Vous n’avez pas voulu des bonnes mœurs, vous aurez la tyrannie
31 août 2021

Il est incontestable que les vertus des Citoyens sont les dispositions les plus heureuses que puisse désirer un juste & sage Gouvernement. Voici donc un indice certain, auquel la Nation reconnaîtra les intentions de ceux qui la gouvernent : S’ils travaillent à rendre les Grands & le peuple vertueux ; leurs vues sont droites & pures ; tenez-vous assurés qu’ils visent uniquement à la grande Fin du Gouvernement, au bonheur & à la gloire de la Nation. Mais s’ils corrompent les mœurs, s’ils répandent l’amour du luxe, la mollesse, la fureur des plaisirs déréglés, s’ils excitent les Grands à un faste ruineux ; peuples gardez-vous de ces Corrupteurs ; ils cherchent à acheter des Esclaves, pour dominer arbitrairement sur eux.

Emer de Vattel, le Droit des Gens, livre I, §116

Dans cet article que je souhaite court, je voudrais expliciter le lien qui m’est apparu récemment entre la vertu (ou force morale) et la liberté. La base de ces réflexions est venue des commentaires désobligeants que l’on peut lire sur les “moutons” et qui manquent de charité. En effet, quand je regarde en moi-même, je découvre que je suis moi-même un mouton, impropre au bien et prompt à suivre tout mal tant qu’il y a un grand nombre qui le fait. Pire même, je suis trop faible pour y résister, et j’en viens bien vite à rationaliser le mal plutôt que de lui résister. Pourquoi?

Réponse simple que pourraient me faire les anciens: parce que tu n’as aucune vertu. Sans vertu, il n’y a pas d’exercice possible de la liberté.

Fausse définition de la liberté

Tâchons maintenant de comprendre pourquoi. Le premier obstacle est notre définition de la liberté. Celle que nous utilisons nous vient des publicitaires: la liberté est une absence de contrainte dans la poursuite de nos désirs. C’est cette définition que nous poursuivons dans la plupart de nos slogans et références politiques: j’ai pas envie de faire ceci, et ma liberté consiste à ce que l’on ne m’empêche pas d’obtenir ce que je désire ou d’éviter ce que je refuse.

Mais cette définition est fausse, malhonnête, et se trouve être un piège détestable pour tout l’humain. En effet:

  1. Elle s’applique à égalité aux animaux sauvages, qui sont “libres” de manger quand ils ont faim, boire quand ils ont soifs, de coïter quand ils sont en rut. Ce n’est de toute évidence pas ce genre de liberté sublime qui fait la devise républicaine, et justifie que l’on sacrifie sa vie pour elle.
  2. Elle permet toutes les manipulations et les extorsions : tant que la contrainte n’est pas utilisée, la “liberté” est conservée. Ainsi, des citoyens auxquels on ment, que l’on menace, que l’on cajole ou que l’on couvre de honte restent “libres”, quand bien même leur décision a été extorquée par d’ignobles moyens. Avec cette définition les esclaves sont libres et n’ont aucune raison de demander leur affranchissement.
  3. Pour cette raison, cette définition dessert les puissants et les influents qui peuvent enfreindre à plaisir le 9e commandement (Tu ne mentiras pas) et piétiner la dignité des humbles, tout en prétendant défendre leur liberté. Ce qui engendre le laid et l’abject ne peut être vrai.

Vraie définition de la liberté

Au contraire, dans la tradition chrétienne, nous concevons la liberté non selon un mode négatif (elle n’est pas…) mais selon un mode positif, nous affirmons qu’elle est quelque chose de précis. En l’occurence, nous affirmons, avec la confession de foi helvétique postérieure, que la Liberté consiste en la possibilité de faire le bien, et uniquement le bien.

[Lors de la régénération] Et la volonté n’est pas seulement transformée par l’Esprit; elle se voit dotée des facultés qui lui permettent, de son propre gré, de vouloir et d’accomplir le bien.

