17 octobre 2025

Je produis ces derniers temps des articles sur le sujet des icônes en guise de notes préparatoires pour un long dossier vidéo sur le sujet. Après avoir produit 10 articles généraux, je passe désormais à l’examen de 26 pères de l’Église sur le sujet de la place des images dans le culte chrétien et remercie mon ami Damian Dziedzic pour son travail en polonais sur le sujet. Voici les 10 articles généraux en question :

  • Dans ce premier article de Steven Wedgeworth, plusieurs textes des Pères opposés à la vénération des icônes sont recensés ;
  • Dans ce second article, nous relevons la façon dont les Francs s’étaient opposés pendant plusieurs siècles au second concile de Nicée ;
  • Dans ce troisième article, le cas de Claude de Turin, chapelain de Louis le Pieux, est présenté ;
  • Dans ce quatrième article, la réception occidentale du second concile de Nicée est discutée, étudiant les textes autour du concile de Francfort (794) ;
  • Un cinquième article rapporte les conclusions des deux plus grands érudits contemporains sur la crise iconoclaste, qui concluent que la vénération des icônes n’existait pas avant le VIIe siècle ;
  • Un sixième article examine les anathèmes du second concile de Nicée et conclut qu’une adhésion sérieuse à ce concile implique de croire que ceux qui rejettent la vénération des icônes sont damnés ;
  • Un septième article fait le point sur le consensus académique actuel, à savoir que le culte aux icônes était absent des origines du Christianisme jusqu’à la fin du VIe siècle ou la fin du VIIe siècle selon la position adoptée ;
  • Un huitième article répond à l’accusation de déni de l’incarnation à l’encontre des iconoclastes ;
  • Un neuvième article parcourt les conclusions du concile de Paris (825)
  • Dans un dixième article nous avons examiné les écrits d’Agobard de Lyon.

Pour les pères qui seront examinés, en voici la liste (ceux qui présentent un lien hypertexte sont déjà publiés) : Justin Martyr, Athénagore d’Athènes, Irénée de Lyon, l’auteur des Actes de Jean, Clément d’Alexandrie, Tertullien de Carthage, Origène d’Alexandrie, Minucius Felix, Arnobe l’Ancien, Lactance de Nicomédie, Pseudo-Clément, Eusèbe de Césarée, le synode d’Elvire, Astérios d’Amasée, Épiphane de Salamine, Ambroise de Milan, Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze, Évagre le Pontique, Macaire de Magnésie, Augustin d’Hippone, Jean Cassien, Nil du Sinaï, Zacchée le Chrétien, Hypatios d’Éphèse et Grégoire le Grand. Passons donc à Basile de Césarée. Nous vous invitons également à consulter cet article sur Augustin et les images du Père.

L’image et son prototype

Comme annoncé dans le précédent article, nous considérerons ici une citation de Basile de Césarée fréquemment invoquée en soutien au culte des images. Elle figure même citée par le second concile de Nicée et le catéchisme de l’Église catholique en ce sens. Voici ce que dit le catéchisme en question, citant à la fois saint Basile et Nicée II, à la section 2132 :

Le culte chrétien des images n’est pas contraire au premier commandement qui proscrit les idoles. En effet,  » l’honneur rendu à une image remonte au modèle original  » (S. Basile, Spir. 18, 45 : PG 32, 149C), et  » quiconque vénère une image, vénère en elle la personne qui y est dépeinte  » (Cc. Nicée II : DS 601 ; cf. Cc. Trente : DS 1821-1825 ; Cc. Vatican II : SC 126 ; LG 67). 

