L’article qui suit a été publié en juillet 2022 sur First Things par Peter Leithart. Pasteur réformé américain et père de dix enfants, il est le président de l’Institut Theopolis, que nous remercions pour l’aimable autorisation de traduction.
Ma femme et moi nous sommes mariés à l’automne, après avoir obtenu notre diplôme universitaire. Nous étions tous deux vierges. Notre premier fils est né dix mois plus tard et, pendant les quinze années suivantes, nous avons eu un enfant tous les deux ans environ. Ils étaient plus espacés à la fin et, quand les choses se sont calmées, au début des années 2000, nous avions dix enfants, six garçons et quatre filles. Pendant plus de vingt ans, ma femme était soit enceinte, soit s’occupait d’un nouveau-né ou d’un enfant en bas âge, puis elle est devenue sage-femme et a commencé à s’occuper d’autres femmes enceintes et de leurs nouveau-nés. Nous avons commencé notre vie de parents au début des années 80 du siècle dernier, et notre plus jeune part à l’université à la fin de ce mois. Après avoir élevé des enfants pendant près de quarante ans, nous allons nous retrouver (plus ou moins) avec le nid vide.
Ni ma femme ni moi n’avions papillonné avant de nous marier. Notre alma mater1, le Hillsdale College, n’organisait pas d’orgies et n’encourageait pas les expériences de promiscuité (ce n’est d’ailleurs toujours pas le cas). Aucun de nous deux n’a eu de liaison. Selon les critères actuels, nous avons partagé une vie ennuyeuse et peu sexy.
Cela ne nous dérange pas, car nous sommes convaincus que les normes actuelles ne savent pas ce qu’est réellement le sexe. On nous dit que le sexe est l’expérience de la passion extatique lorsque nous nous perdons dans l’intensité de notre propre plaisir et de celui de notre amant. L’orgasme s’estompe, nous nous câlinons et parlons (ou pas), et le sexe est terminé. C’est tout à fait faux. Aucun acte n’est terminé quand il est terminé. Comme l’a souligné Maurice Blondel, nos actions nous échappent, s’étendant au-delà de nos objectifs et de nos désirs vers des achèvements que nous n’avions ni voulus ni souhaités. En théorie, nous pouvons distinguer les actes et les conséquences, mais dans la vie réelle, ils sont toujours inextricablement liés. Cela signifie que suivre les effets découlant de notre action fait partie de l’action elle-même. Nous aimons que ce qui découle de nos actions soit un plus : nous apprécions être récompensés pour des résultats que nous n’avions pas anticipés. Nous n’aimons pas, en revanche, les résultats désastreux. Je brûle un stop en envoyant un SMS au volant, et je suis à juste titre tenu responsable des dommages que je cause à un autre conducteur et à sa voiture. L’expression « je n’avais pas l’intention de faire ça » a du sens, mais quelle que soit mon intention, il s’agit toujours d’une « conduite imprudente », voire d’un « homicide involontaire ». Nous n’allons au bout de nos actes que lorsque nous en assumons les conséquences. La récompense et le coût sont deux facettes du même principe.
Notre tendance à découpler le sexe de ses conséquences est l’une des distorsions profondément inhumaines causées par le régime de l’avortement et la mentalité contraceptive qui l’imprègne. La technologie et les « solutions » facilement disponibles nous ensorcellent en nous faisant croire que nous pouvons nous engager dans l’acte humain le plus intimement personnel sans avoir à le compléter dans une relation personnelle qui se prolonge. Nous nous sommes convaincus que nous pouvions accomplir l’acte qui maintient l’espèce humaine en vie sans avoir à nous soucier de maintenir l’espèce humaine en vie — et même en ayant délibérément l’intention de ne pas maintenir l’espèce humaine en vie. Le sexe est devenu abortif, même lorsqu’il ne se termine pas par un avortement.
Nous avons oublié à quoi sert le sexe. Oui, c’est pour le plaisir, et le plaisir est un bon cadeau de notre Père. Oui, c’est l’expression la plus complète du don de soi pour lequel nos corps conjugaux ont été conçus. Mais nous avons oublié que, comme l’a récemment affirmé Audrey Pollnow, la possibilité de concevoir fait partie du « plaisir et de l’excitation » de l’acte sexuel. Les actes sexuels qui éludent ce plaisir plus complet « sont illusoires, sentimentaux et déformants : ils impliquent l’expérience de faire l’acte de procréation sans le faire réellement ». Pour consolider son influence juridique en perte de vitesse, le lobby de l’avortement a jugé nécessaire de diaboliser le potentiel procréateur du sexe. Kat Rosenfield a récemment rapporté sur UnHerd que les militants pour l’avortement, les médecins et les médias ont conspiré pour placarder sans relâche « l’idée de la grossesse et de l’accouchement comme un danger ». Le message est qu’« aucune femme saine d’esprit ne mènerait une grossesse à terme à moins d’avoir une sorte de pulsion de mort ». Le lobby de l’avortement dénigre les sacrifices consentis pour donner la vie, alors qu’il pleure la perte de la liberté de la prendre.
En décembre dernier, toute notre famille s’est réunie à l’extérieur d’Atlanta pour le mariage de notre fils cadet. Alors que je luttais avec nos petits-enfants et les poursuivais dans notre logement de location, que je regardais nos fils jouer aux échecs dans une brume de fumée de cigare, que je mangeais et buvais, que je discutais avec les enfants, les petits-enfants et les beaux-parents, j’ai été submergé par l’abondance même qui nous entourait. Il y a quarante ans, il n’y avait que ma femme et moi. Aujourd’hui, il y a trente et un êtres humains supplémentaires qui n’existeraient pas sans nous. La prolifération ne se limite pas aux chiffres. C’est une prolifération de projets, de plans, d’aspirations, de réalisations, de dons et de talents ; de dîners, de fêtes, de chansons ; d’enseignement et d’apprentissage, de plaisanteries et de rires, de conversations et de débats, de cultes et de prières, de pertes et de larmes. Ma femme et moi avons donné au monde un avocat, quelques enseignants, plus d’un écrivain, un concepteur de jeux, un musicien et quelques cinéastes, une assistante de direction qui dirige une organisation à but non lucratif, une assistante sociale, des maris et des femmes, des pères et des mères, des garçons et des filles avec des projets et des aspirations qui porteront leurs fruits bien après que ma femme et moi serons partis. Si Dieu le veut, les Leithart continueront à proliférer pendant mille générations.
C’est ce que la Bible entend par « bénédiction », et tout a commencé lorsque ma femme et moi avons tenu notre promesse de n’être « que pour toi ». Nous avons vécu la vie sexy pour laquelle Dieu a créé le sexe.
Illustration en couverture : Eugenio Zampighi (1859-1944), le favori de grand-père.
- Alma mater (« mère nourricière ») désigne l’université où quelqu’un a étudié. (NdT)[↩]
Mince, il semble que j’aie raté quelque chose.
un article merveilleux. continuez à nous fournir des articles aussi édifiant !