Le Martyre de Polycarpe est une lettre de l’Église de Smyrne pour l’Église universelle, qui raconte le martyre de Polycarpe, disciple de l’apôtre Jean, au tout début du IIe siècle. Il est accessible facilement en français ici.
L’épître est souvent utilisée dans l’apologétique romaine pour justifier le culte aux reliques, à cause du soin particulier qu’a mis l’Église de Smyrne à récupérer les ossements de Polycarpe, et de l’honneur qui lui était rendu. Mais nous allons voir que cet honneur n’était pas conçu pour être intégré dans un culte aux saints, puisque l’Église de Smyrne nie explicitement rendre un culte à Polycarpe : il s’agit seulement d’un hommage. Après la mort de Polycarpe, le magistrat refuse d’abord de rendre le corps :
[Le diable] souffla donc à Nicétès, le père d’Hérode et le frère d’Alcé, de persuader le magistrat de ne pas rendre le corps. Car, disait-il, ils vont oublier leur crucifié pour se mettre à adorer celui-ci. Les Juifs appuyaient frénétiquement ces discours. Ils nous avaient épiés quand nous avions tenté de le reprendre sur le bûcher. Ils ne savaient pas que jamais nous ne pourrons renoncer au Christ qui a souffert pour le salut du monde entier, immolant son innocence à nos péchés ; nous n’en adorerons jamais un autre. Nous vénérons le Christ parce qu’il est le Fils de Dieu, et nous aimons les martyrs parce qu’ils sont les disciples et les imitateurs du Seigneur. Leur ferveur incomparable envers leur roi et leur maître mérite bien cet hommage. Puissions-nous aussi être leurs compagnons et leurs condisciples.
Martyr de Polycarpe, §17
Plusieurs remarques :
- Il n’y a pas de distinction latrie/dulie ici : « nous vénérons le Christ » traduit le verbe προσκυνεῖν rendre un hommage religieux ; « nous aimons » rend le terme ἀγαπᾶν aimer qui s’applique à des prochains, en général. Ce terme n’admet pas de contenu religieux particulier, alors que vénérer est un terme proprement religieux.
- Cette observation est renforcée par l’égalité revendiquée par l’Église de Smyrne : puissions-nous être leurs compagnons et condisciples.
- Le recueil des restes du corps n’est donc pas une démarche religieuse, n’est pas centré sur la personne de Polycarpe et sa sainteté intrinsèque, mais sur Jésus-Christ et les dons de sa grâce accordés à Polycarpe : Nous aimons les martyrs parce qu’ils sont les disciples et les imitateurs du Seigneur. Leur ferveur incomparable envers leur roi et leur maître mérite bien cet hommage.
- Il n’y a pas ici l’idée d’une quelconque médiation des saints, avec ou sans reliques.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le soin avec lequel ils recueillent les restes de Polycarpe : non pour leur rendre un hommage religieux, mais pour un hommage civil afin d’édifier l’Église. On y retrouve là non l’idolâtrie papiste, mais bien plutôt ce que proposait François Turretin :
Cependant nous ne nions pas qu’une diversité d’hommage soit légitime, selon la diversité d’excellence des choses ; et nous concédons facilement qu’à cause de l’excellence de ce qui est incréé et infini d’une part et de ce qui est créé et fini d’autre part, il est possible d’admettre deux types de cultes, l’un religieux rendu à Dieu seulement, et l’autre civil pour les créatures. On peut même distinguer au sein de ce culte civil entre ce qui concerne notre citoyenneté mondaine, qui consiste dans les offices de révérence, d’amour, et de déférence rendue aux hommes — même ceux qui sont étrangers à la foi. Ou bien le culte civil rendu à notre citoyenneté d’en-haut qui consiste dans l’honneur que nous rendons à la maison de la foi, ou bien entre vivants par la communication des offices, ou bien aux morts par l’amour, la louange, la mémoire, l’imitation, etc. Cependant nous ne commettons pas l’erreur grave de diviser le culte religieux en plusieurs grades, mais nous affirmons qu’il est unique en son être, qu’il appartient à Dieu seulement, et qu’il est incommunicable à toutes les créatures.
François Turretin, Institution de théologie élenctique, 11.7.9.
Ainsi donc, les protestants ont un usage des saints bien plus proche et respectueux de ce que faisait l’Église primitive que les catholiques romains.
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