J’ai eu à cœur de résumer une lecture récente : Christ’s Churches Purely Reformed de Philipp Benedict, que je recommande fortement.. C’est une somme académique qui raconte l’histoire « sur le terrain » de la Réforme. Je vais dans une série de prochains articles synthétiser le contenu de ce livre en « brèves histoires » de la taille d’un article de blog, afin de vous partager les richesses de ce livre, et de l’histoire de nos pères. Cette semaine : un résumé de l’histoire de l’Église réformée anglaise et écosssaise pendant le XVIIe siècle, ou comment on est passé d’une Église « à demi réformée » au terreau des évangéliques actuels.
L’histoire des Églises réformées écossaises et anglaises du XVIIe siècle est particulièrement agitée et compliquée, à cause des guerres civiles. Au début du XVIIe siècle, l’Église d’Angleterre est un composite curieux fait de théologie réformée, gouvernement d’Église non réformé, et liturgie partiellement transformée, source de conflits. L’unification des deux couronnes va amener à des efforts d’unification religieuse qui vont aboutir à deux guerres civiles, ce qui aura pour résultat un paysage religieuse définitivement fracturé et divers.
Précision : nous en étions restés à Élizabeth Tudor, reine d’Angleterre. Elle est morte sans enfants, et le trône est passé à son cousin Jacques VI d’Écosse, devenu Jacques d’Angleterre, le fils de Marie Stuart.
Pour en apprendre davantage sur les guerres civiles anglaises, j’ai énormément bénéficié du podcast de Mike Duncan : Revolution podcast. C’est en anglais, mais c’est particulièrement bien vulgarisé.
Les politiques religieuses du début de l’ère Stuart
Nous avons déjà raconté comment la deuxième querelle vestimentaire s’était achevée avec la suppression des presbytériens (puritains) de première génération — à telle point qu’aucune œuvre presbytérienne ne sera plus écrite entre 1580 et 1640, c’est-à-dire pendant un demi-siècle ! La querelle ne porte plus sur la doctrine de l’Église, mais sur le statut de membre de l’Église et la liturgie. Elle oppose deux camps:
- Les « puritains », parti le plus nombreux et le plus agressif. Ils ont résumé leurs demandes dans la millenary petition : (1) de modestes réformes liturgiques (suppression du signe de croix au baptême) ; (2) que les pasteurs résident et prêchent dans leurs paroisses (3) que le serment d’ordination soit limité aux Trente-neuf articles, au lieu d’y rajouter le Livre de la prière commune, et (4) un système de discipline plus consistorial pour remplacer les cours épiscopales. Les chefs de ce parti sont, à l’époque, les évêques Georges Abbot, John King, James Montagu, Lewis Bayly.
- Les « laudiens » appelés aussi par leurs adversaires « formalistes », menés par Richard Neile, Lancelot Andrews, John Buckridge, John Cosin, et William Laud. Remarquez que le sobriquet d' »arminiens », donné par les puritains ne doit pas tromper : même si les laudiens n’aiment pas le prédestinarisme, ce n’est pas leur cheval de bataille. Ils se positionnent avant tout en réaction à la piété puritaine : là où les puritains insistent sur la prédication comme principal lieu de piété, eux insistent sur la prière et les sacrements. Là où les puritains veulent supprimer tout ce qui n’est pas biblique, les laudiens souhaitent défendre le decorum en place. Là où les puritains envisagaient l’Église comme une petite avant-garde de purs prête à se détacher d’un monde déchu, les laudiens comprenaient plutôt l’ensemble de ceux qui prenaient part de façon respectueuse aux rituels de l’Église d’Angleterre. Par conséquent, les laudiens avaient tendance à se comprendre eux-même comme un protestantisme « non aligné » encore différent du luthéranisme et du mouvement réformé, à rebours de toutes les générations précédentes.
Jacques Stuart est personnellement calviniste, mais déteste le presbytéranisme écossais. Il cherche à réconcilier tous les protestants anglais. C’est dans cet esprit qu’il publie en 1617 son Book of sports qui liste les sports et activités autorisées lors du dimanche. En résumé: plus d’activités que ce qu’accepterait un presbytérien. Il y est modéré en matière de liturgie, mais il outre les puritains qui trouvent que ce livre est une profanation ambulante : où est-il écrit dans la Parole de Dieu que l’on peut profaner le Sabbat par du tir à l’arc ou un jeu de quilles ? En Écosse, il se fâche avec le clergé écossais par les Cinq articles de Perth, qui exigent (1) de prendre les sacrements à genoux ; (2) la communion et le baptême privé ; (3) la confirmation des enfants par l’évêque et (4) cinq jours fériés (non bibliques). Le clergé écossais l’ignore dans sa majeure partie, avec agacement.
