La foi mariale des Églises réformées — Charles Drelincourt
27 septembre 2023

Charles Drelincourt est un des plus grands théologiens français du XVIIe siècle, et un ferme défendeur de l’orthodoxie réformée. Il est donc d’autant plus intéressant de le voir s’engager dans un débat œcuménique, sur une question minée (sinon tabou) pour bien des évangéliques actuels, tant elle semble un « pré carré » du catholicisme : la foi et la piété mariales.

Charles Drelincourt (1595-1669)

Ordonné en 1618 (il tente d’implanter une Église à Langres, mais échoue à obtenir l’autorisation nécessaire pour le faire) et installé finalement en 1620 à Charenton (où il succède à Pierre du Moulin), Charles Drelincourt publie en 1634 un traité d’une cinquantaine de pages intitulé De l’honneur qui doit être rendu à la sainte et bienheureuse Vierge Marie. La préface (que nous ne reproduisons pas ici) est dédiée à Mme Catherine de Champagne de Suze ; il s’agit de la veuve d’Amaury II, marquis de La Moussaye en Bretagne, de la famille de Goyon (Goüyon). Feu son mari avait montré beaucoup de zèle dans l’implantation d’une Église réformée sur ses terres bretonnes.

Charles Drelincourt déclare dans sa préface (écrite quelques jours avant Noël 1633) avoir voulu battre en brèche « la calomnie la plus ordinaire de laquelle on nous [les protestants] diffame », à savoir « que nous déshonorons la bienheureuse Vierge et que nous en parlons avec mépris » — et c’est assurément une idée encore bien ancrée chez beaucoup de chrétiens catholiques ou orthodoxes ; il est vrai que certains protestants eux-mêmes (qu’ils soient libéraux ou évangéliques) peuvent d’ailleurs prêter le flanc à ce genre d’accusations. En réponse, Charles Drelincourt produit sans nul doute un des témoignages les plus éloquents de piété mariale protestante : il entreprend de convaincre « que nous portons mille fois plus de respect à la sainte Vierge que ceux qui nous calomnient ».

Le traité se compose de trois brefs chapitres et d’une prière annexe, que nous présenterons l’un après l’autre. Il donne lieu à une réaction de Jean-Pierre Camus, évêque de Belley, un prélat ayant à cœur l’« avoisinement des protestants vers l’Église romaine » (titre d’un traité de 1640). S’ensuit entre les deux théologiens un débat plutôt courtois (et plus fouillé que le traité initial) qui donnera à Drelincourt l’occasion de préciser sa pensée. Cette controverse a été présentée dans un article du chanoine Georges Bavaud.

Jean-Pierre Camus (1584-1652), évêque de Belley, apologète catholique et interlocuteur de Charles Drelincourt.

Le premier chapitre, dogmatique, insiste sur la réception des dogmes mariaux par l’Église réformée. Drelincourt réaffirme :

  • Que le Christ reçut sa nature humaine de la Vierge Marie ; Marie ne fut donc pas qu’une mère porteuse ou un « récipient » pour l’incarnation du Verbe divin ; mais celui-ci étant la descendance de la femme (Gn 3,15), Marie est véritablement la mère biologique du Sauveur.
  • Que l’enfant des entrailles de Marie fut conçu du Saint-Esprit, « sans œuvre d’homme », le Saint-Esprit y suppléant.
  • Que Marie était non seulement vierge au moment où elle conçut du Saint-Esprit (virginité ante partum), mais qu’elle le demeura en lui donnant naissance (virginité in partu) et dans le reste de sa vie (virginité post partum).
  • Que l’enfant des entrailles de Marie est le fils éternel de Dieu qui a uni à lui une nature humaine, en une seule personne (hypostase), et que par conséquent, Marie peut justement être appelée mère de Dieu.

