Le sermon suivant de Jean Daillé à Charenton vient conclure sa série de prédications sur le catéchisme des Églises réformées (catéchisme de Genève), dont il discute les questions 366 à 373.
Les deux premières sections (§§ 366-367) exposent la position réformée de l’administration des sacrements. Dans l’approche chrétienne des sacrements, une distinction classique est celle entre validité et régularité des sacrements. Dans le cas d’un abus liturgique, le sacrement peut avoir été conféré alors qu’il n’aurait pas dû l’être, ou en ne respectant pas certaines conditions, en en modifiant la liturgie, sans avoir obtenu l’autorisation de le donner, etc. ; mais le sacrement est réputé avoir été administré, est donc considéré comme valide bien qu’irrégulier, et n’a pas besoin d’être répété. Dans d’autres cas en revanche, l’abus est tel que la grâce particulière liée au sacrement n’est pas communiquée : la cérémonie est réputée nulle et non avenue, et le sacrement doit être répété (s’il avait lieu d’être).
En plus de la matière (l’eau pour le baptême, le pain et le vin pour la Cène, mais aussi, pour les sacrements reconnus par les catholiques, l’huile pour la confirmation par exemple) et de la forme des sacrements (les paroles d’institution), il faut aussi s’interroger sur le ministre du sacrement. Dans les milieux anabaptistes et illuministes, au nom d’une certaine conception du sacerdoce universel, certains voulaient faire de tout chrétien ou de tout être humain un administrateur potentiel des saints mystères de Dieu. L’Église romaine distingue entre les sacrements : le baptême peut être validement administré par quiconque, l’eucharistie ne l’est que par un prêtre, l’ordre par un évêque, etc. C’est aussi la position d’autres protestants, luthériens ou anglicans par exemple. Les réformés, qui soutiennent que seuls les ministres ordonnés (pasteurs) dispensent les sacrements (critère de validité), défendent une position plus uniforme mais aussi plus isolée. Face aux autres chrétiens, il leur incombe de prouver qu’un baptême administré par un laïc ou une laïque n’est pas seulement irrégulier, mais n’est pas un baptême du tout. Daillé doit en particulier traiter l’exemple de la circoncision du fils de Moïse par sa femme Séphora (Exode 4).
Les dernières sections (§§ 368-373) abordent le rôle de ces ministres dans la discipline des sacrements, et en particulier de la Cène (critère de régularité). Contre les « libertins », le catéchisme défend une discipline eucharistique rigoureuse (« communion fermée »), alors que le baptême s’adresse à tous les enfants de la communauté, c’est-à-dire à presque toute la société d’alors (§ 368). Le catéchisme est soucieux de justifier la pratique ecclésiale dans l’Écriture, et anticipe une objection possible : Notre-Seigneur lui-même, selon l’opinion la plus commune, n’a-t-il pas donné la Cène à Judas, qui n’était pas un vrai croyant et n’en était pas digne ? Cette discussion donne aussi à Daillé l’occasion d’une digression sur le rôle du secret pastoral.
Comme à notre habitude, nous modernisons légèrement la langue du sermon (le facsimilé d’époque est consultable ici).
À qui il appartient de baptiser et d’administrer la Cène
§ 366 : À qui appartient-il tant de baptiser que d’administrer la Cène ?
— À ceux qui ont charge publique en l’Église d’enseigner. Car ce sont choses conjointes que de prêcher la Parole et de distribuer les sacrements.§ 367 : N’y en a-t-il pas quelque preuve ?
— Oui certes. Car notre Seigneur donne spécialement la charge à ses apôtres de baptiser, comme de prêcher (Mt 28,19). Et touchant la Cène, il commande que nous la fassions tous à son exemple. Or il avait fait office de ministre pour la donner aux autres.La Cène, à qui elle ne doit pas être administrée
§ 368 : Mais les pasteurs qui sont dispensateurs des sacrements doivent-ils y admettre sans discernement tous ceux qui s’y présentent ?
— Touchant du baptême, parce qu’aujourd’hui on ne l’administre qu’à de petits enfants, il n’est point nécessaire de discerner. Mais quant à la Cène, il faut bien que le ministre veille à ne pas la donner à un homme qu’on connaît en être tout à fait indigne.§ 369 : Pourquoi ?
— Parce que ce serait polluer et déshonorer le sacrement.Pourquoi Judas a été reçu à la cène
§ 370 : Mais notre Seigneur y a bien reçu Judas, quelque méchant qu’il fût.
— Son iniquité était encore cachée, et bien que notre Seigneur la connût, elle n’était pas notoire à tous.§ 371 : Que sera-ce donc des hypocrites ?
— Le ministre ne peut les exclure comme indignes, mais doit attendre que le Seigneur ait révélé leur méchanceté.§ 372 : Et s’il en connaît quelques-uns qui sont indignes, ou qu’il en soit averti ?
— Cela ne suffit point pour les exclure, à moins qu’il y ait approbation suffisante et jugement de l’Église.§ 373 : Il faut donc qu’il y ait quelque ordre et police sur cela ?
— Effectivement, si l’Église est bien réglée. Il s’agit de nommer des personnes pour veiller sur les scandales qu’il pourrait y avoir. Et que celles-ci, avec l’autorité de l’Église, interdisent la communion à ceux qui n’en sont nullement capables, et auxquels on ne peut la donner sans déshonorer Dieu et scandaliser les fidèles.
Introduction : deux ordres dans l’Église
Chers frères, il n’y a point de société dans le genre humain où l’on ne remarque deux sortes de membres ; les uns qui conduisent, et les autres qui sont conduits ; comme dans les États, les magistrats et les sujets ; dans les familles, les maîtres et leurs domestiques ; dans les écoles, les précepteurs et les disciples. L’office des uns est de gouverner, et celui des autres est d’obéir. Les uns dispensent les choses nécessaires à la conservation de leur tout, et les autres les reçoivent. Et c’est la nature qui a donné aux hommes le modèle de ce bel ordre dans les plus excellents corps qu’elle produise, car dans cette grande quantité de parties dont elle les compose si artificieusement, il y en a toujours quelques-unes principales dont les autres dépendent et tirent de leurs fonctions, ou le suc de leur commune nourriture, ou la conduite de leurs mouvements.
