La théologie biblique est une discipline qui « cherche à rendre compte de façon synthétique le message théologique de tel livre ou section des Écritures, ou de tel thème dans l’ensemble du canon biblique. Elle perçoit dans la Bible un fil conducteur, un centre ; elle cherche à y discerner les liens qui, de sa diversité, font une unité; elle nourrit la pensée et la prédication dans l’Église. » (Christophe Paya)
Ici, nous aimerions, selon cette méthode, discerner ce que le contexte biblique global peut nous apprendre sur la prédication de Jean annonçant qu' »il vient, Celui vous baptisera d’Esprit et de feu ».
Les rites de mise à l’épreuve et le baptême
Les rites de mise à l’épreuve étaient des rites pratiqués à l’occasion de l’établissement d’une alliance le plus souvent, tenant rôle de serment et représentant de façon symbolique le jugement encouru par celui qui briserait l’alliance.
Un exemple biblique d’un tel rite est le moment où Dieu passe entre des animaux qu’il a coupé en deux en Genèse 15. Jérémie 34 nous éclaire sur le sens de ce rite :
Je livrerai les hommes qui ont enfreint mon alliance, qui n’ont pas accompli les conditions de l’alliance qu’ils avaient conclue devant moi, en coupant un veau en deux et en passant entre ses morceaux. Les ministres de Juda et les ministres de Jérusalem, les chambellans, les sacrificateurs, et tout le peuple du pays qui sont passés entre les morceaux du veau, je les livrerai entre les mais de leurs ennemis, entre les mains de ceux qui en veulent à leur vie, et leurs cadavres serviront de pâture aux oiseaux du ciels et aux bêtes de la terre (Cf. Gen 15:11 où Abraham doit chasser les oiseaux du ciel qui s’abattent sur les animaux coupés en deux).
Jérémie 34:18-20
Ce rite signifiait : si j’enfreins l’alliance, j’accepte moi aussi d’être coupé en deux. C’est-à-dire que ces rites étaient des serments-en-acte qui consistaient à invoquer la malédiction de l’alliance sur soi.
Mais ces rites de mise à l’épreuve comportaient plus que cela, ils signifiaient aussi que la personne s’en remettait à la divinité en question et acceptait son jugement. Par exemple, la personne pouvait se jeter dans l’eau et, si elle en ressortait vivante, c’est que le dieu l’approuvait. Il y a probablement un rite similaire qui est prescrit en Nombres 5:11-31 en cas d’accusation d’infidélité. L’eau et le feu étaient les élément les plus couramment utilisés.
Mais des exemples bibliques, des types de tels rites sont présents à bien d’autres moments. Il y a bien-sûr le Déluge où Noé le juste est déclaré juste au travers des eaux et où le monde coupable est condamné. À la sortie de l’arche, il reçoit l’approbation divine et l’héritage du monde tout entier à repeupler ainsi que l’alliance de Dieu. Il y a encore la traversée de la Mer Rouge où, par une même eau, les Égyptiens sont déclarés « coupables » et subissent le jugement tandis que les Israélites, en Moïse, sont déclarés justes et en ressortent libérés avec l’héritage de la terre promise en vue et l’alliance du Sinaï. Et il y a la traversée du Jourdain, qui signifie à la fois l’entrée dans l’héritage en Canaan et la condamnation des peuples de Canaan à la destruction. Suite à cela les Juifs reçoivent une réaffirmation des jugements et bénédictions de l’alliance. Mais il y a bien-sûr et surtout la Croix, où Christ subit le véritable jugement, la mort, et en ressort vainqueur, recevant l’héritage céleste et la nouvelle terre et, comme Moïse et Noé, associant son peuple et sa famille dans sa victoire, concluant une nouvelle alliance en son sang.