C’est la christologie du concile de Chalcédoine qui est exposée, et Drelincourt ne dépareille pas de ses contemporains sur ce points. L’Immaculée Conception et l’Assomption n’étant pas à l’époque des dogmes officiels de l’Église romaine, ils ne sont pas mentionnés explicitement ; toutefois, Drelincourt insiste dans la suite du texte tant sur la sainteté de la Vierge que sur sa gloire céleste. Les souffrances de Marie à la Passion (transfixion) ne sont pas non plus absentes. Le parallèle entre Marie, mère de Jésus, et un autre héros de la foi, Abraham père d’Isaac, est enfin souligné à plusieurs reprises.

Comme à notre habitude, le texte de Drelincourt est légèrement modernisé ; l’Écriture est citée dans la traduction Segond « à la colombe ».


Chapitre I – La croyance de nos Églises touchant la sainte et bienheureuse Vierge Marie

Marie est véritablement mère de Jésus

Nous croyons que la sainte et bienheureuse Vierge est véritablement mère du sauveur du monde, qu’elle l’a conçu en ses entrailles et engendré de sa propre substance. Nous ne sommes nullement de l’opinion de ces fanatiques qui estiment que la matière dont a été composé le précieux corps de notre Seigneur Jésus-Christ est descendue des cieux, et qu’elle n’a passé par le ventre de la Vierge que comme par un canal. Ce serait renverser les fondements de la foi chrétienne, et arracher de nos âmes leurs plus douces et plus salutaires consolations. Car il fallait que le péché fût expié en la même nature qu’il avait été commis, et que nous fussions véritablement frères de notre rédempteur, et membres de son corps, étant de sa chair et de ses os.

Et de fait, Dieu avait annoncé à nos premiers parents que la semence de la femme briserait la tête du serpent. Il avait prédit par la bouche de Moïse que le grand prophète naîtrait d’entre ses frères, les enfants d’Israël, et avait promis à David, même avec serment, que du fruit de ses reins, selon la chair, il susciterait le Christ pour le faire asseoir sur son trône. C’est pourquoi l’apôtre saint Paul dit formellement que le fils de Dieu est né d’une femme1, qu’il est né de la descendance de David selon la chair2, et que puisque les enfants participent au sang et à la chair, lui aussi, d’une manière semblable y a participé, afin d’écraser par sa mort celui qui détenait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable, et de délivrer tous ceux qui, par crainte de la mort, étaient toute leur vie retenus dans l’esclavage3.

Marie est véritablement vierge

Nous croyons que notre Seigneur a été engendré d’une façon tout à fait miraculeuse. Il est né d’une vierge, sans aucune œuvre d’homme, selon ce qu’il avait été prédit par Ésaïe, Voici, la vierge sera enceinte, et enfantera un fils, et on appellera son nom Emmanuel. Le Saint-Esprit est intervenu en cette conception, non point comme cause matérielle, mais comme cause efficiente, car de la chair et du sang de la bienheureuse Vierge, il a formé le précieux corps du fils de Dieu. Il a dressé le pavillon de sa gloire et le saint temple de sa divinité. L’ange Gabriel nous découvre ce grand mystère, car lorsque la sainte Vierge lui demande comment cela se produira, puisqu’elle ne connaît pas d’homme4, il répond : le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi, le saint enfant qui naîtra sera appelé Fils de Dieu5.

Cette bienheureuse mère est demeurée vierge en l’enfantement même, et après l’enfantement. Nous serions bien misérables de révoquer en doute une vérité que la parole de Dieu nous enseigne si clairement, car rien n’est impossible à Dieu. Lui qui sans l’entremise d’aucune créature a édifié Ève la mère de tous les vivants6, d’une des côtes d’Adam ; qui a formé le premier homme du limon de la terre, et qui soufflant sur une poudre morte, y a mis respiration de vie. Bref, lui qui a tiré du néant tout ce grand univers, se trouverait-il empêché de bâtir un corps humain de la substance d’une vierge ? Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande (lui dit notre Seigneur) ; mais tu m’as formé un corps7.

