Du Fondamentalisme
5 décembre 2024

1925, Dayton, Tenessee. Le professeur Scopes est accusé d’avoir enseigné l’évolutionnisme dans son école. Son avocat, Darrow, interroge comme « expert » le fondamentaliste Bryan.

BRYAN : Je ne tenterais pas de fixer une date. La date est fixée comme cela a été suggéré ce matin.
DARROW : Mais que pensez-vous que la Bible elle-même dit ? Ne savez-vous pas comment cela a été déterminé ?
BRYAN : Je n’ai jamais fait de calcul.
DARROW : Un calcul à partir de quoi ?
BRYAN : Je ne saurais dire.
DARROW : À partir des générations humaines ?
BRYAN : Je ne voudrais pas dire cela.
DARROW : Qu’en pensez-vous ?
BRYAN : Je ne pense pas aux choses auxquelles je ne pense pas.
DARROW : Pensez-vous aux choses auxquelles vous pensez ?
BRYAN : Eh bien, parfois.

Telle est souvent l’image du fondamentalisme dont nous avons déjà parlé : ignorance crasse, anti-intellectualisme, rétrogrades, dangereux fanatiques, opposants à la science et, parfois, complotistes. Une telle perception est omniprésente, nourrie par des décennies de caricatures dans les médias, les discours académiques et populaires. Cependant, cette vision simplifiée ne rend pas justice à ce qu’ils furent réellement, ni à la richesse de leur héritage spirituel et culturel.

Le fondamentalisme, malgré ses excès et ses faiblesses, a joué un rôle crucial dans la défense de la foi chrétienne en des temps de crises intellectuelles et culturelles majeures. Il a su mobiliser des croyants autour des vérités fondamentales de l’Évangile, à une époque où le libéralisme théologique menaçait d’éroder les bases de la foi biblique. Enfin, il est le substrat à partir duquel le mouvement de Lausanne s’est lancé, soit l’évangélisme contemporain.

Dans cet article, nous proposons une analyse équilibrée et historique du fondamentalisme. Plutôt que de céder aux jugements simplistes ou aux critiques hostiles, nous visons une présentation fidèle, inscrite dans une perspective théologique réformée évangélique.

Pour ce faire, nous explorerons le fondamentalisme à travers deux approches :

  1. Une analyse scolastique, en mobilisant les quatre causes aristotéliciennes pour éclairer sa nature et son rôle. C’est la méthode la plus adaptée pour décrire de façon synchrone.
  2. Une approche historique, retraçant son émergence, ses évolutions, et son impact sur l’Église et la culture. C’est la méthode la plus adaptée pour décrire son héritage et ses développements.

Quod est fundamentalismus?

Nous rappelons que les quatre causes aristotéliciennes sont :

  1. La cause matérielle : de quoi est faite la chose étudiée?
  2. La cause formelle: qu’est ce que la chose étudiée?
  3. La cause efficiente : qu’est ce qui la produit ?
  4. La cause finale : en vue de quoi existe-t-elle?

I. Cause matérielle : De quoi est constitué le fondamentalisme ?

A. Les éléments doctrinaux qui le composent

  1. Les « fondamentaux » de la foi chrétienne :

Les « cinq points du fondamentalisme » sont un ensemble de doctrines théologiques qui sont devenues un cri de ralliement pour le mouvement fondamentaliste au début du XXe siècle. Ces points, qui sont apparus pour la première fois en 1910 lors de l’Assemblée générale de l’Église presbytérienne, ont été conçus comme une déclaration des doctrines « essentielles » pour contrer la montée du modernisme théologique. Il est intéressant de noter que ce sont les libéraux, et non les fondamentalistes eux-mêmes, ont formulé les cinq points dans la forme classique qu’ils ont prise dans l’histoire.

Voici les cinq points du fondamentalisme, ainsi que leur contexte :

1. L’infaillibilité des Écritures: Cette doctrine affirme que la Bible est sans erreur dans ses manuscrits originaux et qu’elle est l’autorité ultime en matière de foi et de pratique. Les fondamentalistes ont défendu avec ferveur l’infaillibilité des Écritures contre les critiques de la « Haute Critique », une approche académique qui remettait en question l’historicité et l’autorité de la Bible. Ils voyaient l’infaillibilité comme un rempart essentiel contre le modernisme théologique, qui cherchait à réinterpréter la Bible à la lumière de la pensée moderne.

2. La naissance virginale de Jésus: Cette doctrine affirme que Jésus est né de la Vierge Marie par la puissance du Saint-Esprit. Les fondamentalistes considéraient la naissance virginale comme une preuve de la divinité de Jésus et un miracle essentiel pour le plan du salut de Dieu. Ils ont vigoureusement défendu cette doctrine contre les modernistes qui la considéraient comme un mythe ou une allégorie.

3. L’expiation substitutive de Jésus: Cette doctrine affirme que Jésus est mort sur la croix comme un substitut pour les pécheurs, prenant sur lui la punition que nous méritions. L’expiation substitutive est au cœur de la théologie évangélique, et les fondamentalistes la considéraient comme essentielle pour la compréhension du salut. Ils ont combattu les modernistes qui proposaient des interprétations alternatives de la mort de Jésus, comme la théorie de l’influence morale.

4. La résurrection corporelle de Jésus: Cette doctrine affirme que Jésus est physiquement ressuscité des morts, prouvant sa victoire sur la mort et le péché. La résurrection est la pierre angulaire de la foi chrétienne, et les fondamentalistes la considéraient comme un événement historique et littéral. Ils se sont opposés aux modernistes qui interprétaient la résurrection de manière symbolique ou métaphorique.

5. L’authenticité des miracles ou le retour personnel et glorieux du Christ : Ce point a connu une certaine variation au fil du temps. Initialement, il mettait l’accent sur l’authenticité de tous les miracles rapportés dans la Bible. Cependant, il a souvent été remplacé par la doctrine du retour personnel et glorieux de Jésus-Christ. Les fondamentalistes, particulièrement influencés par le millénarisme dispensationaliste, croyaient en un enlèvement imminent des chrétiens avant une période de tribulation sur terre. Ils voyaient les événements mondiaux et les crises sociales comme des signes avant-coureurs du retour imminent du Christ.

Contexte:

L’émergence des cinq points du fondamentalisme est inextricablement liée à la montée du modernisme théologique au début du XXe siècle. Le modernisme, influencé par les progrès scientifiques, la critique biblique et la philosophie libérale, cherchait à réconcilier le christianisme avec la pensée moderne. Cela a conduit à une remise en question des doctrines traditionnelles et à une nouvelle interprétation de la Bible.

Les fondamentalistes ont perçu le modernisme comme une menace existentielle pour la foi chrétienne. Ils craignaient que la redéfinition du christianisme par les modernistes ne conduise à un affaiblissement de l’Évangile et à une perte de l’autorité biblique. Les cinq points ont donc été formulés comme un moyen de réaffirmer les doctrines fondamentales et de tracer une ligne de démarcation claire entre le fondamentalisme et le modernisme.

