L’archéologie montre-t-elle un culte antique aux icônes ?
4 novembre 2025

L’un des arguments fréquemment utilisé en faveur du culte aux icônes est la présence d’art chrétien dans l’Antiquité. Cette observation repose sur une erreur de jugement : la présence d’art et la vénération d’icônes sont deux choses très différentes.


Avant de poursuivre et de détailler cela, je rappelle que je produis ces derniers temps des articles sur le sujet des icônes en guise de notes préparatoires pour un long dossier vidéo sur le sujet. Ces notes contiennent des articles généraux ainsi que des textes examinant des auteurs en particulier :

Les Pères et les icônes

Plusieurs articles concernent les pères de l’Église des premiers siècles. Dans ce premier article de Steven Wedgeworth, plusieurs textes des Pères opposés à la vénération des icônes sont recensés. Plusieurs Pères ont ensuite été examinés individuellement, en voici la liste : Justin Martyr, Athénagore d’Athènes, Irénée de Lyon, l’auteur des Actes de Jean, Clément d’Alexandrie, Tertullien de Carthage, Origène d’Alexandrie, Minucius Felix, Lactance de Nicomédie, Pseudo-Clément, Eusèbe de Césarée, le synode d’Elvire, Astérios d’Amasée, Épiphane de Salamine, Ambroise de Milan, Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze, Évagre le Pontique, Macaire de Magnésie, Augustin d’Hippone, Jean Cassien, Nil du Sinaï, Zacchée le Chrétien, Hypatios d’Éphèse et Grégoire le Grand.

Un autre article examine la légende d’une icône peinte par saint Luc.

La crise iconoclaste et le second concile de Nicée

D’autres articles s’intéressent à la crise iconoclaste et au second concile de Nicée qui eut lieu dans ce contexte. Un premier article sur ce sujet rapporte les conclusions des deux plus grands érudits contemporains sur la crise iconoclaste, qui concluent que la vénération des icônes n’existait pas avant le VIIe siècle. Un deuxième article fait le point sur le consensus académique actuel, à savoir que le culte aux icônes était absent des origines du Christianisme jusqu’à la fin du VIe siècle ou la fin du VIIe siècle selon la position adoptée. Un autre article examine les anathèmes du second concile de Nicée et conclut qu’une adhésion sérieuse à ce concile implique de croire que ceux qui rejettent la vénération des icônes sont damnés. Un dernier article répond à l’accusation de déni de l’incarnation à l’encontre des iconoclastes.

Les Francs et les icônes

Plusieurs articles ont été consacré à la façon dont les Francs, au Moyen-Âge, ont considéré les icônes. Cet article propose un survol de la question. Ce deuxième article se concentre sur le concile de Francfort (794) et ce troisième sur le concile de Paris (825). Pour compléter le tableau, cet article étudie le cas de Claude de Turin, chapelain de Louis le Pieux et cet autre article le cas d’Agobard de Lyon.

La théologie des icônes

Un article consacré à la distinction entre dulie et latrie a également été publié dans cette série.


Art chrétien et iconographie

Art et icônes

Comme nous le disions en introduction, il y a une différence entre produire de l’art chrétien et produire une icône dont l’objet est d’être vénéré. L’historien Ernst Kitzinger, par exemple, relève que les portraits commémoratifs n’ont commencé à être utilisés comme objet de culte qu’à la fin du VIe siècle (thèse aujourd’hui contestée en faveur d’une date plus tardive encore) :

La fin du sixième et le début du septième siècles virent l’avènement d’une piété d’un nouveau type, se manifestant par un usage croissant des images dans les pratiques cultuelles et dévotionelles. […] Le terrain avait été préparé dans les siècles précédents par l’usage de portraits commémoratifs d’une part et par les représentations cérémonielles contenant une figure centrale divine et majestueuse d’autre part. Désormais [c’est-à-dire à partir de la fin du VIe], ces figures centrales étaient placées devant l’adoration de manière isolée, comme les statues d’un dieu ou d’une déesse l’étaient dans un temple grec1.

Plus récemment, Brubaker et Haldon, dans l’étude qui fait foi sur l’iconoclasme byzantin, relèvent la différence entre les portraits saints et la vénération des icônes :

Les iconoclastes de 754 avaient raison lorsqu’ils condamnaient la vénération des icônes en tant qu’innovation contraire aux vénérables traditions de l’Église. Les portaits saints n’étaient pas nouveaux, mais leur rôle magnifié était un développement contemporain de leur époque et leur vénération était un phénomène récent2.

Ainsi, John Carpenter rappelle qu’art chrétien et iconographie sont deux choses différentes :

Nous devons distinguer l’art (y compris les images et les décorations) des icônes. Les théologiens orthodoxes et les « écrivains » d’icônes font eux-mêmes cette distinction. « Les icônes ne sont pas de l’“art” au sens moderne de l’expression individuelle, bien qu’elles possèdent de nombreuses qualités esthétiques. Les icônes résultent d’une collaboration entre l’écrivain et l’esprit3. » Le métropolite Hilarion Alfeyev, évêque de l’Église orthodoxe russe, note que « le but de l’icône est liturgique ». Par conséquent, « une galerie n’est pas le lieu approprié pour les icônes. » L’Archidiocèse orthodoxe d’Antioche en Amérique du Nord définit une icône ainsi :

Dans l’Église orthodoxe, une icône est une image sacrée, une fenêtre vers le ciel. Une image d’une autre réalité, d’une personne, d’un temps et d’un lieu plus réel que le ici et maintenant. Plus que de l’art, les icônes ont un rôle spirituel important… Le but principal de l’icône est de favoriser la prière et le culte.

