La tragédie de la résurrection – Carl R. Trueman
28 mars 2020

Cet article est une traduction de The Tragedy of the Resurrection de Carl R. Trueman, ancien professeur de théologie historique et d’histoire de l’Église au Westminster Theological Seminary et actuellement professeur au Grove City College.


En ce vendredi soir (je dirais bien « Vendredi Saint » mais, en tant que protestant triomphaliste du blog First Things – pour reprendre le terme de Rusty Reno – je m’en tiendrai à la nomenclature strictement laïque approuvée par les puritains), j’ai eu le privilège d’assister à une superbe représentation des Sept dernières paroles du Christ en croix de Haydn. J’ai également eu le plaisir de faire partie de ceux qui ont présenté brièvement entre les sonates quelques réflexions sur la signification des textes bibliques qui ont inspiré la composition de cette œuvre. La dame qui a organisé le concert – et qui jouait du violoncelle avec une rare habileté – m’a également demandé de conclure en allant au-delà de la croix jusqu’au tombeau vide. C’est ce que j’ai fait, sous une forme abrégée de ce qui suit :

Dans son livre sur l’opéra de Wagner, Tristan et Iseult, le philosophe anglais Roger Scruton fait remarquer que le christianisme ne peut produire aucune forme d’art vraiment tragique car il offre toujours la résurrection comme solution aux ténèbres de la vie. Le plus proche, dit-il, est la Passion selon Saint Matthieu de Bach, car elle se termine par la mort du Christ et ignore la résurrection.

Scruton n’est pas le seul à s’interroger sur la possibilité du christianisme à aborder le sujet de la tragédie. I. A. Richards et George Steiner ont fait à peu près la même remarque. Et Miguel De Unamuno, tout en essayant de maintenir une sensibilité religieuse dans sa réflexion sur la tragédie, donne plutôt le change quand il plaide pour Don Quichotte comme figure tragique par excellence. Apparemment, ceux qui se rebellent contre le désert existentiel de la modernité devraient chercher une inspiration paradigmatique en la personne de Don Quichotte. Pourtant, l’homme de la Manche n’est pas tant un défi tragique qu’une absurdité séduisante et cette distinction entre tragédie et absurdité est essentielle. C’est la raison pour laquelle The Birthday Party de Pinter n’est pas la même chose que le Philoctète de Sophocle.

Néanmoins, en pratique, j’ai une certaine sympathie pour le fait que la résurrection puisse court-circuiter le tragique. Par exemple, la résurrection est souvent présentée dans la piété chrétienne populaire comme un raccourci vers le bonheur et une solution banale aux problèmes de la vie, contournant la vallée de l’ombre de la mort et la complexité de la vie dans le monde réel. Comme je l’ai noté il y a quelques années dans First Things, le manque de sens du tragique dans le culte chrétien indique un manque d’équilibre biblique dans les liturgies des services d’aujourd’hui. Ceux qui n’étaient pas d’accord avec moi et qui me trouvaient trop pessimiste ont pointé du doigt la tombe vide comme preuve. Leur réponse était des plus typiques : « Trueman néglige la résurrection ! »

Si je reconnais le joyeux espoir de la résurrection, je ne pense pas pour autant qu’elle nie nécessairement la tragédie. Cela dépend d’une définition tronquée du tragique qui exclut la réalité de l’espérance éternelle. En fait, même selon les canons de sa forme classique, la vie au-delà de la mort peut être essentielle à l’action dramatique. La mort d’Antigone est tragique précisément parce qu’elle comprend qu’il existe une vie après la mort et qu’elle préfère affronter les défunts avec la conscience tranquille plutôt que de se plier aux exigences de Créon. La mort est inévitable, elle doit donc être accueillie dans des conditions qui rendront l’au-delà supportable. Si sa conscience de l’au-delà n’était pas aussi vive, si elle ne la considérait pas comme réelle, il n’y aurait pas de tension tragique. Elle pourrait obéir à Créon et bien dormir la nuit, comme sa sœur Ismène le suggère initialement.

En fait, contre Scruton, Richards, Steiner et compagnie, je soutiendrais plutôt le contraire : que la nécessité de la mort et de la résurrection du Christ comme réponse au problème de l’humanité – sa rébellion contre Dieu et son plongeon dans la mort plutôt que de choisir la vie – est précisément ce qui fait ressortir toute la profondeur de la tragédie humaine et donc la nature tragique de l’Incarnation.  Le fait que seul Dieu, se faisant homme, puisse résoudre le problème, montre à quel point ce problème est profond. Aucune créature ne pourrait le faire. Seul Dieu lui-même, entrant dans le temps et se revêtant de chair humaine, est assez puissant pour résoudre la tragédie d’une humanité en rébellion contre son créateur. Et la mort du Christ n’a pas de sens sans la résurrection, car si sa mort avait été le dernier mot, alors la mort aurait gagné et la vie du Christ, loin d’être tragique, n’aurait été qu’un geste héroïque mais finalement absurde.

Bien sûr, la pièce de Haydn s’achève le Vendredi Saint, où se termine également le chef-d’œuvre de Bach. Pourtant, le Vendredi Saint est suivi du dimanche de Pâques. En effet, le Vendredi Saint n’a de sens qu’à la lumière du dimanche de Pâques et il y a donc un argument pour dire que ces deux chefs-d’œuvre, bien qu’ils soient artistiquement entiers et cohérents dans leurs propres termes, sont théologiquement incomplets. Le Vendredi Saint n’est vraiment tragique qu’à la lumière du dimanche de Pâques, sinon il est tout simplement absurde. Ainsi, peut être que la seule véritable tragédie est la tragédie chrétienne : une tragédie qui repose paradoxalement sur l’espoir.


Hadrien Ledanseur

Enfant de Dieu, passionné par la théologie et la philosophie. S'il est enfant de Dieu, c'est exclusivement en vertu des mérites de Jésus-Christ et de la grâce de Dieu. Si Dieu le veut, il se fiancera bientôt !

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