Le contexte sociopolitique de l’Amérique du début du XXe siècle a également joué un rôle important dans l’émergence du fondamentalisme. Les changements rapides de la société américaine, l’urbanisation croissante et la sécularisation ont créé un sentiment d’incertitude et d’anxiété chez de nombreux chrétiens évangéliques. Le fondamentalisme offrait un sentiment de certitude et de stabilité face à ces changements, en s’accrochant à une interprétation littérale de la Bible et en défendant les valeurs traditionnelles. Mais tout cela sera développé plus bas.

B. Les textes et ressources fondamentaux

  • Les conférences de Niagara (1878-1897). Les conférences de Niagara, tenues à Niagara-on-the-Lake, ont joué un rôle clé dans l’émergence du fondamentalisme américain en offrant une plateforme pour la diffusion des doctrines fondamentales (inerrance biblique, retour du Christ, etc.), la mobilisation contre le modernisme théologique et la formation de réseaux influents. Ces rencontres ont permis aux participants de renforcer leur identité collective et de développer des stratégies de résistance face aux défis posés par les courants libéraux, tout en promouvant un zèle missionnaire. Elles ont ainsi fourni un cadre institutionnel essentiel pour la cristallisation des idées et alliances qui allaient structurer le fondamentalisme dans les décennies suivantes.
  • The Fundamentals (1910-1915), « The Fundamentals: A Testimony to the Truth » est une série de douze brochures publiées entre 1910 et 1915, financée par Lyman Stewart, un millionnaire californien. Elle visait à défendre la foi chrétienne orthodoxe face au modernisme théologique et à la critique biblique. Les brochures couvraient des sujets variés, tels que la défense de l’inerrance biblique, des doctrines traditionnelles comme la Trinité, le péché et le salut, ainsi que des critiques des mouvements religieux modernes. Distribuées gratuitement à plusieurs millions de personnes, elles ont joué un rôle clé dans la popularisation des doctrines fondamentalistes et dans la création d’une base commune pour le mouvement. The Fundamentals est ainsi considéré comme un texte fondateur du fondamentalisme, renforçant la polarisation entre les fondamentalistes et les modernistes, tout en contribuant à la diffusion de ces idées à travers le monde anglophone.

II. Cause formelle : Quelle est l’essence ou la structure du fondamentalisme ?

A. Définition formelle

Le fondamentalisme est une expression doctrinale et militante du christianisme évangélique qui cherche à défendre les vérités essentielles de la foi chrétienne contre toute déviation perçue, qu’elle soit théologique, culturelle ou sociale. Ce mouvement, né au début du XXᵉ siècle, se distingue par sa volonté de préserver l’intégrité doctrinale de l’Évangile dans un contexte marqué par la montée du modernisme théologique et la sécularisation de la société.

Caractéristiques principales :

  1. Une approche littéraliste des Écritures
    • Le fondamentalisme s’appuie sur une lecture littérale de la Bible, affirmant que celle-ci est inerrante et divinement inspirée dans toutes ses parties. Ce littéralisme s’oppose aux interprétations symboliques ou critiques, en particulier celles issues de la critique historico-critique. Les fondamentalistes considèrent la Bible comme la norme suprême pour la foi et la vie, rejetant toute tentative de l’adapter aux idées modernes ou à la science, notamment en matière de récits de la création ou des miracles.
  2. Un esprit séparatiste
    • Le fondamentalisme adopte une posture de séparation face à ce qu’il perçoit comme des compromis doctrinaux ou des influences corruptrices, que ce soit au sein des Églises ou dans la société. Ce séparatisme se traduit par le rejet des alliances avec des groupes ou des individus qui n’adhèrent pas pleinement à leurs convictions. Cette tendance est souvent associée à la méfiance envers les institutions libérales ou œcuméniques, perçues comme une menace pour la pureté de la foi.
  3. Une orientation apologétique et militante
    • Le fondamentalisme est intrinsèquement militant, se positionnant comme un bastion de la vérité chrétienne face aux erreurs théologiques et aux influences culturelles jugées destructrices. Cette militance s’exprime à travers une apologétique active, visant à défendre et promouvoir les doctrines chrétiennes fondamentales. Les fondamentalistes n’hésitent pas à entrer dans des débats publics, à organiser des conférences, et à publier des ouvrages ou des pamphlets (comme The Fundamentals) pour répondre aux critiques et réaffirmer la supériorité de leur vision théologique.

