Zachée le Chrétien contre les icônes
29 octobre 2025

Je produis ces derniers temps des articles sur le sujet des icônes en guise de notes préparatoires pour un long dossier vidéo sur le sujet. Après avoir produit 10 articles généraux, je passe désormais à l’examen d’une bonne vingtaine de pères de l’Église sur le sujet de la place des images dans le culte chrétien et remercie mon ami Damian Dziedzic pour son travail en polonais sur le sujet. Voici les 10 articles généraux en question :

  • Dans ce premier article de Steven Wedgeworth, plusieurs textes des Pères opposés à la vénération des icônes sont recensés ;
  • Dans ce second article, nous relevons la façon dont les Francs s’étaient opposés pendant plusieurs siècles au second concile de Nicée ;
  • Dans ce troisième article, le cas de Claude de Turin, chapelain de Louis le Pieux, est présenté ;
  • Dans ce quatrième article, la réception occidentale du second concile de Nicée est discutée, étudiant les textes autour du concile de Francfort (794) ;
  • Un cinquième article rapporte les conclusions des deux plus grands érudits contemporains sur la crise iconoclaste, qui concluent que la vénération des icônes n’existait pas avant le VIIe siècle ;
  • Un sixième article examine les anathèmes du second concile de Nicée et conclut qu’une adhésion sérieuse à ce concile implique de croire que ceux qui rejettent la vénération des icônes sont damnés ;
  • Un septième article fait le point sur le consensus académique actuel, à savoir que le culte aux icônes était absent des origines du Christianisme jusqu’à la fin du VIe siècle ou la fin du VIIe siècle selon la position adoptée ;
  • Un huitième article répond à l’accusation de déni de l’incarnation à l’encontre des iconoclastes ;
  • Un neuvième article parcourt les conclusions du concile de Paris (825)
  • Dans un dixième article nous avons examiné les écrits d’Agobard de Lyon.

Pour les pères qui seront examinés, en voici la liste (ceux qui présentent un lien hypertexte sont déjà publiés) : Justin Martyr, Athénagore d’Athènes, Irénée de Lyon, l’auteur des Actes de Jean, Clément d’Alexandrie, Tertullien de Carthage, Origène d’Alexandrie, Minucius Felix, Arnobe l’Ancien, Lactance de Nicomédie, Pseudo-Clément, Eusèbe de Césarée, le synode d’Elvire, Astérios d’Amasée, Épiphane de Salamine, Ambroise de Milan, Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze, Évagre le Pontique, Macaire de Magnésie, Augustin d’Hippone, Jean Cassien, Nil du Sinaï, Zacchée le Chrétien, Hypatios d’Éphèse et Grégoire le Grand. Passons donc à Zacchée le Chrétien.

Le culte de l’empereur comme origine du culte des icônes

Le Dialogue de Zachée et Apollonius est une œuvre anonyme, attribuée à divers auteurs et composée de trois livres, sous forme d’un dialogue entre un païen et un chrétien, dans lequel se fait sentir l’influence, entre autres, des enseignements de Tertullien et Lactance1. Cette œuvre constitue un témoignage important sur la question du culte des images, car elle présente les objections auxquelles les chrétiens étaient confrontés au tournant des IVe-Ve siècles. Le philosophe païen Apollonius, répondant aux critiques du culte païen des idoles, souligne que les chrétiens semblent manquer de cohérence dans leur critique, car ils commettent le même type d’erreur que les païens. Il attire l’attention sur l’ancienne coutume de vénérer l’image de l’empereur, antérieure à la montée en puissance du christianisme, et qui n’a manifestement pas disparu avec la christianisation de l’Empire. Apollonius reproche aux chrétiens de rendre un culte aux images de l’empereur, rendant ainsi hommage à ce qui, selon eux, ne devrait être réservé qu’à Dieu.

Zachée, dans sa réponse, distingue entre l’adoration divine due uniquement à Dieu (adoratio) et la vénération terrestre (terrena veneratione reverentia), en qualifiant la pratique de certains chrétiens de « soumission légère » (incautum obsequium) en ce qui concerne les images de l’empereur. Il mentionne également les chrétiens plus stricts, qui abhorrent la pratique de vénérer les images de l’empereur, et reconnaît que les clercs l’interdisent strictement. Bien que l’auteur ne s’identifie pas à ces chrétiens stricts, il n’approuve pas le culte et évoque seulement la fonction mnémotechnique de l’image de l’empereur, qui, selon lui, peut inciter à imiter les vertus qu’elle représente2.

Dans le dialogue, on lit :

Apollonius (païen) : « Tes accusations portent sans doute l’apparence de la vérité, mais elles peuvent être réfutées par les faits qui les contredisent. Il est vrai que, professant la vraie foi, nous adorons (adorarnus) les images de ceux que nous considérons comme des dieux, ou de ceux que — comme nous l’ont appris les traditions de nos ancêtres — nous ne savons pas qu’ils n’étaient pas dieux. Vous, pour qui de telles choses sont une abomination, pourquoi rendez-vous vénération (reverentia) aux images d’hommes peintes à la cire ou sculptées dans le métal, sous la forme d’un hommage rendu aux souverains, et même lors d’adorations publiques, donnant ainsi aux hommes l’honneur qui, selon vos dires, ne devrait être rendu qu’à Dieu ? Si cela est illégal et contraire à la Loi, pourquoi donc les chrétiens agissent-ils ainsi, et pourquoi vos prêtres ne l’interdisent-ils pas, attribuant inconsciemment au sacrilège ce que vous accomplissez en connaissance de cause sous prétexte de devoir ? »

Zachée (chrétien) : « Je ne dois certes pas, et je ne puis, approuver ce dont tu parles, car selon les paroles de Dieu, qui sont claires, il ne nous est permis d’adorer (adorare) ni les éléments, ni les anges, ni aucun des principats du ciel, de la terre ou de l’air (cf. Ex 20,5). Cette vénération particulière est réservée à Dieu et dépasse toute vénération terrestre. Cependant, de même que la flatterie a conduit l’humanité au mal au commencement, de nos jours la coutume ne les préserve guère de l’erreur, dans laquelle tu rencontres cependant une « soumission légère » (incautum obsequium), et non le culte d’aucun dieu. Devant l’image de visages souriants, une grande joie pousse l’homme à faire plus que ce que pourraient exiger ceux à qui ces honneurs sont dus, ou ce que doivent accomplir ceux qui les rendent. Et bien que les chrétiens plus stricts abhorrent cette coutume de soumission négligente, et que les prêtres ne cessent de l’interdire, on ne nomme pas dieu celui dont l’image est saluée, on ne lui offre pas d’encens, et on ne le place pas sur l’autel comme objet de culte ; on l’élève comme monument à ses mérites, afin qu’il serve d’exemple de nobles actions aux générations futures ou corrige les abus de ceux qui se tiennent devant lui. Tu vois donc qu’il n’y a rien là de comparable à tes erreurs, dont tu nous accuses3. »

Les objections soulevées dans le dialogue rappellent celles adressées à Augustin d’Hippone à la même époque[4]. Bien que l’auteur du dialogue semble moins strict qu’Augustin, il n’approuve pas le culte et la vénération des images. Comme l’a noté lstvrui M. Bugar, la position de Zachée correspond à « la position dominante en Occident encore à la fin du VIe siècle, comme l’indiquent les lettres de Grégoire le Grand à Serenus de Marseille4. » Alors que Grégoire se réfère aux images chrétiennes, l’auteur du dialogue cherche à justifier le comportement de certains chrétiens plus complaisants envers le pouvoir, en soulignant la fonction mnémotechnique de l’image. La pratique de vénérer l’image de l’empereur se transformera dans les siècles suivants en culte des images des saints et du Christ.


  1. Consultationes Zacchae et Apollonii, dans : Nowy słownik wczesnochrześcijańskiego piśmiennictwa, dir. Marek Starowieyski, Jan Maria Szymusiak, Święty Wojciech, éd. Dom Medialny, Poznań, 2018, p. 242.[]
  2. lstván M. Bugar, « Zacchaeus and the Veneration of Images: Image of the Emperor – Image of a Saint », dans Studia Patristica: Historica, Biblica, Theologica et Philosophica, t. 34, dir. M. F. Wiles, E. J. Yarnold, Peeters, Leuven 2001, p. 22.[]
  3. Pour la traduction française, voir Questions d’un Païen à un Chrétien (Consultationes Zacchei christiani et Apollonii philosophi), t. 1, Jean-Louis Feiertag, Éditions du Cerf, Paris 1994, p. 172, 174, 176.[]
  4. lstván M. Bugar, « Zacchaeus and the Veneration of Images: Image of the Emperor – Image of a Saint », dans Studia Patristica: Historica, Biblica, Theologica et Philosophica, t. 34, dir. M. F. Wiles, E. J. Yarnold, Peeters, Leuven, 2001, p. 22.[]

Maxime Georgel

Maxime est médecin à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs quatre enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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