La passion d’un protestant pour les vertus de Thomas – Carl R. Trueman
6 avril 2020

Cet article est une traduction de A Protestant’s Passion for the Virtues of Thomas de Carl R. Trueman, ancien professeur de théologie historique et d’histoire de l’Église au Westminster Theological Seminary et actuellement professeur au Grove City College.


J’ai découvert Thomas d’Aquin par hasard il y a une vingtaine d’années. J’enseignais la théologie médiévale et la théologie réformée à l’université de Nottingham au Royaume-Uni, quand j’ai découvert que mon unique collègue catholique, une nonne libérale, était plus qu’heureuse de me permettre de donner le cours consacré à Thomas d’Aquin. C’est ainsi que le protestant le plus traditionnel de la faculté donna un cours classique sur le docteur angélique, dans une salle remplie de jeunes catholiques romains, pour la plupart traditionnalistes.

Depuis lors, je considère Thomas comme une source précieuse. En fait, je crois qu’il est peut-être plus important aujourd’hui que jamais, car nous vivons à une époque où les chrétiens ont besoin de penser clairement. Une pensée claire dépend de catégories et de distinctions précises, et Thomas offre ces choses aux lecteurs attentifs.

Par exemple, j’ai noté brièvement1 la semaine dernière comment le déclin de la distinction entre l’amour en tant que passion et l’amour en tant que vertu s’est avéré tellement confus et catastrophique non seulement dans la société en général, mais aussi dans l’Église. C’est un point qui mérite d’être développé. Dans la Prima secundæ de la Somme théologique, Thomas traite l’amour à la fois comme une passion et comme une vertu. L’amour en tant que passion n’est ni bon ni mauvais car il trouve son origine dans les appétits et non dans la raison. On pourrait dire que l’amour en tant que passion est en réalité l’amour en tant que sentiment. L’amour en tant que vertu, cependant, fait référence à un principe d’action enraciné dans la raison, se rattache à une compréhension plus large de la téléologie humaine et est donc intrinsèquement moral.

Nous pouvons clarifier la distinction entre ces deux aspects en examinant la façon dont le mot « amour » est utilisé dans le langage courant. Je suis tombé amoureux de ma femme parce qu’il y avait en elle quelque chose qui m’attirait. Cette attirance se traduisait par des sensations physiques. En l’appelant au téléphone pour confirmer notre premier rendez-vous, j’ai ressenti un mélange d’excitation et de désir. Le son de sa voix a fait battre mon cœur un peu plus vite. Je ressentais, et ressens toujours, un frisson avec elle, ce qui implique une attirance qui a un aspect physique. C’est l’amour en tant que passion.

Mais l’amour est aussi une vertu. Car je dois aimer ma femme non seulement quand je la trouve attirante, mais aussi quand je ne la trouve pas attirante. En fait, c’est peut-être surtout lorsque je ne la trouve pas attirante que mon amour en tant que vertu doit être le plus clairement démontré.  Ainsi, la femme qui s’occupe de son mari bien-aimé qui est en phase terminale de la maladie d’Alzheimer ou d’un cancer ne ressent peut-être pas beaucoup de passion positive à son égard, mais ses actes témoignent d’un amour d’une profondeur rarement vue ailleurs. Son comportement est ancré dans l’amour comme principe d’action. C’est ce que signifie l’amour en tant que vertu. Et c’est sûrement ce qui est au cœur de la compréhension paulinienne du mariage, lorsque l’Apôtre explique que les maris devraient aimer leurs femmes comme le Christ aime l’Église. Après tout, le Christ s’est donné pour elle en sacrifice alors qu’elle était loin d’être séduisante. Ce n’est pas la passion qui a conduit le Christ à se passionner, mais la vertu.

Alors que nous constatons en portant notre attention sur le monde d’aujourd’hui, que celui-ci vante le concept de l’amour comme une vertu alors qu’en réalité, il s’agit presque exclusivement de celui de l’amour comme passion. Quand les feuilletons et les sitcoms présentent l’acte sexuel comme constitutif de l’amour (leur arrive-t-il de faire autre chose ?), l’amour en tant que vertu est réduit à l’amour en tant que passion. Quand les animateurs de talk-show font une déclaration sur la moralité en se basant sur ce qu’ils ressentent dans leur cœur, c’est la passion, et non la vertu, qui devient le critère de ce qui est bon et vrai. Et lorsqu’un intellectuel nie l’existence d’un telos objectif à la nature humaine, la passion se fait passer pour une vertu et l’éthique pour une esthétique.

C’est peut-être là le véritable enjeu des débats actuels sur le mariage. Robert George a fait remarquer que le divorce sans faute a été le véritable tournant de l’histoire juridique récente de cette institution. Cela a fait passer le mariage d’une relation d’engagement à vie à un lien sentimental temporaire dont on peut se débarasser. Pourtant, si nous examinons cette question à travers la lentille des distinctions de Thomas, nous pouvons voir qu’un divorce sans faute présuppose une définition préalable de l’amour comme étant principalement une passion, et non une vertu. On peut donc dire que ce n’est pas la redéfinition du mariage mais celle de l’amour qui est le véritable problème derrière le malaise moral actuel de la société. Et cette redéfinition a des implications beaucoup plus larges et plus sinistres. En effet, comme la typologie de Thomas nous aide à le voir, elle touche au cœur même de ce que nous considérons comme la vertu.


  1. http://www.firstthings.com/blogs/firstthoughts/2015/03/when-pastoral-language-becomes-political-rhetoric[]

Hadrien Ledanseur

Enfant de Dieu, passionné par la théologie et la philosophie. S'il est enfant de Dieu, c'est exclusivement en vertu des mérites de Jésus-Christ et de la grâce de Dieu. Si Dieu le veut, il se fiancera bientôt !

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