B. Organisation et manifestations

  1. Forme institutionnelle :
    • Les conférences et conventions ont joué un rôle majeur dans cette organisation. Parmi elles, les conférences bibliques de Niagara (Niagara Bible Conference), tenues annuellement de 1876 à 1950 au Canada, ont servi de creuset pour le mouvement fondamentaliste naissant, offrant une plateforme pour la discussion des doctrines fondamentales et la mobilisation contre le modernisme théologique. De même, la General Conference on Fundamentals, organisée en 1920 par des fondamentalistes baptistes, visait à protester contre l’influence croissante du modernisme dans les églises. Ces événements témoignent de la volonté des fondamentalistes de s’organiser et de se structurer dans un cadre institutionnel.
    • Les publications et médias ont également été des outils essentiels pour la diffusion des idées fondamentales. La série de brochures intitulée The Fundamentals, publiée entre 1910 et 1915, a eu un impact considérable en unifiant et popularisant les doctrines du fondamentalisme à travers le monde anglophone. Parallèlement, des journaux et des revues comme The Watchman Examiner et The King’s Business ont été créés pour contrer l’influence des médias libéraux et promouvoir un message fondamentaliste.
    • Les institutions éducatives ont également été un pilier du mouvement, avec la création d’instituts bibliques et de collèges comme Wheaton College ou l’université Bob Jones, visant à former des pasteurs et missionnaires fondamentalistes, tout en offrant une alternative aux établissements libéraux. Des groupes d’étudiants, tels que l’InterVarsity Christian Fellowship (IVCF), ont aussi été formés pour promouvoir la foi évangélique sur les campus universitaires.
    • Face à l’influence grandissante du modernisme dans les grandes dénominations, certains fondamentalistes ont choisi de fonder des églises indépendantes ou même de créer de nouvelles dénominations séparatistes. Cela a particulièrement concerné les dispensationalistes, pour qui la séparation du monde était un principe fondamental. D’autres ont vu la naissance d’églises charismatiques ou pentecôtistes, mettant l’accent sur une lecture littérale de la Bible et l’expérience religieuse personnelle.
    • Le mouvement a aussi engendré des organisations para-ecclésiastiques telles que des sociétés missionnaires indépendantes, qui œuvraient à la propagation de l’évangile en accord avec une vision eschatologique, ainsi que des organisations de jeunesse, comme celles de Bill Gothard, formant les jeunes à une vision fondamentaliste du monde.
    • Enfin, au XXe siècle, les fondamentalistes ont trouvé une place croissante dans le domaine politique, notamment à travers la droite religieuse. Ce mouvement, défendant des positions conservatrices sur des questions telles que l’avortement, le mariage homosexuel et l’enseignement de l’évolution, a été largement influencé par les idéaux fondamentalistes.
  2. Forme idéologique :
    Les formes idéologiques du fondamentalisme, notamment dans le contexte du protestantisme américain, révèlent un mouvement complexe et hétérogène, avec des convictions qui varient en fonction des contextes géographiques, culturels et historiques.
  • Le fondamentalisme se distingue par un anti-modernisme militant, qui se manifeste par une opposition virulente au modernisme, que ce soit en théologie ou dans les changements culturels. Les fondamentalistes perçoivent le modernisme comme une menace directe à la foi chrétienne orthodoxe, cherchant à défendre les doctrines traditionnelles contre l’influence du libéralisme religieux. Cette opposition englobe une critique des courants de pensée modernes comme la critique biblique, l’évolutionnisme et le naturalisme scientifique, auxquels les fondamentalistes répondent par une interprétation littérale et inerrante des Écritures.
  • Un autre pilier idéologique du fondamentalisme est le biblicisme, une conviction centrale qui affirme que la Bible est la Parole de Dieu, infaillible et inspirée dans son intégralité. Cela se traduit par une approche rigide de l’interprétation biblique, où la raison est subordonnée à l’autorité des Écritures, et par le rejet des conclusions scientifiques ou philosophiques modernes qui contredisent cette lecture littérale. Cette insistance sur la Bible mène également au développement de systèmes d’interprétation comme le dispensationalisme, qui divise l’histoire en différentes périodes ou dispensations marquées par des lois divines distinctes, tout en influençant profondément la vision du monde des fondamentalistes, notamment leur eschatologie.
  • Le fondamentalisme met également l’accent sur l’individualisme et l’évangélisation, valorisant la conversion individuelle et l’expérience personnelle du salut. Cette approche s’inscrit dans la tradition du revivalisme américain, où l’accent est mis sur une « nouvelle naissance » spirituelle et sur l’importance de la proclamation de l’Évangile. Les fondamentalistes privilégient une mission active et un engagement évangélique pour diffuser leur message, tout en manifestant une méfiance envers les structures institutionnelles et en valorisant l’autonomie des églises locales, tout en restant organisés pour défendre leurs convictions. Les fondamentalistes ne sont pas sans paradoxe.
  • Une autre caractéristique du fondamentalisme est la pureté doctrinale et la séparation du monde. Les fondamentalistes attachent une grande importance à la défense des fondamentaux de la foi chrétienne et se montrent prêts à se séparer des églises et organisations qui dévient de ces principes. Ils voient le monde comme corrompu et hostile à la foi chrétienne, et cherchent à se protéger de ses influences par une séparation marquée, tant sur le plan culturel que social. Cela se traduit par une méfiance envers la sécularisation, la libéralisation des mœurs et d’autres valeurs modernes perçues comme une menace à la morale chrétienne.
  • Enfin, le fondamentalisme se distingue par un militantisme et une confrontation constants. Les fondamentalistes sont prêts à s’engager dans des polémiques publiques, à défendre leur vision par tous les moyens nécessaires et à dénoncer ce qu’ils considèrent comme des erreurs et des dangers pour la foi chrétienne et la société. Ce militantisme se manifeste dans des domaines variés, tels que la lutte contre l’enseignement de l’évolution, l’opposition à l’avortement ou aux droits des homosexuels, et la défense d’une vision traditionnelle de la famille et de la société. Toutefois, ce militantisme peut parfois glisser vers l’extrémisme, avec des formes de fondamentalisme plus intolérantes, qui rejettent tout dialogue avec d’autres religions ou courants de pensée.

III. Cause efficiente : Quelle est l’origine ou la cause motrice du fondamentalisme ?

Il est préférable de renvoyer cette question au traitement historique qui suivra, car l’Histoire, en tant qu’étude des causes motrices des événements humains, offre la meilleure perspective pour comprendre l’origine et le développement du fondamentalisme.

IV. Cause finale : Quelle est la finalité ou le but du fondamentalisme ?

A. Finalité intrinsèque (objectif principal)

L’objectif principal du fondamentalisme est de protéger la foi chrétienne en défendant les vérités essentielles de l’Évangile. Il s’agit avant tout de préserver l’intégrité doctrinale face aux erreurs théologiques et aux dérives culturelles qui menacent, selon ses partisans, l’essence même de la foi chrétienne. Cette mission de protection vise à maintenir la pureté des enseignements bibliques et à résister aux influences perçues comme déviantes ou corrompues.

B. Finalité extrinsèque (effets ou résultats)

Pour l’Église, le fondamentalisme cherche à préserver une identité doctrinale claire, en maintenant l’adhésion aux vérités bibliques fondamentales. Il encourage également une vie chrétienne authentique, distincte des influences mondaines, afin de garantir la pureté spirituelle et morale des croyants.

Pour le monde, la finalité extrinsèque consiste à proclamer l’Évangile de manière intransigeante, sans compromis, face à une culture de plus en plus sécularisée. Les fondamentalistes cherchent à défendre les principes bibliques et à rappeler la nécessité d’une conversion sincère, même dans une société qui s’éloigne des valeurs chrétiennes traditionnelles.

C. Finalité ultime (perspective eschatologique)

La finalité ultime du fondamentalisme est la glorification de Dieu à travers une fidélité sans faille à sa Parole. En plus de l’impératif de répandre l’Évangile, cette vision inclut la préparation des croyants au retour imminent du Christ, une perspective eschatologique souvent associée au dispensationalisme, qui envisage une fin des temps marquée par l’accomplissement des prophéties bibliques.


L’enfant terrible des évangéliques du XIXe siècle : un traitement historique

Cette section est surtout basée sur Georges Marsden, Fundamentalism and American Culture, la lecture la plus utile sur le sujet. J’ai aussi consulté George Treloar, The Disruption of Evangelicalism et Hutchinson et Wolffe, A short history of Global Evangelicalism.

I. Origine et contexte

Au commencement du fondamentalisme américain, il y a le peuple évangélique américain de la fin du XIXeme siècle. L’évangélisme englobait alors la plupart des grandes confessions protestantes, ainsi que des mouvements revivalistes plus récents, notamment les mouvements de sainteté et les pré-millénaristes. L’Amérique est alors un pays entièrement et complètement évangélique, mais plusieurs développement historique viennent agresser et subvertir ce consensus :

La rapide urbanisation des États-Unis au tournant du XXe siècle a entraîné un bouleversement profond des structures sociales traditionnelles, suscitant une inquiétude croissante quant à la préservation des valeurs chrétiennes. Les populations, autrefois ancrées dans des communautés rurales soudées, se sont massivement déplacées vers les centres urbains, créant une fracture entre les anciennes habitudes de vie et les nouvelles réalités de la ville. Imaginez le contraste entre Walnut Grove, un village où la vie morale et saine se déroule sous la conduite d’un pasteur méthodiste, et Chicago, où l’alcoolisme, la dissolution des familles et l’absence de discipline collective fragilisent les pratiques chrétiennes. Ce phénomène ne se limitait pas aux États-Unis; toutes les sociétés chrétiennes occidentales ont dû faire face à cette transition difficile, et les États-Unis n’ont pas été épargnés par cette transformation sociale et culturelle, qui a profondément affecté les fondements mêmes de la foi et des valeurs chrétiennes.

