Cet article est une traduction de la fiche résumé du théisme classique (What is Classical Theism and Why Should We Hold to It? 8 Talking Points) proposée par John DeRosa sur classicaltheism.com. C’est un site internet qui propose régulièrement des podcast où des philosophes défendent cette conception de Dieu. Je me suis permis de rajouter quelques explications en notes de bas page quand je l’ai jugé utile ou nécessaire. Il s’agit en gros d’expliquer la manière dont la majorité des croyants des religions monothéistes1 ont compris et défini Dieu jusqu’à très récemment.
Le théisme classique2 désigne la conception traditionnelle de Dieu dans la culture occidentale, en particulier du catholicisme romain3. Selon cette compréhension de Dieu, les choses de l’univers physique sont relatives à Dieu et dépendent constamment de lui pour continuer à exister. Dieu est ainsi le fondement ultime et métaphysiquement nécessaire de toute réalité4. Considéré en lui-même, Dieu n’est pas une chose matérielle ou spirituelle comme les autres qui possède l’être, Dieu est plutôt l’Être même subsistant par soi5. Tout ce que nous dirons à propos du Dieu du théisme classique devra respecter avec ces deux principes.
Dans cet article, nous répondrons à deux questions à travers différentes parties :
- Qu’est-ce que le théisme classique ?
- Pourquoi devrions-nous adhérer à cette conception de Dieu ?
En passant, nous expliquerons ce qui différencie le théisme classique des autres conceptions de Dieu. Dans la première partie nous donnerons plusieurs principales caractéristiques de cette position. Dans la deuxième, nous proposerons quatre raisons d’y adhérer.
Partie 1 : Qu’est-ce que le théisme classique ?
1. Dieu est le fondement ultime et métaphysiquement nécessaire de toute réalité existante
Par « métaphysiquement nécessaire » nous voulons dire que Dieu ne peut pas ne pas exister. Il n’a jamais commencé à exister et il ne cessera jamais d’exister. Il existe nécessairement et existera toujours. Il existe par sa propre nature. Par « fondement ultime » de toute réalité, nous affirmons que Dieu ne doit son existence à rien ni personne. Son existence et son action précèdent (ontologiquement et non pas dans l’ordre chronologique) toute série de moteurs mus6, d’êtres contingents7, d’explications contingentes et ainsi de suite.
Dans le cadre du théisme classique, le mot « Dieu » est la réponse à la question « pourquoi y a-t-il des êtres contingents ? ». Il renvoie également à ce qui indépendant de toute autre réalité. Comme Thomas le défend, « Celui qui est8 » est le nom le plus approprié dont nous disposons pour désigner Dieu. Par contre, Dieu n’a rien à voir avec un spaghetti géant volant9 ou un superhéros invisible et impressionnant.
2. En plus d’être omnipotent, omniscient et omnibénévolent (parfaitement bon), Dieu est simple, immuable, and éternel
La plupart des théistes attribuent à Dieu les attributs commençant par le préfixe omni-. Les théistes classiques vont plus loin en acceptant l’ensemble des attributs habituellement affirmés par les pères de l’Église et les théologiens médiévaux. Parmi eux10 on retrouve la simplicité absolue de Dieu, son immuabilité et son éternité11.
La simplicité de Dieu signifie que Dieu n’est composé d’aucune façon. Il ne peut avoir en lui aucune composition de parties, qu’elles soient physiques ou métaphysiques. Il est sans aucune division, indifférencié et absolument simple. Cela implique que la bonté de Dieu, sa puissance, sa sagesse et tout autre attribut sont vraiment identiques en Dieu lui-même. Et cela bien qu’ils soient distincts dans nos esprits finis12.
L’immuabilité de Dieu signifie que Dieu ne peut changer en aucune façon. Il ne peut pas s’améliorer ni voir son état s’empirer. Il possède en lui la plénitude de toute perfection à la fois. Il est d’ailleurs utile de souligner que beaucoup de théistes classiques sont aussi chrétiens : ils croient donc logiquement qu’en Jésus habite toute la plénitude de la divinité13. Mais Jésus n’a-t-il pas changé, marché, eu faim et ainsi de suite ? Pour répondre en bref : lors de l’Incarnation, tout le changement s’est produit du côté de la nature humaine de Christ, de plus, Christ est immuable uniquement du point de vue de sa nature divine14.
L’éternité de Dieu veut dire que Dieu existe indépendamment (« au-dessus ») de la ligne du temps sur laquelle se placent les créatures. Il n’est pas infiniment vieux mais est plutôt le créateur de l’espace-temps lui-même. Parce que Dieu existe en dehors de l’espace et du temps, Il ne grandit pas en sagesse, en connaissance et en compréhension au fur et à mesure qu’il vieillit. Bien évidemment, il ne change aucunement. Tous ces instants que nous appelons passé, présent et futur sont connus de Dieu dans un seul instant éternel.
3. Dieu n’est pas un objet de ce monde mais il est radicalement différent de nous.
Comme nous l’avons mentionné précédemment, Dieu n’est pas une chose matérielle ou spirituelle qui possède l’être. Il est plutôt l’Être même subsistant par soi15. Beaucoup de catégories que nous employons pour parler des choses physiques ne peuvent en aucun cas s’appliquer à Dieu. De plus, certaines catégories s’appliquent à lui seulement de façon analogue16 parce que Dieu transcende ce qu’elles expriment lorsqu’elles s’appliquent aux choses physiques17. Par conséquent, les théistes classiques ne voient pas du tout Dieu comme ce qu’il y aurait tout en haut de la liste des différents êtres18 de notre monde comme s’il se trouvait au même niveau qu’eux. En réalité, Dieu diffère radicalement de ses créatures. Il est la source de tout être, peu importe son type, et toute chose reçoit de lui son existence.
4. Le Dieu du théisme classique ne se conçoit pas sur la base du modèle de la personne humaine
Comme le note Eleonore Stump, le terme « théisme classique » nous aide à obtenir une classification des différents théismes19. En effet, les attributs que les théistes classiques ont tendance à attribuer à Dieu (cf. les points 1 et 2 plus haut) nous permettent de voir ce que leur position a de spécial par rapport aux autres théismes. Une autre manière de le faire est d’étudier leur manière de parler de Dieu.
Quelques théistes conçoivent Dieu comme s’il était semblable à une personne humaine. Dans ce but, ils lui retirent toute limitation humaine et augmentent ses pouvoirs humains. D’après le théisme classique, une telle méthode est incorrecte. En effet, Dieu n’est pas un homme très puissant ni un « super être-humain » (un surhomme). Au contraire, comme nous l’avons mentionné ci-dessus, Dieu transcende les catégories que nous appliquons aux choses de la nature. C’est pourquoi c’est une erreur de penser à Dieu en termes aussi anthropomorphiques.
Toutefois, de même que l’effet ressemble à sa cause sous un certain aspect, les êtres-humains ressemblent à Dieu (leur cause) plus qu’aucun autre être naturel. C’est le cas parce que ces derniers sont intelligents et dotés d’un libre-arbitre20. Bien que Dieu ne soit pas une personne humaine, Dieu est intelligent et libre d’une manière supérieure et parfaite, contrairement aux humains. Il est donc cohérent pour un théiste classique d’affirmer que les hommes sont à créés à l’image de Dieu tout en reconnaissant que Dieu transcende radicalement leur nature humaine.
Partie 2 : Pourquoi adhérer au théisme classique ?
1. C‘est la conclusion de diverses preuves philosophiques de l’existence de Dieu
L’argument du mouvement21, les arguments de la contingence et divers autres arguments théistes nous mènent à un « terminus22» du mouvement, une explication finale et ainsi de suite. Ce terminus, nous l’appelons Dieu. Suite à quoi nous pouvons en déduire que Dieu doit alors être purement actuel23 et posséder les attributs divins24 abordés précédemment. Il s’ensuit donc que le Dieu du théisme classique n’est pas une croyance optionnelle acceptée en plus seulement sur la base de l’autorité des Écritures ou de l’autorité ecclésiastique25. Cette conception de Dieu est en fait le fruit d’environ deux mille ans26 de réflexions philosophiques rigoureuses.
2. Le théisme classique a été défendu lors de nombreux conciles de l’Église catholique ayant autorité
Parmi les conciles les plus notables, le quatrième concile de Latran (1215) et le premier concile du Vatican (1870) déclarent que Dieu est absolument simple et qu’il possède les autres attributs propres au théisme classique. Qui plus est, le premier concile du Vatican décrit Dieu comme étant « élevé au-dessus de tout ce qui est et peut se concevoir en dehors de lui ». Ce qui fait écho à notre remarque selon laquelle Dieu différait radicalement de toutes ses créatures. Il va de soi que cet argument ne vaut que pour ceux qui acceptent l’autorité de ces conciles27. Cependant, il est intéressant de noter que les principales affirmations du théisme classique figurent parmi les points essentiels à confesser pour rester catholique.
3. Il s’agit de la meilleure explication des données bibliques
Cet argument est plus difficile à défendre car il implique l’exégèse de nombreux textes bibliques sur lesquels il est dur d’atteindre un consensus. Mais son principe reste facile à comprendre. Premièrement, les auteurs de la Bible utilisent une grande diversité d’images pour décrire Dieu. La plupart d’entre elles sont anthropomorphiques. Si on essaye de les prendre littéralement, l’image complète qu’on obtient de Dieu sera incohérente, comme ces d’Écriture parlent aussi de la radicale singularité de Dieu de différentes façons. Par exemple Moïse apprend que Dieu est « Celui qui est8 », Ésaïe remarque que les pensées de Dieu sont « au-dessus des nôtres28 » et saint Paul s’exclame ainsi : « Que ses jugements sont insondables, et ses voies incompréhensibles ![Romains 9,33.]] »
Comment donc concilier et mettre ensemble toutes ces données bibliques ? Je prétends que le théisme classique est la meilleure harmonisation de ces deux vérités-ci : 1) les diverses images de Dieu et 2) les descriptions qui présentent Dieu comme un être transcendant. Cette tradition (notamment grâce à sa doctrine métaphysique de l’analogie) est parvenue à préserver la transcendance de Dieu tout en rendant justice au langage riche de l’Écriture.
4. Le théisme classique est la position de nombreux philosophes et théologiens antiques, médiévaux et contemporains de premier rang
Pour citer quelques noms : Platon, Aristote, Augustin, Thomas d’Aquin, Maïmonide, Avicenne et Averroès ont tous défendu au moins certaines vérités du théisme classique. À notre époque, on peut nommer Brian Davies, Herbert McCabe, Thomas Joseph White et Edward Feser29. En ce qui concerne les chrétiens non catholiques, Norman Geisler, un apologète évangélique de renom était un théiste classique. Parmi les réformés modernes on peut compter Paul Helm et James Dolezal.
Ce dernier argument vous fera remarquer que vous êtes en bonne compagnie intellectuelle. En lisant les œuvres de ces philosophes et de ces théologiens, et en étudiant leurs arguments, vous pourrez même trouver encore plus de raisons d’être théiste classique.
Illustration en couverture : Raphaël (1483-1520), L’École d’Athènes, Vatican, 1508-1512.
- Le judaïsme, le christianisme et l’islam.[↩]
- Le contraire de ce courant est ce que Feser appelle le « personnalisme théiste » dans Five Proofs of the Existence of God, p. 190-191 et Dolezal « le mutualisme théiste » dans le premier chapitre de All That Is in God. Il regroupe en gros tous les philosophes et théologiens qui nient au moins l’un des points fondamentaux (présentés ci-dessous) du théisme classique. Parmi lesquels on retrouve par exemple Alvin Plantinga, Richard Swinburne et Charles Hartshorne.[↩]
- Position officielle de l’Église catholique romaine, à laquelle tous les protestants ont longtemps souscrit, de même que les juifs et les musulmans[↩]
- Les créatures se trouvent dans une relation permanente à Dieu duquel elles dépendent pour leur existence. Dieu, cependant, ne dépend en rien de ses créatures. Tout comme une science humaine telle que la chimie dépend des éléments chimiques présents dans le monde en tant qu’objet d’étude. À l’inverse, les éléments chimiques ne dépendent pas de la chimie et ne sont donc pas relatifs à la chimie. Cf. Somme théologique, I, q. 13, a 7; and I, q. 6, a. 2, ad 1.[↩]
- « Il est impossible qu’en Dieu l’existence diffère de son essence, » Somme théologique, I, q. 3, a. 4. Cf. aussi Somme théologique, I, q. 4, a 2; q. 11, a. 4, où Thomas décrit Dieu comme « l’Être même subsistant par soi » (ipsum esse subsistens).[↩]
- « Moteur » est à prendre dans son sens philosophique traditionnel de cause du changement et « mu » dans le sens de « changé », « qui subit un changement ».[↩]
- Une chose est « contingente » si elle aurait pu exister ou ne pas exister. Par exemple je suis moi-même contingent car même si j’existe en ce moment, j’aurais pu ne pas exister si mes parents ne s’étaient pas rencontrés, si ma mère était allée vivre dans un autre pays, etc.[↩]
- Exode 3,14.[↩][↩]
- Ce qu’affirment un certain nombre de sceptiques en comparant Dieu à une telle créature dans le cadre d’une religion fictive et caricaturale appelée le pastafarisme. À titre d’exemple, c’est entre autres le cas d’un ancien professeur de sciences de la vie et de la terre (bien qu’il soit fort sympathique !) au lycée sur son site internet (avec du très bon contenu par ailleurs).[↩]
- Comme Mark Olivero l’a fait remarquer dans cette discussion Facebook, on peut aussi rajouter : l’aséité (le fait que Dieu ne dépend de rien, est indépendant) et l’infinité divines (sans aucune limite, aussi bien quantitative, comme il n’est même pas matériel, que qualitative ; par exemple il ne peut pas être meilleur, plus sage, plus intelligent qu’il ne l’est). Pour aller plus loin, lire cet article de Brian Leftow dans la Routledge Encyclopedia of Philosophy (avec beaucoup d’extraits gratuits en ligne).[↩]
- Eleonore Stump donne une très bonne explication de ces attributs dans cet épisode.[↩]
- Brian Carl approfondit cet point dans cet épisode sur la multiplicité des attributs divins.[↩]
- Colossiens 2,9.[↩]
- Timothy Pawl traite de cela et d’autres problématiques en christologie dans cet épisode.[↩]
- Expression reprise de Reginald Garrigou-Lagrange, Dieu, son existence et sa nature : Solution thomiste des antinomies agnostiques, Paris : Beauchesne, 1950, p. 358.[↩]
- Par opposition aux façons univoque et équivoque.[↩]
- « C’est pourquoi nous devons parler autrement : ces termes signifient bien la substance divine, et sont attribués à Dieu substantiellement ; mais ils ne réussissent pas à le représenter. » (Somme théologique, I, q. 13, a. 2).[↩]
- Êtres inanimés, êtres vivants, êtres sensitifs (les animaux), êtres-humains et êtres angéliques (les anges)[↩]
- Cf. cet épisode du Classical Theism Podcast.[↩]
- Dans le sens de pouvoir effectuer plusieurs actions différentes quand ils sont confrontés à un choix contrairement aux êtres liés à la nécessité qui ne peuvent pas choisir ni varier leurs actions comme les pierres, les plantes, les animaux (surtout les plus limités).[↩]
- Qu’Étienne Omnès a présenté ici.[↩]
- Quelque chose qui termine une série de choses, par exemple comme le terminus d’un train qui termine son trajet après toute une série de stations[↩]
- Dans cet épisode, je défends la première voie de Thomas d’Aquin pour arriver à un « actualiseur non-actualisé ».], métaphysiquement nécessaire[[Dans cet épisode, Robert A. Delfino défend la troisième voie de Thomas pour arriver à un être nécessaire.[↩]
- Lire le sixième chapitre de Five Proofs for the Existence of God d’Edward Feser pour une défense complète des arguments philosophiques en faveur des attributs divins.[↩]
- L’autorité infaillible de l’Église catholique romaine, car l’auteur est catholique romain[↩]
- Lire le deuxième chapitre de The Reality of God and the Problem of Evil de Brian Davies pour une autre présentation de l’argument de la contingence pour l’existence du Dieu du théisme classique.[↩]
- Ce qui n’est pas notre cas, puisque nous sommes un site internet réformé.[↩]
- Ésaïe 55,9.[↩]
- Il y a beaucoup d’autres penseurs mais j’ai choisi ces quatre car ce sont eux qui ont le plus inspiré le Classical Theism Podcast.[↩]
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