Épiphane de Salamine et les icônes
14 octobre 2025

Je produis ces derniers temps des articles sur le sujet des icônes en guise de notes préparatoires pour un long dossier vidéo sur le sujet. Après avoir produit 10 articles généraux, je passe désormais à l’examen de 26 pères de l’Église sur le sujet de la place des images dans le culte chrétien et remercie mon ami Damian Dziedzic pour son travail en polonais sur le sujet. Voici les 10 articles généraux en question :

  • Dans ce premier article de Steven Wedgeworth, plusieurs textes des Pères opposés à la vénération des icônes sont recensés ;
  • Dans ce second article, nous relevons la façon dont les Francs s’étaient opposés pendant plusieurs siècles au second concile de Nicée ;
  • Dans ce troisième article, le cas de Claude de Turin, chapelain de Louis le Pieux, est présenté ;
  • Dans ce quatrième article, la réception occidentale du second concile de Nicée est discutée, étudiant les textes autour du concile de Francfort (794) ;
  • Un cinquième article rapporte les conclusions des deux plus grands érudits contemporains sur la crise iconoclaste, qui concluent que la vénération des icônes n’existait pas avant le VIIe siècle ;
  • Un sixième article examine les anathèmes du second concile de Nicée et conclut qu’une adhésion sérieuse à ce concile implique de croire que ceux qui rejettent la vénération des icônes sont damnés ;
  • Un septième article fait le point sur le consensus académique actuel, à savoir que le culte aux icônes était absent des origines du Christianisme jusqu’à la fin du VIe siècle ou la fin du VIIe siècle selon la position adoptée ;
  • Un huitième article répond à l’accusation de déni de l’incarnation à l’encontre des iconoclastes ;
  • Un neuvième article parcourt les conclusions du concile de Paris (825)
  • Dans un dixième article nous avons examiné les écrits d’Agobard de Lyon.

Pour les pères qui seront examinés, en voici la liste (ceux qui présentent un lien hypertexte sont déjà publiés) : Justin Martyr, Athénagore d’Athènes, Irénée de Lyon, l’auteur des Actes de Jean, Clément d’Alexandrie, Tertullien de Carthage, Origène d’Alexandrie, Minucius Felix, Arnobe l’Ancien, Lactance de Nicomédie, Pseudo-Clément, Eusèbe de Césarée, le synode d’Elvire, Astérios d’Amasée, Épiphane de Salamine, Ambroise de Milan, Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze, Évagre le Pontique, Macaire de Magnésie, Augustin d’Hippone, Jean Cassien, Nil du Sinaï, Zacchée le Chrétien, Hypatios d’Éphèse et Grégoire le Grand. Passons donc à Épiphane. Nous vous invitons également à consulter cet article sur Augustin et les images du Père.

Ce qui est contraire à notre religion

Dans une lettre conservée par Jérôme et adressée à Jean de Jérusalem, Épiphane — connu comme « le pourfendeur de toutes les hérésies » de son temps — rapporte un épisode survenu à Anablata, qui illustre parfaitement la situation de la fin du IVᵉ siècle, lorsque l’usage des images comme supports matériels à la contemplation de Dieu commençait à être progressivement introduit. Beaucoup s’y opposaient encore, et Épiphane, suivant l’interdiction quasiment universelle des premiers chrétiens concernant le culte des images, relate :

J’ai entendu, de plus, que certains murmurent contre moi — et cela à propos de notre séjour dans le lieu saint appelé Béthel, où, selon la coutume ecclésiastique, je faisais avec toi une collecte. Je vins au village appelé Anablata, et, en passant, j’aperçus une lampe allumée. Ayant demandé quel lieu c’était, j’appris que c’était une église ; j’y entrai pour prier. J’y trouvai un voile suspendu aux portes de cette église, teint et peint, portant l’image, semble-t-il, soit du Christ, soit de quelque saint — je ne me souviens plus exactement de qui c’était l’image. Lorsque je vis cela, et que je fus indigné de voir dans l’église du Christ, contre l’autorité des Écritures, une image d’homme suspendue, je la déchirai. Et je conseillai aux gardiens de ce lieu d’envelopper plutôt un pauvre mort avec cette étoffe. Eux murmurèrent contre moi, disant : “S’il voulait la déchirer, il aurait été juste qu’il donne un autre voile en échange.” Quand j’entendis cela, je promis d’en donner un et de l’envoyer aussitôt. Mais il y eut quelque délai, car je cherchais à envoyer le meilleur voile possible, pensant devoir le faire venir de Chypre. À présent, j’ai envoyé ce que j’ai pu trouver, et je te prie d’ordonner au presbytre de ce lieu de recevoir de la part du lecteur le voile que je transmets, et, pour l’avenir, d’interdire de suspendre dans l’église du Christ de tels voiles, qui sont contraires à notre religion1.

