Cet article est une traduction de America’s Lost Boys de Samuel D. James, rédacteur associé des acquisitions pour la maison d’édition Crossway Books et auteur sur le blog Mere Orthodoxy.
Où sont passés les jeunes hommes de notre pays ? Selon Erik Hurst, un économiste à l’université de Chicago, ils n’ont pas vraiment disparu : ils sont simplement branchés en permanence. Dans une interview récente1, Hurst déclare que ses recherches indiquent que les jeunes hommes ayant une formation supérieure de moins de quatre ans (selon pratiquement toutes les données, ce nombre est en augmentation) passent leurs journées sans travail et sans être mariés, et pourtant pas sans s’amuser. « Les heures pendant lesquelles ils ne travaillent pas ont été remplacées par du temps de loisir », rapporte Hurst. « Soixante-quinze pour cent de ce nouveau temps de loisir se retrouve dans une catégorie : les jeux vidéo. En moyenne, les chômeurs peu qualifiés de ce groupe jouent aux jeux vidéo douze heures par semaine, parfois plus de trente. »
Hurst poursuit : « Ces personnes vivent avec des parents ou des proches, et les enquêtes sur le bonheur indiquent en fait que ces individus sont assez satisfaits par rapport à leur entourage, ce qui rend difficile d’affirmer qu’une contrainte quelconque les pousse à jouer aux jeux vidéo, par exemple parce qu’ils seraient malheureux de ne pas trouver d’emploi. » En d’autres termes, ces jeunes hommes ne passent leur temps à jouer à la Xbox et à la Playstation pour se soulager du stress du chômage et de l’inertie existentielle. Au contraire, c’est ainsi qu’ils vivent leurs rêves.
Les jeux vidéo ont souvent provoqué la consternation des personnes âgées et des critiques culturels, une angoisse qui est généralement disproportionnée par rapport aux conséquences réelles des jeux. Dans la plupart des cas, les jeux ne sont pas particulièrement différents des autres divertissements, comme le fait de regarder Netflix ou passer son temps sur les réseaux sociaux. L’inquiétude concernant le contenu des jeux vidéo, en particulier les contenus violents, peut être justifiée, mais elle se heurte toujours au problème du nombre : Un grand nombre de joueurs jouent à Call of Duty et Grand Theft Auto, et les crimes violents sont en baisse alors que ces jeux sont les plus populaires.
Mais si les recherches de M. Hurst sont exactes (et les marges de profits de l’industrie du jeu vidéo le suggèrent), alors le problème devient beaucoup plus important que les jeux vidéo eux-mêmes. Le portrait qui se dégage du jeune homme américain indique une existence isolée, absorbée par le divertissement, où seuls les liens sociaux les plus enfantins (comme avec les parents et les « potes ») jouent un rôle significatif.
Les jeunes hommes, nettement plus que les jeunes femmes, sont coincés dans la vie. Une étude publiée en mai par le Pew Center a documenté un changement démographique historique : les hommes américains âgés de 18 à 30 ans sont désormais statistiquement plus susceptibles de vivre avec leurs parents qu’avec une partenaire romantique. Cette tendance est significative, pour une raison simple : les hommes de vingt et trente ans qui vivent à la maison, travaillent à temps partiel ou pas du tout, ne se préparent probablement pas au mariage. Les recherches de Hurst indiquent que ces hommes sont célibataires, inoccupés, et que cela leur convient, car leur bonheur ne dépend pas de la façon dont ils se développent et vivent leur vie.
Ce retard prolongé du mariage et de l’engagement relationnel signifie souvent une adolescence perpétuelle dans d’autres domaines de la vie. L’amour et le sexe sont sans doute les meilleures incitations pour les hommes à affirmer leur mâturité. Mais dans le confort de la maison de leurs parents et de leur système de jeu, les jeunes hommes peuvent vivre leurs fantasmes sans les frictions de la réalité.
A quoi cela ressemble-t-il ? Cela ressemble à de la pornographie. Se pourrait-il que l’une des raisons pour lesquelles des millions de jeunes hommes américains se sentent satisfaits de leur perpétuelle adolescence soit que leurs appétits sexuels soient assouvis par un régime régulier de contenus adultes sur Internet ? Aucune femme qu’ils pourraient rencontrer au café ou bien lors du séjour de camping organisée par l’Église ne pourrait rivaliser avec ces modèles parfaitement toniques et peu exigeants. La légère gêne qu’un homme pourrait ressentir à regarder de vraies filles dans les yeux après des jours d’absorption masturbatoire dans la perfection du fantasme est évitable, s’il décide de ne pas sortir de chez lui.
Le lien entre l’esclavage aux jeux vidéo et l’esclavage à la pornographie n’est pas tiré par les cheveux. Comme l’a noté Russell Moore2, la première servitude offre une « fausse guerre », tandis que la seconde offre un « faux amour ». Entre la Xbox et les vidéos X, un jeune homme peut osciller entre les frissons primaires de la conquête et le confort orgasmique de la fausse intimité. Lorsque ces deux tentations se rencontrent dans le noir solitaire du sous-sol de papa et maman, quoi de plus agréable ?
À une époque où notre culture a désespérément besoin de modèles audacieux et compatissants de masculinité chrétienne, la perspective que le potentiel de toute une génération soit gaspillé dans une dépendance à la stimulation est profondément triste. Le péché est toujours à double tranchant comme cela – il s’agit non seulement de faire ce que l’on ne doit pas faire, mais aussi de négliger de faire ce que l’on devrait faire. Que feraient ces millions de jeunes hommes s’ils ne s’adonnaient pas à de telles activités ?
Ce sont les garçons délaissés de l’Amérique. Tous ceux qui se soucient de l’épanouissement des êtres humains, de la beauté de la famille, du maintien de l’amitié et de la santé de notre société civique devraient s’intéresser à eux. Plutôt que d’essayer d’attirer ces jeunes de la génération Y en remodelant la foi à l’image du divertissement moderne, nous devrions, en tant que chrétiens, offrir un évangile qui sauve non seulement de l’enfer mais aussi de la futilité. Tolkien nous a rappelé que ceux qui errent ne sont pas tous perdus. J’ajouterais que les perdus n’errent pas tous.
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