Brève histoire de l’Église réformée en Angleterre
21 janvier 2022

J’ai eu à cœur de résumer une lecture récente : Christ’s Churches Purely Reformed de Philipp Benedict, que je recommande fortement.. C’est une somme académique qui raconte l’histoire « sur le terrain » de la Réforme. Je vais dans une série de prochains articles synthétiser le contenu de ce livre en « brèves histoires » de la taille d’un article de blog, afin de vous partager les richesses de ce livre, et de l’histoire de nos pères. Cette semaine : un résumé de l’histoire de l’Église réformée en Angleterre, le pays ancêtre de tous les « évangéliques » postérieurs.


L’histoire de l’Église d’Angleterre est aussi celle d’une réforme imposée d’en haut par le prince, et son orientation a été grandement déterminée par les orientations confessionnelles des figures couronnées, avec les changements brutaux que cela implique. De la même façon qu’en Allemagne, il est important de prendre en compte l’orientation des ministres, et — cas particulier — l’importance des migrations, qui sont cruciales pour comprendre comment l’Église d’Angleterre est devenue, à partir d’une rupture improvisée, une Église réformée. Autre particularité : son orientation confessionnelle ne s’est renforcée qu’à la fin du XVIe siècle.

  • Henri VIII n’a fait guère que rompre avec Rome.
  • Édouard VI regardait d’abord en direction de la Suisse, mais son règne trop court a gelé le processus ; la restauration catholique de Marie Tudor a suivi.
  • Élisabeth a finalement interprété ce gel comme une station définitive, au grand dam de précisianistes désireux d’une réforme plus aboutie.

Il est à noter que, contrairement à une ancienne représentation de l’anglicanisme comme une branche de protestantisme à part, l’Église d’Angleterre est considérée comme pleinement réformée au XVIe siècle. Elle est même la plus grosse Église réformée du monde, puisqu’elle a quatre millions de fidèles. Nous reviendrons dans un autre article sur l’origine de ce mythe.

La Rupture d’Henri VIII

La rupture d’Henri VIII en 1534 se fait sans l’assentiment populaire, alors que le protestantisme se répand sans vraie répression et trouve un écho favorable dans les anciennes régions lollardes. Cette rupture fait que le roi a besoin d’une caution intellectuelle pour la justifier et il a recours à des sympathisants des idées helvétiques plutôt que luthériennes. Ses premières réformes interdisent quelques abus dans les pratiques mais on reste dans le champ de la théologie médiévale acceptable. En 1538, alors qu’il renonce à l’alliance avec d’autres princes protestants, il laisse clairement entendre qu’il ne va pas modifier la doctrine.

Six articles réaffirmaient la transsubstantiation, la communion sous une seule espèce, les vœux de chasteté, les messes votives, le célibat clérical et la confession auriculaire. Nier la transsubstantiation était passible de mort, sans possibilité de se rétracter. Plusieurs évêques favorables à des réformes démissionnèrent, et des partisans d’un changement plus avancé comme John Bale et John Hooper quittèrent pour le continent. […] Luther résuma ce tournant d’évènements dans des mots amers : « Mais après avoir délibéré si longtemps, et aux grands dépens de notre noble prince électeur de Saxe, nous avons découvert qu’en fin de compte Henri d’Angleterre nous as envoyé une ambassade, non pour devenir évangélique, mais pour que Wittemberg agrée à son divorce… Henri est pape, et le pape est Henri en Angleterre. » Un pape catholique.

Philipp Benedict, Christ’s churches purely reformed, p. 235.
Henri VIII

La réforme d’Edouard

Il meurt en 1547 et son fils Édouard VI, de santé fragile, lui succède et ancre le pays dans la tradition réformée, bien que cela soit encore précaire à l’époque. Son conseil de gouvernement est incliné dans cette direction, et surtout Cranmer. La première loi votée par le Parlement est l’abolition de toutes les lois anti-hérésies depuis le XIIIe siècle. Alors que Charles V impose l’intérim d’Augsbourg, Édouard ouvre les portes de l’Angleterre aux théologiens talentueux du Saint-Empire qui doivent s’exiler. Des luthériens déclinent, mais des réformés comme Bucer et Vermigli acceptent. Ce sont de vrais poids lourds réformés, qui vont façonner les pasteurs et cadres de l’Église d’Angleterre pour le reste du siècle : Vermigli devient professeur de théologie à Oxford, Bucer à Cambridge, et Jan Łaski a le droit de faire ce qu’il veut dans l’Église des étrangers à Londres. Alors que Cranmer, Bucer et Vermigli discutent fréquemment, Cranmer est gagné à la vision eucharistique suisse.

