Les pères de l'Église et la papauté (3) : Origène (185—253/254)
31 août 2017

Cet article est le troisième de la série sur les pères de l’Église et la papauté, traduction d’un article de William Webster.


Origène était le maître de l’école de catéchumènes à Alexandrie durant la première moitié du troisième siècle. C’était un homme d’une intelligence étonnante et il reste de loin l’auteur le plus prolifique de la période patristique. Eusèbe nous rapporte que ses écrits étaient au nombre de 6000. Il est considéré comme le plus grand érudit de l’antiquité chrétienne. Il eut une influence immense sur les pères qui l’ont suivi, tant à l’Est qu’à l’Ouest. Origène est le premier père à donner une explication détaillée du sens de Matthieu 16:18. Son interprétation est devenue normative pour les pères de l’Orient et pour une bonne partie en Occident. Dans un de ses écrits, il affirme que Pierre est la pierre :

Considérez la grande fondation de cette Église, la très solide pierre sur laquelle Christ a fondé son église. C’est à elle que le Seigneur dit : « Ô homme de petite foi, pourquoi as-tu douté ? »

(Exodus, Homily 5.4. Cited by Karlfried Froehlich, Formen der Auslegung von Matthaus 16,13-18 im lateinischen Mittelaiter, Dissertation (Tubingen, 1963), p. 100).

Mais, tout comme Tertullien, il ne le dit pas au sens catholique romain. Souvent, Origène est cité comme un partisan de la primauté papale parce qu’il affirme que Pierre est la pierre. Des citations comme celle ci-dessus sont isolées des autres affirmations qu’il fait au sujet de Pierre et au sujet du sens de Matthieu 16:18. Dans sa pensée, Pierre est simplement le représentant de tous les vrais croyants et ce qui est promis à Pierre ici est donné à tous les croyants qui suivent fidèlement le Christ. Ils deviennent tous ce que Pierre est. Il exprime ce point de vue dans le commentaire suivant :

Et si nous aussi nous avons dit, comme Pierre, « Tu est le Christ, le Fils du Dieu vivant », non pas comme si la chair et le sang nous l’avaient révélé, mais par la lumière du Père lui-même, qui est dans les cieux. Cette lumière ayant brillé dans nos coeurs, nous devenons un Pierre, et ces mots du Verbe peuvent nous être adressé « Tu es Pierre », etc. Car chaque disciple du Christ est une pierre, tous ceux qui boivent au rocher spirituel qui les suit le sont, et sur de telles pierres est bâti chaque parole de l’Église et son gouvernement. Car, en chacun des parfaits, dont les paroles, les actes et les pensées sont remplies de bénédictions, se trouve l’Église bâtie par Dieu.
Mais si vous supposez que sur Pierre uniquement est bâtie, par Dieu, toute l’Église, que dire de Jean le fils du tonnerre ou de chacun des autres Apôtres ? Devrions nous dire aussi que c’est contre Pierre uniquement que les portes de l’enfer ne prévaudront point ? Et qu’elles prévaudront contre les autres Apôtres et les parfaits ? La parole citée plus tôt « les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle » les concerne tous. De même la parole « Sur cette pierre je bâtirai mon église ». Et les clés du royaume des cieux sont-elles données uniquement à Pierre par le Seigneur ? Aucun autre des bénis ne les recevrait ? Mais si cette promesse, « Je te donnerai les clés du royaume des cieux » concerne aussi les autres, pourquoi les autres promesses citées et ce qu’elles comportent ne seraient pas de même données aux autres ?
Si donc quelqu’un Lui dit « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (…) il obtiendra les choses promises à Pierre selon la lettre de l’Évangile, mais promises à tous ceux qui deviennent comme Pierre selon l’esprit de l’Évangile. Car tous les imitateurs du Christ ont le surnom « pierre ». C’est-à-dire, les imitateurs du rocher spirituel qui suit ceux qui sont sauvés, afin qu’ils s’abreuvent à ce courant spirituel. Ceux-là porte le surnom de pierre, tout comme Christ (le rocher). Tout comme ils dérivent leur nom de Chrétiens du Christ, de même ils dérivent leur surnom de Pierres de celui qui est le Rocher. (…) Ainsi, tous peuvent être l’objet de cette parole du Sauveur « Tu es Pierre…ne prévaudront pas contre elle ». Mais que désigne le « elle » ? S’agit-il de la pierre sur laquelle Christ bâtit son Église ou de l’Église elle-même ? Car la formulation est ambiguë. Ou plutôt, est-ce que la pierre et l’Église sont une seule et même chose ? C’est ce que je pense. Car ni les portes de l’enfer ne prévaudront ni contre la pierre, ni contre l’Église. En effet, si les portes de l’enfer prévalaient sur l’une de ces choses, alors la pierre ne serait pas celle sur laquelle Christ bâtit son Église, ou l’Église ne serait pas celle que Christ bâtit sur la pierre.