Ainsi, l’historien catholique Brain Daley commente :

Érudit, mais moins subtil intellectuellement qu’Eusèbe, Épiphane était essentiellement un polémiste théologique, qui a surtout servi la tradition chrétienne ultérieure par ses descriptions minutieuses et détaillées des hérésies chrétiennes anciennes. Il semble également avoir été opposé à l’érection et à la vénération publiques d’images sacrées, pour les raisons philosophiques traditionnelles concernant la tromperie inhérente à la représentation artistique. Un passage de sa lettre à l’empereur Théodose Ier, probablement vers 394, illustre bien la position d’Épiphane :

« Je vous supplie, ô empereur dévot, ennemi des méchants : réprimez toute déviance par le zèle pour Dieu qui est véritablement en vous, par vos lois fermes — sanctionnées, si possible, par des amendes. Et je suis convaincu que, par la grâce de Dieu, vous pourrez accomplir tout ce que vous voulez. Partout où se trouvent des tapisseries, avec de fausses images qui prétendent néanmoins représenter les apôtres ou les prophètes, voire le Christ lui-même, elles doivent toutes être retirées des églises, des baptistères, des résidences ou des sanctuaires de martyrs où elles se trouvent, et vous devriez leur offrir des funérailles sans honneur ! Ce qui est peint sur les murs doit être recouvert de chaux. Et puisque seront difficiles à retirer les images prévues dans les mosaïques, votre sagesse donnée par Dieu saura quelles mesures prendre ; si leur retrait est possible, ce serait préférable, mais si cela est impossible, il faut imiter les efforts de nos ancêtres et ne plus jamais représenter de figures de cette manière. Nos ancêtres, après tout, ne peignaient que le signe du Christ, la croix, sur les portes et partout ailleurs. »

L’objection principale d’Épiphane aux images, dans les passages anti-iconiques de ses œuvres qui nous sont parvenus, semble également être leur manque d’authenticité : elles falsifient les réalités qu’elles prétendent représenter, en ne reposant que sur l’imagination du peintre (Épiphane, Lettre à Théodose). En revanche, dit-il, la seule représentation adéquate du Christ et des saints est celle qui se trouve dans la vie des personnes qui les imitent. Au-delà de cela, le simple signe de la croix suffit à la fois à répondre au besoin de décoration et à la demande de symbolisme religieux. En tant que Fils de Dieu, Jésus est la personne même, « au-delà de notre compréhension » (ακαταληπτον) ; il est donc strictement impossible de former une image adéquate de lui, que ce soit par des mots ou par tout autre art humain. Un portrait inanimé ne peut remplacer le Dieu vivant ; offrir une véritable vénération religieuse à une telle image serait donc de l’idolâtrie.

Ces écrits sont si clairement iconoclastes que plusieurs ont essayé de les écarter comme inauthentiques, en vain. Comme dit l’érudit et prêtre catholique Richard Price :

S’il s’agissait d’un faux, ce serait un chef-d’œuvre stylistique : rien ne permet de penser que le VIIIe siècle aurait été capable de produire une contrefaçon aussi élaborée2.


  1. Épiphane de Salamine, relaté par Jérôme, Épître 51.9, Migne PL 22:526-527.[]
  2. Price Richard, The Acts of the Second Council of Nicaea, Liverpool University Press, 2018, page 40.[]

Maxime Georgel

Maxime est médecin à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs quatre enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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