L’imitation de la Vierge Marie — Charles Drelincourt
29 septembre 2023

Après avoir rappelé ce que croient les Églises réformées au sujet de la mère de Dieu, au chapitre I du traité De l’honneur qui doit être rendu à la sainte et bienheureuse Vierge Marie, Charles Drelincourt s’attèle à décrire le rôle que la Vierge doit jouer dans notre piété : considérée comme une sainte, sa mémoire et sa place dans l’histoire du salut sont respectées ; exemple de foi et d’espérance jusqu’au pied de la croix, elle est aussi un modèle à imiter pour le chrétien, une créature extraordinaire qui reçoit les plus hauts honneurs de son Créateur de fils. Considérer la grâce qui a été faite à Marie ne revient jamais qu’à louer Celui qu’elle a porté.

Comme précédemment, le texte de Drelincourt est légèrement modernisé ; l’Écriture est citée dans la traduction Segond « à la colombe ».


Chapitre II – De l’honneur que nous rendons à la sainte et bienheureuse Vierge

De ce qui a été représenté au chapitre précédent, il est évident que la sainte et bienheureuse Vierge doit être chérie et honorée de tous les chrétiens, et qu’il n’y a que les âmes infernales qui puissent l’avoir en haine ou en parler avec mépris.

Toutes les générations la diront bienheureuse

L’honneur que nous lui rendons consiste en plusieurs chefs ; car premièrement nous vénérons sa mémoire, nous parlons d’elle avec toutes sortes de respects, et prenons un singulier plaisir à célébrer ses louanges.

Secondement, nous louons Dieu de tout notre cœur et de toutes les forces de notre âme, des grâces et des faveurs qu’il nous a faites par son moyen, car c’est par cette bienheureuse Vierge qu’il s’est allié avec nous. C’est de son corps sacré qu’il a pris la chair qu’il a élevée au-dessus des hommes et des anges.

En troisième lieu, nous croyons aux paroles qui sont sorties de sa bouche, nous embrassons sa foi et sa religion, et tâchons de suivre tous les enseignements que le Saint-Esprit nous a laissés par cet organe de sa grâce.

De plus, nous la proposons en exemple pour bien vivre, aussi bien que pour bien croire. Nous tâchons d’imiter sa piété, sa charité, son zèle, sa pureté, son humilité, sa patience, sa constance et généralement toutes les vertus chrétiennes dont elle a été enrichie à un excellent degré.

Enfin, nous exaltons son bonheur et sa félicité, accomplissant les paroles de cette véritable prophétie : Voici : désormais toutes les générations me diront bienheureuse1. Jamais nous ne pensons à la dignité de notre rédempteur et à sa divine sagesse que notre cœur ne tressaille de joie. Nous disons de bon cœur avec la femme dont il est parlé en l’Évangile : Heureux le sein qui t’a porté, et les mamelles qui t’ont allaité2. Car se peut-il imaginer un bonheur plus grand et plus admirable que de concevoir dans le temps celui qui été engendré de Dieu le Père avant les fontaines et les abîmes3, et dont l’origine remonte au lointain passé, aux jours d’éternité4, de porter dans son corps celui qui soutient toutes choses par sa parole puissante5? De renfermer dans son ventre celui que les cieux et les cieux des cieux ne peuvent contenir6, et dont la terre n’est que le marchepied7? D’engendrer celui par lequel tout a été créé dans les cieux et sur la terre, ce qui est visible et ce qui est invisible, trônes, souverainetés, principautés, pouvoirs8? D’être la mère de son Dieu et de son rédempteur ? De nourrir celui qui donne pâture à tous les animaux et les abreuve de son trésor9? D’allaiter celui qui fait sucer à tous les élus inépuisables son sein qui console, et qui fait savourer avec délices la surabondance de sa gloire10? De se voir honorée par celui que les anges adorent, et en la présence duquel les séraphins se couvrent de leurs ailes ?

Marie est bénie entre toutes les femmes

Certes, ce n’est point sans raison que sainte Élizabeth dit que la bienheureuse Vierge est bénie entre les femmes11; car il n’y a jamais eu de femme sur la terre qui ait reçu une bénédiction semblable. Dieu d’une main libérale verse sur ses créatures une infinité de faveurs. Il épand sur les humains une mer de richesses. Mais ayant une grâce relevée par-dessus toutes les autres, autant que les cieux sont relevés par-dessus la terre, une bénédiction unique en son espèce, et qui ne pouvait être communiquée qu’à une seule personne, il en a honoré la sainte Vierge. La gloire de toutes les princesses du monde n’est rien comparée à cela ; car quand une même femme se pourrait vanter d’être la mère de tous les rois et potentats, de tous les empereurs et les monarques qui ont régné en tous les âges du monde, ce ne serait pas un honneur approchant à celui dont peut se glorifier la sainte et bienheureuse Vierge, d’être la mère de celui aux pieds duquel les rois et les monarques jettent leurs sceptres et leurs couronnes, au regard duquel les nations sont comme unne goutte qui tombe d’un seau, elles ont la valeur de la poussière sur une balance12. Plus encore, toutes les nations sont devant lui comme rien, elles ont moins de valeur pour lui que néant et vide13.