La phrase qui nous intéresse est celle qui affirme que « l’honneur rendu à une image remonte au modèle original. » Telle qu’elle figure dans le catéchisme, il semble au lecteur que saint Basile cautionne le culte des icônes. Cependant, voici le contexte de cette citation, qui concerne la Trinité :

En effet, nous ne comptons pas par addition, en passant progressivement de l’unité à la multitude, en disant un, deux et trois, ni même premier, deuxième et troisième.  Car « moi, Dieu, je suis le premier et je suis le dernier ». Et jusqu’à présent, nous n’avons jamais entendu parler d’un deuxième Dieu.  Vénérant le Dieu de Dieu, nous confessons la distinction des personnes et respectons en même temps la monarchie.  Nous ne dispersons pas la théologie dans une pluralité divisée, parce qu’une seule forme, pour ainsi dire unie dans l’invariabilité de la Divinité, est visible en Dieu le Père et en Dieu l’Unique engendré.  Car le Fils est dans le Père et le Père dans le Fils, puisque tel est le dernier, tel est le premier, et tel est le premier, tel est le dernier, et c’est là l’Unité.  Ainsi, selon la distinction des personnes, les deux sont un et un, et selon la communauté de nature, un.  Comment donc, s’il y a un et un, n’y a-t-il pas deux dieux ?  Parce que nous parlons d’un roi et de l’image du roi, et non de deux rois.  La majesté n’est pas coupée en deux, ni la gloire divisée.  La souveraineté et l’autorité sur nous est une, et donc la doxologie que nous attribuons n’est pas plurielle mais une ; parce que l’honneur rendu à l’image se transmet au prototype1.

Comme on le constate, le propos de saint Basile n’a absolument rien à avoir avec le culte aux icônes. Basile est entre train d’expliquer l’unité des personnes de la Trinité et l’unité de l’adoration rendue au Dieu unique. L’image en question n’est pas une icône, c’est le Fils du Père, que la Bible dit être « l’image du Dieu invisible » (Colossiens 1,15) et le « reflet de sa gloire » (Hébreux 1,3). Ainsi, lorsque l’on honore le Fils, on honore le Père, parce que l’honneur rendu à l’image qu’est le Fils passe au Père qui est son prototype. Ainsi, le prêtre catholique et éditeur anglais des Actes du second concile de Nicée Richard Price commente :

Les iconophiles pouvaient citer des passages d’Athanase et de Basile de Césarée affirmant qu’une image d’une personne digne de vénération est justement honorée, puisque (comme l’avait déclaré Basile dans une phrase constamment citée) “l’honneur rendu à l’image passe au prototype”. Mais le propos de chacun de ces passages était de soutenir que le Christ, en tant qu’“image” du Père, mérite d’être adoré avec lui. Aucun de ces textes ne traitait de la question des images faites de main d’homme. […] Dans un débat où les Pères de l’âge d’or étaient considérés comme la principale autorité, c’était une faiblesse sérieuse pour la cause iconophile qu’aucun passage de ces Pères ne donnât une approbation explicite à une telle vénération2.

Employer cette citation pour faire de Basile un iconodule, sur le fondement d’une vague analogie dans le raisonnement, est proprement malhonnête.

La lettre 360

Une lettre de Basile est encore quelques fois citées. Pour être tout à fait honnête, je n’ai jamais vu d’auteur catholique ou orthodoxe reconnu faire valoir cette lettre à notre époque, puisque comme nous le verrons elle est considérée comme inauthentique, mais elle m’a été objectée récemment sur les réseaux sociaux alors il semble opportun de la mentionner. Sans plus attendre, la voici :

Je reconnais également les saints apôtres, prophètes et martyrs ; et je les invoque pour qu’ils intercèdent auprès de Dieu, afin que, par leur médiation, le Dieu miséricordieux me soit favorable, et qu’une rançon me soit accordée pour mes péchés. C’est pourquoi je respecte et embrasse les traits de leurs images, dans la mesure où elles nous ont été transmises par les saints apôtres, et qu’elles ne sont pas interdites, mais présentes dans toutes nos églises.