Tels sont la tête, le cœur et le foie dans les animaux ; et il n’est pas jusqu’aux plantes où ne paraisse cette distinction, la racine étant évidemment leur partie maîtresse qui répand la vie dans tout le reste de leur substance.
L’Église de notre Seigneur Jésus-Christ étant donc la plus noble et la plus admirable société de l’univers, Dieu qui en est l’auteur y a aussi établi une semblable police. Il a divisé tout son peuple en deux rangs ; l’un est de ceux qui président ; l’autre, de ceux qui se soumettent à leur conduite ; ceux-là administrent les choses célestes, et ceux-ci les reçoivent. Les uns guident, et les autres suivent, le partage des premiers est la direction et la surintendance de la société ; et le devoir des seconds, la soumission et la déférence. Le bonheur et la prospérité de l’Église consiste dans un juste rapport et une parfaite correspondance de ces deux ordres : quand l’un gouverne sagement et que l’autre obéit fidèlement, chacun s’acquittant en bonne conscience de ce qu’il doit à l’autre, ou de soin, ou de respect. Notre catéchiste règle les fonctions des ministres ou conducteurs dans cette dernière section à laquelle nous sommes enfin parvenus, par la grâce du Seigneur. Il est vrai que, précédemment, il avait déjà dit quelque chose d’une partie de leur charge, à savoir, de la prédication de la parole de Dieu, mais il traite maintenant le reste, à l’occasion des sacrements ; car après en avoir expliqué la nature et l’efficacité, tant en général qu’en particulier, il nous montre enfin dans cette section que leur administration n’appartient qu’aux pasteurs, qui pour les dispenser légitimement, doivent avec leur consistoire, veiller soigneusement sur les mœurs de leur troupeau, pour retrancher de la sacrée communion ceux qui en sont indignes.
Ainsi nous aurons deux points à traiter, s’il plaît au Seigneur, pour l’entier éclaircissement de cette section de notre catéchisme : le premier, des légitimes ministres des sacrements, et le second de la discipline de l’Église.
Qui doit administrer les sacrements ?
Quant au premier point, puisque les sacrements font partie des moyens de notre salut, comme cela a été montré en son lieu, et est reconnu par tous les chrétiens, il est évident que leur administration appartient aux pasteurs établis dans l’Église, pour être les ministres de Christ et les dispensateurs de ses mystères, comme nous l’apprend saint Paul dans le chapitre 4 de la première épître aux Corinthiens. C’est par leur main que Dieu communique les choses du ciel à ceux qu’il retire du monde pour les conduire en son royaume ; c’est pour cette raison qu’ils sont nommés ouvriers avec Dieu par le même apôtre1, qu’ils plantent et arrosent, et que Dieu donne l’acroissement2. Le trésor du salut leur a été confié, ils l’ont, bien que ce soit dans des vaisseaux de terre3 ; les perles divines leur ont été confiées pour les distribuer à propos à ceux qui veulent y avoir part.
Puisque les sacrements sont du nombre de ces choses saintes, mystiques et spirituelles, qui ne voit qu’ils font donc partie de leur administration ? Et que vouloir étendre le droit et l’autorité de les administrer à d’autres, c’est leur ravir l’honneur de leur charge et détruire les institutions de Dieu, et mettre la confusion dans sa maison ? Aussi voyez-vous que le Seigneur envoyant les apôtres, et leur donnant leur commission, annexa expressément la dispensation des sacrements à la prédication de son Évangile4; de sorte que s’il n’est permis qu’à ceux de cet ordre de prêcher la Parole, l’on ne doit non plus souffrir qu’aucun autre qu’eux se mêle de donner les sacrements. Dans l’État il n’y a que les légitimes officiers du Prince qui puissent ou faire, ou sceller les expéditions, ou battre et marquer sa monnaie ; si d’autres l’entreprennent, sous quelque prétexte qu’ils le fassent, ils sont faussaires et coupables d’attentat contre l’autorité publique, et comme tels, si on les découvre, ils sont sévèrement punis.
Les sacrements sont les sceaux de Dieu, le coin de sa monnaie et la marque de sa maison. Certainement il n’appartient donc qu’à ses vrais et légitimes officiers de les administrer, et si quelqu’un l’entreprend, sans avoir reçu de lui ce ministère et cette commission, il se rend évidemment coupable de sacrilège et ce qu’il fait n’est de nulle valeur, comme une chose de néant, faite sans droit ni autorité. C’est une vérité claire et reconnue par tous les chrétiens ; nos adversaires même l’avouent, bien qu’ils ne l’observent pas avec la religion5 qu’il faudrait. Ils confessent que les ministres de l’Église ont légitimement ce droit, qu’il leur appartient proprement. Ils accordent que l’Eucharistie, l’un des sacrements de la Nouvelle Alliance ne peut jamais, sous quelque prétexte que ce soit, se faire ni s’administrer que par les serviteurs de Dieu qui sont en charge, et tiennent pour nulle celle que des hommes privés et sans charge entreprendraient de faire ; ils ont la même opinion de ces autres prétendus sacrements qu’ils ont forgés.
Un laïc peut-il baptiser ?
Parmi eux il n’y a que les prêtres qui graissent les malades de l’huile qu’ils appellent de l’extrême-onction. Il n’y a qu’eux qui consacrent les mariages6 et qui donnent l’absolution aux pénitents ; et pour la confirmation7 et l’ordination, les prêtres même n’oseraient les donner, il n’y a que les évêques qui en soient capables, à leur dire, tant ils semblent jaloux de l’honneur de leurs sacrements. Et si quelque homme, laïc (comme ils parlent8) se mêlait de faire quelqu’une des actions solennelles auxquelles ils consistent, ils le puniraient comme un sacrilège, et quel qu’eût été son dessein, ils casseraient ce qu’il aurait fait, tenant toute son action pour une pure singerie, de nulle force, valeur ni efficace ; et néanmoins ces mêmes gens qui paraissent si religieux et si scrupuleux sur ce sujet, comme si la violence de quelque charme leur avait tout à coup changé l’esprit, abandonnent l’administration du saint baptême, le sceau sacré de la Nouvelle Alliance, institué authentiquement par Jésus-Christ, à toutes sortes de personnes, non seulement aux hommes, mais aux femmes même, qui (comme vous savez) baptisent tous les jours parmi eux ; et pour combler l’abus, non seulement aux chrétiens, mais aux juifs, aux turcs et aux païens même. Seulement restreignent-ils l’usage de ce droit qu’ils leur donnent au cas de la nécessité ; c’est-à-dire, que si un enfant par exemple, est pressé de maladie, en telle sorte qu’il ne semble pas pouvoir attendre que l’on fasse venir un légitime ministre de ce sacrement, ils permettent à un homme laïc de le baptiser, à une femme, s’il ne s’y trouve point d’homme, à un infidèle, s’il ne s’y trouve point de chrétien.
Toute cette prétendue nécessité dont ils veulent colorer cet abus qu’ils font du baptême, n’est fondée que sur leur fausse imagination. Une autre erreur, comme c’est l’ordinaire, les a poussés dans celle-ci. Car ils présupposent qu’un enfant qui meurt sans baptême ne peut avoir de part au salut. C’est la seule cause qui leur fait trahir le droit des ministres de l’Église, se figurant qu’il vaut mieux que les laïcs soient sacrilèges que parricides de leurs enfants.
Mais nous avons amplement réfuté cette rêverie en son lieu, et montré que la grâce de Dieu n’est pas plus attachée aux moyens extérieurs, pour les enfants, que pour les hommes d’âge, et que la privation du sacrement n’est préjudiciable qu’à ceux que le mépris et l’infidélité en prive, et non à ceux qu’une involontaire nécessité contraint de sortir du monde sans le recevoir. Ainsi nous n’aurions pas désormais à pousser cette dispute plus avant, puisque la seule raison qui porte les adversaires à cet abus et sans laquelle ils ne voudraient pas l’autoriser se trouve nulle. Voyons néanmoins ce qu’ils allèguent pour pallier leur témérité.
La circoncision du fils de Moïse
Premièrement, ils apportent de l’Ancien Testament l’exemple de Séphora, femme de Moïse, qui circoncit son fils elle-même, comme le récite l’histoire sainte dans le 4[e chapitre] de l’Exode9; d’où ils concluent qu’il est donc permis aux femmes chrétiennes de baptiser leurs enfants, vu l’analogie qui se trouve entre ces deux sacrements, le baptême tenant sous la grâce le même lieu que la circoncision sous la Loi. Mais ce raisonnement pêche en beaucoup de manières, et premièrement en ce qu’il conclut plus qu’il ne doit ; car si cette action de Séphora est un légitime patron du droit et du devoir des femmes chrétiennes, il leur sera donc permis absolument de baptiser leurs enfants, et non comme ils veulent, en cas de nécessité, et en l’absence des légitimes ministres seulement, étant évident que la femme de Moïse circoncit son fils en la présence de son mari prophète et ministre de Dieu, même le plus grand de tous les prophètes ; de sorte que si les femmes aujourd’hui ont le droit de faire ce qu’elle fit alors, elles pourront aussi baptiser, sans crime, en la présence non d’un homme ou d’un prêtre seulement, mais d’un évêque et du pape même, ce qu’ils condamneraient eux-mêmes d’une inexcusable témérité. Et ce qu’ils répliquent ne sert de rien, que Moïse n’était pas alors en état de rendre ce devoir à son fils. Pourquoi pas ? parce que, disent-ils, Dieu cherchait à le faire mourir, comme porte le texte sacré, c’est-à-dire, comme ils l’entendent, qu’un ange apparaissant à lui avec une épée nue à la main le tourmentait sans relâche.
Mais recevant toute cette exposition pour bonne, je leur demande comment et pourquoi elle induit que Moïse ne pouvait circoncire son fils. Certainement ils présupposent avec tous les interprètes que la colère de Dieu contre Moïse et cette vexation de l’ange le menaçant de la mort procédait de ce qu’il avait négligé de circoncire son enfant. Bien loin donc que la peine où il se trouvait l’empéchât de lui rendre ce devoir, au contraire elle devait l’y exciter ; et puisqu’elle ne venait que de ce qu’il y avait manqué, elle eût cessé dès le moment qu’il se fût disposé à s’en acquitter.
Sans mentir, ce discours de nos adversaires est merveilleux : il n’était pas possible à Moïse de circoncire son fils ; pourquoi ? parce que, disent-ils, l’ange lui tenait l’épée à la gorge, le menaçant de le tuer s’il ne le circoncisait pas ; à ce compte, commander une action à un homme et l’en presser, sous une rigoureuse peine, est lui ôter la force de la faire, et châtier un enfant pour l’obliger à étudier sa leçon est le rendre incapable de l’étudier.
Enfin, je dis que cette action de Séphora ne peut ni ne doit être tirée en conséquence, parce qu’elle est singulière, ne se trouvant rien de semblable dans tout l’Ancien Testament, et extraordinaire, causée par la frayeur où le péril de Moïse avait jeté cette femme ; ce fut l’ouvrage, non de sa piété ou dévotion envers Dieu, mais de sa crainte. Elle voyait son mari pressé et menacé de mort, la peur et l’horreur la mettant hors d’elle-même. Aveuglée par la violence de cette passion, elle se précipite inconsidérément, et courant au plus pressé, pour tirer son mari de danger, elle prend sans différer un couteau, et retranche promptement le prépuce de son fils, sans penser ni à la nature, ni à l’usage, ni aux circonstances du sacrement, ni à autre chose qu’à ce qu’elle craignait ; son dépit paraît en ce qu’elle jeta le prépuce de son fils aux pieds de Moïse, et lui fit cet amer reproche que l’Écriture remarque expressément : Tu m’es un époux de sang ; paroles indiscrètes qui accusent assez clairement de cruauté, et Moïse et Dieu même, de ce qu’elle était contrainte, par la colère du Seigneur et par le danger de Moïse, de répandre le sang de son enfant.