Marie est véritablement mère de Dieu

La Parole a été faite chair. Le fils éternel de Dieu a uni à soi, non pas une personne, mais une nature humaine ; car comme en la très sainte et très glorieuse Trinité il y a trois personnes en unité de nature et d’essence, aussi y a-t-il au Fils deux natures en unité de personne. Je ne parle que de deux natures, d’autant que sous le nom de la nature humaine je comprends l’âme de Jésus-Christ créée immédiatement de Dieu, qui est le père des esprits8, et son corps formé (comme je viens de dire) de la substance de la Vierge. À cause de cette étroite et incompréhensible union, ce qui convient à l’une des natures peut être attribué généralement à la personne. Tout ainsi donc que l’apôtre saint Paul dit que les Juifs ont crucifié le Seigneur de gloire9, et que Dieu a racheté l’Église par son sang10, nous ne faisons point de difficulté de dire avec les Anciens que la Vierge Marie est la mère de Dieu11, car celui qu’elle a engendré est Dieu sur toutes choses, béni éternellement12. C’est un Dieu manifesté en chair13; un Dieu, qui pour se rendre accessible aux mortels, a emprunté le voile de leur nature infirme. Comme Moïse, qui descendant de la montagne en laquelle il avait été quarante jours et quarante nuits, fut contraint de couvrir sa face, parce que les enfants d’Israël n’en pouvaient souffrir la resplendeur.

Marie est véritablement sainte

Défendre l’honneur de Marie

Quand il n’y aurait que cette seule considération, que la Vierge Marie est la mère de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ, son nom nous doit être à jamais en bénédiction, et sa mémoire vénérable. Mais de plus, de quelque côté que nous regardions cette sainte et bienheureuse Vierge, nous la voyons toute rayonnante de vertus.

Sa pureté et sa chasteté, sa vie sainte et innocente ne peuvent être révoquées en doute que par les âmes profanes et impies à toute extrémité. Celui qui parlerait ou qui aurait seulement la moindre pensée contre l’honneur de ce sacré vaisseau d’élection, nous l’estimerions digne de mort et de toutes sortes de supplices, voire même les plus cruels supplices de cette vie nous sembleraient trop doux. Il n’y a que les tourments de l’enfer qui puissent venger un tel outrage. Des langues et des cœurs si exécrables mériteraient de brûler à jamais dans le feu qui ne s’éteint point, et d’être rongés éternellement du ver qui ne meurt point.

Admirer l’humilité de Marie

Qui pourrait suffisamment admirer l’humilité de la sainte Vierge ? La plupart des femmes qui peuvent se vanter d’être mères de quelque grand roi, ou de quelque monarque, ont de la peine à se contenir dans les bornes d’une humilité chrétienne. Mais cette bienheureuse Vierge, quoiqu’elle soit mère de celui qui est le roi des rois et le seigneur de tous les monarques, ne s’en élève pas davantage. Vous ne voyez aucun faste, aucune ombre de vanité en sa conduite. Elle n’attribue point l’honneur qu’elle a reçu à aucun de ses mérites, mais à la pure miséricorde de Dieu, qui résiste aux orgueilleux, mais il donne sa grâce aux humbles14. Considérant la dignité de son Fils, et qu’elle était sa créature avant que d’être sa mère, qu’il pouvait se passer de revêtir sa nature mais qu’elle ne pouvait vivre sans sa grâce, elle l’adore comme son Dieu et l’embrasse comme son vrai Sauveur. Je ne saurais trop lire et méditer les paroles de ce sacré cantique. Mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit a de l’allégresse en Dieu, mon Sauveur, parce qu’il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante. Car voici : désormais toutes les générations me diront bienheureuse. Parce que le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses. Son nom est saint, et sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Il a déployé la force de son bras, il a dispersé ceux qui avaient dans le cœur des pensées orgueilleuses, il a fait descendre les puissants de leurs trônes, élevé les humbles, rassasié de biens les affamés, renvoyé à vide les riches. Il a secouru Israël, son serviteur, et s’est souvenu de sa miséricorde, — comme il l’avait dit à nos pères —, envers Abraham et sa descendance pour toujours15.

Admirer la foi de Marie

Il n’y a point de langue, pour diserte qu’elle soit, qui puisse dignement représenter le prix et l’excellence de sa foi, Zacharie douta de la parole de l’ange Gabriel, lui annonçant au nom de Dieu la naissance de saint Jean-Baptiste, mais la bienheureuse Vierge crut aussitôt à la promesse de ce messager céleste. Elle conçut Jésus-Christ en son cœur avant que de le concevoir en son corps ; voici, dit-elle, la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole16. Si elle demande à l’ange : Comment cela se produira-t-il ?4 ce n’est pas par incrédulité et par défiance ; mais c’est qu’avec toute humilité et modestie, elle désire d’être instruite du moyen dont Dieu se voulait servir pour accomplir une œuvre si miraculeux. Nous admirons à bon droit la foi du patriarche Abraham, qui crut que de son corps vieil et caduc, et de la matrice de Sarah amortie et stérile, Dieu selon sa promesse lui susciteroit un fils. Mais je trouve beaucoup plus admirable la foi de la bienheureuse Vierge, d’avoir cru à la première parole de l’ange, que de son corps vierge, sans aucune intervention humaine, elle concevrait le roi de gloire, en qui sont bénies toutes les familles de la terre.

Véritablement cette foi est du tout incomparable. C’est pourquoi aussi sainte Élizabeth en parle, comme de la chose du monde qui rendait la sainte Vierge plus illustre et plus recommandable. Elle l’exalte comme la reine de toutes ses vertus, comme la source et la cause principale de son bonheur. Heureuse, dit-elle, celle qui a cru à l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur17. Sa patience et sa sainte constance est tout à fait inimitable, car lorsque tout semblait plongé dans un abîme de désespoir, elle ne perd point courage. Au plus fort des souffrances de notre Seigneur Jésus-Christ, les apôtres s’enfuient pour la plupart, et saint Pierre, qui jusque là avait témoigné le plus de zèle et d’amour envers son maître, le renia par trois fois, même avec exécration. Mais la sainte et bienheureuse Vierge demeura ferme et constante, comme un rocher battu de vagues. Elle n’abandonna jamais le Sauveur. Elle l’accompagna jusqu’au lieu du supplice et considéra son tourment. Elle eut bien la constance de voir lier et clouer en croix celui avec lequel son âme était liée et inséparablement attachée, et de regarder gisant au tombeau celui qui était sa vie et son espérance unique.

Faire sienne l’espérance de Marie

Ce n’est pas qu’elle fût insensible à une affliction si amère ; car les liens qui serraient Jésus-Christ, torturaient cette âme innocente. Les clous qui perçaient les mains et les pieds de ce cher Fils, et la lance qui lui ouvrait le côté, transperçaient l’âme de cette tendre mère. Les épines qui déchiraient sa tête sacrée étaient autant de pointes en ses entrailles. Il ne découlait pas plus de sang des plaies de notre Seigneur que de larmes des yeux de la Vierge. Et avec le corps mort de Jésus, on ensevelit le cœur de Marie. Saint Siméon nous apprend assez l’extrémité de sa douleur, lorsqu’il lui prédit qu’une épée lui transpercera l’âme18. Mais comme Abraham eut le courage d’offrir Isaac en sacrifice, espérant que Dieu le ressusciterait des morts, ainsi la sainte Vierge regarda avec constance le cruel et ignominieux supplice de son unique.

Sachant que c’était le Prince de vie et le Seigneur de gloire qui tenait en sa main les clefs de la mort et de l’enfer, elle avait espérance qu’il délierait lui-même les liens de la mort et qu’il briserait les portes des enfers. Elle était armée de cette confiance qu’il reprendrait son âme avec la même facilité qu’il la remettait entre les mains de Dieu son Père. De ses yeux larmoyants elle voyait son Fils nu en une croix ignominieuse. Mais des yeux de la foi elle le contemplait en cette même croix revêtu de gloire et dépouillant les principautés et les pouvoirs ; et les ayant publiquement livrés en spectacle, en triomphant d’eux par la croix19. Bref, elle regardait celui qui est la résurrection et la vie descendre dans le tombeau, d’un même œil que nous voyons se coucher le soleil, avec espérance que peu d’heures après il remontera sur notre horizon, pour nous réjouir de sa lumière, et nous apporter la santé en ses ailes.

Je tâcherais d’achever le portrait de cette Vierge sacrée, mais il me faudrait emprunter les rayons du soleil.


Illustration de couverture : Henry Ossawa Tanner, Christ et sa mère étudiant les Écritures, huile sur toile, vers 1909 (musée d’art de Dallas).

  1. Galates 4,4.[]
  2. Romains 1,3.[]
  3. Hébreux 2,14-15.[]
  4. Luc 1,34.[][]
  5. Luc 1,35.[]
  6. Genèse 3,20.[]
  7. Hébreux 10,5.[]
  8. Hébreux 12,9.[]
  9. 1 Corinthiens 2,8.[]
  10. Actes 20,28.[]
  11. Symbole d’Éphèse ; cf. Luc 1,43.[]
  12. Romains 9,5.[]
  13. 1 Timothée 3,16.[]
  14. Jacques 4,6.[]
  15. Luc 1,46-56.[]
  16. Luc 1,38.[]
  17. Luc 1,45.[]
  18. Luc 2,35.[]
  19. Colossiens 2,15.[]

Arthur Laisis

Linguiste, professeur de lettres, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin et lecteur dans les Églises réformées évangéliques de Lituanie. Principaux centres d'intérêts : ecclésiologie, christologie, histoire de la Réforme en Europe continentale. Responsable de la relecture des articles du site.

3 Commentaires

  1. Calaghan Moussi

    Salut Arthur,

    En quoi consiste la preuve scripturaire/exégétique de la virginité perpétuelle?

    Et savais-tu que Samuel Rutheford et, il semble, les écossais avec lui, rejetaient cette doctrine ?

    Bien à toi

    Réponse
    • Arthur Laisis

      Bonjour et merci pour cette remarque.

      L’édition de 1634 ne contient pas ici de référence marginale à un chapitre de l’Écriture (ces références ne sont d’ailleurs pas très systématiques tout au long de l’opuscule de Drelincourt). En revanche, il semble clair que pour Drelincourt, la triple virginité de Marie est un fait soutenu par les Écritures, et non seulement reçu comme plausible ou accepté par tradition (« une vérité que la parole de Dieu nous enseigne si clairement »).

      La première justification donnée, car rien n’est impossible à Dieu, oriente vers Luc 1, plutôt que vers des preuves allégoriques (comme la porte fermée d’Ézéchiel 44 par exemple). Elle peut soutenir non seulement la conception virginale, mais aussi la naissance virginale (virginité in partu) ; mais un tel verset n’est évidemment pas suffisant en soi.

      En ce qui concerne la virginité post partum qui semble faire le plus de débats à partir des Lumières, le meilleur argument me semble résider dans la question qui donne lieu à cette réponse de l’ange Gabriel, Comment cela se produira-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? qui peut laisser entendre un vœu de virginité de la part de Marie (et d’abstinence pour Joseph, si les frères et sœurs de Jésus sont ses enfants). La naissance de l’homme-Dieu du sein de Marie n’aurait sans doute fait que renforcer et donner tout son sens à ce vœu.

      Je compte publier à ce sujet davantage dans l’année qui vient. On notera que certains théologiens réformés du XVIIe siècle (qui me semblent minoritaires, mais c’est le cas de François Turretin par exemple) ont remis en cause la virginité in partu, tout en revendiquant l’adhésion à la virginité perpétuelle. Il y a là un débat sous-jacent sur la définition de la virginité (absence de relations sexuelles ou non-pénétration de l’hymen), mais c’est aussi un témoignage de l’attachement des réformés au titre de semper Virgo.