Voici ce que l’historien John Carpenter relève à propos de cette citation et de sa réception par les auteurs orthodoxes contemporains :

À leur crédit, les apologistes orthodoxes orientaux citent rarement cette lettre, probablement parce qu’elle est presque certainement apocryphe. Basile a été une cible majeure de contrefaçons après sa mort. L’existence d’un « pseudo-Basile » est connue depuis longtemps, au point que Jean Calvin fait deux fois référence à ce « pseudo-Basile » dans son Institution (IV.5.8n23, IV.13.8n12). Le pseudo-Basile était un dévot de Thécla, supposée disciple de Paul selon le texte tardif du IIᵉ siècle Actes de Paul et Thécla. L’Encyclopédie catholique note que certaines lettres attribuées à Basile sont « probablement apocryphes ». Andrew Louth précise que plusieurs lettres de Basile sont « contrefaites ».

De plus, le langage de la lettre 360, apparemment adressée à personne en particulier, trahit une date postérieure, proche de la controverse iconoclaste. Tout d’abord, nous savons par d’autres sources de l’Église ancienne qu’au moins une partie significative de celle-ci interdisait les icônes ; donc l’affirmation selon laquelle l’iconographie, décrite dans l’honneur et le baiser des images, « n’est pas interdite » est fausse. Ensuite, si l’iconographie avait vraiment été « transmise » depuis le début et était omniprésente, comme le prétend la lettre, pourquoi Basile énoncerait-il l’évidence ? Autrement dit, pourquoi un chrétien ancien écrirait-il à un autre au sujet d’une pratique chrétienne supposément ancienne et répandue en précisant qu’elle « n’est pas interdite », si tout le monde savait déjà qu’elle ne l’était pas ? Quand défend-on réellement les pratiques chrétiennes anciennes et répandues, comme le chant ? La lettre a l’allure d’une preuve fabriquée après coup. István M. Bugár conclut que la lettre 360 est « anachronique » et qu’elle est tellement mise en doute qu’elle « ne figure pas dans la plupart des collections » des lettres de Basile3.

Même le prêtre catholique Richard Price, qui conteste certaines des autres fraudes alléguées (soit parce qu’il en défend l’authenticité, soit parce qu’il pense qu’il s’agit de fraudes du VIIe siècle qui ont trompé les pères du concile de Nicée II et non des fraudes qu’ils auraient eux-mêmes conçu) déclare :

Le seul cas évident, dans les Actes du concile, d’un faux prétendant appartenir à l’âge d’or patristique, et qui est manifestement d’origine iconophile, est la prétendue lettre de Basile de Césarée à Julien l’Apostat, contenant cette déclaration : “J’honore et je vénère donc aussi les traits de leurs [des saints] images, surtout parce que cela a été transmis et n’a pas été interdit par les saints apôtres, et qu’ils sont représentés dans toutes nos églises4.”

Et encore :

La lettre anti-iconoclaste attribuée à Basile de Césarée ne figure dans aucun manuscrit de ses lettres ; il s’agit certainement d’un faux, et elle n’a pu exister que sous forme de feuillets isolés ou dans des florilèges iconophiles5.

Puisque cette lettre n’est plus admise, même dans les cercles académiques orthodoxes et catholiques, il n’est pas pertinent d’en tenir compte. Elle constitue néanmoins un des témoignages de falsification iconodule que nous avons rencontré dans cette étude.


  1. Basile de Césarée, Du Saint-Esprit, XVIII, 45.[]
  2. Price Richard, The Acts of the Second Council of Nicaea, Liverpool University Press, 2018, pages 40-41.[]
  3. Carpenter, John B. « Answering Eastern Orthodox Apologists Regarding Icons. » Themelios 43, no. 3 (2018), pp. 427-428.[]
  4. Price Richard, The Acts of the Second Council of Nicaea, Liverpool University Press, 2018, page 41.[]
  5. Price Richard, The Acts of the Second Council of Nicaea, Liverpool University Press, 2018, page 241.[]

Maxime Georgel

Maxime est médecin à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs quatre enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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