Confession de foi helvétique postérieure, article 48

La corollaire est donc: Il n’y a pas de liberté dans et pour faire le mal. Il n’y a pas de liberté à être adultère, il n’y a pas de liberté dans la gloutonnerie, il n’y a pas de liberté dans le mensonge et la tromperie. Il n’y a pas de liberté dans la désobéissance à la loi divine.

Nous comprenons mieux maintenant le lien entre liberté et vertu. Arrivé à ce stade, il serait bon que je précise ce que j’entends par vertu: La vertu est une disposition (un “muscle” de notre esprit) à agir de façon équilibrée, rationnelle et adaptée à la situation. Selon les mots d’Aristote, plus techniques:

La vertu est une disposition à agir, consistant en une médiété relative à nous, laquelle est rationnellement déterminée et comme la déterminerait un homme prudent.

Aristote, Ethique à Nicomaque II.6, 1107a

Les définitions étant posées clairement, il n’y a pas besoin de beaucoup d’explications: la liberté est la possiblité d’agir de façon équilibrée, rationnelle et adaptée à la situation. Ce que j’appelais: “le bien”. La vertu est la disposition à agir de façon équilibrée, rationnelle et adaptée à la situation. La vertu est donc nécessaire et préalable à la Liberté. Il n’y a donc pas de Liberté sans Vertu déjà présente.

Le lien avec les bonnes moeurs

C’est ainsi que j’en suis ramené à la remarque d’ouverture d’Emer de Vattel: ce philosophe réformé suisse du XVIIe siècle fait remarquer que la meilleure façon de devenir le tyran de son peuple, c’est d’abord d’attaquer et de lui dérober sa vertu, c’est à dire sa disposition à agir bien. Il a deux leviers pour agir ainsi:

  1. Décourager de pratiquer la vertu, en moquant son objet (les bonnes moeurs).
  2. Enseigner le vice, qui consiste à se laisser attirer par tout ce que nos compulsions désirent, et bannir le plus possible l’usage de notre raison.

C’est ce que j’ai vécu depuis ma naissance: les bonnes mœurs sont sujets de moqueries, et même explicitement attaquées par les magistrats. Il n’est pas une seule bonne moeurs qui ne soit moquée, critiquée et attaquée. Et même parmi les plus “conservateurs”, nous continuons d’affirmer qu’elles sont bonnes, mais nous ne haïssons plus leur corruption. Quand nous parlons de la fidélité conjugale, nous sommes prompts à rappeler ses limites. Nous n’avons pas encore défini ce que c’était que déjà on parle de quand est-ce qu’il ne faut plus être fidèle. En revanche, quand nous parlons d’adultère, nous sommes prompts à faire appel aux termes “nuance” “compréhension” “bienveillance” “il faut se mettre à la place”, “oui c’est mal MAIS”. Ainsi, même quand la vertu est gardée, on refuse pourtant d’exclure le vice, et partant de là on s’étonne de ne pas garder efficacement la vertu dans nos milieux. Notez que je parle bien du milieu chrétien conservateur: à l’extérieur, on célèbre pleinement le vice.

Je n’aurais jamais eu aucune raison de remettre en cause cette rhétorique: après tout, qui est contre la bienveillance et la compréhension? C’est en lisant les anciens que j’ai entendu pour la première fois un autre son de cloche, particulièrement quand ils se mettent à parler de moeurs. A nos oreilles d’occidentaux dégénérés, ils sont des fous ou des anges vengeurs: comment? On peut vraiment pratiquer la vertu sans nuance? Comment, on doit détester le vice?

Plus que ça: ils haïssaient le vice, et ne s’embarassaient pas de “nuances” “équilibre”, “écoute” et “empathie”. Ce qui est mal doit disparaître, et ceux qui pratiquent le mal doivent partager le sort de leur vice. Même un rationaliste aussi “éclairé” que Vattel écrit:

Que [le magistrat] porte son attention jusques sur la vie privée des Citoyens, & qu’il bannisse de l’État tout ce qui n’est propre qu’à corrompre les mœurs.

