Apprendre à raisonner (59) : L’objection sceptique au syllogisme
15 août 2023

Cet article est le cinquante-neuvième d’une série consacrée à la logique classique (ou aristotélicienne, c’est-à-dire développée par Aristote). Dans le cinquantehuitième, j’ai donné une introduction au syllogisme en présentant sa structure et sa stratégie. Dans cet article, je présenterai l’objection sceptique au syllogisme et proposerai une réponse. Comme d’habitude, je reprendrai énormément le contenu du livre Socratic Logic de Peter Kreeft, pp. 219-222.


Les sceptiques ont proposé une objection qui consiste à dire que le syllogisme est incorrect car il est impossible de justifier ses prémisses.

Pour comprendre leur argument, prenons notre sempiternel exemple : 

  1. Tous les hommes sont mortels. 
  2. Or Socrate est un homme. 
  3. Donc Socrate est mortel.

Pour le sceptique, le syllogisme est invalide car il conduit inévitablement à une remontée à l’infini :  

  •  Pour démontrer la conclusion 3., on a besoin démontrer les prémisses 1. et 2. 
  •  Du côté de la prémisse 1. : 
    • Pour justifier la prémisse 1., on a besoin d’une prémisse 1.a. : il faut donc justifier la prémisse 1.a. 
    • Pour justifier la prémisse 1.a, on a besoin d’une prémisse 1.b. qu’il faudra encore justifier.
    • On aura de même besoin de justifier une suite de prémisses 1.c, 1.d, 1.e, et ainsi de suite à l’infini.  
  •  Du côté de la prémisse 2. : 
    • Pour justifier la prémisse 2., on a besoin d’une prémisse 2.a. : il faut donc justifier la prémisse 2.a. 
    • Pour justifier la prémisse 2.a, on a besoin d’une prémisse 2.b. qu’il faudra encore justifier.
    • On aura de même besoin de justifier une suite de prémisses 2.c, 2.d, 2.e, et ainsi de suite à l’infini.  

On en conclut que dans les deux cas (prémisses 1. et 2.), on tombe dans une chaîne sans fin de prémisses à prouver. Ce qui manifeste l’impuissance du syllogisme.

La réponse à cette objection, c’est celle d’Aristote : effectivement, il faut un point d’arrêt à ces chaînes sans fin et il en existe bien ; il y en a de deux sortes : 

  1. Les expériences sensibles, par exemple : « Je vois un chat devant moi. », « J’ai entendu la Marseillaise. », « Les frites de MacDonald me brûlent les doigts. » 
  2. Les premiers principes, des principes évidents qui s’auto-justifient : les trois lois suprêmes de la logique qui sont le principe d’identité, le principe de non-contradiction et le principe du tiers-exclu. On pourrait même rajouter à la suite de Leibniz le principe de raison suffisante duquel découle le principe de causalité. On ne peut pas à proprement parler prouver ces principes (à partir de prémisses antérieures) mais on peut les prouver par l’absurde : si on les nie on tombe dans l’absurdité, une impossibilité. Pour plus de détails, voir la section qui y est exclusivement consacrée. Se pose alors la question de savoir comment les premiers principes sont valides : par la raison ou par la foi ? Kreeft dit que c’est par une intuition que l’on sait que ce qui est autosuffisant est nécessaire. Le nier encore une fois, c’est tomber dans l’absurdité.

Illustration : Charles Laplante, Éducation d’Alexandre par Aristote, gravure, 1866.

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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