Qui ne voit que c’est abuser de sa raison que de vouloir faire passer une telle action pour une règle et un modèle de notre devoir, et qu’elle nous est proposée pour la fuir plutôt que pour l’imiter ? Si l’on induisait de cet exemple qu’il est permis aux femmes chrétiennes de se dépiter contre leurs maris, de les injurier et de les appeler époux de sang, c’est-à-dire cruels et sanguinaires, nos adversaires ne le souffriraient pas, et diraient qu’il faut faire ce que Dieu nous commande dans sa Loi, et non tout ce que l’Écriture nous récite avoir été fait par les particuliers, dont elle nous rapporte les actions mauvaises et blâmables, aussi bien que les bonnes et louables. Nos femmes n’ont point le droit d’imiter la colère et les injures de Séphora envers son mari ; pourquoi leur sera-t-il permis d’imiter sa précipitation envers son fils ? Certainement il n’y a pas plus de raison à l’un qu’à l’autre ; et quant à ce que nos adversaires tâchent de justifier cette action, par son événement, l’histoire sainte disant qu’ensuite Dieu se départit de Moïse et le laissa en repos, je dis qu’ils concluent mal. Ce qu’il épargna son serviteur induit bien qu’il est bon et miséricordieux, doux et facile envers ses enfants, mais non pas qu’il ait approuvé la témérité de cette femme. La piété de Moïse, les larmes et les prières qu’il répandit, selon toute apparence, en cette occasion, purent apaiser le Seigneur, pour ne rien dire de l’indulgence avec laquelle il supporte les défauts des hommes ; mais il est désormais assez évident que l’action de Séphora ne peut nullement fonder le droit que nos adversaires donnent aux femmes de baptiser les enfants.
Autres arguments bibliques
Ils allèguent diverses choses du Nouveau Testament, et premièrement que Philippe baptisa l’eunuque éthiopien10, et Ananias saint Paul11, bien que le premier ne fût que diacre, et le second, purement laïc. Ils ajoutent que saint Pierre fit baptiser le centenier Corneille et sa famille, par les frères venus avec lui, qui n’étaient, selon toute apparence, que personnes laïques12, et veulent enfin que les trois mille personnes qui furent baptisées le jour de la première Pentecôte chrétienne l’aient été par de simples fidèles, comme il ne serait pas vraisemblable que les douze apôtres aient pu baptiser tant de gens en un jour13.
À quoi je réponds premièrement que ces allégations prouvent plus qu’ils ne veulent ; car cette pressante nécessité, dans le seul cas de laquelle ils relâchent l’administration du baptême aux particuliers, n’avait lieu dans aucune de ces rencontres. Ni l’eunuque, ni Paul, ni Corneille, ni les trois mille hommes du deuxième chapitre des Actes n’étaient point en danger de mort ; ils pouvaient attendre que les ministres de l’Église les baptisassent solennellement. Il y a plus : saint Pierre était dans la maison de Corneille, et tous les douze apôtres étaient présents à Jérusalem quand les trois mille hommes crurent. Si ces allégations sont pertinentes, elles induisent donc qu’il est permis aux laïcs de baptiser, non comme ils le prétendent, en cas de nécessité, et en l’absence des vrais et légitimes ministres seulement, mais absolument, en tous temps et en tous lieux, hors de nécessité aussi bien qu’en la nécessité, sous les yeux d’un prêtre, d’un apôtre, même de tous les apôtres, aussi bien qu’en leur absence.
Mais à Dieu ne plaise que ni eux, ni nous, n’admettions jamais une si licencieuse profanation du baptême. Confessons plutôt les uns et les autres que leur objection est impertinente, comme elle l’est en effet ; car d’où savent-ils que Philippe n’était que diacre, quand il baptisa l’Éthiopien ? Cela même qu’il le baptisa, ce qu’il était parti de Jérusalem pour prêcher l’Évangile à Samarie, ce qu’il est expressément appelé évangéliste au chapitre 21 des Actes14 montre assez le contraire, et que du degré du diaconat il avait été élevé à la charge de prédicateur et de pasteur. Ils présupposent pareillement, sans aucune preuve valable, qu’Ananias était laïc ; au lieu qu’il y a toute apparence qu’il était le pasteur de l’Église de Damas. Quant à Corneille et à ses domestiques, saint Luc dit bien à la vérité que saint Pierre commanda qu’ils fussent baptisés, mais il ne dit point, ni qu’ils ne fussent pas baptisés par saint Pierre, ni qu’il n’y eût aucun ministre en la compagnie de saint Pierre, et encore moins que ces gens aient été baptisés par des personnes laïques.
Et pour les trois mille hommes baptisés le jour de la Pentecôte, c’est une hardiesse sans raison de vouloir que leur baptême leur ait été administré par des laïcs. Il était non seulement possible, mais encore fort aisé aux douze apôtres et aux soixante-douze disciples, c’est-à-dire à quatre-vingt-quatre personnes, d’en baptiser trois mille en un jour, surtout si nous admettons ce que plusieurs de nos adversaires présupposent, et qui est en effet très vraisemblable, que leur baptême se fit en les arrosant d’eau simplement, comme nous en usons aujourd’hui, et non en les plongeant dans l’eau, comme le pratiquaient les anciens15.
Ainsi, il paraît que les adversaires n’ont dans les saintes Écritures aucun exemple, ni aucune raison d’étendre le droit de baptiser à d’autres qu’aux légitimes ministres de l’Église ; d’où il s’ensuit qu’il leur doit demeurer tout entier, comme nous l’avons établi au commencement.
Excursus : le ministère des réformateurs
Seulement faut-il remarquer, avant que de passer plus avant, que la doctrine qu’ils posent sur ce sujet, à savoir que la nécessité donne aux particuliers l’autorité de prêcher et de baptiser, résout toute cette odieuse accusation qu’ils ont accoutumé d’intenter à quelques-uns de nos premiers réformateurs, criant qu’ils n’avaient point de vocation. Comment peuvent-ils les condamner, si la nécessité n’en a pas de besoin ? Qui ne voit que, cela supposé, comme ils le tiennent, toute cette dispute de la vocation de nos gens est inutile et hors d’œuvre ? et que le seul point de telle cause est, s’ils ont eu, non la vocation, mais la nécessité de prêcher, comme ils ont fait ? Si un enfant est en danger de mort, vous permettez à une femme de le baptiser, et tandis que notre peuple est en danger d’une perdition éternelle, pour les erreurs et les faux services où il était plongé, vous ne pouvez souffrir que des hommes l’avertissent de son malheur, et l’arrosent de l’eau salutaire de l’Évangile.
