Que veut dire l’Esprit procède du Père et du Fils ? – Thomas d’Aquin
4 novembre 2021

Voici un extrait d’un court livre d’apologétique de Thomas d’Aquin intitulé Les raisons de la foi. Il l’a écrit pour répondre aux objections des musulmans (qu’il désigne par « Sarrasins ») contre des doctrines chrétiennes1 comme la Trinité, l’incarnation. Ce qui en fait une ressource très utile et très actuelle pour dialoguer avec nos amis musulmans. D’autant plus qu’elle nous vient du ou d’un des meilleurs philosophes chrétiens. Voici le quatrième chapitre où Thomas explique ce que les chrétiens veulent dire quand ils affirment que l’Esprit procède du Père et du Fils2 – très utile pour recadrer les sectes qui transforment le Saint-Esprit en une force impersonnelle, un peu comme dans Star Wars – (source : le site de l’Institut docteur angélique3).


Il faut de plus considérer qu’une certaine opération appétitive suit toute connaissance. Et parmi toutes les opérations qui se rattachent à notre désir, c’est l’amour qui tient lieu de principe4. Sans lui, il n’y aurait pas de joie pour quelqu’un qui obtient une chose qu’il n’aime pas, ni de tristesse pour celui qui serait empêché d’atteindre ce qu’il n’aime pas5. Supprimez l’amour, ce sont toutes les autres opérations appétitives se rapportant de quelque façon à la joie et la tristesse qui se trouvent supprimées. En Dieu, qui a la plus parfaite connaissance, il convient aussi de poser l’amour parfait. Et cet amour procède de Dieu par une opération appétitive, tout comme le Verbe procède de lui par une opération de l’intellect.

Or il faut remarquer une certaine différence entre une opération intellectuelle et opération appétitive. Une opération intellectuelle en effet, de même que toute opération cognitive en général, trouve son achèvement dans le fait que les choses connues existent d’une certaine manière dans le sujet connaissant, c’est-à-dire : les choses sensibles dans le sens et les intelligibles dans l’intellect. L’opération appétitive, quant à elle, s’achève dans une certaine orientation ou mouvement de celui qui désire vers les objets de son appétit. Or les choses dont le principe du mouvement est caché reçoivent le nom d’‘esprit’ ; ainsi les vents sont-ils appelés ‘esprits’ parce que le principe du souffle qui les anime n’est pas apparent. Il en va de même pour la respiration et le mouvement des artères, qui procèdent d’un principe intrinsèque et caché et reçoivent le nom d’‘esprit’. Et c’est donc de manière convenable, selon la manière dont les choses divines peuvent être nommées par de mots humains, que l’Amour divin lui-même qui procède est appelé ‘Esprit’.

Mais, à vrai dire, l’amour a chez nous une double cause. Il procède quelquefois d’une nature corporelle et matérielle, cet amour est le plus souvent impur, puisqu’il vient troubler la pureté de notre esprit. D’autres fois, il est issu de ce qui constitue en propre une nature spirituelle, comme lorsque nous aimons les biens intelligibles et les réalités qui conviennent à la raison ; cet amour-là est pur. Il n’y a pas en Dieu de place pour un amour matériel ; il est donc convenable de donner à son Amour, non pas seulement le nom d’‘Esprit’, mais celui de ‘Saint-Esprit’, pour exprimer sa pureté par ce mot : ‘Saint’.

Il est en outre manifeste que nous ne pouvons rien aimer d’un amour intelligible et saint sinon ce que nous concevons en acte par notre intellect6 ; or la conception de l’intellect, c’est le verbe. Il est par conséquent nécessaire que l’amour soit issu du verbe. Et nous disons du Verbe de Dieu qu’Il est le Fils ; il apparaît donc que le Saint-Esprit procède du Fils.

De même que le connaître divin s’identifie à son être, de même également son aimer est son être même. Et puisque Dieu est toujours en acte de connaître et qu’Il se connaît lui-même en connaissant toutes choses, de même est-Il toujours en acte d’aimer et aime toutes choses en aimant sa bonté. Et donc, tout comme le Fils de Dieu, qui est son Verbe, subsiste dans la nature divine, coéternel au Père, parfait et unique, ainsi il convient de confesser toutes ces choses du Saint-Esprit aussi.