Édouard VI accueillant Jan Łaski en Angleterre

En 1548, les pratiques sont réformées vers quelque chose de suisse, un premier Livre de la prière commune est approuvé par le Parlement en 1549. Il est l’occasion de la première querelle vestimentaire initiée par Hooper. Bucer et Vermigli s’opposent à lui, car ils trouvent que ces vêtements sont adiaphora, mais Hooper est soutenu par Łaski et Knox. Hooper cède au final. Nous avons déjà évoqué cet événement dans l’article « La première querelle des puritains » dont on parlera beaucoup par la suite.

Le premier Livre de la prière commune est remplacé par une deuxième édition en 1552, complété par les Quarante-deux articles de 1553 écrits par Cranmer qui affirment nettement la prédestination, une eucharistie réformée et deux marques de pureté de l’Église (modèle de Zurich). On n’y pensait pas mais la réforme de l’Église d’Angleterre allait s’arrêter là. Doctrinalement, c’est la foi réformée qui est à prêchée, mais liturgiquement, cela ressemble trop au catholicisme romain pour beaucoup de protestants anglais. La hiérarchie et gouvernance de l’Église d’Angleterre n’ont pas été modifiées, elles demeurent identiques à celles du temps de la guerre de Cent Ans. On ne saura jamais si Édouard VI avait l’intention de poursuivre ses réformes puisqu’il meurt en 1553.

Thomas Cranmer, principal conseiller théologique d’Edouard VI, et auteur du Livre de la prière commune.

La restauration de Marie Tudor

Globalement, la restauration catholique de Marie Tudor montre que les réformes d’Édouard VI n’ont fait que créer une minorité militante (voire très militante) : toutes les lois de restauration passent sans grand encombre. Les protestants de cette époque, si l’on peut en faire un profil sociologique sont des hommes, plutôt fortunés, urbains et plutôt jeunes, les fruits des premières réformes d’Édouard, particulièrement là où le poids de l’élite ecclésiale était faible. À côté de 280 martyrs, près de 800 jeunes clercs s’exilèrent. N’étant pas les bienvenus en pays luthériens, ils allèrent dans des villes de refuge réformées : Genève, Emden, Zurich, Strasbourg, etc.

Pour estimer le degré d’adhésion à une confession pendant la restauration de Marie Tudor, les historiens ont regardé les formules utilisées dans les testaments de cette période : étaient-elles catholiques (« Je confie mon âme à la très sainte Mère de Dieu. ») ou protestantes (« J’ai confiance dans le sang de Jésus-Christ comme seul moyen de mon salut. ») ? Il semblerait qu’à peine 15 %, au mieux 33 % des testaments de cette période aient une formule clairement protestante, mais la méthode est peu idéale parce que cela peut refléter aussi bien les convictions du défunt que les habitudes et convictions du scribe. En revanche, si on étudie les donations pour des messes aux défunts (qui sont une volonté délibérée du défunt), on observe que 18à 19 % des testaments de cette période en contiennent, contre 70 % des testaments faits en 1520 : la population délaisse massivement le catholicisme. En fin de compte, les convaincus — catholiques comme protestants — sont deux minorités dans la population générale.

Marie Tudor, dite Marie la Sanglante.

L’Église élizabethaine

Marie Tudor meurt en 1558 et sa sœur Élisabeth lui succède. Fille d’Anne Boleyn1 et élevé par des protestants, elle ne peut pas être autre chose que protestante, ne serait-ce que pour des raisons bassement politiques (la légitimité de sa naissance sauterait). Elle a une pratique personnelle de la religion très suivie, quoiqu’un peu ritualiste, et n’est pas du tout intéressée par la doctrine. En 1559, elle dévoile sa politique religieuse : gel des réformes et compromis édouardien, qui devient une position à part entière. Le Act of Uniformity d’Élisabeth est tout juste adopté par la Chambre des lords après avoir fait enfermer quatre évêques des plus catholiques. Ses premières nominations d’évêques amènent des purs calvinistes (souvent étudiants de Vermigli et Bucer) aux commandes. Sans surprise, la politique de l’Église suit Zurich comme modèle et Genève en théologie. Cela montre que l’influence de Genève au XVIe siècle est surtout due à ses théologiens et auteurs.

