cela est compatible avec une détermination par Dieu, à un autre niveau que notre délibération propre.


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