Emer de Vattel, Du Droit des gens, Livre I, §116

Je n’y ai jamais prêté grande attention jusqu’à ce jour: je pensais naïvement qu’on pouvait aimer la vertu sans haïr le vice, qu’il fallait modérer jusqu’à son coeur et ses idées face au mal, de peur de rebuter le vicieux et qu’il ne se repente pas. Je pensais qu’il était bon que les pères aient des convictions aussi tranchantes, mais que dans notre monde complexe et post-moderne il faut forcément être plus nuancé. Je pensais qu’ils vivaient dans une chrétienté, mais que dans un monde post-chrétien, il fallait tolérer le vice. Après tout quel était l’enjeu?

Aujourd’hui, je me rends compte que j’étais idiot de tenir ces raisonnements: les anciens avaient mieux compris que nous ce qui était en jeu: avec les bonnes moeurs, vient l’exercice de la vertu. Avec l’exercice de la vertu vient l’exercice de la Liberté, la vraie liberté. Avec la vraie liberté, vient le bonheur et la prospérité. C’est aussi simple que ça. Partant de là, les encouragements au vice ne sont pas simplement des choses pas très jolies: elles sont une attaque contre la structure même de notre liberté et de notre structure sociétale. Le vice est un acide qui ronge le métal des volontés. Le vice est une arme de destruction spirituelle massive. Les mauvaises moeurs et le vice engendrent des esprits faibles, incapable de résister au mal et inapte à tout bien. Le vice nous transforme en un peuple d’esclaves sur lequel n’importe quel tyran peut exercer son empire sans résistance organisée. Voici ce qui arrive à la nation qui renonce à protéger les bonnes moeurs.

Conclusion

Mais je refuse d’en rester là: puisque c’est par le vice que nous sommes si faibles, c’est par la vertu que nous serons fort. C’est assurément difficile: c’est comme dire à un obèse qu’il peut monter une montagne en courant. Mais avec de la patience, du travail sur soi-même et des convictions fermement implantées, nous pouvons recouvrer un peu de la force morale de nos pères, ceux qui ont bâti et défendu notre nation. Pour nous qui sommes chrétiens, nous espérons dans plus que les capacités naturelles de l’homme, pour lesquels nous sommes pessimistes:

Toi, Éternel, tu règnes à jamais ; Ton trône subsiste de génération en génération. Pourquoi nous oublierais-tu pour toujours, nous abandonnerais-tu pour de longues années ? Fais-nous revenir vers toi, ô Éternel, et nous reviendrons ! Donne-nous encore des jours comme ceux d’autrefois ! Nous aurais-tu entièrement rejetés, Et t’irriterais-tu contre nous jusqu’à l’excès ?

Lamentations 5.19-22

Oui, nous sommes dans la situation des Lamentations: à cause de notre propre surdité et notre incapacité à aimer Dieu, nous sommes tombés dans une déchéance sans retour. Nous doutons même de notre survie. Et pourtant, il siège dans le ciel un Dieu plein de grâce qui a toute puissance et tout bienveillance pour nous ramener et nous restaurer. Celui qui nous a frappé peut aussi nous soigner, et c’est dans l’invocation de son nom que se trouve aujourd’hui le salut. Non seulement le nôtre, mais celui de notre nation. Qu’il nous donne encore des jours comme ceux d’autrefois!

Ainsi que le chantaient les huguenots:

Présentez lui le sacrifice
d’un coeur pur et plein d’équité
Et pour vous rendre Dieu propice
Éloignez vous de l’injustice,
Et fiez vous en sa bonté.
Les mondains disent “qui sera-ce?”
“Qui pourra nous combler de biens?”
Fais luire sur nous ô Dieu ta face
Et nous daigne accorder ta grâce
Tu l’accordes toujours aux tiens

Psaume 4, du psautier de genève (1729)

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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