Il y a aujourd’hui beaucoup de confusion sur les limites respectives entre la loi de Dieu d’une part, et les lois humaines d’autre part. Nous admettons qu’en France, il faille suivre les lois françaises. D’autre part, nous refusons de croire que toutes les lois humaines soient tenables sans qu’elles soient soumises d’une façon ou d’une autre à la loi de Dieu, qui est supérieure à toute loi humaine. C’est ainsi que nous disons qu’il faut être soumis au magistrat, mais obéir à Dieu avant le magistrat. La meilleure façon de vaincre la confusion qui entoure ces notions est encore de les schématiser comme un plan et décrire ce plan. Pour ce faire, j’ai demandé à la très talentueuse Pauline Bargy de mettre en infographie le résumé du premier livre des lois écclésiastiques de Richard Hooker, spécialement consacré à cette question. Si cet article vous a plu, partagez-le et faites connaître le travail de Pauline, il vaut le détour.
La métaphysique des lois de Hooker reprend et modifie un peu celle de Thomas d’Aquin, et notamment l’utilisation d’un schéma néo-platonicien de diversité qui procède/remonte à l’unité d’une part, et le vocabulaire aristotélicien d’autre part. La première particularité de Hooker est que contrairement à ses prédécesseurs, il s’en sert pour faire de l’éthique et de la polémique, et justifier la politique de la reine Élizabeth.
La définition de loi qu’il utilise est la suivante :
La loi est ce qui assigne à chaque chose son type, ce qui modère la force et le pouvoir, ce qui définit une forme et la mesure de son oeuvre.
Lawes I.2.1
Commentaire des inscriptions du schéma
Loi éternelle première/seconde : c’est une différence avec Thomas d’Aquin qui ne définissait qu’une seule loi éternelle, c’est-à-dire une seule volonté de Dieu pour toutes ses créatures. Cette distinction marque la distance entre créateur et créature, et découle d’une distinction assez protestante de la théologie archétypale (Dieu tel qu’il se connaît lui-même) et théologie ectypale (Dieu tel qu’il est connaissable des créatures).
Loi éternelle première : C’est le projet et les plans de Dieu pour ses créatures tels que Dieu les connaît. Elles sont à tout jamais inaccessibles aux créatures.
Loi éternelle seconde : C’est le projet et les plans de Dieu pour ses créatures tels qu’ils sont accessibles en principe aux créatures. Un ange avec le maximum de révélation ne pourra jamais en savoir plus que cette loi éternelle seconde. Ces deux lois sont en Dieu.
Procède/remonte : L’image qu’utilise Hooker pour expliquer ce concept néo-platonicien est celle du bassin qui déborde dans un autre. Le bassin supérieur est si plein d’eau qu’il déborde dans l’autre, on dira que l’eau du bassin supérieur procède dans le bassin inférieur. Et si l’on fait le chemin inverse, on remonte jusqu’au bassin supérieur. Appliqué aux lois humaines cela revient à dire que Dieu a désiré que l’homme soit heureux et donc que sa création ne soit pas détruite. De cette loi éternelle procède la loi naturelle : « tu ne porteras pas atteinte à la vie d’autrui ». De cette loi naturelle procède le droit positif humain qui dit dans l’article 221-1 du code pénal français «Le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre. Il est puni de trente ans de réclusion criminelle. » Mais on pourrait proposer dans le sens inverse de remonter de l’article 221-1 à cette loi naturelle, de la loi naturelle à la loi éternelle.
En résumé, la procession est un lien métaphysique descendant, et la remontée un lien métaphysique ascendant.
La loi naturelle est la volonté de Dieu telle qu’elle se trouve dans les créatures tandis que la loi éternelle est la volonté de Dieu telle qu’elle se trouve en Dieu. De la loi naturelle procède trois lois, selon le type de créatures auxquelles elles s’appliquent :
- Les lois de la nature, qui s’appliquent aux objets inanimés et aux animaux. Elles sont étudiées par la physique, la chimie, la biologie et toutes les sciences naturelles.
- Les lois célestes qui s’appliquent aux anges.
- La loi de la raison qui s’appliquent aux hommes.
- Elles correspondent au témoignage de notre conscience en Romains 1,19-20 et 2,15. Ainsi on peut remonter à la loi de la raison par la consultation de la conscience de tous les hommes.
- Celle ci peut être codifiée dans le droit écrit humain, à travers un processus politique.
La loi divine est la volonté de Dieu telle qu’elle est révélée par écrit à l’homme. Elle ne s’oppose pas à la loi naturelle, mais est un canal alternatif plus clair et plus spécifique.
Armés de ces concepts, nous pouvons mieux comprendre les articles consacrés à Richard Hooker, lorsqu’il décrit les degrés de liberté que nous avons par rapport à l’Écriture, ou comment nous déterminons ce qui est juste dans la liturgie et la politique.
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