28 octobre 2025

Je produis ces derniers temps des articles sur le sujet des icônes en guise de notes préparatoires pour un long dossier vidéo sur le sujet. Après avoir produit 10 articles généraux, je passe désormais à l’examen d’une bonne vingtaine de pères de l’Église sur le sujet de la place des images dans le culte chrétien et remercie mon ami Damian Dziedzic pour son travail en polonais sur le sujet. Voici les 10 articles généraux en question :

  • Dans ce premier article de Steven Wedgeworth, plusieurs textes des Pères opposés à la vénération des icônes sont recensés ;
  • Dans ce second article, nous relevons la façon dont les Francs s’étaient opposés pendant plusieurs siècles au second concile de Nicée ;
  • Dans ce troisième article, le cas de Claude de Turin, chapelain de Louis le Pieux, est présenté ;
  • Dans ce quatrième article, la réception occidentale du second concile de Nicée est discutée, étudiant les textes autour du concile de Francfort (794) ;
  • Un cinquième article rapporte les conclusions des deux plus grands érudits contemporains sur la crise iconoclaste, qui concluent que la vénération des icônes n’existait pas avant le VIIe siècle ;
  • Un sixième article examine les anathèmes du second concile de Nicée et conclut qu’une adhésion sérieuse à ce concile implique de croire que ceux qui rejettent la vénération des icônes sont damnés ;
  • Un septième article fait le point sur le consensus académique actuel, à savoir que le culte aux icônes était absent des origines du Christianisme jusqu’à la fin du VIe siècle ou la fin du VIIe siècle selon la position adoptée ;
  • Un huitième article répond à l’accusation de déni de l’incarnation à l’encontre des iconoclastes ;
  • Un neuvième article parcourt les conclusions du concile de Paris (825)
  • Dans un dixième article nous avons examiné les écrits d’Agobard de Lyon.

Pour les pères qui seront examinés, en voici la liste (ceux qui présentent un lien hypertexte sont déjà publiés) : Justin Martyr, Athénagore d’Athènes, Irénée de Lyon, l’auteur des Actes de Jean, Clément d’Alexandrie, Tertullien de Carthage, Origène d’Alexandrie, Minucius Felix, Arnobe l’Ancien, Lactance de Nicomédie, Pseudo-Clément, Eusèbe de Césarée, le synode d’Elvire, Astérios d’Amasée, Épiphane de Salamine, Ambroise de Milan, Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze, Évagre le Pontique, Macaire de Magnésie, Augustin d’Hippone, Jean Cassien, Nil du Sinaï, Zacchée le Chrétien, Hypatios d’Éphèse et Grégoire le Grand. Passons donc à Nil du Sinaï.

Une croix et un mur blanc

Originaire d’Ancyre en Galatie, Nil fut non seulement moine, consacré à la vie monastique, mais aussi un auteur extrêmement fécond, actif au tournant des IVe et Ve siècles, à qui l’on attribue notamment une vaste collection de plus de mille lettres réunies en quatre livres1. Deux de ses lettres (la Lettre à Olympiodore et la Lettre à Héliodore) devinrent l’objet de discussions durant l’iconoclasme byzantin des VIIIe–IXe siècles, lorsque tant les iconoclastes (opposants au culte des icônes) que les iconodoules (partisans du culte des icônes) invoquaient son autorité. Les deux camps utilisèrent la Lettre à Olympiodore, mais avec des versions qui différaient en certains passages.

Cette lettre répondait à la question du préfet Olympiodore sur la manière d’orner un édifice ecclésial et sur l’opportunité d’y placer des images de martyrs (cette section est probablement une interpolation ultérieure) ainsi que des scènes de chasse, des animaux, oiseaux, poissons et autres représentations de ce genre, qui, au Ve siècle, commençaient à devenir des décors prisés dans les églises chrétiennes — comme l’illustre par exemple la basilique chrétienne de Hawarte en Syrie, de la moitié du Ve siècle, dont les mosaïques représentent oiseaux, plantes et animaux sauvages2. Nil réagit en qualifiant l’idée d’Olympiodore d’« enfantine » (gr. βρεφοπρεπές) et « puérile » (gr. νηπιῶδες), et proposa une solution plus appropriée et plus mature3.

Au synode iconoclaste, probablement tenu à Hiéreia en 754, les participants citèrent la réponse de Nil et reproduisirent notamment ces mots :

Dans le sanctuaire, conformément aux prescriptions de la tradition ecclésiastique, il suffit de placer une croix, par laquelle tout le genre humain a été sauvé, et de blanchir le reste de l’édifice4.

Son autorité fut également invoquée au second concile de Nicée (787). Les évêques qui y siégeaient, disposant d’une autre version de la lettre, accusèrent les adversaires des icônes d’avoir falsifié le texte afin de présenter le moine de Galatie comme un ennemi des images. La version citée au concile5, contenant une leçon divergente, mentionnait des représentations de scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament :

Il est conforme à un jugement ferme et viril de placer, dans la partie orientale du sanctuaire divin, un seul signe de croix — car c’est par une seule croix salutaire que le genre humain est sauvé et que l’espérance est annoncée partout à ceux qui l’avaient perdue. Que la main d’un peintre habile remplisse le reste du le saint sanctuaire d’histoires de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance6.

