Apprendre à raisonner (64) : Vérifier la validité d’un syllogisme avec les diagrammes d’Euler
5 septembre 2024

Cet article est le soixante-quatrième d’une série consacrée à la logique classique (ou aristotélicienne, c’est-à-dire développée par Aristote). Dans le soixantetroisième, j’ai listé les principales méthodes pour vérifier la validité d’un syllogisme. Dans cet article, je présenterai une méthode de vérification basée sur les diagrammes d’Euler. Comme d’habitude, je reprendrai énormément le contenu du livre de Peter Kreeft, Socratic Logic, pp. 237-242.


La méthode des diagrammes d’Euler est celle qui nous montre le mieux pourquoi un syllogisme est valide. Par contre, elle ne donne pas de résultats faciles à interpréter dans les cas de syllogismes de type I ou O. Elle consiste juste à :

  1. Représenter les deux prémisses1 par un diagramme d’Euler (un diagramme ou cercle par prémisse) et à les superposer de la bonne manière (l’un dans ou en dehors de l’autre).
  2. On peut maintenant vérifier visuellement la validité du syllogisme en voyant si les diagrammes collent avec la conclusion.

Cette méthode fonctionne grâce au moyen terme qui permet toujours de relier le grand au petit terme. De sorte qu’il y a toujours une relation entre les deux qui peut être décrite par les diagrammes d’Euler.

À présent, nous allons voir les différents cas possibles en fonction du type de proposition catégorique de la conclusion (A, E, I ou O, qui signifient, rappelons-le : propositions universelles affirmatives, propositions universelles négatives, propositions particulières affirmatives ou propositions particulières négatives) :

Les syllogismes avec une conclusion universelle affirmative (A)

Reprenons notre éternel exemple :

  1. Tous les hommes sont mortels. 
  2. Or Socrate est un homme. 
  3. Donc Socrate est mortel. 

Nous représentons la première prémisse Tous les hommes sont mortels. :

Ajoutons maintenant la deuxième prémisse Socrate est un homme au schéma déjà existant :

Vérifions la validité du syllogisme. On voit que le cercle Socrate est dans le cercle homme, ce qui correspond à la proposition Socrate est un homme, ce qui était notre conclusion. Donc on retrouve bien la conclusion dans notre diagramme d’Euler des prémisses (on voit bien la conclusion dans les prémisses). On peut en déduire que ce syllogisme est valide.

Les syllogismes avec une conclusion universelle négative (E)    

Prenons par exemple ce syllogisme :

  1. Aucune créature n’est parfaite (prémisse négative).
  2. Tous les anges sont des créatures.
  3. Donc aucun ange n’est parfait (conclusion négative).

On peut représenter ainsi la première prémisse :

Puis rajouter la seconde :

À nouveau, il suffit maintenant de voir si cela colle avec la conclusion Aucun ange n’est parfait. On voit que les deux cercles (le cercle parfait et le cercle créatures qui contient le cercle ange) sont bien séparés. Donc cette conclusion suit bien des prémisses.

Les syllogismes à conclusion et prémisses particulières affirmatives (I)

Les diagrammes d’Euler deviennent plus durs à utiliser quand on a un syllogisme avec une proposition particulière. En effet, comme on ne sait pas ce que contient précisément la classe particulière, on a un trait en pointillé qui apparaît.

Par exemple, si on a le syllogisme :

  1. Certains poissons ont des dents. (proposition particulière)
  2. Tout ce qui a des dents peut vous mordre.
  3. Donc certains poissons peuvent vous mordre.

On commence comme d’habitude par une prémisse (ici la seconde car c’est une proposition universelle) :

Puis on rajoute l’autre prémisse (la première) :

Dans ce cas précis, les pointillés indiquent qu’on ne sait pas si seulement certains poissons n’ont pas de dents. Une fois de plus, certains » est pris au sens d’au moins quelques-uns « (« certains et peut-être même tous » et non pas « seulement certains et sûrement pas tous »). À nouveau, le diagramme d’Euler montre qu’ici la conclusion suit bien des prémisses.