De cela nous pouvons conclure que, puisque tout ce qui subsiste dans une nature intelligente reçoit chez nous le nom de ‘personne’, et chez les Grecs celui d’‘hypostase’7, il est nécessaire de dire que le Verbe de Dieu, que nous appelons ‘Fils de Dieu’, constitue une certaine Personne ou Hypostase ; et il convient d’en dire autant du Saint-Esprit. Ce n’est en outre un doute pour personne que Dieu dont procèdent le Verbe et l’Amour soit une réalité subsistante, de telle sorte que Lui aussi puisse porter le nom de ‘Personne’ ou d’‘Hypostase’. Et, de cette manière, c’est convenablement que nous posons en Dieu trois Personnes, à savoir : celle du Père, celle du Fils et celle du Saint-Esprit.

Nous ne disons toutefois pas que ces trois Personnes ou Hypostases diffèrent entre elles par l’essence car, comme cela a été dit plus haut, de même que le connaître et l’aimer de Dieu sont son être même, de même son Verbe et son Amour sont l’essence même de Dieu. En outre, tout ce que l’on dit de Dieu absolument n’est rien d’autre que son essence. Dieu n’est en effet pas grand, puissant ou bon par accident, mais essentiellement. Voilà pourquoi, nous ne disons pas que les trois Personnes ou Hypostases en Dieu sont distinctes par quelque chose d’absolu, mais bien par les seules relations qui proviennent de la procession du Verbe et de l’Amour. Et, de la génération, qui est le nom que nous donnons à la procession du Verbe, proviennent les relations de paternité et de filiation. Nous disons que ce n’est que par ces deux relations que se distinguent les Personnes du Père et du Fils ; quant à toutes les autres choses, nous les attribuons communément et indifféremment à l’une et l’autre Personnes, comme par exemple lorsque nous disons que le Père est vrai Dieu, tout-puissant, et toutes les choses qui sont dites semblablement. Et nous attribuons ces mêmes choses au Fils et, pour cette même raison, au Saint-Esprit.

Puisque donc le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne se distinguent pas en Dieu par leur nature, mais par leurs seules relations, c’est à juste titre que nous ne parlons pas de trois dieux lorsque nous évoquons les trois Personnes mais que nous confessons un seul Dieu, véritable et parfait. Mais, chez les hommes, trois personnes constituent trois hommes et non un seul, parce la nature humaine qui leur est commune leur convient différemment selon une division matérielle, qui ne se trouve aucunement en Dieu. C’est pourquoi l’on trouve en trois hommes trois humanités numériquement différentes, seule l’essence de l’humanité est commune entre eux. Dans les trois Personnes divines cependant, il n’y a pas trois divinités numériquement différentes, mais une déité unique et simple, puisque l’essence du Verbe ou de l’Amour en Dieu n’est pas autre chose que l’essence de Dieu. Et ainsi, nous ne confessons pas trois dieux mais un seul parce qu’il y a une déité unique et simple en trois Personnes.


  1. Bien sûr, sur ce blog, en tant que Protestants réformés, nous rejetons les chapitres sur l’eucharistie et le Purgatoire. C’est pourquoi nous ne publierons pas les chapitres qui y sont consacrés.[]
  2. Cf. CG IV 19 ; QDp X 1-2 ; ST I, q. 27, a. 3 ; CT I 46-49.[]
  3. Un institut d’étude catholique qui propose des formations en philosophie et en théologie pour découvrir Thomas d’Aquin. On trouve toutes ou quasiment toutes les œuvres de Thomas gratuitement en ligne sur leur site.[]
  4. Cf. ST I-II, q. 28, a. 4 (ad 2).[]
  5. Il s’agit de bien comprendre ce que dit Thomas : l’ambiguïté de la traduction tient au sens double de l’expression ‘ne pas aimer’. Il s’agit ici d’une absence d’amour et non pas d’un sentiment opposé à l’amour. ‘Ce qu’il n’aime pas’, c’est ici ‘ce pour quoi il n’a pas d’attirance’, et non ‘ce pour quoi il a de la répulsion’.[]
  6. Cf. ST I, q. 36, a.2.[]
  7. Cf. QDp IX 1-2 ; ST I, q. 29, a. 2.[]

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

sur le même sujet

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *