Eusèbe de Césarée et les icônes
9 octobre 2025

Je produis ces derniers temps des articles sur le sujet des icônes en guise de notes préparatoires pour un long dossier vidéo sur le sujet. Après avoir produit 10 articles généraux, je passe désormais à l’examen de 26 pères de l’Église sur le sujet de la place des images dans le culte chrétien et remercie mon ami Damian Dziedzic pour son travail en polonais sur le sujet. Voici les 10 articles généraux en question :

  • Dans ce premier article de Steven Wedgeworth, plusieurs textes des Pères opposés à la vénération des icônes sont recensés ;
  • Dans ce second article, nous relevons la façon dont les Francs s’étaient opposés pendant plusieurs siècles au second concile de Nicée ;
  • Dans ce troisième article, le cas de Claude de Turin, chapelain de Louis le Pieux, est présenté ;
  • Dans ce quatrième article, la réception occidentale du second concile de Nicée est discutée, étudiant les textes autour du concile de Francfort (794) ;
  • Un cinquième article rapporte les conclusions des deux plus grands érudits contemporains sur la crise iconoclaste, qui concluent que la vénération des icônes n’existait pas avant le VIIe siècle ;
  • Un sixième article examine les anathèmes du second concile de Nicée et conclut qu’une adhésion sérieuse à ce concile implique de croire que ceux qui rejettent la vénération des icônes sont damnés ;
  • Un septième article fait le point sur le consensus académique actuel, à savoir que le culte aux icônes était absent des origines du Christianisme jusqu’à la fin du VIe siècle ou la fin du VIIe siècle selon la position adoptée ;
  • Un huitième article répond à l’accusation de déni de l’incarnation à l’encontre des iconoclastes ;
  • Un neuvième article parcourt les conclusions du concile de Paris (825)
  • Dans un dixième article nous avons examiné les écrits d’Agobard de Lyon.

Pour les pères qui seront examinés, en voici la liste (ceux qui présentent un lien hypertexte sont déjà publiés) : Justin Martyr, Athénagore d’Athènes, Irénée de Lyon, l’auteur des Actes de Jean, Clément d’Alexandrie, Tertullien de Carthage, Origène d’Alexandrie, Minucius Felix, Arnobe l’Ancien, Lactance de Nicomédie, Pseudo-Clément, Eusèbe de Césarée, le Synode d’Elvire, Astérios d’Amasée, Épiphane de Salamine, Ambroise de Milan, Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze, Évagre le Pontique, Macaire de Magnésie, Augustin d’Hippone, Jean Cassien, Nil du Sinaï, Zacchée le Chrétien, Hypatios d’Éphèse et Grégoire le Grand. Passons donc à Eusèbe de Césarée. Nous vous invitons également à consulter cet article sur Augustin et les images du Père.

Pourrais-je avoir une image du Christ ?

Lorsque Constance, sœur de l’empereur Constantin, visita Jérusalem et demanda à Eusèbe de Césarée une image du Christ, voici entre autres ce qu’elle entendit en réponse :

Se pourrait-il que tu aies oublié ce passage où Dieu établit une loi, à savoir qu’il ne faut pas se faire d’image ni de ce qui est dans le ciel ni de ce qui est sur la terre (cf. Ex 20,4 ; Dt 5,8) ? N’as-tu jamais rien entendu de tel, ni dans l’Église, ni de qui que ce soit d’autre ? Ces choses n’ont-elles pas été bannies et exclues des Églises dans le monde entier, et n’est-il pas de notoriété publique que de telles pratiques ne sont pas permises chez nous seuls1?

Du côté des apologètes orthodoxes, on a tenté de « sauver » Eusèbe en cherchant à le présenter comme partisan des images, ce qui a conduit à mettre en doute l’authenticité de la Lettre à Constance l’Impératrice2. À cette fin, on cite le plus souvent un passage de son Histoire ecclésiastique, où il rapporte qu’à Césarée de Philippe on avait érigé une statue du Christ guérissant la femme qui souffrait d’un flux de sang. Le problème est que ce récit contient aussi le commentaire d’Eusèbe, qui explique la raison de l’érection de ce monument :

Et rien d’étonnant à ce que les anciens païens, qui avaient fait l’expérience des bienfaits de notre Sauveur, aient élevé un tel monument. J’ai même vu des représentations de ses apôtres, Pierre et Paul, et même du Christ lui-même, conservées dans des images peintes. C’est compréhensible, car les anciens, selon leur coutume, les honoraient de cette manière, sans aucune réflexion plus profonde, comme leurs sauveurs3.

Les païens, récemment convertis et qui ne connaissaient pas la Parole de Dieu, ont agi « sans aucune réflexion plus profonde », reproduisant ce qu’ils faisaient auparavant à l’époque du paganisme : ils ont érigé un monument. C’est là une excellente explication de la manière dont le culte des images a commencé à apparaître progressivement dans l’Église au IVe siècle. Cela se reflète aussi dans les écrits d’Épiphane et d’Augustin, qui s’élevèrent contre de telles pratiques, comme nous le verrons4.

Du reste, Stephen Gero, après avoir analysé la lettre sous l’angle du langage, de la théologie et du contexte de sa redécouverte, conclut : « Il ne semble pas y avoir un seul argument fort contre l’authenticité [de cette lettre]. En revanche, de nombreux arguments, précis et généraux, s’opposent à l’idée de son inauthenticité. Reconnaître que cette lettre est bien authentique et qu’elle a été découverte lors de la fouille des archives par les iconoclastes, à la recherche de “preuves patristiques”, est la solution la plus convaincante, ce qui rejoint les conclusions des autres érudits sur la question5. »

De même, l’érudit catholique et éditeur anglais des Actes du second concile de Nicée Richard Price déclare :

Que la lettre soit dans le style propre d’Eusèbe a été généralement admis. Si la lettre était un faux, ou substantiellement interpolée, elle constituerait un exemple brillant et sophistiqué du genre ; mais rien, au VIIIe siècle, ne permet de supposer la possibilité d’une contrefaçon d’une telle sophistication6.

Ainsi, l’historien catholique Brian Daley déclare :

Eusèbe répond à la demande de l’impératrice qui souhaitait une image peinte du Christ — le même type de portrait qu’il affirme ailleurs avoir vu de Paul et du Sauveur (Histoire ecclésiastique 7,18) — par un refus détaillé mais ferme. Partant de l’hypothèse qu’elle ne peut évidemment pas demander une représentation du Fils de Dieu dans son identité véritable et éternelle, qui dépasse toute imagination, Eusèbe en conclut qu’elle souhaite plutôt une image de « cette forme qu’il a assumée pour nous, lorsqu’il a revêtu “la condition de serviteur” » (Lettre à Constance, § 1). Mais même cette forme, soutient l’évêque, ne saurait être reproduite par un artiste, puisque le corps humain transfiguré du Christ, désormais au ciel comme jadis sur le mont Thabor, rayonne d’une splendeur céleste […] Eusèbe rappelle ensuite à l’impératrice l’interdiction biblique de vénérer les « images gravées », qu’il affirme avoir été observée universellement par l’Église chrétienne jusqu’à son époque. Il raconte la rencontre avec « une certaine femme », qui mentionna sans y prêter grande attention posséder des portraits de saint Paul et du Sauveur, comme s’ils appartenaient au monde des philosophes (ως αν φιλοσοφους) ; il les confisqua, dit-il, afin d’éviter de scandaliser les gens en semblant tolérer l’idolâtrie (Lettre à Constance, § VII). Cette pratique rappelle ce que faisaient les gnostiques en réalisant des portraits de leurs propres chefs.