On le voit, Jacques II n’est pas un précisianiste (puritain). Mais il eut la délicatesse de ne provoquer aucune confrontation sur ses réformes d’inspiration laudienne. Son fils Charles Ier aura le même projet, mais pas la même délicatesse. C’est un homme pieux, avec un sens esthétique qui l’amène à soutenir le parti formaliste sans demi-mesure, en s’appuyant sur son ministre William Laud. Les changements liturgiques qu’il introduit et le manque de pugnacité contre les catholiques, le fait qu’il autorise son épouse française a assister à des messes catholiques convainquent les puritains qu’un vent papiste souffle sur l’Angleterre. Il y a un phénomène d’émigration en Nouvelle-Angleterre qui sera important pour définir la suite de l’identité puritaine et américaine.
La voie de la Nouvelle Angleterre
Entre l’instauration de la charte de la compagnie du Massachussets en 1628 et le début de la première guerre civile anglaise en 1643, près de 21 000 personnes s’installent en Nouvelle-Angleterre (nord-est des États-Unis actuels). Parmi eux, soixante-six pasteurs puritains et beaucoup de laïcs pieux, avec un programme de fondation religieuse :
- Mise en application du congrégationalisme de Thomas Hooker énoncé en 1633, codifié en 1648 par le Massachussets General Court ;
- Restriction du statut de membre aux seuls élus / sauvés (cf. piété prédestinarienne déjà abordée) ;
- Discipline exercée par l’ensemble du corps ecclésial local, plutôt que par un consistoire ;
- Purge de tout élément païen / papiste jusqu’à appeler les mois « premier mois », « deuxième mois », etc.
Par conséquent, les Églises de Nouvelle-Angleterre ne comprennent pas, presque par définition, toute la population : en 1648, c’est moins de la moitié de la population de Boston qui est membre d’une Église et 80 % de Milford, Connecticut. Le scrupule est poussé si loin qu’on refuse aux croyants peu sûrs de leur salut le baptême de leurs enfants, ce que même les Néerlandais (partisans de la nadere Reformatie) ne font pas. Par conséquent, le pourcentage de membres dans la population décroît au fur et à mesure du temps, alors que les enfants exclus de l’Église pendant leur jeunesse n’arrivent bizarrement pas à discerner de signes du salut dans leur cœur à l’âge adulte. Une génération plus tard, on est passé de 80 à 47 %. Malgré cette mutation ecclésiologique, les puritains de Nouvelle-Angleterre ne renoncent pas à l’idéal de chrétienté protestante, et ont une longue liste d’exigences pour les magistrats fidèles, un projet qui est le précurseur du reconstructionnisme actuel.
L’Ecosse renverse l’épiscopat
Charles Ier Stuart pousse si bien dans le sens de l’uniformité laudienne que les Écossais se révoltent en 1640, déclenchant accidentellement la première guerre civile anglaise et ouvrant la boîte de Pandore, contenant tout ce qui suivra.
Comme on l’a dit, Charles Ier a peu d’égards pour les sentiments de son peuple, et contrairement à son père, n’a pas d’expérience directe de l’Écosse. Il a réclamé des terres royales des mains de la noblesse qui lui a aliéné la noblesse écossaise. Et en 1637, il introduit une nouvelle réglementation liturgique qui scandalise les écossais, un vomi de superstition romaine d’après un Écossais opposé. Charles Ier tarde à l’appliquer, ce qui laisse à l’opposition écossaise le temps de s’organiser et organiser des manifestations et pétitions contre le Roi. Lorsque le gouvernement ignore ces pétitions, ils contractent le National Covenant qui donne le nom au mouvement : les covenantaires. Ce serment national jure de libérer complètement le pays du papisme et de restaurer la pureté de l’Évangile en tous domaines. Il n’est pas orienté contre le roi. La réception de ce document fut si enthousiaste qu’il y eut des manifestations de réveil religieux dans certaines paroisses.