Pour Meredith Kline, la circoncision est encore un rite similaire. L’individu est consacré à Dieu avec sa famille en appliquant symboliquement le rite de retranchement du peuple, jugement de l’alliance. En dehors même des parallèles extra-bibliques, le texte nous indique que la circoncision symbolise un tel jugement. En effet, Genèse 17:14 reprend le verbe utilisé dans l’expression « couper une alliance » (kārat berît) en disant que celui qui ne sera pas circoncis sera « coupé » (kārat) de la communauté, « retranché ».
>> Lisez : Quand la circoncision te prêche l’Evangile
Et c’est encore un rite de ce type qu’est le baptême. On se consacre à Dieu en subissant symboliquement le jugement divin, en passant dans les eaux de la mort. C’est ainsi que l’on remarque que le Christ appelle « baptême » sa mort (Lc 12:50). Des arguments supplémentaires en faveur de notre interprétation du baptême se trouvent dans la façon dont les autres rites de mise à l’épreuve sont appelés dans la Bible. Paul dit que les Israélites ont été « baptisés en Moïse » quand ils sont passé dans la Mer Rouge (1 Cor 10 :2) et Pierre nous dit que le déluge était comme un « baptême » (1 Pi 3 :21). Autrement dit, quand les apôtres cherchent des parallèles avec le baptême dans l’Ancien Testament, ils se tournent tout de suite vers les cas de jugement-rédemption par l’eau. Et quand le Christ cherche une illustration pour parler de sa mort en croix, il l’appelle un baptême.
Jean : le dernier avant l’unique
Quelle que soit la relation entre le baptême de Jean et le baptême chrétien, Jean compare explicitement le ministère de Christ et le sien en termes de baptême (Mat 3 :11,12). Pour bien comprendre la mission de Jean, il convient de considérer certaines procédures dans l’administration des alliances anciennes. Quand un vassal ne satisfaisait pas aux exigences du traité, le suzerain intentait un procès contre lui. Ce procédé légal était mené par des messagers. Dans la première des deux phases distinctes de la procédure, les messagers apportaient un ou plusieurs messages d’avertissement. Ces avertissements étaient écrits sous une forme reprenant le traité. On rappelait au vassal les bénéfices du traité, on demandait une explication pour son offense et on l’admonestait d’amender sa conduite. Il était aussi confronté à nouveau avec les malédictions de l’alliance, sous forme d’ultimatum et rappelé de ne pas chercher un secours vain chez un tiers. Souvent l’interrogation était utilisée. Dans la deuxième phase de cette procédure, la guerre était déclarée et les saintes sanctions étaient exécutées.
Le ministère des prophètes de l’Ancienne Alliance doit être compris à la lumière de ce procédé légal et avait pour but de faire appliquer l’alliance médiée par Moïse. Il en est de même de la mission de Jean-Baptiste. Jean était le messager de l’ultimatum au vassal désobéissant, Israël.
N’était-ce pas précisément ce processus que Jésus avait en tête dans sa parabole de la vigne (Mat 21 :33ss, Mc 12 :1ss, Lc 20 :9) ? Les serviteurs dont il est question sont envoyés par le « maître de la vigne » afin de demander son dû. Mais les employés méprisent leurs obligations ainsi que les messagers. Le fait que le rejet de Jean soit particulièrement en vue ici est indiqué par le fait que cette parabole se trouve immédiatement après la confrontation entre Jésus et les autorités juives au sujet de l’origine du baptême de Jean (Matt 21 :23-32 ; Mc 11 :27-33 ; Lc 20 :1- 8). Jésus, bien-sûr, était le fils du maitre de la vigne. Et puisqu’Israël a répudié sa seigneurie et méprisé son ultimatum, Dieu leur ferait subir le jugement de l’alliance. Jésus, en tant que messager final de l’alliance, était en fait en train de leur déclarer le verdict final contre Israël par cette parabole.