L’Église orthodoxe d’Estonie souligne que « le mot “icône” est normalement utilisé pour désigner des images ayant un contenu, un sens et un usage religieux… Elles proviennent de la prière et sont destinées à être utilisées dans la prière et le culte. » Ainsi, une icône est une image sacrée utilisée dans la dévotion religieuse.

Il s’agit d’une distinction cruciale. Elle signifie que la découverte d’œuvres d’art chrétiennes anciennes ne correspond pas nécessairement à la découverte de la première iconographie chrétienne. Les apologistes orthodoxes orientaux négligent fréquemment cette distinction lorsqu’ils discutent des preuves archéologiques, laissant entendre — volontairement ou non — que toute œuvre religieuse serait une icône, et que la découverte archéologique de décorations et de symboles parmi les premiers chrétiens constituerait nécessairement une preuve d’iconographie4.

Doura Europos et les catacombes

Ainsi, appliquant cette distinction aux fameux cas de la maison-église de Doura Europos et aux catacombes et s’appuyant sur les travaux de l’auteur orthodoxe Steven Bigham, John Carpenter poursuit :

Cependant, outre la confusion entre décorations et iconographie mentionnée ci-dessus, Bigham révèle que la célèbre maison-église décorée de Doura-Europos, si souvent citée par les apologistes orthodoxes orientaux comme preuve de l’existence d’icônes dans l’Église primitive, ne possédait dans sa grande salle de réunion « aucune peinture ». En d’autres termes, bien qu’il y ait des fresques dans d’autres pièces de la maison-église, le lieu de rassemblement des premiers chrétiens n’incluait aucune des décorations si présentes dans la synagogue voisine (elle-même exceptionnelle). Contrairement aux affirmations de Robert Arakaki et d’autres, selon lesquelles de telles synagogues ne sont pas exceptionnelles, l’archéologue Jodi Magness a noté à propos d’une synagogue du Ve siècle découverte en 2012 : « Les synagogues de ce type particulier – dont la meilleure représentation est la synagogue de Capharnaüm à seulement quelques kilomètres – n’ont généralement pas de sols en mosaïque ».

Certes, les catacombes démontrent l’existence de décorations et de symbolisme dans le christianisme primitif. Nous savons par la mention incidente de Tertullien d’une image du « Bon Pasteur » sur un calice utilisé par un évêque que de tels objets décorés étaient employés. Cependant, la question cruciale est de savoir si ces images ont jamais franchi la ligne rouge séparant l’aniconisme de l’iconographie. L’archéologie peut rarement indiquer l’usage effectif des images qu’elle découvre. En revanche, les témoignages écrits de l’Église primitive peuvent révéler leurs attitudes.

D’une part, Irénée (ca. 130–202) parle admirablement de l’art, évoquant « une belle image d’un roi… réalisée par un artiste habile » ; d’autre part, il décrit ainsi l’usage des images par les Carpocratiens gnostiques :

« Ils possèdent aussi des images, certaines peintes, d’autres formées à partir de différents matériaux ; ils soutiennent qu’une ressemblance du Christ aurait été réalisée par Pilate au moment où Jésus vivait parmi eux. Ils couronnent ces images et les exposent aux côtés des images des philosophes du monde, c’est-à-dire, aux côtés des images de Pythagore, de Platon, d’Aristote et des autres. Ils ont également d’autres manières d’honorer ces images, suivant le même mode que les Gentils ».

Remarquez que le fait de couronner et d’honorer ces images « suivant le même mode que les Gentils » signifie qu’elles ne sont pas utilisées simplement comme décorations, mais comme de véritables icônes.

Ainsi, les preuves archéologiques n’ont produit aucun exemple d’iconographie et, lorsqu’elles sont interprétées à la lumière des Pères de l’Église primitive comme Irénée, elles ne constituent pas une confirmation de l’usage d’icônes5.

Conclusion : un peu de bon sens

La distinction entre art et vénération d’une icône relève en fin de compte du bon sens. Il n’est pas difficile de trouver de nos jours des églises décorées, y compris avec de l’art figuratif, dans des traditions qui ne pratiquent aucune forme de vénération des icônes. Cela est le cas dans plusieurs églises de tradition protestante, mais également dans l’Église assyrienne de l’Orient, héritière de l’Église de l’Orient (Église de l’empire sassanide, organisée comme telle depuis 410 et indépendante de l’Église dans l’Empire romain depuis 424). Ainsi, il n’est pertinent de relever tous les exemples d’art chrétien antique comme des arguments en faveur de la vénération d’icônes à cette période, à moins que ces productions soient accompagnées d’autres données confirmant leur usage cultuel.


  1. Ernst Kitzinger, Byzantine Art in the Making : Main Lines of Stylistic Development in Mediterranean Art, 3rd-7th Century, Cambridge, Harvard University Press, 1977, p.105.[]
  2. Brubaker et Haldon, Byzantium in the Iconoclast Era, c. 680-850, Cambridge University Press, Cambridge, 2011, p. 63.[]
  3. Patricia Miranda, The Tradition Of Iconography, The National Altar Guild Association, 2011, http://www.nationalaltarguildassociation.org/?p=796.[]
  4. John B. Carpenter, « Answering Eastern Orthodox Apologists Regarding Icons », Themelios 43, no. 3 (2018), p. 419.[]
  5. John B. Carpenter, « Answering Eastern Orthodox Apologists Regarding Icons », Themelios 43, no. 3 (2018), p. 425.[]

Maxime Georgel

Maxime est médecin à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs quatre enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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