Dans l’été 1638, Charles Ier décide de rassembler une armée pour imposer sa loi à l’Écosse, qui s’arme elle aussi. Pour la financer, il est obligé de convoquer enfin le parlement qu’il essayait d’éviter depuis des décennies, et l’affaire lui échappe très vite. Malgré ses précautions, le parlement anglais est contrôlé par des parlementariens frustrés et en voie de radicalisation. Son expédition militaire tourne au désastre à Newburn, en même temps que la mécanique de la première guerre civile se met en place.
Du côté écossais, la révolution écossaise de 1637 n’est pas seulement la défense d’un modèle d’Église nationale contre les projets du roi : c’est aussi une guerre interne entre presbytériens et épiscopaliens écossais. En 1640, le cœur des épiscopaliens — Aberdeen — est pris, et tous les pasteurs ont l’obligation de signer le National Covenant. 93 pasteurs, soit 10 % du clergé écossais, perdent leur poste dans cette période. L’Écosse est désormais purement presbytérienne, au point de développer une théorie du gouvernement presbytérien de droit divin. Dans la pratique, c’est une commission issue de l’Assemblée générale (équivalent du synode national) qui fait la discipline d’Église. Ce n’est donc pas encore une parfaite mise en application.
La fracture de l’Église d’Angleterre
Dans le parlement anglais deux factions s’allient contre le roi : ceux que Baxter appelle les good commonwealth men et les more religious men. Les premiers sont fachés avec le pouvoir personnel du roi, et les seconds avec le système religieux de Laud. Les deux s’entendent très bien contre le ministre préféré du roi. Le 19 novembre 1640, le parlement inaugure une série d’iconoclasmes qui cible les innovations de Laud, et le 11 décembre, le parlement reçoit une pétition demandant l’abolition de l’épiscopat forte de 15 000 signatures. Le 18 décembre, Laud est déchu (impeached) et arrêté. Il sera exécuté en 1645, au cours d’un des épisodes le plus radicaux de la vie parlementaire.
Revenons à 1640 : maintenant que Laud est déchu, dans quel sens réforme-t-on l’Église d’Angleterre ? Quatre camps émergent, chacun ayant une idée différente :
- Les épiscopaliens. La première version proposée est celle de Ussher (Reduction of Episcopacy unto the form of synodical government received in the Ancient Church, 1641). L’idée est d’avoir un gouvernement synodal, mais dont les présidents seraient des évêques. À une époque moins polarisée, cela aurait pu marcher, mais en 1641 c’est trop presbytérien pour les épiscopaliens et trop épiscopalien pour les presbytériens. Une nouvelle faction d’épiscopaliens émerge, qui défend l’épiscopat de droit divin, par exemple : Jeremy Taylor, Episcopacy asserted, 1642. C’est cette branche-là qui va inventer la version protestante de la succession apostolique, soi-disant nécessaire pour une vraie Église. La publication de la première édition critique des lettres d’Ignace va les aider.
- Les presbytériens. Ils défendent le modèle de gouvernement presbytéro-synodal. Ils republient les livres de Cartwright et de Travers et ressuscitent la tradition précisianiste ; le Directory of Church Government est republié en 1644.
- Les érastiens, en faveur d’un contrôle total de l’État sur l’Église, l’aboutissement de la logique du modèle zurichois. Fondé sur Grotius, Right of State in the Church ou Of the Authority of the Highests Powers about Sacred Things écrits en 1617, publiés à Londres en 1647.
- Les indépendants, qui regroupent tous les non alignés, aussi divers soient-ils.
Ces indépendants se décomposent eux-mêmes en plusieurs groupes :
- Les congrégationnalistes : ils sont pour un gouvernement d’Église strictement local sans élément synodal, calviniste sur tout sauf le gouvernement d’Église. Ils s’appuient sur John Cotton qui a publié depuis 1635, An apology of the churches in New England for Church Governement et The Churches Resurrection… avec une poignée d’Églises à Londres. John Owen deviendra congrégationaliste à la lecture des Keys of the kingdom of Heaven de John Cotton.
- Les baptistes, particuliers ou généraux. Les baptistes particuliers sont semblables aux congrégationalistes, sauf quant au baptême des enfants. Les baptistes généraux absorbent les immigrés anabaptistes hollandais.
- Les quakers, ranters et fifth monarchists occupent la place des sectes millénaristes.
- D’autres mouvements autour d’un seul homme, qui prêchent en totale indépendance.
À cette époque, ce sont les événements politiques qui donnent le poids décisif aux arguments des uns et des autres. Ce qui suit ressemble un peu à Game of churches !
Le 22 septembre 1642, un mois après le début de la guerre civile anglaise, le Parlement suspend tous les évêques de leur poste. Un an plus tard, il ordonne la destruction de toutes les décorations d’inspiration laudienne. En vue de donner une nouvelle constitution à l’Église d’Angleterre, il convoque une assemblée de théologiens (divines) à Westminister, composée de cent vingt pasteurs et de trente anciens, majoritairement présbytériens. Cette assemblée devient encore plus presbytérienne lorsque les circonstances poussent le parlement anglais à faire alliance avec le gouvernement covenanter écossais pour battre le roi d’Angleterre, et qu’un groupe de théologiens écossais vient conseiller l’Assemblée de Westminster.
Mais le temps que l’on construise et débatte bibliquement du moindre point d’organisation, le vent tourne encore. La New Model Army (armée parlementaire professionnelle fondée en 1645) s’avère être plus efficace que les Écossais pour battre les royalistes, et elle penche pour les érastiens et les indépendants. Son influence fait que la constitution de l’Église d’Angleterre, votée par le parlement en août 1645 et en mars 1646, est, selon un envoyé écossais, « un presbytère érastien complètement boîteux » : au niveau local, on est bien dans le modèle presbytérien (conseil presbytéral et ministères réformés). Mais au-dessus, le système synodal est éviscéré : les synodes ne sont que consultatifs et non normatifs, les élections au conseil presbytéral sont conduites par des officiels, et on peut faire appel d’une excommunication devant une comission parlementaire.
Il y a plus de succès pour la confession de foi et le manuel liturgique (Directory for Public Worship) qui sont validés sans problème par les parlements anglais et écossais en 1645. Le destin de cette confession de foi est ambivalent. La confession de Westminster reste la confession de foi de l’Église d’Écosse, et beaucoup d’autres 1 jusqu’à nos jours. En Angleterre, elle sera abolie pour l’Église d’Angleterre à la restauration, mais restera valable dans les Églises congrégationalistes, et les baptistes particuliers l’adopteront avec des révisions quant au baptême en 1677. En revanche, la constitution de l’Église d’Angleterre fut un échec. Même à Londres, où elle était soutenue, seules 64 paroisses sur 108 appliquent la nouvelle constitution de Westminster, et 8 colloques sur 12 prévus se mettent en place. Seuls 14 territoires sur 40 mettront en place ces colloques, avec très peu de participants et rien de plus que les ordinations de pasteurs. Il n’y aura jamais de synode national. La plupart des paroisses n’acquirent jamais le Directory for Public Worship.
Loin d’achever la Réforme que les puritains espéraient tant, la guerre civile accentue la division et la rend incurable. Charles Ier est exécuté en 1646. À la place est proclamé le Commonwealth d’Angleterre, dont le Lord Protector est Oliver Cromwell. Je n’essaierai même pas ici de résumer l’histoire politique de cette période, pleine de rebondissements, sauf en ce qui concerne l’histoire de l’Église. Oliver Cromwell, quoique sincèrement puritain, est partisan de la liberté de culte pour tous les protestants, et ne pousse à aucun conformisme. Le seul organe de gouvernance de l’Église est une commission parlementaire en 1654, la commission des ministères, composée de 38 censeurs (ejectors), congrégationnalistes, presbytériens et baptistes, qui validaient les pasteurs de toutes les confessions protestantes. Si l’unité et la Réforme de toute l’Église d’Angleterre est arrêtée de facto, on poursuit cependant avec ardeur la réforme des mœurs. Mais même cela n’est pas un grand succès : les gouverneurs militaires appointés par Cromwell ne manquent pas de zèle, mais de moyens. Le contrôle des mœurs est inachevé, malgré des lois très spectaculaires (fermeture des théâtres, interdiction de Noël, etc).
La scène ecclésiale est un bazar complet, même si l’on commence à voir des dénominations au sens moderne du mot. Par exemple, les baptistes particuliers s’associent en 1660, et les congrégationnalistes qui fondent leur union au Savoy Palace en 1658. Cependant, en général, il n’y a aucune association ecclésiale. Il y a près de 2 500 pasteurs déchus pour leur loyauté au roi qui continuent de prêcher et donner les sacrements. Les évêques établis sour le roi Charles Ier continuent d’ordonner des prêtres anglicans. On assiste à une dissolution de l’Église par la division :
Les pasteurs pouvaient jusitifer leur appel par une ordination presbytérienne ou épiscopale, à l’approbation de la commission parlementaire, l’élection congrégationnelle, l’inspiration directe du Saint-Esprit, ou une combinaisons de ces choses. Les laïcs pouvaient se rendre et prendre les sacrements dans une paroisse presbytérienne, une église congrégationnaliste, ou une assemblée anglicane clandestine — ou plus d’une. Une loi de 1653 rendit le mariage civil possible. Un nombre inconnu de couples en profita. Les gens qui en avaient les moyens commencèrent à célébrer les baptêmes à la maison plutôt que devant une quelconque assemblée publique.
Philipp Benedict, Christ’s churches purely reformed, p. 404
Pis encore, c’est dans ce contexte de dissolution que les rationalistes anglais trouvent de quoi nicher, et c’est dans cette période que se forment les futurs latitudinariens dont je parlerais plus tard. Cependant, malgré cet état de fait, les Anglais continuent d’aspirer à l’unité religieuse en 1660.
Les divisions politiques de l’Église d’Écosse
Des divisions apparaissent aussi en Écosse à cette occasion, mais politiques cette fois-ci. Au départ, les covenantaires étaient un mouvement de défense de l’ordre national face à la tyrannie de Charles Ier. Mais le régicide choque les sensibilités écossaises, à cause de l’origine écossaise des Stuarts, et l’importance de la loyauté à la personne dans la culture écossaise. Déjà en 1646, lorsque Charles Ier s’était rendu aux Écossais, une scission était apparue entre engagers prêts à se réconcilier avec Charles Ier s’il acceptait le National Covenant et les whigs qui refusaient cette réconciliation. Les premiers l’emportent au parlement écossais, contre l’avis du clergé qui met l’Alliance avant le roi. Alors que la guerre civile repart, les Écossais et le roi sont battus à Preston ce qui ébranle les engagers et la noblesse qui soutenait le roi. Un raid des covenantaires qui part de Whiggamore (d’où le nom de whigs) fait un putsch à Édimbourg en novembre 1648. Un gouvernement « théonomique » est mis en place.
Une alliance cléricale-populiste dirigeant au nom du National Covenant se mit à la tâche avec détermination. Une loi de janvier 1649 réduisit drastiquement le nombre d’éligibles aux positions de pouvoir militaire ou politique en excluant tous les engagers. Le clergé obtint de mettre fin à cette ancienne épine dans le pied de l’indépendance et la qualité du corps pastoral : le patronage laïc. Des lois furent écrites pour mettre fin aux inégalités dans les taxes, éliminer les fraudes légales et le parjure, et une réforme de l’aide sociale qui imposait un fardeau particulièrement lourd sur les propriétaires abusant de leurs locataires. De nouvelles lois plus dures furent passées contre les sorcières, les fornicateurs, les ivrognes, les injurieux et les pécheurs du dimanche. Les comités d’Église commencèrent une nouvelle purge des mauvais pasteurs, alors que les conditions d’accès à la communion étaient resserrées dans beaucoup de paroisses, et les consistoires empêchaient de prendre les sacrement ceux qui n’avaient pas encore signés le Covenant.
Philipp Benedict, op. cit., p. 406.
Suite au régicide, les covenantaires acceptent l’offre de Charles II (fils de Charles Ier) de le reconnaître comme roi de Grande-Bretagne, en échange de la reconnaissance du National Covenant. En réaction, Cromwell envahit l’Écosse. Invoquant l’exemple biblique de Gédéon, les principaux pasteurs prônent la purification de l’armée pour qu’elle soit plus petite, mais débarassée de ses éléments manquant trop de piété. Des centaines d’officiers expérimentés sont congédiés et beaucoup de sous-officiers qui manqueront crucialement plus tard. Les Écossais, malgré leur nombre supérieur, sont battus à la bataille de Dunbar : 3 000 morts et 10 000 prisonniers.
La suite de cette bataille ouvre une nouvelle division: pour la majorité (les resolutioners), c’est la preuve qu’on est allé trop loin dans la « théonomie2 ». Ils acceptent de recevoir à nouveau les engagers et couronnent le roi Charles II. Pour les autres, les protesters autour de Rutherford, la défaite est la preuve qu’on n’est pas assez loin dans le respect de l’alliance, et que l’on accepte trop facilement des mous comme le roi Charles II. Rutherford écrit The Law and The Prince qui expose une théorie radicale de la résistance. Cette division ne va pas jusqu’au schisme car Cromwell met fin à l’indépendance écossaise entre 1650 et 1652. La rivalité demeure cependant.
Compromis de la Restauration
Le protectorat de Cromwell ne dure en fin de compte que quelques années. Après sa mort, le roi Stuart est très vite réinvité à monter sur le trône. Dans l’entourage du roi en exil, il y avait une faction presbytérienne et une faction épiscopalienne. Mais Charles II s’éloigne du presbytérianisme à cause du fiasco de son expérience écossaise. Par la suite, la Restauration est une grande victoire épiscopalienne et formaliste. On met en place le compromis d’Ussher : un système synodal présidé par les évêques, qui doivent être avant tout des pasteurs et non plus des administrateurs. 695 pasteurs formalistes réintègrent leur poste.
Le parlement cavalier fait voter l’Acte d’uniformité en 1662, qui définit le nouvel ordre de l’Église d’Angleterre : les pasteurs ne seront reconnus que par les évêques, doivent prêter serment de n’utiliser que le Livre de la prière commune, suivre la liturgie formaliste, rejeter le National Covenant. Cette Église épiscopalienne restaurée s’est radicalisée, défendant à présent l’épiscopat comme étant de droit divin et ayant toujours existé dans l’Église. On republie Laud. L’arminianisme domine Cambridge, d’où sortiront les latitudinariens. Le clergé est très fortement monarchiste, condamnant toute idée de rébellion.
Bien évidemment, les presbytériens et autres indépendants ne suivent pas ce nouvel ordre. Le 24 août 1662, plus d’un millier de pasteurs refusent de se soumettre au serment, et perdent leurs postes à leur tour, après les 695 déjà remerciés par les pasteurs anglicans (mais de retour d’exil). Quelques réactions :
- Certains continuent d’officier dans leurs paroisses, quitte à aller en prison (John Quick par exemple).
- Certains se font une raison et se réconcilient avec l’Église d’Angleterre.
- Certains organisent des églises clandestines, ou des réunions de prières en dehors des horaires de culte, pour que cela ne soit pas vu comme une assemblée schismatique, mais comme un simple supplément de piété.
- Beaucoup de pasteurs deviennent médecins ou enseignants, organisent des écoles.
Une question se pose pour le pouvoir : comment gérer ces Églises dissidentes ? On essaie d’abord la persécution en 1662, mais cela attire la sympathie à l’égard des dissidents. En 1672, le roi Charles II publie une déclaration d’indulgence qui permet le culte à toutes les Églises protestantes sous licence, et même le culte privé aux catholiques. 1610 licences sont délivrées. Les anglicans sont consternés, les presbytériens en profitent pour à nouveau ordonner des pasteurs et les indépendants sont encouragés. En fin de compte, l’Acte d’uniformité est un échec en ce qui concerne l’uniformité. À tout prendre, il a éloigné l’Église d’Angleterre des Anglais eux-mêmes.
En Écosse, le fiasco est identique. Il y a moins de sujets de conflits, mais ils sont plus âpres. Charles II a retenu la leçon et n’essaie pas de forcer le passage tout d’abord. Mais il remarque vite que la noblesse en a assez des intrusions cléricales dans le gouvernement. En mars 1661, il réintroduit le système en place avant les guerres civiles : un système presbytérien présidé par des évêques. Il complète cela par trois ordonnances en 1662 :
- Le patronage laïque qui avait court depuis le Moyen Âge est rétabli. Sans rentrer dans les détails, cela veut dire que le propriétaire terrien qui finance l’Église locale a le privilège de proposer son pasteur.
- Le National Covenant de 1638 et 1643 est considéré comme un serment illégal, comme tout ce qui était fondé dessus.
- Tous les cultes dissidents et réunions de prières privées sont interdits.
Un quart des pasteurs écossais (270) refusent ces ordonnances, alors même que la répression est moins forte qu’en Angleterre. Ils organisent des Églises clandestines et c’est le début d’un cycle de radicalisation. En 1666, les dissidents se soulèvent à Pentland, ce qui convainc le gouvernement d’être moins brutal dans l’application des lois. Entre 1669 et 1673, le roi permet aux pasteurs exclus de revenir dans leurs paroisses à un salaire moindre. Loin de les apaiser, cela les renforce. Ils commencent même à organiser une Église schismatique. Alors le roi reprend l’oppression plus fortement encore. Alors que les assemblées dissidentes se rassemblent sous des tentes aux proportions gigantesques (14 000 personnes à Dumfries en 1678). Le gouvernement garrisonne ses troupes chez les dissidents, soit les dragonnades avant les dragonnades. En mai 1679, l’archevêque de Saint-Andrews est assassiné sous les yeux de sa fille. En 1680, un parti prête un serment révolutionnaire contre le roi Charles II, écrasé militairement plus tard.
La Glorieuse Révolution et la légalisation du pluralisme protestant.
Pour améliorer le tout, en 1685, Jacques II succède à Charles II. Détail important : il est catholique. À ce stade, tous les ingrédients sont réunis pour que la situation soit le plus explosive possible. En deux ans, Jacques II perd le soutien de l’Église d’Angleterre en suspendant toute sanction contre les dissidents… et les catholiques, s’attendant à ce que dès que le culte catholique soit libre, on rejoigne la messe en masse. Lorsque la reine tombe enceinte et que se profile la possibilité que le pays soit dirigé pour toujours par des rois catholiques, c’est la Glorieuse Révolution.
La noblesse anglaise choisit Guillaume III, dit Guillaume d’Orange, un réformé néerlandais, comme roi. C’est l’arrière-petit-fils de Maurice de Nassau, qui a sauvé l’Église néerlandaise des remontrants, et descendant de Guillaume d’Orange dit le Taciturne, le premier souverain des Pays-Bas et premier protecteur de l’Église néerlandaise. Guillaume III intervient pour deux raisons :
- Défendre les droits à la couronne de son épouse, Marie d’Angleterre.
- Empêcher l’Angleterre de faire alliance avec la France, alors qu’il est lui-même le chef de la coalition européenne contre la France.
Son invasion fonctionne au delà de toute espérance, et le royaume est sauvé du papisme par un roi réformé néerlandais et une reine anglicane. À cause de son origine néerlandaise, Guillaume d’Orange peut concevoir de gouverner une Église sans évêques, et il sait qu’on peut avoir plusieurs confessions protestantes sans guerre civile. Mais ses efforts de réconciliations avec les dissidents vexent l’Église anglicane, désormais totalement convaincue d’être une via media entre Rome et le protestantisme, et de tenir sa légitimité de la succession apostolique comme Rome. En mai 1689, la nouvelle dynastie exige un serment de loyauté de son clergé. L’archêvéque de Cantorbéry, six évêque et quatre cents pasteurs anglicans refusent, disant que ce serait rompre leur précédent serment de loyauté aux Stuart. Ce groupe devint l’équivalent de monseigneur Lefebvre pour l’Église Anglicane du XVIIe siècle : la mauvaise conscience rappelant les droits de la seule véritable Église et les fondateurs du « haut anglicanisme », favorable à la suprématie de la seule Église officielle.
Malgré cela, Guillaume d’Orange va jusqu’au bout de son projet de tolérance religieuse en publiant une loi de tolérance en 1689 qui va définir le paysage religieux anglais jusqu’au XIXe siècle:
- Liberté de culte pour les dissidents, tant qu’ils prêtent serment de loyauté au roi.
- Les pasteurs (dissidents ou non) doivent adhérer aux Trente-neuf articles, sauf ceux sur la liturgie et le baptême.
- Les catholiques et les anti-trinitariens ne sont pas tolérés.
- Les dissidents doivent toujours payer la dîme aux anglicans.
La scène religieuse se stabilise : les dissidents regroupent 6 % de la population (ce sont pour moitié des presbytériens). Ils recrutent dans la bourgeoisie et classe moyenne montante. L’aristocratie et les notables (gentry) vont à l’Église anglicane pour démontrer leur aptitude aux postes publics.
- Théologiquement, les congrégationalistes et les baptistes particuliers ont conservé le « haut calvinisme » de John Owen et Goodwin jusqu’au XVIIIe siècle.
- Les presbytériens ne purent plus jamais mettre en place la structure synodale pour laquelles ils se sont longuement battus. Lorsqu’ils se rendirent compte que le projet était mort, certains devinrent congrégationnalistes, d’autres glissèrent dans le libéralisme de Le Clerc, de Locke et des unitariens anglais.
- L’Église anglicane eut du mal à gérer sa perte de monopole. La perte des non-jureurs permit aux latitudinariens de rentrer dans la place, mais leur idées larges ne collèrent pas du tout avec le bas clergé qui était convaincu par les doctrines anglicanes strictes.
- Les anglicans se sentirent d’autant plus assiégés après Toland (Christianity not mysterious) et Locke (Reasonableness of Christianity), rationalistes. Après avoir été archi-royalistes, ils basculèrent dans la position inverse et affirmèrent l’indépendance totale de l’Église. Le balancier entre Genève et Zurich n’a jamais cessé.