L’arrivée de millions d’immigrants, surtout ceux qui étaient catholiques et juifs, a suscité de vives inquiétudes parmi les protestants américains de la fin du XIXe siècle, qui craignaient pour l’avenir de la culture protestante dominante. Les vagues d’immigration en provenance d’Irlande et d’Italie, en particulier, étaient perçues comme une sorte d’invasion papiste par une grande partie de la population protestante. Cette crainte de dilution des valeurs protestantes s’est intensifiée avec la croissance rapide de ces communautés et la visibilité croissante de l’Église catholique, vue par beaucoup comme une force étrangère et potentiellement subversive, en contradiction avec les principes réformés et protestants de l’époque.

Les théories de l’évolution de Darwin et la critique biblique moderniste ont profondément remis en question les interprétations littérales traditionnelles de la Bible. La théorie de l’évolution, en particulier, proposait une vision de l’origine de l’humanité en contradiction directe avec le récit biblique de la création. De même, la critique moderniste de la Bible, qui cherchait à interpréter les Écritures sous un angle historique et rationnel, contredisait l’approche traditionnelle fondée sur l’inerrance et l’autorité absolue des textes sacrés.

Cette nouvelle science était en opposition avec la vision plus empirique et inductive de la science baconienne, qui avait dominé l’édifice intellectuel américain. Selon cette approche, l’observation objective des faits devait mener à des conclusions et à une classification logique de la nature, sans préjugé théologique. Les théories évolutives et la critique moderniste, en remettant en cause les vérités révélées, apparaissaient donc comme une rupture par rapport à la tradition scientifique et théologique qui avait façonné la pensée chrétienne en Amérique.

Aux yeux des évangéliques du XIXe siècle, cette nouvelle science n’était pas seulement incompatible avec la foi chrétienne, mais elle constituait un paradigme étranger, perçu comme une forme de fausse science. Pour eux, l’évolution et la critique moderniste étaient des tentatives de subvertir la vérité biblique, en offrant des explications qui évacuaient la dimension spirituelle et divine de l’existence humaine. Ces développements intellectuels nourrissaient la méfiance du mouvement fondamentaliste, qui voyait en eux une menace directe pour l’intégrité des croyances chrétiennes traditionnelles.

A la fin du XIXe siècle, l’émergence du libéralisme théologique a suscité de vives inquiétudes parmi les théologiens conservateurs. En cherchant à adapter le christianisme aux courants de pensée modernes, notamment en réinterprétant les Écritures à la lumière des découvertes scientifiques et des philosophies contemporaines, les théologiens libéraux ont remis en question des doctrines centrales de la foi chrétienne. Pour les fondamentalistes, cette tentative d’adaptation était perçue comme une dilution de la vérité biblique et une menace directe pour l’intégrité de la foi chrétienne authentique. Les conservateurs voyaient dans ce libéralisme non seulement une remise en cause des fondements spirituels du christianisme, mais aussi un danger pour la cohésion morale et doctrinale de l’Église et une menace pour la survie de la civilisation américaine toute entière.

Face à des changements rapides et à des défis grandissants, les évangéliques conservateurs américains de la fin XIXe siècle ont ressenti un profond sentiment de crise. Ils redoutaient que le christianisme ne soit corrompu par le modernisme et que la culture américaine s’éloigne de ses racines bibliques, mettant en péril l’intégrité des valeurs chrétiennes traditionnelles. Le fondamentalisme est ainsi apparu comme une réaction directe à cette crise, cherchant à réaffirmer la vérité des Écritures à travers une interprétation littérale de la Bible. Cette réaction s’est accompagnée d’une opposition résolue au modernisme, tant dans la théologie que dans la culture, avec l’objectif de préserver ce que ses défenseurs considéraient comme l’essence de la foi chrétienne face aux courants de pensée perçus comme déviants.

Les chrétiens protestants américains ne furent bien sûr pas les seuls à être touchés. Mais ils furent parmi les seuls à être les propriétaires d’une chrétienté et une civilisation évangélique, contrairement aux français et aux allemands par exemple. Et même par rapport à leurs cousins anglais, les évangéliques américains avaient les différences suivantes, qui les ont prédisposé au fondamentalisme :

FacteurÉvangéliques AméricainsÉvangéliques Anglais
Absence d’une Église établieAbsence d’une Église dominante, environnement religieux plus diversifié et concurrentiel. Favorisation de l’individualisme et de l’activisme religieux.L’Église anglicane, institution dominante. Approche plus modérée et conciliante.
Revivalisme sans oppositionLe revivalisme a été central, avec peu de résistance des institutions. Culture religieuse intense et émotionnelle, marquée par des conversions soudaines et des expressions démonstratives de la foi.Le revivalisme a été tempéré par l’influence des universités et des traditions religieuses anciennes, avec une approche plus intellectuelle et modérée.
Héritage du PuritanismeForte influence puritaine, avec un accent sur la pureté doctrinale, la rigueur morale et une interprétation littérale de la Bible. Vision intransigeante face à la modernité.Influence puritaine moins marquée. Approche plus pragmatique et accommodante face à la modernité.
Expérience de la MarginalisationSentiment de marginalisation face à la montée du sécularisme et du libéralisme théologique. Réaction défensive et agressive.Minorité traditionnelle mais coexistence avec d’autres groupes religieux. Culture de dialogue et approche moins conflictuelle.

II. Histoire

Au commencement donc est le peuple évangélique américain de la fin du XIXe siècle, dans sa diversité. Certains comme Henry Ward Beecher s’oriente vers les nouvelles idées modernes venues d’Europe, d’autres s’en éloignent, comme Jonathan Blanchard. Mais ce sont là des tendances individuelles, pas encore un mouvement d’opposition organisé et déterminé.

A. Les précurseurs (fin du XIXe siècle – début du XXe siècle)

Les mouvements revivalistes ont joué un rôle crucial dans la formation du fondamentalisme américain. Ils ont contribué à façonner un terrain fertile pour l’émergence de ce mouvement en inculquant des valeurs, des croyances et des pratiques qui ont ensuite été adoptées et intensifiées par les fondamentalistes.

L’accent sur l’expérience personnelle et l’émotion: Le revivalisme mettait l’accent sur la conversion personnelle, une expérience émotionnelle intense qui marquait un changement radical dans la vie du croyant. Cette focalisation sur l’individu et son expérience subjective a contribué à créer un climat de ferveur religieuse et de zèle missionnaire. Les fondamentalistes ont hérité de cette importance accordée à l’expérience personnelle, mais ils l’ont canalisée vers une défense plus rigide et doctrinale de la foi.