Nous célébrons le bonheur d’une Sarah, à laquelle Dieu donna un Isaac en sa vieillesse, d’une Rachel, à laquelle il donna un Joseph, d’une Anne, à laquelle il donna un Samuel, de la femme de Manoah stérile, à laquelle Dieu donna un Samson, de Bethsabée, à laquelle il donna un Salomon ; mais Isaac, Joseph, Samson, Samuel et Salomon n’étaient que les ombres et les figures de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. Ce n’étaient que les messagers et les ambassadeurs de cet époux céleste.

Marie est bénie entre tous les hommes

Nous exaltons la faveur que Dieu a faite aux anciens patriarches qui ont logé des anges en leurs maisons. Mais qu’est-ce au prix de loger en soi-même, et d’unir à ses entrailles celui que mille milliers servaient, et des myriades se tenaient en sa présence14?

Nous estimons les prophètes bienheureux d’avoir vu en esprit le jour du Seigneur et de s’en être réjouis ; d’avoir si clairement prédit les souffrances de Christ et la gloire qui s’ensuivrait15. Mais cela est fort peu de choses au regard de la joie inénarrable et glorieuse dont a été ravie la sainte Vierge, qui a vu de ses yeux et touché de ses mains la parole de Vie, et qui a pu témoigner de l’anéantissement de notre Sauveur, et de la gloire de sa magnificence.

Nous prisons l’avantage des apôtres qui ont conversé familièrement avec notre Seigneur, mangeant et buvant à sa table, et surtout la faveur du disciple bien aimé, qui reposait sur le sein de son maître ; mais la sainte et bienheureuse Vierge a porté elle-même Jésus-Christ en son sein, elle l’a nourri de sa propre substance, elle a été faite un même corps avec lui.

Marie est bénie entre toutes les créatures

Et non seulement nous croyons que Dieu a favorisé la sainte et bienheureuse Vierge plus que tous les patriarches, les prophètes et les apôtres, mais aussi qu’il l’a exaltée par-dessus tous les anges et les séraphins ; car Dieu n’a point pris la semence des anges, mais il a pris la semence d’Abraham16 au ventre de la Vierge. Les anges ne peuvent se qualifier que de serviteurs du fils de Dieu, ses créatures et l’ouvrage de ses mains ; mais la sainte Vierge est non seulement la servante et la créature, mais aussi la mère de ce grand Dieu vivant.

Marie a reçu la plus grande des grâces sur terre

Nous la croyons bienheureuse d’avoir conçu Jésus-Christ en son corps, mais encore plus heureuse de l’avoir conçu en son cœur, et d’avoir cru en lui comme en son Dieu et en son Sauveur. Nous la croyons bienheureuse d’avoir allaité le rédempteur du monde, mais encore plus heureuse d’avoir sucé elle-même les mamelles de ses consolations, et d’avoir été du nombre de ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent17. Car elle n’a porté Jésus-Christ que neuf mois en son corps, mais elle le portera éternellement en son cœur. Il n’y a ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni puissances qui puisse jamais l’en arracher. Elle n’a allaité Jésus-Christ de ses mamelles que durant l’espace d’un an ou de deux, mais elle sera abreuvée éternellement au fleuve de ses délices, et trouvera à jamais en sa face un rassasiement de joie.

Nous publions donc à bouche ouverte la grandeur de sa béatitude, et croyons fermement que, comme elle a reçu ici-bas la grâce la plus précieuse et la faveur la plus rare dont une créature pouvait être honorée, aussi maintenant elle jouit au ciel de la plus haute et plus sublime gloire dont une âme humaine peut être capable. Si l’apôtre saint Pierre, pour avoir vu Jésus-Christ transfiguré en la montagne de Tabor, fut tellement ravi qu’oubliant ce qu’il avait de plus cher au monde, il disait, Seigneur, il est bon que nous soyons ici ; si tu le veux, je dresserai ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie18, que pensez-vous que soit le consentement de la bienheureuse Vierge, de voir Jésus-Christ élevé jusqu’au plus haut des cieux et transfiguré en une gloire et magnificence dont celle de Tabor n’était qu’une étincelle et une légère image ?