Aujourd’hui, la majorité des chercheurs considère que les deux lettres, à Olympiodore et à Héliodore, sont authentiques7. De plus, alors qu’autrefois la version où Nil recommande un simple crucifix et des murs blanchis était tenue pour une falsification iconoclaste, on admet désormais plutôt que ce sont des partisans des images qui auraient interpolé dans sa réponse la mention des scènes bibliques, afin d’atténuer sa réserve, voire son opposition aux images, comme le signale les historiens Noble, Price et Thümmel, dont au moins les deux premiers sont prêtres catholiques8.

Dans tous les cas, Nil n’encourage pas le culte des icônes. Dans la version plus favorable aux images, il se contente, en réponse à la question sur les images de martyrs et les scènes de chasse, de recommander des scènes bibliques pour aider ceux qui ne savent pas lire. Ce sentiment rejoint celui de Grégoire le Grand, comme nous le verrons.

Le texte de la lettre est transmis dans la Patrologia Graeca. Quelle que soit la version retenue, Nil d’Ancyre apparaît donc soit comme un auteur déconseillant l’usage d’images dans les églises et recommandant uniquement la croix comme symbole de salut (solution jugée aujourd’hui la plus probable), soit comme un auteur permettant, à la rigueur, des représentations bibliques à valeur catéchétique. En tout cas, dans ses écrits, on ne trouve aucune trace d’un culte des images. Au début du Ve siècle, en Galatie, ce culte restait inconnu. Et pourtant, plusieurs siècles plus tard, le second concile de Nicée (787) anathématisait ceux qui s’y opposaient, et déclarait : « Non seulement les images du précieux et vivifiant bois de la croix doivent être l’objet de vénération, mais aussi les images vénérables et saintes, peintes, en mosaïque ou de toute autre manière, qui sont placées avec respect dans les saintes églises de Dieu, sur les objets liturgiques, sur les vêtements, sur les murs ou sur le bois, dans les maisons ou le long des chemins9. »


  1. Nilus Ancyranus, Epistulae, PG 79, 81-582.[]
  2. Henry Maguire, Nectar and Illusion: Nature in Byzantine Art and Literature, Oxford University Press, New York 2012, p. 24.[]
  3. Mary K. Farag, What Makes a Church Sacred? Legal and Ritual Perspectives from Late Antiquity, University of California Press, Oakland 2021, p. 125.[]
  4. Richard Price, The Acts of the Second Council of Nicaea (787), Liverpool University Press, Liverpool 2018, p. 286 ; Nicephorus Patriarcha Constantinopolitanus, Refutatio et eversio definitionis synodalis anni 815, éd. J. M. Featherstone, Brepols, Turnhout 1997, p. 248. ; en grec : Ἐν γὰρ τῷ ἱερατείῳ κατὰ τὸ πρόσταγμα τῆς ἐκκλησιαστικῆς παραδόσεως σταυρὸν ἐγχαράξας ἀρκέσθητι, δι’ οὗ σταυροῦ ἐσώθη πᾶν τὸ ἀνθρώπινον γένος, καὶ τὸ λοιπόν τοῦ οἴκου λεύκανον.[]
  5. Richard Price, The Acts of the Second Council of Nicaea (787), p. 285.[]
  6. En grec : Στερροῦ δὲ καὶ ἀνδρώδους φρονήματος οἰκεῖον, τὸ ἐν τῷ ἱερατείῳ μὲν κατὰ ἀνατολὰς τοῦ θειοτάτου τεμένους ἕνα καὶ μόνον τυπῶσαι σταυρόν, δι’ ἑνὸς γὰρ σωτηριώδους σταυροῦ τὸ τῶν ἀνθρώπων διασῴζεται γένος καὶ τοῖς ἀπηλπισμένοις ἐλπὶς πανταχοῦ κηρύττεται, ἱστοριῶν δὲ παλαιᾶς καὶ νέας διαθήκης πληρῶσαι ἔνθεν.[]
  7. A. Cameron, « The Authenticity of the Letters of St. Nilus of Ancyra », Greek, Roman, and Byzantine Studies 17 (1976), p. 181-196 ; H. Thümmel, « Neilos von Ankyra über die Bilder », Byzantinische Zeitschrift 71.1 (1978), p. 10-21.[]
  8. Thomas F. X. Noble, Images, Iconoclasm, and the Carolingians, University of Pennsylvania Press, Philadelphia 2009, p. 18 ; H. Thümmel, « Neilos von Ankyra über die Bilder »…, p. 10-21 ; Richard Price, The Acts of the Second Council of Nicaea (787), p. 285-287.[]
  9. Documenta Conciliorum Oecumenicorum, éd. A. Baron, H. Pietras, WAM, Cracovie 2002, p. 337.[]

Maxime Georgel

Maxime est médecin à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs quatre enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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