Le Biblicisme et l’interprétation littérale de la Bible: Les revivalistes étaient profondément attachés à la Bible et la considéraient comme la source ultime de l’autorité religieuse. Ils prônaient une lecture littérale des Écritures, affirmant que chaque mot était inspiré par Dieu. Cette approche biblique a été reprise et amplifiée par les fondamentalistes, qui ont fait de l’inerrance biblique un point central de leur doctrine.

L’hostilité envers le modernisme et la culture séculière: Les revivalistes étaient souvent critiques envers les tendances modernistes de la société, qu’ils percevaient comme une menace pour la foi chrétienne. Ils s’opposaient à des idées comme l’évolution, la critique biblique et le libéralisme théologique. Cette hostilité envers le modernisme a été exacerbée par les fondamentalistes, qui ont engagé une véritable bataille contre la culture moderne.

L’importance de l’engagement social et de l’activisme: Les revivalistes n’étaient pas uniquement focalisés sur la conversion individuelle; ils étaient également engagés dans des réformes sociales et morales, cherchant à améliorer la société en appliquant les principes bibliques. Les fondamentalistes ont poursuivi cette tradition d’activisme social, mais ils ont souvent adopté une approche plus politique et plus militante, cherchant à influencer les politiques publiques et à défendre leurs valeurs traditionnelles.

Le développement d’un réseau d’institutions parallèles: Les revivalistes ont contribué à créer des institutions parallèles à l’Église établie, comme des écoles bibliques, des missions indépendantes et des organisations évangéliques. Ces institutions ont offert un espace aux fondamentalistes pour développer leur doctrine et organiser leur mouvement, en dehors des structures traditionnelles du protestantisme.

Un exemple parfait de ce statut précurseur est l’évangéliste Dwight L. Moody, tout à la fois précurseur du fondamentalisme sans y adhérer pleinement. Bien qu’il ait partagé certaines croyances clés, comme l’inerrance biblique et le pré-millénarisme, il n’a jamais épousé la vision militante et conflictuelle du fondamentalisme. Moody a été influent dans la popularisation du revivalisme et a promu un message simple centré sur la conversion personnelle et la victoire sur le péché. Il a également joué un rôle clé dans la formation de futurs leaders du fondamentalisme, dont Reuben Torrey et C.I. Scofield, qui ont amplifié ses idées. Cependant, Moody se distinguait par son pragmatisme : il privilégiait l’action évangélique et évitait les controverses théologiques, préférant l’unité du protestantisme à la confrontation. Son message, centré sur l’amour de Dieu et la rédemption, contrastait avec l’accent mis par certains fondamentalistes sur la colère de Dieu et l’enfer. En somme, bien qu’il ait préparé le terrain pour le fondamentalisme, Moody représentait une forme de revivalisme plus modérée, ouverte au dialogue et à l’unité, loin de la rigidité militante des fondamentalistes.

La théologie de Princeton

La théologie de Princeton, développée au sein du Princeton Theological Seminary à la fin du 19e et au début du 20e siècle, est considérée comme un précurseur important du fondamentalisme américain. Voici quelques éléments clés qui illustrent cette relation:

  • L’accent mis sur l’inerrance biblique : Les théologiens de Princeton, notamment A.A. Hodge et B.B. Warfield, ont défendu avec force la doctrine de l’inerrance biblique, affirmant que la Bible est sans erreur dans toutes ses parties, y compris les détails historiques et scientifiques. Cette doctrine, qui est devenue un point central du fondamentalisme, trouve ses racines dans la philosophie écossaise du sens commun, qui postulait l’existence de vérités immuables accessibles à la raison humaine.
  • Le rejet de la critique biblique « moderniste »: Les théologiens de Princeton se sont opposés à la critique biblique moderne, qui remettait en question l’historicité et l’autorité de la Bible. Ils percevaient ces approches critiques comme des attaques contre la foi chrétienne et ont défendu une lecture littérale et traditionnelle des Écritures.
  • L’importance accordée à la doctrine: La théologie de Princeton était fortement axée sur la doctrine et la formulation de propositions théologiques précises. Cette approche scolastique, qui contrastait avec l’accent mis sur l’expérience personnelle par certains revivalistes, a contribué à donner au fondamentalisme une base doctrinale solide.
  • La formation d’une élite intellectuelle: Princeton a formé une génération de pasteurs et de théologiens conservateurs qui ont joué un rôle important dans les controverses théologiques du début du 20e siècle. J. Gresham Machen, l’un des plus célèbres représentants de la théologie de Princeton, a contribué à articuler la critique fondamentaliste du libéralisme théologique.

Il est important de noter que la théologie de Princeton, tout en étant un précurseur du fondamentalisme, ne s’y identifiait pas totalement non plus. Les théologiens de Princeton, comme Warfield, étaient des intellectuels rigoureux qui cherchaient à défendre la foi chrétienne par des arguments rationnels et érudits. Ils n’ont pas toujours approuvé les méthodes des fondamentalistes populistes, qu’ils jugeaient parfois simplistes et émotionnelles, sans compter leur rejet du dispensationnalisme.

Les mouvements de sainteté

Les mouvements de sainteté, apparus au sein du protestantisme américain au 19ème siècle, ont joué un rôle significatif en tant que précurseurs du fondamentalisme. Ils ont contribué à façonner un terrain fertile pour l’émergence de ce mouvement en introduisant des idées et des pratiques qui ont ensuite été adoptées et intensifiées par les fondamentalistes. Telle est leur contribution :

  • L’accent sur l’expérience personnelle: Les mouvements de sainteté mettaient l’accent sur la « seconde bénédiction », une expérience spirituelle intense qui suivait la conversion et conduisait à une vie de sanctification et de victoire sur le péché. Cette focalisation sur l’expérience subjective a contribué à créer un climat de ferveur religieuse et d’attente de manifestations surnaturelles, un élément repris par les fondamentalistes.
  • L’interprétation littérale de la Bible et le biblicisme: Les mouvements de sainteté étaient profondément attachés à la Bible et la considéraient comme la source ultime de l’autorité religieuse. Ils partageaient avec les fondamentalistes une lecture littérale, anhistorique et strictement individuelle des Écritures.
  • L’hostilité envers le modernisme et la culture séculière: Les mouvements de sainteté étaient critiques envers les tendances modernistes de la société, qu’ils percevaient comme une menace pour la foi chrétienne. Ils s’opposaient à des idées comme l’évolution, la critique biblique et le libéralisme théologique, considérant ces courants comme des expressions d’une culture hostile à Dieu. Les fondamentalistes ont hérité de cette méfiance envers la modernité et l’ont transformée en une opposition militante.
  • L’importance de la pureté morale et du séparatisme: Les mouvements de sainteté insistaient sur une vie de pureté morale et de séparation du monde, considérant que la culture environnante était corrompue et que les chrétiens devaient vivre en retrait de ses influences néfastes. Cette vision rigoriste et ascétique a nourri le séparatisme des fondamentalistes, qui ont prôné un retrait des institutions et des courants de pensée jugés incompatibles avec la foi chrétienne.
  • La fragmentation et les disputes doctrinales: Les mouvements de sainteté se sont caractérisés par une grande diversité et une propension à la fragmentation, donnant naissance à de multiples dénominations et groupes dissidents. Ces divisions, souvent causées par des disputes doctrinales, ont préfiguré les clivages et les conflits qui ont marqué le fondamentalisme. L’exemple de A.M. Hills, un évangéliste de la sainteté, illustre ces tensions croissantes entre différentes factions du mouvement de sainteté, annonçant les futures divisions au sein du fondamentalisme.