Marie contemple son Fils au ciel

Quoique je n’aie pas été ravi comme saint Paul jusqu’au troisième ciel pour voir les richesses inénarrables du paradis, je ne doute point que la bienheureuse Vierge, sans prendre aucune part à tout ce qui se fait sous le soleil, ne contemple avec un ravissement de joie celui qu’elle a autrefois enveloppé de bandelettes, revêtu maintenant d’une lumière plus resplendissante que celle du soleil en plein midi ; celui pour qui elle ne trouvait point de place en une hôtellerie, et qui n’avait pas où reposer son chef, être Seigneur de l’univers, et avoir en sa puissance toutes les demeures qui sont en la maison de son Père ; celui qu’elle a couché en une crèche, être élevé à la droite de Dieu ; celui qu’elle avait été contrainte de cacher par crainte d’Hérode, faire trembler les plus superbes monarques et triompher glorieusement des portes des enfers ; celui qu’elle a vu lié et garotté comme malfaiteur, attacher toutes les malices infernales aux chaînes de son empire, et aux liens d’une éternelle obscurité ; celui qu’elle a vu couronné d’épines, être couronné de gloire, et avoir sur son chef un arc céleste de couleur immortelle ; celui qu’elle a vu cloué à une croix honteuse, être élevé sur un char triomphant, et assis sur un trône d’une éternelle magnificence ; celui qu’elle a vu abreuvé de fiel et de vinaigre, faire découler de son trône un fleuve de célestes voluptés ; celui qu’elle a vu entre des brigands et contre lequel on vomissait mille et mille blasphèmes, être maintenant environné de tous les esprits bienheureux, et de tous les anges glorieux qui l’adorent incessamment, qui font résonner sur leurs harpes ses louanges divines et fumer sur son autel les sacrifices de leurs saintes prières ; celui qu’elle a vu dans les prisons de la mort, disposer maintenant à son plaisir des couronnes de vie, des trônes de gloire, des triomphes éternels.

Jésus a comblé Marie de récompenses

Si Joseph reçut avec des larmes de joie son père qui était allé en Égypte pour voir sa face et participer aux fruits de ses dignités, combien plus le fils de Dieu, le Sauveur, et le rédempteur du monde aura-t-il reçu avec allégresse cette bienheureuse mère, qui s’est jetée entre ses bras et qui est montée au ciel pour aller contempler la gloire de son saint paradis ? Si au plus fort de ses douleurs il lui a témoigné ses tendres affections, en la recommandant à son bien-aimé disciple, combien plus lui fera-t-il sentir les effets de son amour et de sa bienveillance, maintenant que Dieu l’a élevé au-dessus de toute principauté, autorité, puissance, souveraineté19? Bref, s’il promet une récompense glorieuse à ceux qui auront nourri et revêtu ses membres, jusqu’à vouloir prendre en compte un verre d’eau froide qui aura été donné au plus petit de ceux qui croient en son nom20, de quelle gloire n’aura-t-il récompensé, de quelle joie et félicité n’aura-t-il comblé cette Vierge sacrée, qui l’a nourri lui-même de sa propre chair et abreuvé de son sang ?

Mais ma plume, arrête ici ton vol, car pour décrire une si grande gloire, une si parfaite et accomplie félicité, il faudrait en avoir la jouissance.


Illustration de couverture : Henry Ossawa Tanner, Christ et sa mère étudiant les Écritures, huile sur toile, vers 1909 (musée d’art de Dallas).

  1. Luc 1,48.[]
  2. Luc 11,27.[]
  3. Cf. Proverbes 8,24.[]
  4. Michée 5,1.[]
  5. Hébreux 1,3.[]
  6. 1 Rois 8,27.[]
  7. Ésaïe 66,1.[]
  8. Colossiens 1,16.[]
  9. Cf. Psaume 104,27.[]
  10. Ésaïe 66,11.[]
  11. Luc 1,42.[]
  12. Ésaïe 40,15.[]
  13. Ésaïe 40,17.[]
  14. Daniel 7,10.[]
  15. 1 Pierre 1,11.[]
  16. Hébreux 2,16. La version Segond s’écarte de cette traduction : Car assurément ce n’est pas à des anges qu’il vient en aide [ἐπιλαμβάνεται], mais c’est à la postérité d’Abraham.[]
  17. Luc 11,28.[]
  18. Matthieu 17,4.[]
  19. Éphésiens 1,21.[]
  20. Cf. Matthieu 10,42.[]

Arthur Laisis

Linguiste, professeur de lettres, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin et lecteur dans les Églises réformées évangéliques de Lituanie. Principaux centres d'intérêts : ecclésiologie, christologie, histoire de la Réforme en Europe continentale. Responsable de la relecture des articles du site.

3 Commentaires

  1. Dannie Gélinas

    Comment pouvez-vous parler ainsi d’une femme qui comme vous et moi faisait des péchés et la placer comme si elle avait des privilèges parce qu’elle était la mère de Jésus elle a été choisie mais elle n’a rien de plus que nous. Le Seul et unique qui doit être honoré et élevé c’est Dieu. Et il le dit bien je suis un Dieu jaloux. Personne ne doit être placé au dessus, pas même Marie.

    Réponse
    • Maxime Georgel

      La Bible nous appelle à imiter les patriarches, dont les péchés nous sont rapportés en détail. À plus forte raison peut-on imiter la vierge, à propos de laquelle la Bible ne s’étend pas sur les péchés.

      Réponse
    • Arthur Laisis

      Élisabeth ne semble pas avoir les mêmes réserves que vous : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. » (Luc 1,42).

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