Pour nous, de telles pratiques sont interdites. Quand nous confessons le Seigneur notre Sauveur comme divin, nous nous préparons à voir Dieu, purifiant notre cœur avec le plus grand sérieux, afin que — dans la pureté — nous puissions le contempler ; car « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ». Et si vous pensez que les images sont vraiment nécessaires, avant même la vision face à face et la contemplation de notre Sauveur à venir, quel plus grand portrait pourrait-on avoir que la parole même de Dieu ? (Lettre à Constance, § VIII)

À l’instar de son maître Origène, Eusèbe semble considérer que la Parole de Dieu est devenue « chair » d’abord dans le Verbe des Écritures, avant de le devenir dans le sein de la Vierge. Étudiez les Écritures, exhorte-t-il l’impératrice, et vous aurez la seule représentation dont vous aurez jamais besoin7 !

Compte tenu des témoignages mentionnés ci-dessus, il faut considérer Eusèbe comme un adversaire du culte des images. Il opposait à la demande de la sœur de l’empereur l’interdit du Décalogue. Mais plus encore, il affirme que ces choses sont « bannies des Églises dans le monde entier. »


  1. Eusèbe de Césarée, Lettre à Constance l’Impératrice, Migne PG 20:1548, en grec : Ἀλλ’ εἰ µὴ τῆς εἰς Θεὸν µεταβληθείσης µορφῆς, ἀλλὰ τοῦ πρὸ τῆς µεταβολῆς σαρκίου αὐτοῦ δὴ τοῦ θνητοῦ τὴν εἰκόνα φῂς παρ’ ἡµῶν αἰτεῖν, ἆρα γὰρ τοῦτό σε µόνον διέλαθεν τὸ ἀνάγνωσµα, ἐν ᾧ ὁ Θεὸς νοµοθετεῖ µὴ ποιεῖν ὁµοίωµα, µήτε τῶν ὅσα ἐν τῷ οὐρανῷ, µήτε τῶν ὅσα ἐν τῇ γῇ κάτω; ἢ ἔστιν ὅτε ἐν Ἐκκλησίᾳ τὸ τοιοῦτον ἢ αὐτὴ, ἢ καὶ παρ’ ἄλλου τοῦτο ἤκουσας; Οὐχὶ δὲ καθ’ ὅλης τῆς οἰκουµένης ἐξώρισται καὶ πόῤῥω τῶν Ἐκκλησιῶν πεφυγάδευται τὰ τοιαῦτα, µόνοις τε ἡµῖν µῆ ἐξεῖναι τὸ τοιοῦτον ποιεῖν παρὰ πᾶσι βεβόηται;[]
  2. Steven Bigham, Early Christian Attitudes Toward Images, Orthodox Research Institute, Rollinsford 2004, p. 185-208.[]
  3. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique 7.18.3.[]
  4. Jérôme, Lettre 51.9 : Lettre d’Épiphane de Chypre à Jean de Jérusalem, Migne PL 22:526-527. ; Augustin, Sermon 198, 16-17.[]
  5. Stephen Gero, The True Image of Christ: Eusebius’ Letter to Constantia Reconsidered, The Journal of Theological Studies 32, 1981, pages 460-470, voir également Dominika Budzanowska, « Historii preikonoklazmu: Euzebiusz z Cezarei i jego list do Konstancji (na tle epoki) », Warszawskie Studia Teologiczne XXVI/1/2013, pp. 63-83 ; Marek Starowieyski, Sobory niepodzielonego Kościoła, éd. M, Cracovie, 2016, p. 113.[]
  6. Price Richard, The Acts of the Second Council of Nicaea, Liverpool University Press, 2018, page 664.[]
  7. Daley, Brian E., God Visible: Patristic Christology Reconsidered, Changing Paradigms in Historical and Systematic Theology, Oxford : Oxford University Press, 2018, pp. 235-236.[]

Maxime Georgel

Maxime est médecin à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs quatre enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *