Cet article est le vingt-neuvième d’une série consacrée à la logique classique (ou aristotélicienne, c’est-à-dire développée par Aristote). Dans vingt–huitième, j’ai expliqué de manière vague ce qu’est une définition. Dans cet article, je présenterai les différents types de définition. Comme d’habitude, je reprendrai énormément le contenu du livre Socratic Logic de Peter Kreeft des pages 124 à 129.
Il existe différents types de définitions :
Voici l’explication de chaque mot (beaucoup de ces notions ont déjà été présentées ici) :
- nominale (on définit le mot et non pas la chose désignée par le mot)
- essentielle (le genre + la différence spécifique)
- par les propres (au sens technique des prédicables appelés « propres »)
- par les accidents (des attributs non essentiels à une chose et dont elle peut se passer : ce qui est difficile, l’idée est d’ajouter un nombre suffisant d’accidents pour avoir une définition assez précise)
- par la cause efficiente ou l’agent (aussi appelée définition « génétique1»)
Par exemple : Un gland est une graine produite par chêne. L’anthrax est une maladie causée par la bactérie anthracis. - par la cause finale ou le but
Par exemple : Une maison est un bâtiment qui sert comme logement. Un œil est un organe fait pour voir. Un stylo est un instrument fait pour écrire avec de l’encre. - par la cause matérielle ou le contenu
Par exemple : L’eau est composée de deux molécules d’hydrogène et d’une d’oxygène. Les poissons sont des animaux dotés de branchies. L’atome d’hélium possède deux protons et un neutron dans un noyau. - par les effets
Par exemple : Une substance cancérigène est une substance qui a tendance à causer un cancer.
Les points 5, 6 et 7 font partie des quatre causes d’Aristote définies ici. La cause formelle n’apparaît pas parce que c’est la même chose que la définition essentielle. Voici un tableau qui regroupe des exemples concrets de définitions de chaque type :
Dans la suite de l’article, nous allons voir plus en détails les définitions nominales et les définitions essentielles.
Les définitions nominales
Les définitions nominales expliquent ce qu’un mot ou un nom désigne et pas nécessairement ce qu’une chose est. En d’autres mots, elles décrivent comment les gens utilisent ce mot. C’est ce genre de définitions qu’on trouve souvent dans les dictionnaires. Elles sont aussi artificielles que les langues : elles sont inventées plutôt que découvertes, des produits de conventions humaines plutôt que des vérités objectives universelles.
Celles-ci peuvent être :
- Des définitions qui donnent le sens usuel ou conventionnel2 d’un mot.
Exemples : Asiat est une forme abrégée d’asiatique souvent utilisée par les jeunes (c’est une convention des jeunes francophones). Le laurier est le signe de la paix. - Des définitions qui donnent un sens spécial bien choisi par un auteur (définitions stipulantes ou arbitraires) différent du sens courant
Exemple : Définissons une « pratique socialement acceptable » comme une pratique acceptée par au moins 50 % de la population. - Un synonyme
Exemple : S’énerver est le fait de s’irriter. - L’étymologie d’un mot
Exemples : La biologie est la matière scientifique qui étudie (« logie » vient du mot grec logos pour discours) la vie (« bio » qui vient du mot grec bios pour la vie). La philosophie est l’amour (du grec φιλῶ) de la sagesse (du grec σοφία). - Une liste d’exemples3
Exemple : Faire du bien, c’est donner de la nourriture ou de l’argent à son prochain, aider une mère à descendre ou à monter sa poussette dans les escaliers, rendre service à ses proches, etc.
À proprement parler, les définitions nominales ne sont pas vraiment des définitions de choses mais de mots, on ne peut pas leur appliquer toutes les règles qu’on a vues avant. Par contre, on peut au moins éviter les erreurs d’être trop général ou trop précis.
Quand on débat à propos des définitions nominales, on ne cherche pas à savoir si elles sont vraies ou fausses (comme elles ne reflètent pas nécessairement la réalité). Mais si elles sont vraiment utilisées dans ce sens ou non.
Cela dit, il arrive qu’il soit difficile de déterminer si une définition donnée est nominale ou réelle. Si elle est nominale, il est plus sage de l’indiquer explicitement en mettant le mot défini en italique ou entre guillemets.
Les définitions essentielles
La définition essentielle est celle qui explique une chose au moyen des éléments constitutifs de la nature de cette même chose. Ex. : Les corps sont des substances corporelles. Un animal est un vivant sensible. Le vivant est un corps organique. La définition essentielle est la définition rigoureusement scientifique et philosophique.
Arthur Robert, Leçons de logique, Québec : Action Sociale limitée, 1915, [1re éd. 1914], p. 24.
Ce sont les définitions idéales comme elles nous décrivent l’essence, la nature ou ce qu’est une chose4 en analysant le sens de cette essence en deux parties :
- La partie commune, générique ou générale de l’essence (le genre) : la classe générale à laquelle la chose appartient, elle doit être la plus proche5 (le bon genre pour l’homme est « animal » et non pas « substance » ni « organisme » ni encore « être-vivant », le bon genre pour triangle est « figure géométrique » et non pas « figure », celui pour la démocratie « gouvernement » au lieu de « société »)
Exemples : L’homme est un animal. Les triangles sont des formes géométriques. Les marteaux sont des outils. La monarchie est une forme de gouvernement. Le christianisme est une religion. - La partie spécifique ou caractéristique de l’essence (la différence spécifique ou le propre)
La différence spécifique différencie la chose des autres membres (espèces) de son genre
Exemples : L’homme est rationnel. Les triangles ont trois côtés. Les marteaux permettent d’enfoncer des clous. La monarchie est le gouvernement par un seul homme. Le christianisme confesse que « Jésus est Seigneur (Dieu) ».
Elles nous permettent ainsi d’avoir l’espèce (= le genre + la différence spécifique) de la chose définie.
Les propres peuvent toutefois remplacer les différences spécifiques si besoin. Dans ce cas, on n’a plus de définition par l’essence mais une définition par les propres. Par exemple, « L’homme est un animal qui écrit » où le propre est « qui écrit » au lieu de la différence spécifique « raisonnable ».
Il est important de rappeler qu’un genre et une espèce ne sont pas des classes arbitraires inventées par l’homme sans rapport avec la réalité (c’est ce qu’affirme le nominalisme). Ce sont plutôt des classes qui correspondent vraiment à la réalité (en tout cas elles essayent de s’en rapprocher au maximum), ce qu’affirme le réalisme.
Illustration : Éducation d’Alexandre par Aristote, gravure de Charles Laplante, publiée dans le livre de Louis Figuier, Vie des savants illustres – Savants de l’antiquité (tome 1), Paris, 1866, pages 134-135.
- Génétique au sens de l’origine tout comme dans sophisme génétique, donc définition « par l’origine ».[↩]
- Sur lequel la société s’est mis d’accord.[↩]
- À strictement parler, ce n’est pas une définition. C’est ce que dénonce Socrate dans le Ménon de Platon (un dialogue) lorsque que son interlocuteur définit la vertu en citant une suite d’exemples.[↩]
- Et pas seulement ses attributs secondaires.[↩]
- Ce qu’on appelle le genre prochain.[↩]
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