Cette parabole cadre tout-à-fait avec les procès d’alliance. La parabole rappelle les bénéfices de l’alliance : une vigne plantée, une tour construite, etc. Elle rappelle les exigences de l’alliance et l’infidélité des Israélites. L’interrogation est aussi présente, c’est par une question que Jésus révèle le verdict : « lorsque le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? » (Mat 21 :40). Le discours se conclut par une annonce du jugement.
De même, Malachie annonce la venue du Seigneur et de son Précurseur en tant que porteurs d’un ultimatum. Malachie parle de deux Messagers. Le premier est « mon messager » et l’autre « le messager de l’alliance » (Mal 3 :1). Le premier prépare le chemin. Malachie parle de la venue de l’Élie (Jean) comme un précurseur du « grand et terrible jour de l’Éternel ». Sa mission était une d’avertissement que le Seigneur d’Israël les frapperait d’une « malédiction » (Mal 3 :23, 24). Car, lors de sa venue, le Seigneur éprouvera son peuple par le jugement (3 :2).
Ce que l’Evangile nous dit sur Jean est cohérent avec cela. Il annonce dans le désert un message de repentance. Il annonce la « colère à venir », c’est-à-dire le jugement de l’alliance. Il dit qu’être enfant d’Abraham ne leur fera pas échapper au jugement, bien au contraire. Il annonce que le Seigneur est prêt à couper l’arbre (Mat 3:10). Il leur annonce que lui les baptise dans l’eau, c’est-à-dire symboliquement, mais que vient celui qui est plus puissant que lui et qui fera venir le vrai jugement, non plus symbolique, de l’alliance : le baptême dans le feu et l’Esprit. Il fera place nette, il recueillera son blé, mais il brûlera la paille dans le feu (Mat 3:11,12). En se repentant et en subissant symboliquement le jugement, on échappait à la « colère à venir », c’est-à-dire au véritable jugement qui arrivait sur Israël.
>> Que signifiait le baptême de Jean ?
Christ : le Fils du maître de la vigne
Si Christ n’est pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver, son message envers Israël était essentiellement un message de jugement. Il est venu annoncer que le royaume de Dieu sera ôté à Israël et donné à « une nation qui en produira les fruits » (Mat 21:43).
Le grand discours prophétique du Christ (Mat 24:1-51, Mc 13:1-25, Lc 21:5-26), que concerne-t-il si ce n’est la destruction de Jérusalem, du temple et l’annonce du jugement final de l’alliance sur Israël ?
C’est dans ce contexte, il me semble que l’on peut comprendre la comparaison des deux baptêmes faite par Jean : « moi, je vous applique symboliquement le jugement dans l’eau, pour vous faire échapper à la colère qui vient, mais il approche, Celui qui appliquera cette colère, Celui qui ne jugera plus par l’eau mais par le feu et la puissance de l’Esprit, Celui qui est bien plus puissant que moi ». Bien-sûr, ce jugement que connait Israël n’est que le type du jugement que connaîtra le monde entier. Ce monde qui a été déjà été jugé par l’eau le sera un jour par le feu (2 Pi 3:5-7).
Les langues comme signe de jugement
Il y a un lien évident entre les langues et le baptême de l’Esprit qu’il serait ici superflu d’argumenter. Mais les langues sont-elles comprises comme un signe de jugement dans la Bible ?
En annonçant le jugement sur Israël, Dieu indiquait souvent que celui-ci se manifesterai par le fait qu’il enverra une nation dont ils ne comprendront pas la langue :
L’Eternel fera partir de loin, des extrémités de la terre, une nation qui fondra sur toi d’un vol d’aigle, une nation dont tu ne comprendra point la langue.
Deutéronome 28:49
Hé bien! c’est par des hommes aux lèvres balbutiantes Et au langage barbare Que l’Eternel parlera à ce peuple.
Ésaie 28:11,12
Voici, je fais venir de loin une nation contre vous, maison d’Israël, Dit l’Eternel; C’est une nation forte, c’est une nation ancienne, Une nation dont tu ne connais pas la langue, Et dont tu ne comprendras point les paroles.