Prenons à présent un exemple plus difficile :

  1. Certains poissons ont des dents.
  2. Tous les poissons ont des branchies.
  3. Donc certaines choses qui ont des dents ont des branchies.

Ici, on peut remarquer qu’il est difficile de décrire la relation entre les choses qui ont des dents et les choses qui ont des branchies. Par conséquent, il est aussi compliqué de les représenter par des diagrammes d’Euler comme ceux-ci se basent sur cette relation.

Les syllogismes à conclusion et prémisses particulières négatives (O)

Dans certains cas (mais pas tous pour la même raison qu’avant), on peut traiter de manière satisfaisante des syllogismes avec des propositions catégoriques O. Pour cela, un seul schéma avec des pointillés ne suffit plus : il faut dessiner tous les autres cas possibles.

Par exemple, si l’on prend ce syllogisme :

  1. Certains généraux ne sont pas de bons hommes politiques.
  2. Cet homme est un bon homme politique.
  3. Donc cet homme n’est pas un bon général.

Commençons par la deuxième prémisse :

Ajoutons ensuite la première prémisse (de type O) :

Le schéma au-dessus n’est pas assez précis car il résume en réalité trois cas possibles. En effet, pour rappel, on ne sait quelle partie les deux cercles bons généraux et bons hommes politiques ont en commun. Si ça peut aider les matheux, on dira qu’on ne connaît pas l’intersection de ces deux ensembles. Voici tous les cas possibles où on fait varier à chaque fois quelle partie est en pointillés (en gros la partie en commun des deux cercles) :

Cas possible 1 : Intersection = aucune partie en commun

Les deux cercles n’ont aucune partie en commun, c’est-à-dire qu’il n’existe personne qui soit à la fois un bon général et un bon homme politique (l’intersection des deux ensembles est vide). Dans ce cas-là, cet homme est n’est pas un bon général et donc la conclusion est vraie : le syllogisme est alors valide.

Cas possible 2 : Intersection = une partie limitée

Les deux cercles ont une partie chacun en commun avec l’autre, c’est-à-dire qu’il existe des personnes qui ne sont que des bons généraux, d’autres qui ne sont que des bons hommes politiques et enfin d’autres qui sont les deux à la fois (l’intersection des deux ensembles est non-vide mais plus petite que les deux). Dans ce cas-là, on ne sait pas si cet homme est un bon général ou non (car tous les cas sont possibles). Donc la conclusion est fausse : le syllogisme est alors invalide.

Cas possible 3 : Intersection = un cercle entier

Le cercle bons généraux contient le cercle bons hommes politiques, c’est-à-dire que tous les bons généraux sont de bons hommes politiques (l’intersection des deux ensembles est non-vide et est égal à l’ensemble des bons hommes politiques). Dans ce cas-là, cet homme est (forcément car étant un bon homme politique il est de facto un bon général) un bon général et donc la conclusion est fausse: le syllogisme est alors invalide.

Conclusion :      

Comme on a vu que ce syllogisme n’est valide que dans un seul des trois cas (alors qu’il faudrait qu’il le soit dans tous) et qu’on ne sait pas dans lequel on se situe, on en conclut qu’il est invalide.

Dans son livre, Kreeft donne encore un autre exemple de syllogisme à prémisses I ou O avec cette fois une prémisse négative sur les dieux grecs handicapés. Pour des raisons de longueur et comme je ne trouve pas l’exemple indispensable, je me contenterai de vous y renvoyer (pp. 241-242).


Illustration : Charles Laplante, Éducation d’Alexandre par Aristote, gravure, 1866.

  1. Pour rappel, dans un syllogisme, il n’y a toujours que deux prémisses.[]

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

sur le même sujet

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *