En quels sens les mots prédestination, préconnaissance, élection et dessein sont-ils utilisés dans ce mystère?
Cet article technique a pour seul but d’exposer le vocabulaire que la Bible utilise pour parler de prédestination, et de se fixer sur son sens exact. Voici une carte mentale résumant ce que nous allons décrire ensuite.
Prédestination – προορίζω
Car ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son Fils, afin que son Fils soit le premier-né de beaucoup de frères.
Romains 8,28
Si le mot « prédestination » n’est pas dans l’Écriture, son verbe « prédestiner » (προορίζω) l’est : Actes 4,28 ; Romains 8,29 ; Ephésiens 1,5.
Il a trois sens :
- Il désigne parfois tous les décrets de Dieu, au point où les pères de l’Église utilisaient le mot « prédestiner » pour toute providence de Dieu.
- Plus spécialement, pour les décrets qui concernent le salut, qu’il s’agisse d’élection ou de réprobation.
- Plus spécialement encore, pour les décrets d’élections seuls. Il se décompose alors en deux autres sens: la prédestination à la fin (être sauvé) mais aussi la prédestination aux moyens : il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son Fils (Romains 8,29).
Ainsi, lorsque prédestination est distinct de préconnaissance, c’est pour insister sur cette prédestination de moyens (les moyens que Dieu a décidé d’avance pour mener à notre salut).
La prédestination contient à la fois l’élection et la réprobation
La première « querelle prédestinarienne » après celle d’Augustin et de Pélage opposa Gottschalk à Jean Erigène au IXe siècle. Gottschalk, un calviniste avant l’heure1, soutenait que la prédestination n’était pas seulement pour l’élection, mais aussi la réprobation. Ses héritiers réformés maintiennent la même position, tandis que les catholiques du XVIIe siècle affirmaient que la réprobation était seulement « préconnue » de Dieu, et donc en un sens déterminée par l’homme. Voici les arguments de Turretin :
En premier lieu, le verbe προορίζω s’applique parfois aussi à des circonstances mauvaises, comme lorsqu’il est écrit : Le Fils de l’homme s’en va selon ce qui est déterminé (Luc 22,22) ou bien Hérode et Ponce Pilate se sont ligués dans cette ville avec les nations et avec les peuples d’Israël, pour faire tout ce que ta main et ton conseil avaient arrêté d’avance. (Actes 4,27)
En deuxième lieu, les Écritures utilisent des expressions très proches pour la réprobation. Même sans le verbe, l’idée est exprimée :
- Car Dieu ne nous a pas destinés à la colère, mais à la possession du salut par notre Seigneur Jésus-Christ. (1 Thessaloniciens 5,9, cf. aussi 1 Pierre 2,8)
- des vases de colère prêts pour la perdition. (Romains 9,22)
- Car il s’est glissé parmi vous certains hommes dont la condamnation est écrite depuis longtemps. (Jude 4)
- Le potier n’est-il pas maître de l’argile, pour faire avec la même masse un vase d’honneur et un vase d’un usage vil ? (Romains 9,21)
- L’Éternel a tout fait pour un but, même le méchant pour le jour du malheur. (Proverbes 16,4)
Troisièmement, la définition de prédestination – ordination d’une chose à sa fin par les moyens nécessaires à cette fin – n’exclut pas la réprobation.
Quatrièmement, le témoignage des pères de l’Église semble aller dans ce sens :
- Nous confessons que la prédestination du méchant est la mort et de l’élu est la vie. (concile de Valence)
- Il accomplit ce qu’il veut, utilisant avec convenance même des choses mauvaises comme si elles étaient les meilleures pour la damnation de ceux qu’il a prédestiné au châtiment. (Augustin, Enchiridion 26)
- La prédestination est double : soit des élus, soit du reste ou des réprouvés à la mort. (Isidore de Séville, Sentences 2,6)
Bref, même si parfois dans l’Ecriture le mot prédestiner s’applique strictement aux élus, il n’est pas exclu que par ailleurs, il s’applique aussi à la réprobation.
Préconnaissance – προγινώσκω
Car ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son Fils, afin que son Fils soit le premier-né de beaucoup de frères.
Romains 8,29
Il y a deux interprétations du mot :
- Le sens théorique, où Dieu a une « simple prescience » intellectuelle : il sait à l’avance, en tant qu’idée pure.
- Le sens pratique, où Dieu choisit de connaître quelqu’un dans le sens: avoir une relation avec lui. C’est là une activité de sa part.
Ce n’est donc pas seulement « savoir à l’avance », c’est aussi et parfois « savoir et juger à l’avance ». Et nous affirmons que c’est dans le sens pratique que l’Écriture utilise προγινώσκω :
- Au sens théorique, il n’y a aucune préconnaissance spéciale pour les élus. C’est au sens pratique qu’il est convenable d’utiliser connus d’avance appliqué aux seuls élus.
- La pure connaissance n’a aucune causalité comme le décrit l’Écriture. (Romains 8,29 ; 11,2 ; 1 Pierre 1,2)
- Dieu préconnaît les choses futures parce qu’il les as décidé comme on le prouvera après. Donc c’est au sens pratique qu’il convient d’utiliser « préconnaissance ».
Concernant l’usage, on fait une autre distinction :
- L’amour et la bienveillance qu’il a pour nous qui sont élus selon la prescience de Dieu le Père. (1 Pierre 1,2)
- Le décret par lequel il a décidé de nous aimer. Cf. Romains 8,29 déjà cité.
Election – ἐκλογή
Ce n’est pas vous qui m’avez choisi ; mais moi, je vous ai choisis
Jean 15,16
Le mot se retrouve dans la Bible appliqué à :
- Un appel à un office politique, comme l’élection de Saül en 1 Samuel 10,24.
- Lorsque l’on parle du fait que le peuple élu doit se séparer des nations en Deutéronome 4,37.
- Enfin, l’élection au salut éternel. Définition complète : le conseil de Dieu par lequel il a décrété d’avoir pitié de certains par grâce et de les sauver, de les libérer du péché par son Fils. On parle bien sûr ici de cette élection-là.
Elle se décompose encore en deux :
- Un sens objectif, l’élection en elle-même. Quoi donc ? Ce qu’Israël cherche, il ne l’a pas obtenu, mais les élus l’ont obtenu, tandis que les autres ont été endurcis. (Romains 11,7)
- Un sens formel, l’acte d’élection. afin que le dessein d’élection de Dieu subsiste, sans dépendre des œuvres, et par la seule volonté de celui qui appelle. (Romains 9,11)
On peut encore décomposer l’acte d’élection en deux :
- Le décret antécédent, celui qui est fait de toute éternité: Ce n’est pas vous qui m’avez choisi; mais moi, je vous ai choisis. (Jean 15,16)
- Le décret d’exécution dans le temps: parce que vous n’êtes pas du monde, et que je vous ai choisis du milieu du monde, à cause de cela le monde vous hait. (Jean 15,19)
Contrairement à « prédestination », « élection » est plus strict et ne s’applique qu’à ceux qui sont choisis pour le salut. Il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. (Matthieu 22,14)
Dessein – πρόθεσις
Nous savons, du reste, que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son dessein.
Romains 8,28
Turretin le définit ainsi :
Πρόθεσις est souvent utilisé par Paul au sujet de l’élection pour montrer que le conseil de Dieu n’est pas un acte de la volonté inefficace et vide, mais qu’il est constant, déterminé et immuable. Car ce mot est utilisé pour désigner l’efficacité, comme nous l’enseignent les anciens grammairiens.
L’idée maîtresse de ce mot est donc l’efficacité.
- Cela est contesté par Etienne Gilson, dans La philosophie du Moyen-âge. Selon lui, Gottschalk soutenait une prédestination au péché et non seulement à la réprobation. Si cela est avéré, Turretin ne ferait que relayer ici une erreur courante à son époque[↩]
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