Origène, Commentaire sur Matthieu, chapitre 10-11.

C’est un des passages les plus important des écrits d’Origène lorsque l’on veut comprendre son interprétation de la pierre de Matthieu 16. Toutefois, ce passage n’est pas inclus dans ceux référencés par les auteurs de Jesus, Peter and the Keys. Il s’agit d’une omission flagrante quand on considère l’importance de ce passage et le fait qu’il est facilement accessible dans le recueil des Pères anténicéens. La seule conclusion possible est que les auteurs ont volontairement omis ce passage puisqu’il est contraire à la position qu’ils cherchaient à établir.

John Meyendorff fut un théologien, historien et spécialiste patristique orthodoxe mondialement reconnu et respecté. Il fut doyen de la faculté orthodoxe de théologie de saint Vladimir et professeur d’histoire de l’Église et de patristique. Voici le commentaire qu’il fait au sujet de la compréhension qu’avait Origène de Matthieu 16 et au sujet de l’influence de cette interprétation sur les pères ultérieurs d’Orient et d’Occident :

Origène est une source commune de la tradition patristique exégétique. En commentant Matthieu 16:18, il interprète la fameuse réponse de Jésus à la confession de Pierre ainsi : Simon devient la « pierre » sur laquelle l’Église est bâtie car il a confessé la véritable foi en la divinité du Christ. Origène poursuit alors : « Si nous disons aussi ‘Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant’, nous devenons aussi Pierre… car quiconque se lie au Christ devient une pierre. Est-ce que Christ a donné les clés du royaume à Pierre uniquement ? Est-ce que le peuple béni ne les reçoit pas aussi ? » Ainsi, selon Origène, Pierre n’est rien d’autre que le premier « croyant », et les clés qu’il a reçu n’ouvre le ciel que pour lui seul : si d’autres veulent le suivre, ils peuvent « imiter » Pierre et recevoir les clés. Ainsi, les paroles du Christ ont un sens sotériologique et non institutionnel. Elles signifient simplement que la foi chrétienne est celle que Pierre exprime sur la route vers Césarée de Philippe. Quand on considère l’intégralité des textes patristiques exégétiques, cette compréhension de la « Petrie » logia est la majoritaire, et c’est encore le cas aujourd’hui dans la littérature Byzantine (…) Ainsi, quand il parlait à Pierre, Jésus soulignait plutôt le rôle de la foi en tant que fondation de l’Église, au lieu d’organiser l’Église comme gardienne de la foi.

(John Meyendorff, Byzantine Theology (New York: Fordham, 1974), pp. 97-98).

James McCue, dans Lutherans and Catholics in Dialogue, commente ainsi le point de vue d’Origène :

Quand Origène commente directement Matthieu 16:18f, il rejette avec soin toute interprétation de ce passage qui ferait de Pierre autre chose que ce que chaque chrétien est. (…) Il s’agit du premier commentaire détaillé sur Matthieu 16:18f et, chose intéressante, il considère cet évènement comme une leçon au sujet de la vie que doit vivre chaque chrétien, et non comme une information au sujet d’un office, d’une hiérarchie ou d’une autorité dans l’Église.

(Paul Empie and Austin Murphy, Ed., Papal Primacy in the Universal Church (Minneapolis: Augsburg, 1974), Lutherans and Catholics in Dialogue V, pp. 60-61).

Origène et Tertullien sont les premiers pères, d’Orient et d’Occident respectivement, à donner une explication du sens de la pierre en Matthieu 16, du rôle et de la position de Pierre. Leurs positions serviront de base pour l’interprétation de ce passage important dans les siècles qui suivront. Leur enseignement se retrouvera dans les positions des pères tant d’Est que d’Ouest. Il est important de remarquer que les premiers pères d’Est et d’Ouest à interpréter Matthieu 16 ne le font pas dans un sens qui s’accorde avec Rome.

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

3 Commentaires

  1. Claude Graton

    Bonjour,
    Pour le montage d’un documentaire, nous cherchons des illustrations d’Origène. Nous avons vu sur votre page « Les pères de l’Église et la papauté (3) : Origène (185—253/254) » une très belle gravure. Connaissez-vous la source ? Savez-vous si l’illustration est libre de droits ?
    En vous remerciant par avance. Bien cordialement.
    Claude Graton

    Réponse
    • Arthur Laisis

      Bonjour,

      Merci de votre intérêt. Malheureusement, la gravure présente sur cet article ne représente pas Origène, mais… Basile de Césarée (ou Basile le Grand, Βασίλειος ὁ μέγας). J’ignore pourquoi elle s’est retrouvée sur cet article, c’est sûrement une erreur que nous allons corriger.

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