Elisabeth Ire, dite Gloriana

Ce gel des réformes va déclencher trois vagues de « puritanisme », quoiqu’il faille renoncer à ce terme si tôt dans l’histoire : il donne une fausse impression de cohérence et d’homogénéité au mouvement des précisianistes. On les appelle ainsi parce qu’ils ne veulent rien d’autres que les précises limites de la Parole de Dieu.

La première vague se trouve être la deuxième querelle vestimentaire en 1563, qui tourne autour des vêtements liturgiques et nombre de festivaux religieux. Lors de la toute première Convocation, différentes personnes exigent des réformes liturgiques plus avancées. Elles font appel aux réformés continentaux, mais cela se retourne contre eux puisque Bullinger leur dit de ne plus afficher d’esprit querelleur sous le nom de conscience. De Bèze est plus favorablement disposé, mais même lui finit par se fatiguer de ces précisianistes qu’il trouve inutilement querelleur.

La deuxième vague se situe dans les années 1570, et porte davantage sur la gouvernance et discipline d’Église. À cette époque, Élisabeth traverse une révolte catholique au nord de l’Angleterre, subit l’excommunication (avec perte de l’obligation d’obéir) du pape et des menaces effrayantes de l’Espagne. Élisabeth est très tendue et exige de son clergé un serment d’obéissance et d’adhésion non seulement à la confession de foi, mais aussi au Livre de la prière commune et toute sa liturgie, ce qui est trop pour beaucoup de pasteurs. C’est ainsi que les précisianistes écrivent Admonition to the Parliament qui réclame au Parlement l’abandon du livre de prière commun et l’alignement de l’Église d’Angleterre sur le modèle français et suisse. Le professeur de théologie à Cambridge, Thomas Cartwright, fait une série de conférence sur l’Église des Actes qui écorne l’Église d’Angleterre et écrit Reply to an answer made by Mr Doctor Whitgift against the Admonition to the Parliament en 1573 qui présente un système presbytérien strict. Élisabeth bannit Cartwright et d’autres figures, et n’exige qu’un serment limité à son clergé.

La querelle ne cesse pas vraiment, elle est juste étouffée ensuite. Les premiers séparatistes apparaissent en 1581, bien qu’ils soient minortitaires, même chez les puritains. En 1584 les alliés des puritains proposent une réforme religieuse qui alignerait l’Église d’Angleterre avec Genève, mais le projet capote. Le parti précisianiste reste soudé et écrit un Book of Discipline propre au présbytérianisme anglais. Mais l’époque n’est pas favorable : la défaite de l’Invincible Armada et la disparition progressive des membres les plus calvinistes du conseil de gouvernement amène Élisabeth à réprimer efficacement le mouvement. En 1587, il n’y a plus de presbytériens organisés en Angleterre. Leur projet ne sera pas repris avant la guerre civile anglaise.

La conséquence de cette dernière querelle est immense cependant, d’un point de vue doctrinal : John Bridges est le premier à défendre l’épiscopalisme comme étant de droit divin, et il sera renforcé par les Laws of Ecclesial Polity de Richard Hooker en 1593. Hooker y fonde ce qui deviendra l’anglicanisme, quoique son œuvre est encore dans la norme réformée de son époque, notamment le livre V. C’est le moment de vous faire redécouvrir nos articles précédents, qui donnent plus de détails sur cette histoire :

Mais cette mutation de l’Église réformée d’Angleterre en Église anglicane n’arrivera que dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Nous la raconterons en détail dans l’article suivant, où nous verrons l’émergence des puritains (les vrais), des baptistes et de tous les précurseurs des évangéliques actuels.

  1. Celle-là même pour laquelle Henri a rompu avec Rome.[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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