Qui vit jamais un procédé plus inconstant, et qui se coupât plus honteusement soi-même ? Mais qu’ils y pensent, si bon leur semble. Pour nous, grâce à Dieu, nous n’y avons nul intérêt, puisque nul de nous ni de nos pères n’a exercé le saint ministère qu’après y avoir été appelé par la voix de Dieu et par le consentement de ses fidèles, c’est-à-dire, de l’Église, entre les mains de laquelle le Seigneur a laissé la puissance d’appliquer à certaines personnes le droit et l’autorité des charges qu’il a instituées. Et si la cérémonie de l’ordination a manqué à quelques-uns, ce défaut causé par une involontaire et inévitable nécessité ne fait aucun préjudice à leur vocation, suffisamment fondée sur le jugement et la volonté de ceux qui les appelaient, comme cela vous a été autrefois représenté sur la section 4516. Ayant donc ainsi maintenu aux seuls pasteurs le droit d’administrer les sacrements, voyons maintenant de quelle sorte ils doivent le faire, et s’ils peuvent le donner à toutes sortes de gens indifféremment.
Donner la Cène avec discernement
Notre catéchisme distingue premièrement entre le baptême et la Sainte-Cène pour le premier, puisque l’enfance en est capable, comme nous l’avons montré en son lieu, et que selon ce fondement tous les chrétiens aujourd’hui présentent leurs enfants à l’Église pour y recevoir ce sacré sceau de la divine alliance, dès les premiers jours de leur enfance, il est évident que les pasteurs les doivent recevoir et les baptiser sans autre formalité. Mais de la Cène, il n’en est pas de même ; car l’épreuve requise pour y participer, ne permettant que l’on y admette que ceux qui sont en âge, capables par conséquent de témoigner par leurs paroles et actions les sentiments intérieurs de leur cœur, il faut user d’une grande circonspection et prudence accompagnée d’une singulière charité, pour ne donner ces sacrés mystères qu’à ceux qui en sont dignes, et ne les refuser qu’à ceux qui en sont vraiment indignes. La raison de cela est fondée sur cette vérité très évidente, et confessée par tous les chrétiens, que les sacrements sont les sceaux de l’Alliance de grâce, les livrées des enfants de Dieu, les gages de l’amour qu’il leur porte, et de la communion qu’ils ont, tant avec lui qu’avec les autres fidèles en Jésus-Christ son Fils notre Seigneur.
D’où il s’ensuit que, comme ils sont destinés aux seuls fidèles, qui sont véritablement dans notre communion, c’est les profaner que de les administrer à ceux qui témoignent qu’ils n’en sont pas. C’est donner les choses saintes aux chiens, et les perles aux pourceaux17. Pour ne pas tomber dans un crime si horrible, les ministres de l’Église doivent veiller avec soin sur les mœurs de leurs troupeaux, pour discerner ceux qui sont dignes de la table du Seigneur d’avec ceux qui ne le sont pas. Et ici notre catéchiste emploie une seconde distinction, disant qu’autre est la raison des péchés couverts et cachés, et autre, des crimes découverts, publics et scandaleux.
Secret pastoral et discipline ecclésiastique
À l’égard des premiers, comme ils ne sont pas de la connaissance des pasteurs, aussi ne sont-ils pas de leur juridiction ; Dieu qui sonde les reins et qui voit clair dans l’obscurité des plus épaisses ténèbres, s’est réservé le jugement de cette sorte de péchés que l’hypocrite retient dans son cœur, et qu’il ne commet qu’en cachette. J’avoue que celui qui reçoit le sacrement avec une telle disposition le profane et mange sa condamnation18; et c’est pourquoi vous fûtes tous exhortés, dimanche dernier, à vous éprouver exactement vous-mêmes19, avant de vous approcher de la table du Seigneur. Mais le ministre qui donne le pain et le calice sacré à un tel hypocrite, en la simplicité de son cœur, sans le connaître, est innocent de son crime. Notre catéchiste passe plus avant, et ajoute que même quand le pasteur aurait su en son for particulier que celui qui se présente est coupable de quelque grande faute, il n’a pas encore le droit pour cela de lui refuser la communion. Il ne peut le faire que lorsque le pécheur est suffisamment convaincu et qu’il a été condamné par le jugement de l’Église ; ce qui nous est ici prouvé, par l’exemple du Seigneur, qui selon l’opinion de la plupart des docteurs anciens et modernes, contredite néanmoins par quelques-uns20, admit Judas, bien qu’il connût la trahison, à la participation de sa Cène, parce que son péché n’était pas encore découvert.
Cette limitation est d’une équité évidente ; car 1° le pasteur qui connaît quelque pécheur de cette sorte doit l’exhorter à la repentance, et s’il reçoit la Parole, il est dès lors obligé en charité à le tenir pour vrai fidèle, et par conséquent à lui en donner la marque ; 2° si les ministres pouvaient, sans autre procédure ni enquête, exclure ainsi les hommes de la communion, sur la simple connaissance qu’eux seuls ont de leurs péchés, il serait à craindre qu’ils n’en abusassent et que ce pouvoir ne leur tournât à envie, et à ruine et destruction aux fidèles. Enfin toute la sévérité de cette discipline tendant principalement à remédier aux scandales, il n’est pas à propos d’en user, sinon contre les péchés qui en donnent, c’est-à-dire qui sont publiquement connus dans l’Église. Comme si quelqu’un soutient et défend ouvertement, soit de vive voix, soit par écrit, quelque erreur qui choque la saine doctrine, s’il mène une vie contraire ou à la piété envers Dieu, ou à la charité envers le prochain, ou finalement à la pureté et honnêteté requise en chacun de nous ; si les conducteurs de l’Église remarquent en quelqu’un de leur peuple des fautes de cette nature, ils doivent l’en avertir, lui adresser les enseignements et les exhortations de leur Compagnie, avec toute douceur et gravité ; si le pécheur s’opiniâtre et s’affermit dans son erreur ou dans son vice, il faut lui interdire la communion de la sainte table du Seigneur ; car un tel homme reniant évidemment Dieu par ses œuvres, renonçant à l’Évangile de Jésus-Christ, par ses actions, ce n’est pas à lui qu’appartient le sacrement de notre communion, et il ne lui peut être donné après cela qu’avec sacrilège et profanation. Si après être tombé dans une si lamentable faute, il revient à lui et témoigne de sa correction et de son amendement, les ministres de l’Église doivent lui tendre les bras et le rétablir en la communion des fidèles, après avoir convenablement éprouvé sa repentance, et suffisamment procuré la réparation du scandale qu’il a donné.
