Cet article est le huitième d’une série consacrée à la logique classique (ou aristotélicienne, c’est-à-dire développée par Aristote). Le septième présentait les différentes propriétés des concepts. Cet article explique la différence entre concept, terme et mot. Si vous avez du mal à la comprendre, ne vous inquiétez pas, cette précision technique n’est pas très importante (et donc cet article non plus). Comme d’habitude, je reprendrai énormément le contenu du livre de Peter Kreeft, Socratic Logic des pages 40 et 41.
I. Les concepts
Le concept est quelque chose d’immatériel et invisible qui se trouve dans notre esprit (il est « privé ») et qui est produit par lui quand nous pensons à quelque chose (ex : notre esprit produit le concept de « chien » quand nous pensons à un chien). Il a sa place en épistémologie (la discipline de la philosophie qui étudie la connaissance).
II. Les termes
Il faut retenir deux idées importantes pour comprendre ce qu’est un terme. Premièrement, en logique, un terme est l’unité la plus basique, plus simple que les propositions et les arguments. Deuxièmement, un terme est l’une des deux extrémités (terme vient du mot latin « terminus » qui veut dire fin) d’une proposition (une phrase qui affirme quelque chose à propos de quelque chose). Il se trouve donc soit au début en tant que sujet, soit à la fin en tant que prédicat.
Si l’on pense à une proposition générale « A est B », un terme est tout ce qui peut soit être A (le sujet : ce dont on parle), soit être B (le prédicat : ce qu’on dit à propos du sujet). Dans « Laurent est chinois », « Laurent » est le sujet alors que « chinois » est le prédicat. Il n’y a pas d’objet logique plus petit (de même qu’il n’y a pas de matière plus petite que les atomes ou autres). Ce terme peut s’exprimer sous plusieurs formes, en plusieurs mots dans différentes langues. Les termes ne dépendent pourtant pas des langues, ils sont naturels et immuables.
Un terme est une réalité matérielle et exprime de manière objective1 (il est « public ») ce qui est connu de manière subjective2 dans un concept (qui est « privé »), une réalité immatérielle dans l’esprit de quelqu’un. Voici deux définitions plus techniques :
Le terme est le signe de l’idée et de la chose perçue par la simple appréhension. Immédiatement le terme signifie l’idée, et, médiatement, la chose perçue. Le terme livre signifie d’abord l’idée que l’intelligence a du livre, et ensuite, au moyen de l’idée (médiatement), il signifie le livre.
ROBERT, Arthur, Leçons de logique, Québec : Action Sociale limitée, 1915, [1ère éd. 1914], p. 15.
Les termes expriment des objets, ils sont l’expression des choses conçues par l’intelligence ; non pas l’expression des concepts subjectifs comme tels, mais l’expression des choses que les concepts représentent ; non pas cependant l’expression des choses telles qu’elles sont dans la nature, mais l’expression des choses telles que l’intelligence les conçoit, en un mot, ils désignent des objets connus.
MERCIER, D., Cours de philosophie. Logique, Louvain ; Paris : Félix Alcan, 1919, vol. 1, p. 114.
III. Les mots
Un mot est donc une expression linguistique d’un terme (qui lui est une expression logique). Chaque terme peut être exprimé par plusieurs mots. Par exemple, le terme associé au concept « chien » s’exprime par les mots « chien » en français, « dog » en anglais, « gou » en chinois ou « Hund » en allemand. Evidemment, les mots varient en fonction des langues. Contrairement aux termes qu’ils expriment, ils sont artificiels, conventionnels, muables et des réalités sensibles et physiques.
Réalités sensibles parce qu’accessibles à nos oreilles (quand on entend un mot), par nos yeux (quand nous lisons les mots d’une phrase) ou par le toucher (quand les aveugles touchent une écriture en braille). Réalités physique car si j’écris un mot, il est bien physique comme il se trouve sur une feuille, il prend de la place sur un support physique et il est composé d’atomes (les atomes de l’encre du stylo ou du crayon à papier). Mais même si je le prononce à l’oral, il est encore une réalité physique : c’est une suite d’ondes physiques qui se répandent dans l’air. Mercier explique bien la différence entre terme (qu’il appelle terme étudié en philosophie) et mot (qu’il appelle terme étudié en grammaire) :
En philosophie le terme est un signe logique parce qu’il représente un être logique, c’est-à-dire un être qui n’existe comme tel que dans l’intelligence. En effet, l’être que signifie le terme, c’est Vidée. Celle-ci, comme telle, n’existe que dans et par l’intelligence. Cette signification du terme s’appelle formelle. En grammaire, le terme est étudié au point de vue matériel, c’est-à-dire en tant qu’il est composé de syllabes.
ROBERT, Leçons de logique, op. cit., p. 15-16.
On peut aussi rajouter ce bon résumé de Couillaud qui inclut aussi le notion de l’essence (que nous verrons plus tard dans la série) :
Il faut distinguer le concept, d’abord de la chose elle-même ou de son essence. Le concept résulte d’un acte de connaissance, l’essence est principe de l’être de la chose et la rend définissable et connaissable.
Il faut ensuite distinguer le concept de l’image (ou phantasme) de la chose. Cette dernière est sensible et particulière et peut par exemple être reproduite par un dessin pour une image visuelle ; mais il y a aussi des images sonores, tactiles … etc. Le concept, lui, est universel.
Il faut enfin le distinguer du mot : ce dernier est le signe artificiel produit dans la voix pour signifier le concept.
COUILLAUD, Bruno, Raisonner en vérité, Paris ; Perpignan : Desclée de Brouwer, 2014, [1ère éd. 2003] p. 15-16.
Dans la suite de cette série d’articles, j’utiliserai « terme » et « mot » comme des synonymes. En effet, cette distinction ne me paraît pas importante pour notre but3 : apprendre à raisonner dans la vie de tous les jours.
Si les mots sont des objets, quel objet est représenté par le mot concept ? Ou conscience ?