Cependant, il est crucial de noter les nuances et les divergences qui existaient entre ces mouvements, notamment en ce qui concerne l’expérience du Saint-Esprit (où les fondamentalistes étaient plutôt cessationnistes). L’histoire des mouvements de sainteté offre ainsi un éclairage précieux sur les racines complexes et multiformes du fondamentalisme américain.

Prémillénarisme dispensationnaliste

Le prémillénarisme dispensationaliste a joué un rôle crucial dans la formation du fondamentalisme. Cette doctrine, qui s’est développée au 19ème siècle dans un contexte anglican, a apporté plusieurs éléments clés qui ont ensuite été repris et amplifiés par le mouvement fondamentaliste.

  • Une interprétation littérale et une division de l’histoire: Le prémillénarisme dispensationaliste se caractérise par une lecture littérale de la Bible et une division de l’histoire en différentes dispensations, des périodes distinctes gouvernées par des principes divins spécifiques. Cette approche compatible avec la philosophie du « sens commun » a contribué à créer un cadre interprétatif rigide qui a encouragé une vision dogmatique de la foi, un élément central du fondamentalisme.
  • L’accent sur la fin des temps: Le prémillénarisme dispensationaliste met l’accent sur l’imminence du retour du Christ et l’établissement d’un règne terrestre de mille ans. Cette focalisation sur la fin des temps a généré un sentiment d’urgence et a conduit les dispensationalistes à s’opposer aux efforts visant à améliorer la société, considérant que le monde était irrémédiablement corrompu et que seul le retour du Christ apporterait un véritable changement. Cette vision pessimiste permettait d’expliquer pourquoi la civilisation progressait tandis que le christianisme reculait (parce que le progrès vient de Satan). Mais elle a aussi nourri le séparatisme des fondamentalistes, qui se sont retirés des institutions et des mouvements sociaux jugés trop proches de l’antichrist.
  • La doctrine de l’inerrance biblique: Les dispensationalistes, en s’appuyant sur l’influence des théologiens conservateurs de Princeton, ont adopté la doctrine de l’inerrance biblique, affirmant que la Bible est sans erreur dans tous ses détails. Les dispensationnalistes fournissaient une philosophie de l’histoire compatible avec l’inerrance.
  • Une vision conflictuelle du monde: La combinaison d’une interprétation littérale de la Bible, de l’accent sur la fin des temps et de l’inerrance biblique a conduit les dispensationalistes à développer une vision conflictuelle du monde, divisé entre les forces du bien et du mal. Cette dichotomie a contribué à alimenter l’esprit combatif du fondamentalisme, qui s’est engagé dans des batailles contre les « ennemis de la foi », tels que les modernistes, les libéraux et les évolutionnistes.

Plusieurs figures clés ont contribué à la transmission du prémillénarisme dispensationaliste au fondamentalisme. Des évangélistes comme Dwight L. Moody et Reuben Torrey ont popularisé ces doctrines auprès d’un large public. Le prémillénarisme dispensationaliste a agi comme un catalyseur, fournissant un cadre doctrinal cohérent et un récit apocalyptique qui a mobilisé les craintes et les aspirations d’un grand nombre de chrétiens conservateurs.

B. La cristallisation du mouvement (années 1910 – années 1920)

Publication des Fundamentals (1910-1915)

La publication des Fundamentals, une série de douze brochures publiées entre 1910 et 1915, a joué un rôle important dans la cristallisation du mouvement fondamentaliste. Bien que l’impact immédiat de cette publication ait été limité, elle a eu un effet durable en fournissant un point de référence symbolique pour identifier le mouvement et en unissant les différents courants du mouvement sous une même bannière.

Les Fundamentals ont été conçus comme un « témoignage de la vérité » et une défense de l’orthodoxie chrétienne face à la montée du modernisme. Financés par le millionnaire pétrolier californien Lyman Stewart, les Fundamentals ont rassemblé des articles d’éminents érudits conservateurs américains et britanniques qui ont défendu des doctrines clés comme la naissance virginale, la divinité du Christ, l’inerrance des Écritures et l’authenticité des miracles.

Stewart a financé la distribution gratuite des Fundamentals à un large public de pasteurs, de missionnaires, de professeurs de théologie et d’autres figures religieuses du monde anglophone. La publication a ainsi touché environ trois millions de personnes. Bien que la réponse du public n’ait pas été aussi importante qu’espérée au départ, les Fundamentals ont eu un impact durable en définissant les contours du mouvement fondamentaliste naissant.

Il est important de noter que les Fundamentals représentent un moment de transition pour le mouvement fondamentaliste. La publication reflétait une certaine modération, incluant des essais de figures comme E.Y. Mullins qui cherchaient à concilier l’orthodoxie avec la pensée moderne, et même des évolutionnistes théistes. Cette ouverture au dialogue sera plus tard abandonnée par les fondamentalistes radicaux des années 1920.

Première Guerre Mondiale (1914-1918)

La Première Guerre mondiale a eu un rôle catalyseur dans la formation du mouvement fondamentaliste, exacerbant les craintes existantes et créant un climat propice à sa radicalisation. L’expérience traumatisante du conflit a révélé les dangers perçus du modernisme et a transformé le mouvement, le poussant vers une posture plus militante et intransigeante.

Avant la guerre, le mouvement fondamentaliste était encore en gestation, marqué par une certaine modération et un désir de dialogue avec les courants modernes. Toutefois, l’horreur de la guerre, avec ses millions de morts et son impact dévastateur sur l’ordre mondial, a provoqué un tournant dans la pensée fondamentaliste. Les fondamentalistes ont vu dans la guerre une manifestation directe du déclin moral et spirituel de l’Occident, qu’ils attribuaient au modernisme et à ses idées pernicieuses. La violence du conflit a renforcé leur conviction que le rejet des principes bibliques et de l’orthodoxie chrétienne menaçait la civilisation chrétienne elle-même. Ils ont interprété la guerre comme une conséquence inévitable de l’abandon de la foi chrétienne traditionnelle et une preuve de l’inefficacité des valeurs modernistes.

La guerre a également modifié la relation des fondamentalistes avec la politique. Traditionnellement réticents à s’engager dans la sphère politique, ils ont vu l’expérience de la guerre, en particulier la participation des États-Unis au conflit, comme un appel à défendre la nation contre ceux qu’ils considéraient comme des ennemis de la foi chrétienne. Ce patriotisme fervent a renforcé leur sentiment de devoir moral et spirituel envers la nation, ajoutant une dimension politique et sociale au mouvement fondamentaliste. Beaucoup de fondamentalistes patriotes interprétaient la Première Guerre Mondiale comme le combat cosmique entre la civilisation américaine chrétienne et la civilisation allemande moderne et libérale, comme si les obus américains tombaient sur la Haute Critique de Tübingen.