Voilà quelle est, à parler en gros et sommairement, la discipline chrétienne, établie par le Seigneur, exercée par ses apôtres, recommandée dans les Écritures, reconnue et pratiquée, bien que très diversement, par tous les siècles du christianisme, plus sévèrement par les anciens, plus faiblement par les suivants, jusqu’à ce qu’en ces derniers elle soit tombée avec la plupart des divines institutions, dans une triste ruine.
Nécessité de la discipline d’Église
C’est ce qu’il nous fait brièvement montrer pour la fin au sujet de certains extravagants, qui voudraient secouer tout joug et n’avoir d’autre règle que celle de leurs humeurs et de leurs passions ; ces esprits libertins déclament contre la discipline, comme si c’était un ouvrage de l’ambition des hommes, et non une institution de la sagesse de Dieu ; ils la font passer pour un règne et pour une tyrannie insupportable, au lieu que c’est un doux et innocent ministère, qui a pour but le salut des brebis, et non la gloire des pasteurs.
Pour rabattre leur folie, je dis premièrement qu’elle a été instituée par notre Seigneur Jésus-Christ. Il en érige expressément le tribunal entre les siens, dans le dix-huitième chapitre de saint Matthieu, où il commande à chaque fidèle, lorsque quelqu’un de ses frères a péché contre lui, après l’en avoir repris en particulier, et tâché de le ramener à la raison, d’en faire sa plainte à l’Église, et s’il ne l’écoute, dit-il, qu’il te soit comme les païens et les péagers21.
Je laisse là cette glose que l’esprit de particularité a dictée à quelques-uns : que par l’Église le Seigneur entend en ce lieu-là, ou le conseil des Juifs, ou le magistrat chrétien, contre le style de toutes les Écritures du Nouveau Testament qui jamais ne prennent le mot d’Église en ce sens-là, contre la manifeste intention du Seigneur qui est de nous montrer le moyen de ramener doucement les fidèles à la repentance et au devoir, contre la suite du passage où il ajoute, pour raison de l’estime que nous devons faire du jugement de l’Église : en vérité je vous dis que, quoi que vous aurez lié sur la terre, il sera lié au ciel, et quoi que vous aurez délié sur la terre, il sera délié au ciel22; inutilement et hors de propos, si par la voix de l’Église, il n’entend précisément la voix de ces mêmes ministres à qui il parlait, et de ceux qui les représentent dans la succession des siècles. Il est donc indubitable que par l’Église il veut dire cela-même que ce mot signifie partout ailleurs, à savoir, une assemblée de chrétiens mais abrégée et représentée pour l’exécution de cet ordre en la compagnie de ses conducteurs, ministres et anciens. Le Seigneur, comme vous voyez, veut que nous nous adressions à elle, que nous lui donnions la connaissance des péchés et scandales qui naissent au milieu de nous, il lui attribue le pouvoir d’en juger, avec une autorité si sainte qu’il nous oblige à tenir pour païens et péagers, c’est-à-dire, pour des personnes profanes et sans crainte de Dieu, ceux qui méprisent ses ordonnances ; car c’est ce que signifiaient figurément ces mots de païen et de péager dans l’usage de la langue ordinaire des juifs. Et il ajoute enfin cette grande et magnifique promesse, que le ciel ratifiera tout ce que ses ministres auront fait et prononcé ici-bas ; et cette autre, non moins excellente, un verset au-dessous : Car là où il y a deux ou trois assemblés en mon nom, je suis là au milieu d’eux23. À quoi il faut aussi rapporter ce qu’il proteste ailleurs à ses serviteurs : Qui vous écoute, il m’écoute, qui vous rejette, il me rejette24.
L’exemple des Apôtres…
Je dis en second lieu que cette sainte discipline a aussi été établie et pratiquée par les apôtres ; car saint Paul témoigne qu’en chaque Église il y avait une compagnie, qui avait la surintendance de tout le corps, et qu’il appelle expressément la compagnie des anciens25. Pourquoi, sinon pour veiller sur le troupeau, et pour exécuter les ordres qu’il recommande nommément aux Corinthiens, d’ôter le méchant du milieu d’eux26, et de repurger le vieux levain27, et de n’avoir point de commerce avec les fornicateurs28, c’est-à-dire, (comme il s’en explique expressément lui-même) que si celui qui est du nombre de vos frères est fornicateur, ou avare, ou idolâtre, ou médisant, ou ivrogne, ou ravisseur du bien d’autrui, ils ne mangent pas même avec un tel homme29, jugeant ceux de dedans et non de dehors, qu’il faut laisser au jugement de Dieu. Et aux Thessaloniciens de la même manière, Mes frères, dit-il, nous vous ordonnons au nom de notre Seigneur Jésus-Christ de vous retirer de tous ceux d’entre vos frères qui se conduisent d’une manière déréglée, et non selon la forme de vie qu’ils ont reçue de nous30.
Les Corinthiens ayant manqué à ce devoir, en tolérant dans la communion un homme incestueux, il les blâme extrêmement de leur négligence, et leur en fait un grand crime ; comment et de quel droit, s’il n’était de leur charge d’ôter telles gens du milieu d’eux ? Et ensuite pour corriger leur négligence il ordonne, comme étant présent d’esprit au milieu de leur assemblée, que l’auteur de cet énorme scandale soit livré à Satan31. Et depuis, ayant appris par leurs lettres, la repentance de ce pécheur, il leur commande de lui pardonner, et de le consoler, et de ratifier leur charité envers lui, de peur qu’il ne fût englouti par une trop grande tristesse32, les avertissant, que cette censure qui lui avait été faite par plusieurs lui suffisait. Ce sont là les fermes et assurés fondements de la discipline de l’Église dans la Parole divine ; d’où il paraît que ceux qui la rejettent, ne rejettent pas un homme, mais Dieu, comme dit saint Paul sur un semblable sujet.