Jérémie 5:15
Qui m’autorise à faire un tel lien entre cette annonce du jugement et le parler en langues ? Paul lui-même. En effet, lorsqu’il explique le parler en langues aux Corinthiens, il cite ce même passage de Ésaie 28 :
Il est écrit dans la loi : C’est par des hommes d’une autre langue, et par des lèvres d’étrangers que je parlerai à ce peuple, et ils ne m’écouteront pas même ainsi dit le Seigneur. Par conséquent, les langues sont un signe, non pour les croyants, mais pour les non-croyants.
1 Corinthiens 14:21,22a
Les langues sont un signe pour les non-croyants Juifs car elles leur annoncent que le moment est venu d’être jugé. Dieu leur parle désormais en langue étrangère et, s’ils s’endurcissent, ils ont à craindre le pire. Et ce « pire » qui est à craindre est le rejet temporaire de ce peuple, la destruction de Jérusalem et du temple que Christ avait annoncé et qui est arrivé en 70, par Titus un romain dont ils ne saisissaient pas la langue. Bref, la venue du jugement de l’alliance.
En Actes 2, lors de la première occurence des langues et lorsqu’enfin, selon sa promesse (Actes 1:5), Christ envoie son Esprit sur son peuple, Pierre explique ce phénomène comme un accomplissement de la prophétie de Joël 3:1-5. Cette prophétie annonce un grand jour de jugement, « grand et redoutable », où le soleil se change en ténèbres et la lune en sang (Cf. Actes 2:20). Cette mention des astres dévastés accompagne souvent l’annonce des jugements divins (Cf. Ézéchiel 32:7,8 et le destruction de Babylone). D’ailleurs, ce sont des langues de feu qui tombe sur les apôtres.
>> Le cessationnisme, sans caricature
Conclusion : que veut dire « il vous baptisera d’Esprit et de feu » ?
Qu’est-ce que le baptême du Saint-Esprit ? Bien souvent, les deux options avancées dans les débats sont (1) la régénération, la nouvelle naissance et (2) une expérience, souvent caractérisée par le parler en langues, qui a lieu après la nouvelle naissance ou qui l’accompagne. Ces deux options considèrent toutes deux que le baptême de l’Esprit fait référence à une expérience subjective du croyant. L’interprétation que nous suggérons dans cet article est tout autre.
Le baptême d’Esprit et de feu, c’est une oeuvre historique du Messie par laquelle il a tout d’abord condamné Israël au jugement et, ce faisant, confié le royaume aux nations de toutes langues, c’est un signe de jugement pour les non-croyants Juifs avant tout. Les langues en sont le signe particulier. C’est un évènement historique qui signe l’entrée dans une nouvelle phase du plan de Dieu : le royaume de Dieu est ôté à Israël et Dieu se forme un peuple de toutes langues par une effusion nouvelle de son Esprit. C’est en ce sens qu’il peut être juste de dire que l’Église commence à la Pentecôte.
Ici, je laisse de côté le question de la cessation ou non des langues et de la prophétie et me concentre sur le sens de la prédication de Jean.
Cette interprétation explique le fait qu’après les Actes, plus aucune épître n’utilise l’expression « baptême de l’Esprit ».
Une dernière remarque : j’interprète les jugements du discours sur le mont des Oliviers et la « colère à venir » principalement d’une façon prétériste, c’est-à-dire comme annonçant un jugement sur Israël. Mais je reconnais bien évidemment, avec Pierre (2 Pierre 3:5-7), qu’un jugement vient sur le monde entier et qu’Israël n’a connu qu’un jugement typologique en brisant l’alliance mosaïque, là où le monde entier sera jugé pour avoir brisé l’alliance éternelle (Esaie 24:5).
>> Lisez : L’Alliance des Oeuvres
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