Le prémillénarisme dispensationaliste, déjà central dans le mouvement, a trouvé un terrain fertile pendant la guerre, nourrissant les craintes apocalyptiques des fondamentalistes. En prédisant une période de tribulations avant le retour du Christ, cette doctrine a renforcé leur vision pessimiste du monde et intensifié leur repli sur des convictions religieuses et politiques plus rigides. La guerre a confirmé leurs craintes d’un monde en déclin, précipitant un séparatisme de plus en plus marqué.

Pour plus de détails et d’illustration à ce sujet, je vous recommande la vidéo de Ryan Reeves à ce sujet : World War I and the Church

La bataille des synodes (1910-1925)

Les presbytériens fondamentalistes américains ont mené une lutte intense contre le libéralisme au sein de leurs synodes. Cette bataille théologique s’est articulée autour de plusieurs axes stratégiques qui ont contribué à la cristallisation de la division entre fondamentalistes et libéraux.

La défense des doctrines essentielles a été l’un des principaux moteurs de cette opposition. En 1910, l’Assemblée générale presbytérienne a adopté une déclaration en cinq points, définissant les doctrines clés du christianisme orthodoxe : l’inerrance des Écritures, la naissance virginale de Jésus-Christ, son expiation substitutive, sa résurrection corporelle et l’authenticité des miracles. Les missionnaires embauchés par le synode de la PCUSA étaient censés confesser ces cinq points. Ces points sont devenus un symbole de ralliement pour les fondamentalistes, qui les ont utilisés pour marquer la ligne de démarcation entre orthodoxie et modernisme. Cependant, cette focalisation sur cinq points a aussi simplifié la perception du fondamentalisme, réduisant son caractère complexe à une simple défense de quelques vérités essentielles.

La dénonciation des hérésies libérales a également été un axe central de la lutte. En 1922, le prédicateur libéral Harry Emerson Fosdick a prononcé son fameux sermon Shall the Fundamentalists Win?, qui a provoqué une réaction virulente de la part des conservateurs. Le pasteur Clarence E. Macartney a riposté avec Shall Unbelief Win?, accusant Fosdick d’hérésie et appelant à la défense de la foi chrétienne. Cette bataille théologique a mis en lumière les tensions entre le presbytère de New York, perçu comme laxiste doctrinalement, et celui de Philadelphie, qui réclamait des mesures pour garantir l’orthodoxie dans l’ordination des ministres. Le presbytère de Philadelphie, sous la direction de Macartney, a déposé une pétition auprès de l’Assemblée générale pour condamner les enseignements de Fosdick et forcer le presbytère de New York à se conformer aux normes orthodoxes. Les libéraux ont rattrapé le coup à la dernière minute en obtenant non pas l’exclusion immédiate de Fosdick et son église, mais une commission d’enquête qui permit de gagner suffisamment de temps pour que les fondamentalistes perdent leur élan suite au procès Scopes.

Du côté des baptistes, en 1923, l’Assemblée générale baptiste a rejeté une tentative de confession de foi fondamentaliste, entraînant des divisions au sein de cette dénomination. La tradition baptiste anti-confessionnalité a été un obstacle supplémentaire à l’opposition au libéralisme.

Plusieurs remarques importantes doivent être faites :

  • Comme pour le concile de Nicée, les factions libérales et fondamentalistes étaient deux minorités dans l’Église, avec un centre mou fait de conservateurs inclusivistes.
  • Ce n’est pas le libéralisme qui a gagné, mais le refus des conservateurs modérés d’exclure ou de risquer le schisme, et leur vote contre les stratégies des conservateurs exclusivistes.
  • Le résultat a été qu’après avoir vu leurs démarches contrées, les conservateurs les plus militants ont quitté (ou été exclus) des Églises mainline, laissant la majorité conservatrice être dévorée par le libéralisme comme dans le cas de l’Église Réformée de France.
  • Contrairement à ce qu’affirme des personnes comme Redeemed Zoomer, les fondamentalistes n’ont pas abandonné, et au contraire se sont battus jusqu’au bout pour leurs dénominations et unions d’Églises. Mais ce sont les modérés qui les ont exclu. Il est probable que le projet de Reconquista, que Redeemed Zoomer développe, rencontre les mêmes problèmes.

Le procès Scopes (1925)

Le procès Scopes, bien qu’initialement centré sur l’enseignement de l’évolution, a joué un rôle déterminant dans la cristallisation et la visibilité du fondamentalisme aux États-Unis. Le procès a attiré une attention nationale et internationale considérable, transformant un débat théologique en un véritable spectacle public. Grâce à la couverture des journaux, des émissions de radio et des photographes, les arguments des deux camps ont été relayés largement, intensifiant la polarisation entre les partisans de la science moderne et ceux de l’orthodoxie chrétienne. Cette médiatisation a permis de donner au mouvement fondamentaliste une visibilité publique qu’il n’avait pas connue auparavant, tout en lui offrant une tribune pour diffuser ses idées à un public bien plus large que ses cercles habituels.

La confrontation entre William Jennings Bryan, défenseur du fondamentalisme, et Clarence Darrow, avocat emblématique des idées modernistes, a personnifié le conflit. Leur face-à-face a cristallisé le sentiment d’une lutte irréconciliable entre deux visions du monde opposées, marquées par des valeurs religieuses traditionnelles d’un côté, et des idées progressistes et scientifiques de l’autre. Cette dimension personnelle a ajouté une intensité dramatique au procès, accentuant la division entre les deux camps.

Ce procès fut une défaite médiatique complète pour le mouvement fondamentaliste. Du jour au lendemain, ils acquirent la réputation de fanatiques obscurantistes qu’on leur connaît aujourd’hui. Ils perdirent toute influence dans les synodes et les institutions évangéliques, les conservateurs modérés refusant à présent d’être associés à ces vilains fondamentalistes joufflus. En réaction, les fondamentalistes se replièrent dans un complexe de persécution non sans raison, qui nuisit profondément à leur impact culturel, et leur confiance en eux-même, au point de s’attaquer entre eux et se diviser encore.

Ils avaient affronté la modernité comme les autres confessions protestantes. Ils avaient été vaincus par elle comme toute les autres confessions protestantes.

Cependant, ils ne disparurent pas : bien que le cœur du mouvement passa des académies du Nord aux campagnes du Sud (quelque chose qui n’était pas gagné au départ), il persista, forma une culture distincte de laquelle émergerait Billy Graham, dont nous allons parler après.

C. La réforme néo-évangélique (1942-1974)

Georges Marsden parle de la grande retraite pour désigner la période qui va de 1925 à 1942. Mais Treloar conteste cette idée en faisant remarquer que les fondamentalistes ont maintenu un certain engagement culturel et social, certes plus limité, et la volonté de réformer la société. Par ailleurs, il ne faut pas surestimer l’unité du mouvement ni ses paradoxes.