… et la décadence de la discipline
Mais comme les apôtres établirent partout cet ordre sacré, aussi fut-il religieusement observé par les chrétiens des premiers siècles ; il nous reste encore quelques règles et quelque idée de leur discipline. Ô Dieu Éternel ! quelle était la haine de ces saintes âmes contre les vices ? quelle était leur ardeur, leur zèle, et la jalousie dont ils brûlaient pour la pureté de l’Église ? Ils n’y souffraient qu’une piété, une charité et une humilité exemplaire ; ce qui passe aujourd’hui pour une galanterie et une peccadille, comme parlent les profanes, leur était un sacrilège et une abomination.
J’ai honte de notre lâcheté, quand je jette les yeux sur l’image de ces bienheureux siècles. De la manière que nous vivons à peine y a-t-il personne entre nous qui eût pu se garantir, non de leur censure simplement, mais de leur excommunication. Quelle est la cause d’une si horrible différence entre leurs mœurs et les nôtres ? Chers frères, c’est la haine et le mépris de la discipline de Dieu, qui n’est presque plus qu’un nom au milieu de nous. Les empereurs l’ont autrefois révérée et ont plié leur diadème et prosterné leur pourpre sous le respect des censures de l’Église ; et nous avons ouï raconter à nos pères qu’au commencement de la Réformation, lorsque tout brûlait d’un saint zèle, ils ont vu renouveler l’exemple de cette ancienne humilité par quelques-uns des plus grands princes de la chrétienté, recevant, avec une profonde révérence, les censures de l’Église dans les assemblées publiques, et observant religieusement ses pénitences.
Aujourd’hui les plus réformés s’en moquent, les plus petits la méprisent. Notre orgueil est si fier qu’il n’y a personne qui ne pense que ministres et anciens et discipline et Évangile doivent céder à ses intérêts. Quelle peine n’avons-nous pas tous les jours à arracher aux plus grands pécheurs les moindres et les plus douces pénitences ? Et combien en voyons-nous, ô douleur ! qui aiment mieux vivre des années entières, sans communier à la table du Seigneur, que de témoigner ici par une comparution d’un moment, le regret qu’ils ont d’avoir offensé Dieu et scandalisé son peuple. Misérables gens ! qui ont honte de se repentir, c’est-à-dire, de plaire à Dieu, de réjouir les anges, de consoler et d’édifier son Église, et n’ont point cependant de honte de pécher, c’est-à-dire d’offenser le Créateur, d’attrister le ciel et de scandaliser la terre.
Finalité de la discipline
Mais je reviens à mon sujet d’où une juste douleur m’a un peu détourné. J’ai montré contre les libertins que la discipline chrétienne a été instituée par le Seigneur, autorisée par ses apôtres, pratiquée par tous les premiers chrétiens. J’ajoute qu’elle est fondée sur des raisons et évidentes et nécessaires ; c’est la haie de l’Église, le lien de son union, le fondement de son ordre, le remède de ses maladies, le salutaire frein de la légèreté des uns et l’aiguillon efficace de la pesanteur des autres ; et comme l’Évangile est l’âme des sociétés, ainsi la discipline en est le nerf, car s’il n’y a point d’État, de ville ni de famille si petite qui puisse substituer sans discipline, combien moins peut s’en passer l’Église, où toutes choses doivent être dans un ordre et une bienséance très exquise ? Elle sert et à la gloire de Dieu et à l’édification des hommes, et au salut des pécheurs eux-mêmes, car séparant les pécheurs d’avec le peuple du Seigneur, elle décharge son nom des impuretés de leurs vices, et elle est comme une protestation publique de sa sainteté, au lieu que là où les méchants et scandaleux sont laissés sans aucune note de censure, ce désordre fait blasphémer le nom de Dieu entre les nations qui s’imaginent que ceux qui tolèrent sont aussi corrompus que ceux qui sont tolérés, et que l’Église n’est tout entière qu’une assemblée de garnements. Elle sert à la sanctification des fidèles, empêchant que le venin du péché ne se communique des uns aux autres ; et comme dit l’Apôtre sur ce sujet, qu’un peu de levain ne fasse enfler toute la pâte33, car comme la peste se répand incontinent dans un peuple où les méchants sont soufferts dans la communion, la contagion de leur péché infecte aisément tout le corps.
Enfin, il y va du salut des pécheurs eux-mêmes, cette séparation leur causant une secrète horreur d’avoir scandalisé et troublé leurs frères, qui touchant et piquant vivement leur conscience, comme un remède efficace, les purge du mal qui les travaillait et les guérit de leurs vices. Et c’est l’une des fins que l’Apôtre recherche dans l’usage de cette discipline, commandant aux Thessaloniciens de marquer le désobéissant, et de ne point converser avec lui, afin, dit-il, qu’il en ait honte34.
J’aurais maintenant à me plaindre de la faute de ceux qui ont abusé d’une chose si salutaire, qui l’ont, ou trop relâchée, ou pratiquée avec trop de rigueur et de sévérité, comme Tertullien entre les anciens, qui ne rétablit jamais en la communion ceux qui en avaient une fois été privés. Rigueur excessive ! bien que j’avoue qu’elle a aussi plu à divers saints personnages, et à des Églises entières dans l’Antiquité35.
J’aurais surtout à remarquer les horribles dépravations qui s’en sont faites parmi ceux de la communion romaine, qui ont changé cette médecine en poison ; et l’instrument de l’édification, en scandale où un homme a tiré à lui seul toute la surintendance de la discipline que Jésus-Christ avait expressément donnée à l’Église, c’est-à-dire, à une compagnie ; où le secret de la confession auriculaire a englouti toute honte du crime et toute l’utilité qui en revenait au public ; où les peines spirituelles ont été converties en temporelles ; où au lieu de traiter doucement les pécheurs, pour le seul désir de leur conversion, l’on foudroie tout indifféremment et sans distinction. L’on interdit des États entiers pour des intérêts mondains, comme nous l’avons vu et le voyons encore pratiquer de notre temps.