- Avec le temps, cette peur s’est effacée, mais pas la division entre high et low church. Les high church valorisent la beauté du rituel et l’autorité de l’Église et des évêques ; ils poursuivent la lignée de Barro (fondateur de l’arminianisme anglais), Hooker, Laud et considèrent que l’Église anglicane est une troisième voie entre Réforme et Rome (ils sont à l’origine de ce mensonge).
- Les low church sont plus sensibles au rationalisme et à l’érastianisme, préfèrent le combat moral au combat doctrinal. Ils sont en faveur de la solidarité pan-protestante, et se considèrent comme « collègues » des réformés.
- Les presbytériens et congrégationnalistes se considèrent comme les vrais héritiers de la doctrine de l’Église d’Angleterre, et plus réformés que les réformés continentaux : en exil en Suisse, les presbytériens anglais refusent de prendre la communion avec les réformés suisses parce qu’ils les trouvent trop laxistes dans la discipline. Les huguenots qui émigrent en Angleterre ne les rejoignent pas toujours.
En Écosse: la Glorieuse Révolution amène la victoire définitive du presbytérianisme. Cela s’est joué très facilement :
- L’invitation du parlement anglais à Guillaume d’Orange contient dès 1689 un rejet de l’épiscopat.
- Tous les évêques écossais, jusqu’au dernier, ont refusé de prêter allégeance à Guillaume et à Marie d’Angleterre.
Si bien que, alors que Guillaume d’Orange aurait voulu garder certains éléments d’épiscopat, il doit en fait tout abolir. Un revanchisme presbytérien a même lieu en Écosse, où presque quatre cents pasteurs épiscopaliens sont exclus dans des émeutes avant même que Guillaume ne soit en place. Le parlement écossais obtient d’annuler toutes les lois épiscopaliennes récentes en 1689-90 par un chantage au budget. La confession de Westminster est ratifiée, le patronage laïque rejeté. Curieusement, cela fut difficile à appliquer localement : dans le nord de l’Écosse, des paroisses locales sont attachées à leurs pasteurs et leurs évêques. En 1693-1694, le parlement écossais exige que tous les pasteurs prêtent serment que le presbytérianisme est la seule vraie forme de gouvernement d’Église. Face à la réaction, Guillaume d’Orange doit intervenir pour éviter que la situation ne dégénère.
En 1695, une sorte d’exception est permise aux épiscopaliens, pour exister en dehors de l’autorité de l’Assemblée générale (Synode national écossais). En 1707, il y a 165 paroisses anglicanes, surtout dans le nord de l’Écosse. Ainsi, à partir de deux écoles sur le gouvernement d’Église — presbytérianisme et épiscopalisme — on a obtenu deux Églises séparées en Ecosse, mais l’équilibre est fragile, car les presbytériens vivent très mal la cohabitation. Les choses ne s’arrangent pas lorsque l’Écosse perd son indépendance dans l’Union de Grande-Bretagne en 1707. En 1712, l’Écosse est soumise au même régime de tolérance que celui de l’Angleterre a depuis 1689. En 1733 une querelle sur le replacement d’un pasteur anglican crée un schisme entre l’Église presbytérienne établie, et une Église dissidente qui revendique l’héritage des covenantaires. On notera la résistance relative de cette Église au rationalisme pendant le XVIIIe siècle. Bref, au XVIIIe siècle, l’Église presbytérienne établie est un peu comme l’Église anglicane, coincée entre une minorité opposée et une fraction puriste.
Conclusion
Vous pouvez maintenant relier les points entre la Réforme en Angleterre, et le terrain d’apparition des évangéliques américains. Nous pouvons retenir les points suivants :
- La multiplicité des dénominations et les divisions ne sont pas une mince affaire : elles rendent l’Église inutile, enlèvent toute force aux assemblées, peu importe lesquelles.
- Les divisions politiques sont tout à fait capables de fracturer des Églises, et c’est pourquoi il faut être vigilant contre elles.
En illustration : Georges Harvey, La Prédication des covenantaires, huile sur toile, 1830 (musées de Glasgow).
- De l’Église réformée du Québec par exemple, où elle est associée au catéchisme de Heidelberg, ce qui est inhabituel.[↩]
- Le terme est le mien, pas celui du livre ou des contemporains.[↩]
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