Le mouvement fondamentaliste est à la fois rétrograde et innovant, accueillant et agressif, doctrinaire puis ultra-pragmatique. D’une part, il se veut le gardien d’une foi immuable, s’opposant vigoureusement aux changements modernes et aux idées perçues comme menaçant l’intégrité des croyances chrétiennes traditionnelles. D’autre part, il n’hésite pas à utiliser les outils modernes – des stratégies médiatiques à l’engagement politique – pour diffuser son message et défendre ses valeurs. Ce double mouvement de résistance et d’adaptation témoigne de la complexité du fondamentalisme, qui jongle entre une fidélité inébranlable à des principes anciens et une capacité pragmatique à naviguer dans un monde en constante évolution.

C’est avec cette démarche pragmatique et zélée que survient la réforme néo-évangélique, que l’on date généralement de 1942, à la fondation de la National Association of Evangelicals, une institution destinée à être le pendant conservateur des lobbies chrétiens devenus entièrement libéraux. Ensuite, la personnalité exceptionnelle de Billy Graham viendra populariser le mouvement pour donner ce que l’on appelle aujourd’hui « les évangéliques ». Le fait même que l’on ne fasse plus de distinction réelle entre fondamentalistes et évangéliques montre le succès de cette réforme.

Le néo-évangélisme, apparu au milieu du XXe siècle, est un mouvement qui s’est développé en partie à partir du fondamentalisme. Les néo-évangéliques partagent certaines des croyances fondamentales du fondamentalisme, telles que l’inerrance biblique et l’importance de l’évangélisation, mais ils adoptent généralement une approche plus modérée et plus engagée dans la culture.

Point de ComparaisonFondamentalistesNéo-Évangéliques
OriginesDébut du XXe siècle, en réaction au libéralisme théologique.Milieu du XXe siècle, après la Seconde Guerre mondiale.
Rapport à la CultureRejet des aspects de la culture moderne jugés incompatibles avec une lecture littérale de la Bible.Plus ouverts à la culture moderne et cherchant à s’engager avec elle.
Engagement PublicSouvent militants et enclins à la séparation d’avec les institutions religieuses perçues comme compromises avec le modernisme.Plus enclins à travailler au sein des institutions existantes pour promouvoir le changement.
ÉducationFondent leurs propres écoles et universités pour enseigner une vision du monde fondamentaliste.Participent au système éducatif général tout en cherchant à influencer le débat sur la science et la religion.
ThéologieAttachés à une interprétation littérale de la Bible et aux doctrines traditionnelles.Plus ouverts à une interprétation contextuelle de la Bible et à un dialogue avec la pensée moderne.
Unité ChrétiennePriorité à la pureté doctrinale, ce qui peut conduire à la séparation d’avec d’autres chrétiens.Plus enclins à rechercher l’unité avec d’autres chrétiens, même s’il existe des désaccords sur des questions secondaires.
Exemples de FiguresWilliam Jennings Bryan, J. Gresham Machen, J. Frank Norris.Billy Graham, Carl F. H. Henry.

D. De nos jours

Georges Marsden considère qu’il persiste encore aujourd’hui, et au vu de sa définition une expression doctrinale et militante du christianisme évangélique, c’est justifié. Cependant, il est crucial de distinguer que l’image typique du fondamentaliste sudiste des années 1920-1930, celle que l’on évoque souvent lorsqu’on pense à ce mouvement, a disparu. Cette transformation est en grande partie liée à la lutte pour les droits civiques, un processus qui a paradoxalement été soutenu par Billy Graham, comme le souligne Steven P. Miller dans Billy Graham and the Rise of the Republican South. Ainsi, bien que le fondamentalisme en tant que force religieuse et politique persiste, l’image du fondamentaliste traditionnel de l’époque a évolué et ne correspond plus à celle que l’on se fait généralement du mouvement aujourd’hui.

Ainsi, l’expression doctrinale et militante actuelle de l’évangélisme est moins en opposition avec la science moderne, ayant d’ailleurs largement abandonné la philosophie baconienne du début du XXe siècle. Elle est désormais plus intégrée culturellement, adaptant ses préoccupations aux réalités contemporaines. L’évangélisme militant d’aujourd’hui semble également plus préoccupé par les réformes sociétales proposées par le gouvernement central que par le contrôle des institutions religieuses. Cette évolution témoigne d’un changement dans la façon dont le mouvement engage le monde moderne, en mettant davantage l’accent sur les enjeux sociaux et politiques que sur les questions doctrinales strictes.

En un sens : le fondamentalisme est mort, longue vie à l’évangélisme militant.

Conclusion : les leçons à tirer

La cause des fondamentalistes mérite notre admiration et notre soutien. Leur engagement à défendre la vérité des Écritures et à préserver la pureté de la foi chrétienne face aux défis du modernisme est un combat juste, conforme aux Évangiles. Leur désir de maintenir la fidélité à la Parole de Dieu, d’élever l’autorité des Écritures au-dessus des courants culturels et intellectuels de leur temps, est un modèle de courage chrétien dans un monde qui s’éloigne de plus en plus des principes bibliques.

Cependant, dans leur lutte, il est légitime de se poser des questions sur les méthodes employées. Si leur foi ardente et leur zèle sont indéniables, l’agressivité et l’intransigeance de certains ont parfois creusé des fossés au sein de l’Église. Cela a provoqué une polarisation qui a éloigné certains modérés, les poussant, malheureusement, dans les bras des libéraux. Leur manque d’irénisme, ce refus de tendre la main à ceux qui auraient pu être gagnés à la cause, a fait naître des divisions inutiles.

Le prémillénarisme dispensationaliste, même s’il a renforcé la mobilisation, a parfois exacerbé les tensions, créant une atmosphère de combat continu plutôt qu’une atmosphère de réconciliation autour des vérités bibliques. Cette approche a parfois rigidifié les comportements et limité l’espace pour un dialogue constructif. Mais dans le même temps, il est important de reconnaître que ces doctrines ont permis à des milliers de croyants de se rallier à une vision de la foi claire et intransigeante, et de défendre fermement ce en quoi ils croyaient.

Les fondamentalistes ont eu raison de se battre pour préserver la pureté doctrinale de leurs églises, de s’opposer aux dérives libérales et de maintenir la grandeur de l’Évangile. Leur lutte était nécessaire, même si leurs méthodes étaient parfois maladroites. Aujourd’hui, il nous appartient de reprendre ce flambeau avec un esprit renouvelé. Nous devons réussir là où ils ont échoué, en avançant avec conviction, sagesse et charité. C’est à nous maintenant de faire progresser l’Évangile dans notre époque, avec la même ferveur, mais dans un esprit plus ouvert et plus pacifique. Il est temps de relever le défi, de vivre et de défendre notre foi avec la même détermination, tout en faisant preuve de la sagesse nécessaire pour bâtir l’unité au sein du Corps du Christ.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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