J’aurais à m’étendre sur ces sujets et d’autres semblables ; mais la mesure destinée à ces actions36 m’obligeant de finir celle-ci, remercions notre Seigneur qui nous a délivrés de tous ces tyranniques abus, et a daigné rétablir sa Parole et sa discipline au milieu de nous, lui rendant, pour des bienfaits aussi distingués, l’obéissance que nous lui devons comme à notre Père et à notre souverain Seigneur, qui en sera aussi, suivant ses promesses, le fidèle rémunérateur dans son ciel.
Ainsi soit-il.
Illustration de couverture : Le Pérugin, Le voyage de Moïse en Égypte et la circoncision de son second fils, fresque, vers 1482 (Rome, chapelle Sixtine).
- 1 Corinthiens 3,9.[↩]
- 1 Corinthiens 3,6.[↩]
- 2 Corinthiens 4,7.[↩]
- Matthieu 28,19.[↩]
- Religion (ici) : rigueur, cohérence.[↩]
- La position catholique romaine est en fait plus nuancée et reconnaît un grand rôle aux époux : « Selon la tradition latine ce sont les époux qui, comme ministres de la grâce du Christ, se confèrent mutuellement le sacrement du Mariage en exprimant devant l’Église leur consentement. Dans la tradition des Églises orientales, les prêtres ou évêques qui officient sont les témoins du consentement mutuel échangé par les époux, mais leur bénédiction est nécessaire aussi à la validité du consentement. » (Catéchisme de l’Église catholique, § 1623). Cf. cette discussion.[↩]
- Le droit canonique actuel prévoit qu’un prêtre puisse recevoir délégation de son évêque pour donner la confirmation, et puisse même s’en affranchir in periculo mortis ; cf. les canons 882 et 883 du Code de droit canonique.[↩]
- Au XVIIe siècle, les mots de clercs et de laïcs ne font plus vraiment partis du lexique protestant français ; ce sermon nous montre néanmoins que, sur la question des sacrements, une distinction importante subsiste. Sur ce sujet, cf. notre article.[↩]
- L’Éternel dit à Moïse, en Madian : Va, retourne en Égypte, car ils sont morts tous ceux qui en voulaient à ta vie. Moïse prit sa femme et ses fils, les fit monter sur des ânes et retourna dans le pays d’Égypte. Moïse prit dans sa main le bâton de Dieu. L’Éternel dit à Moïse : En partant pour retourner en Égypte, regarde tous les prodiges que j’ai mis à ta disposition, tu les feras devant le Pharaon. Et moi, j’endurcirai son cœur, et il ne laissera point partir le peuple. Tu diras au Pharaon : Ainsi parle l’Éternel : Israël est mon fils, mon premier-né. Je te dis : Laisse partir mon fils, pour qu’il me serve ; si tu refuses de le laisser partir, alors moi, je ferai périr ton fils, ton premier-né. Pendant le voyage, dans un lieu où (Moïse) passait la nuit, l’Éternel vint à sa rencontre et voulut le faire mourir. Séphora prit un silex, coupa le prépuce de son fils et en toucha les pieds de Moïse, en disant : Tu es pour moi un époux de sang ! Et (l’Éternel) le laissa. C’est alors qu’elle dit : Époux de sang ! à cause de la circoncision. (Exode 4,19-26)[↩]
- Comme ils continuaient leur chemin, ils arrivèrent à un point d’eau. Et l’eunuque dit : Voici de l’eau ; qu’est-ce qui m’empêche d’être baptisé ? Philippe dit : Si tu crois de tout ton cœur, cela est possible. L’eunuque répondit : Je crois que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. Il ordonna d’arrêter le char ; tous deux descendirent dans l’eau, Philippe ainsi que l’eunuque, et il le baptisa. (Actes 8,36-38)[↩]
- Au même instant, il tomba de ses yeux comme des écailles, et il recouvra la vue. Il se leva et fut baptisé. (Actes 9,18)[↩]
- Alors Pierre reprit : Peut-on refuser l’eau du baptême à ceux qui ont reçu le Saint-Esprit aussi bien que nous ? Il ordonna de les baptiser au nom de Jésus-Christ. Ils lui demandèrent alors de rester là quelques jours. (Actes 10,47-48)[↩]
- Pierre leur dit : Repentez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, pour le pardon de vos péchés ; et vous recevrez le don du Saint-Esprit. Car la promesse est pour vous, pour vos enfants, et pour tous ceux qui sont au loin, en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera. Et, par beaucoup d’autres paroles, il rendait témoignage et les exhortait, en disant : Sauvez-vous de cette génération perverse. Ceux qui acceptèrent sa parole furent baptisés ; et en ce jour-là, furent ajoutées environ trois mille âmes. (Actes 2,38-41)[↩]
- Actes 21,8.[↩]
- Sur l’antiquité du baptême par aspersion, cf. cet article.[↩]
- Cf. ce sermon de Jean Daillé.[↩]
- Matthieu 7,6.[↩]
- 1 Corinthiens 11,29.[↩]
- 2 Corinthiens 13,5.[↩]
- Le débat est encore vivant ; la thèse selon laquelle Judas n’aurait pas communié est par exemple défendue par Paulin Bédard ici. Daillé ne juge pas nécessaire de rentrer dans cette discussion.[↩]
- Matthieu 18,17.[↩]
- Matthieu 18,18.[↩]
- Matthieu 18,20.[↩]
- Luc 10,16.[↩]
- 1 Timothée 4,14.[↩]
- 1 Corinthiens 5,13.[↩]
- 1 Corinthiens 5,7.[↩]
- 1 Corinthiens 5,9.[↩]
- 1 Corinthiens 5,11.[↩]
- 2 Thessaloniciens 3,6.[↩]
- 1 Corithiens 5,5.[↩]
- 2 Corinthiens 2,7.[↩]
- Galates 5,9.[↩]
- 2 Thessaloniciens 3,14.[↩]
- Allusion aux montanistes, aux donatistes, etc.[↩]
- Actions : prédications.[↩]
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