      Quant à Rutherford et quelques autres théologiens du temps, rares au demeurant, si j’en crois les citations de la page https://reformedbooksonline.com/on-the-perpetual-virginity-of-mary/, leur opposition est assez modérée et porte davantage sur le caractère dogmatique ou démontrable de cette affirmation (opposition fides divina / fides humana). Les oppositions plus radicales, présentant tous les arguments habituellement répétés aujourd’hui, sont beaucoup plus récentes et beaucoup moins recommandables. J’ai parcouru le livre de Thomas Smyth : il rejette aussi le titre de mère de Dieu, semble tout ignorer de la réception protestante des dogmes mariaux, et s’attache constamment à minorer le rôle et la vertu de Marie, ce qui est le fléau dénoncé par Drelincourt ici. Quoi qu’il en soit, ce genre d’argumentation (que l’on trouve aussi chez un MacArthur par exemple) me semble totalement absent de la tradition protestante (luthérienne, anglicane ou réformée) plus ancienne.

      Réponse
  2. Moussi Calaghan

    Cher frère merci pour ta réponse ; pour être franc elle est un peu décevante pour ne pas exagérer et dire inquiétante.

    Est-ce avec une telle herméneutique que l’on défendrait la vérité de la Trinité ? Ou bien est-ce une telle herméneutique qui nous permettrait de démentir les excès charismatiques ? Lorsque l’on cherche à tout prix un texte on le trouve. Est-ce que vraiment Ezéchiel peut être en bonne conscience utilisé pour parler de Marie ? En agissant ainsi, l’impression est surtout celle d’une volonté de se montrer plus catholique que les romains et aussi mariaux qu’eux. Ou du moins, c’est se montrer réformé jusqu’à retenir même les défauts saillants des pères réformés.

    Que reste-t-il à dire à ceux qui de tous les bords dénaturent et détournent le sens des textes pour servir leur apologie ? Tu connais bien la différence entre exégèse et eiségèse.

    Bref… quiconque lira Ezéchiel dans le contexte verra combien cela n’est pas digne d’un réformé, quand bien même ce réformé serait Charles Drelincourt, d’y forcer la présence de Marie. L’appel à l’allégorie n’atténue presque pas l’offense au texte.

    Pour le vœu de chasteté, Calvin rejette fermement et, je pense, justement cette théorie. Elle ne se base sur sur une conjecture incertaine cherchant la raison de l’exclamation de Marie : “comment cela se fera puisque je ne connais pas d’homme”.

    Le problème est que de tels vœux dans judaïsme étaient, à ma connaissance, tout à fait incompatibles avec les fiançailles. Ou bien Marie a fait ce vœu avant les fiançailles ; dans ce cas les fiançailles seraient une atteinte portée à ce vœu de célibat, car les fiançailles étaient un pré mariage très régulé (impliquant la conception d’une descendance notamment).
    Ou bien son vœu a été après les fiançailles, en quel cas le vœu est rendu nul puisqu’elle était par fiançailles déjà vouée à une condition inverse de ce vœu de virginité. De plus, il est peu probable qu’un tel vœu qui devait être soumis à la décision (approbative ou désapprobative) du père ou du mari (cf. Nombre 30), ait été accepté par Joseph…

    La réaction de Marie témoigne plutôt du fait qu’elle a compris l’imminence de cette conception. Or si cela est imminent et que son mariage n’est que dans plusieurs mois au moins, (puisqu’elle restera au moins trois mois avec Elizabeth, et il est peu crédible qu’immédiatement à son retour soit célébré le mariage), il est évident qu’elle pose une telle question. Note qu’elle ne dit pas “je connaîtrai jamais d’homme”, ce qui irait éventuellement dans le sens d’un vœu; mais elle dit, au présent “je ne connais pas d’homme”, autrement dit, “je ne suis pas engagée dans des relations conjugales actuellement”.

    Un autre argument largement en défaveur de la virginité perpétuel est l’usage de “eos” (jusqu’à, jusque) dans Matthieu 1.25. J’ai eu à étudier le texte pour avoir prêché dessus récemment. L’usage normal de “eos” dans Matthieu (environ 40 occurrences) a le sens d’une période après laquelle la situation initiale change. Il me reste quelques occuerences à vérifier, mais pas d’exception jusqu’ici. Pourquoi cela serait différent en Matthieu 1? Non, lorsqu’il est dit que Josèphe ne la connut point “jusqu’à ce qu’elle ait enfanté son Fils premier-né” (ou un Fils selon le choix textuel), cela implique que la situation était différente après. Il l’a connue après (bien évidemment, respectant au minima le délai de Lévitique 12 ; voir aussi Luc et la purification).

    Cet argument nous conduit à un autre argument puissant. Nous lisons partout dans les évangiles qu’il y a un groupe d’hommes appelés frères de Jésus. Le terme grec ne laisse aucune ambiguïté. Car ils sont appelés frères, et non cousins ou proches parents (il existe des expressions en grec pour cela). De plus, ces hommes sont appelés ainsi, non seulement par la foule mais les disciples mêmes, que dis-je, les apôtres mêmes les appellent systématiquement ainsi ! (Jean dans son évangile, chapitre 7). Mais comme si cela ne suffisait pas, ils sont aussi appelés “fils de Josèphe”. Nous sommes donc laissés devant un choix. Ou bien établir des liens naturels entre les textes et aboutir au rejet évident de la virginité perpétuelle de Marie. Ou bien il nous faut adhérer à cette théorie en se fondant sur 1000 conjectures, 1000 hypothèses que voici :

    1) peut-être qu’un tel vœu est compatible avec les fiançailles
    2) peut-être qu’un tel vœu a été accepté par le père ou par Josèphe
    3) peut-être que “eos” (jusqu’à) a un sens différent de celui qu’il a presque toujours
    4) peut-être que la réaction de Marie en Luc 1 est due à cet hypothétique vœu (dont on ne sait pas, je rappelle, s’il est vraisemblable)
    5) peut-être que si l’on prend le texte d’Ézéchiel de manière allégorique, on peut voir quelque chose qui ressemble à Marie… “coffre fermé” (il faut oser..)
    6) peut-être que les “frères” du Seigneur sont ses cousins ou proches parents (même si deux autres termes grecs utilisés ailleurs dans le NT existent pour exprimer mieux cela).
    7) peut-être que Josèphe a eu des fils avec une autre femme qui n’est pas nommée (alors se pose la question, était-ce avant les fiançailles avec Marie, ou après ? et les questions se multiplient)….

    Bref, ce n’est pas (plus 🙂 ) mon habitude de commenter les articles, et encore moins de longuement commenter. Mais il me semble que vous ferez une promotion plus durable de la réforme (et du pédobaptisme) en adoptant une approche non-conformiste. Par non-conformiste, je sais que tu entends bien ce que je dis. Il ne s’agit pas de faire table rase du passé et de l’héritage de l’histoire de l’église. D’ailleurs, malheur à nous si nous avons une telle arrogance de penser qu’aujourd’hui tout est meilleur. Cependant, nous courrons aussi vers un péril certain en agissant (ou en donnant l’impression d’agir) comme si hier tout était meilleur. L’antiquité, l’ancienneté d’une doctrine peut lui donner davantage de respectabilité, à condition qu’elle soit fondée. L’antiquité n’est jamais le fondement d’une doctrine.

    Malgré ces mots désapprobateurs, je prie et continue de prier pour que Dieu bénisse votre ministère. Vous êtes une voix dans le désert dans bien des domaines. Ainsi, courage!
    En se souvenant que la réforme se poursuit.

    Un frère réformé baptiste.

    Réponse

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