J’avais commencé jeune et je finis vieux les livres sur la Trinité qui est le Dieu véritable et souverain. » C’est ainsi qu’Augustin, dans une lettre envoyée à l’évêque Aurèle décrit le temps nécessaire à la rédaction de l’une de ses grandes œuvres, De la Trinité. Les mots sont bien choisis puisque A. W. Haddan estime que la rédaction de cette œuvre s’est étendue sur plus de 16 années. « Un si pénible ouvrage » confessera Augustin à Aurèle.
L’immensité du travail accompli n’empêche pas l’évêque d’Hippone de faire preuve de l’humilité qu’on lui reconnait habituellement. En effet, dans la conclusion de son ouvrage, il fait montre d’une véritable soumission à Dieu, craignant d’en dire trop sur ce qu’il est. Cette crainte le pousse ainsi à se soumettre à « cette règle de foi » qu’est l’Écriture. Mais, évitant le biblicisme et la frilosité à user de la raison, il a « désiré voir des yeux de l’intelligence, ce [qu’il croyait] » et, évitant le nuda scriptura pour un véritable sola scriptura, il se soumet à l’Église (« pardonnez-le-moi, vous et les vôtres »). Un exemple à suivre pour une doctrine respectueuse de Dieu, de sa Révélation, de son Église et des capacités qu’il donne à l’homme :
Seigneur notre Dieu, nous croyons en vous, Père, Fils et Saint-Esprit. La vérité n’aurait pas dit : « Allez, baptisez toutes les nations au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit (Mt 28:19 ) », si vous n’étiez pas Trinité. D’autre part, la voix divine n’aurait pas dit : « Ecoute, Israël : le Seigneur ton Dieu est un Dieu un (Dt 6:4 ) », si, en même temps que Trinité, vous n’étiez un seul Seigneur Dieu. Et si vous, Dieu le Père, étiez tout à la fois Dieu le Père, et le Fils votre Verbe Jésus-Christ et votre Don le Saint-Esprit, nous ne lirions pas dans les lettres de vérité : « Dieu a envoyé son Fils (Ga 4:4 ; Jn 3:17 ) » ; et vous, ô Fils unique, vous n’auriez pas dit du Saint-Esprit : « Celui que le Père enverra en mon nom (Jn 14:26 ) », et encore : « Celui que je vous enverrai du Père (Jn 15:26 ) ». Dirigeant mon intention sur cette règle de foi, je vous ai cherché, autant que je l’ai pu ; autant que vous m’avez donné de le pouvoir, j’ai désiré voir des yeux de l’intelligence, ce que je croyais ; j’ai discuté longuement, j’ai pris bien de la peine, Seigneur mon Dieu, mon unique espérance, exaucez-moi ; ne souffrez pas que la fatigue m’empêche de vous chercher ; faites au contraire que je cherche toujours votre présence avec ardeur (Ps 104:4 ). Donnez-moi la force de vous chercher, vous qui m’avez fait vous trouver et m’avez donné l’espoir de vous trouver de plus en plus. Devant vous est ma force et ma faiblesse ; conservez l’une, guérissez l’autre. Devant vous est ma science et mon ignorance ; là où vous m’avez ouvert la porte, laissez-moi entrer, là où vous me l’avez fermée, ouvrez-moi quand je frappe ; que je me souvienne de vous, que je vous comprenne, que je vous aime. Augmentez en moi ces deux choses, jusqu’à ce que vous m’ayez réformé en entier. Je sais qu’il est écrit : « Tu n’échapperas pas au péché dans « l’abondance des paroles (Pr 10:19 ) ». Mais plût au ciel que je n’ouvrisse la bouche que pour prêcher votre parole et chanter vos louanges ! Non-seulement j’éviterais le péché, mais j’acquerrais de précieux mérites, même dans l’abondance des paroles. Car cet homme que vous avez béatifié n’aurait jamais voulu conseiller le mal au fils qu’il avait enfanté dans la foi et à qui il écrivait : « Annonce la parole, insiste à temps et à contre-temps (2 Ti 4:2 ) ». Faut-il dire qu’on ne peut accuser d’avoir trop parlé celui qui annonçait votre parole, Seigneur, non-seulement à temps, mais encore à contre-temps ? Il n’y avait rien de trop, puisqu’il n’y avait que le nécessaire. Délivrez-moi, Seigneur, de l’abondance des paroles que je subis à l’intérieur, dans mon âme si misérable à vos yeux, mais cherchant refuge dans le sein de votre miséricorde. Car, quand ma bouche se tait, ma pensée ne reste pas en silence. Si, du moins, je ne pensais qu’à ce qui vous est agréable, je ne vous prierais pas de me délivrer de l’abondance des paroles. Mais beaucoup de mes pensées, telles que vous les connaissez, sont des pensées d’homme, puisqu’elles sont vaines (Ps 93:11 ). Faites-moi la grâce de n’y pas consentir, de les réprouver même quand elles me font plaisir et de ne pas m’y appesantir dans une espèce de sommeil. Et qu’elles ne prennent jamais sur moi assez d’empire, pour exercer quelque influence sur mes actions ; mais que, sous votre sauvegarde, mon jugement soit en sécurité et ma conscience à l’abri. Un sage, parlant de vous dans son livre intitulé l’Ecclésiastique, a dit : « Nous multiplions les paroles, et nous n’aboutissons pas ; mais tout se résume en un mot : Il est lui-même tout ( Si 43:29) ». Quand donc nous serons parvenus jusqu’à vous, « ces paroles que nous multiplions sans aboutir », cesseront, et vous serez seul à jamais tout en tous (1Co 15:28 ) ; et nous tiendrons sans fin un seul langage, vous louant tous ensemble, et unis tous en vous. Seigneur Dieu un, Dieu Trinité, que vos fidèles admettent tout ce qui m’est venu de vous dans ces livres ; et, s’il y a quelque chose de mon propre fond, pardonnez-le-moi, vous et les vôtres. Ainsi soit-il !
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