Tout homme peut naturellement connaître qu’il y a un Dieu – Thomas Hobbes
9 février 2024

Voici un extrait d’une œuvre peu connue et précoce, les Éléments de la loi naturelle et politique de Thomas Hobbes (son œuvre principale étant le Léviathan). C’est un philosophe britannique empiriste et « nécessitariste » (qui nie l’existence de la contingence et donc du libre-arbitre1) connu surtout pour certaines thèses en philosophie politique comme l’état de nature de l’homme, le contrat social et la violence légitime de l’État). Il affirme que tout homme peut naturellement connaître par la raison qu’il y a un Dieu sur la base de ce qui ressemble fortement à un argument cosmologique (proche, je dirais, des première et deuxième voies de Thomas d’Aquin). Il a l’air aussi de rejoindre Thomas d’Aquin en disant qu’on peut seulement connaître que Dieu est (ce qu’il est, son existence), sans savoir ce qu’il est (son essence). Ce qui est étonnant car il s’affairera par la suite de réfuter à tels arguments formulés par Samuel Clarke (Traités de l’existence de Dieu, et de ses attributs). La note de bas de page vient de l’édition citée du livre.


Dans la mesure où Dieu Tout-Puissant est incompréhensible, il s’ensuit que nous pouvons avoir aucune conception ou image de la déité. Et, en conséquence, tous ses attributs signifient notre inaptitude ou notre défaut de puissance à concevoir quoi que ce soit ayant trait à sa nature. Il s’ensuit que nous n’avons aucune conception à ce sujet, si ce n’est celle-là seule : qu’il y a un Dieu. Car les effets que nous reconnaissons naturellement comprennent nécessairement une puissance capable de les produire avant qu’ils ne soient produits, et cette puissance présuppose que quelque chose existe qui possède cette puissance. Et la chose qui existe ainsi avec cette puissance de produire, à moins qu’elle ne soit éternelle, doit nécessairement avoir été produite par quelque chose d’autre avant elle, et cette dernière encore par quelque chose d’autre avant elle, jusqu’à ce que nous arrivions à une chose éternelle, c’est-à-dire à la première puissance de toutes les puissances et à la première cause de toutes les causes. Et c’est cela que tous les hommes appellent du nom de Dieu, qui implique éternité, incompréhensibilité et omnipotence. Et ainsi, tous les hommes qui considéreront la chose peuvent naturellement connaître que Dieu est, bien qu’ils ne puissent connaître ce qu’il est ; de la même manière, un homme, bien que né aveugle, bien qu’il ne soit pas possible pour lui d’avoir aucune imagination du genre de choses qu’est le feu, ne peut pas ne pas connaître néanmoins qu’il y a quelque chose que les hommes appellent du feu parce que ce feu le réchauffe2.

Thomas Hobbes, Éléments de la loi naturelle et politique, éd. Le livre de poche (2003), chapitre XI, section 2, pp. 153-154.


Illustration : Abraham Bosse, Frontispice du Léviathan de Thomas Hobbes, gravure, 1651 (Paris, Bibliothèque de l’Institut de France).

  1. Au sens classique libertarien (et non pas compatibiliste, ce qu’est Hobbes), le pouvoir de choisir réellement entre plusieurs alternatives[]
  2. Hobbes s’appuie, en la réaménageant considérablement, sur la théorie de la suppositio de Guillaume d’Ockham (v. 1290-1349), puisqu’il emprunte au franciscain l’analogie entre la connaissance de Dieu par les hommes et la connaissance du feu par l’aveugle-né. À la suite d’Aristote, Ockham envisage plus exactement la connaissance par l’aveugle de naissance de la couleur (Scriptum in librum primum Sententiarum, dist. II, qu. IX ; cf. aussi dist. III, qu. II). Pour Aristote, voir Physique, II, 1, 93a 5-10.[]

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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