Dans son ouvrage The Living Church (2007), à ce jour non traduit en français, John Stott, théologien et prêtre anglican influent, donne une description programmatique d’une Église en bonne santé. La nécessité d’une telle réflexion a aussi été ravivée par le mouvement de croissance de l’Église (Church growth movement) à partir des années 1960. Nous traduisons en français le premier chapitre du livre ; John Stott retourne aux origines et identifie quatre caractéristiques vitales pour l’Église.
Lorsque l’on considère les caractéristiques essentielles d’une Église vivante, il faut partir de trois présupposés.
Premièrement, je suppose que nous sommes tous engagés envers l’Église. Nous ne sommes pas seulement des chrétiens, mais aussi des gens d’Église. Nous ne sommes pas engagés à Christ seulement, mais aussi envers le corps du Christ ; je l’espère, du moins. J’espère qu’aucun de mes lecteurs n’est un chrétien sans Église — c’est une anomalie grotesque. Vous ne trouverez nulle part une telle situation dans le Nouveau Testament. Dieu, en effet, a mis l’Église au centre de son plan éternel. Ce n’est pas une arrière-pensée de Dieu, ce n’est pas un accident de l’histoire ! Bien au contraire, l’Église est le nouveau peuple de Dieu.
Sa mission, conçue de toute éternité pour cela, élaborée historiquement, et qui sera perfectionnée encore dans l’éternité à venir, n’est pas de sauver des individus isolés et de perpétuer notre solitude, mais plutôt d’édifier son Église, c’est-à-dire d’appeler hors du monde un peuple pour sa gloire à lui. En effet, Christ est mort pour nous non seulement « afin de nous racheter de toute faute », mais aussi « pour se faire un peuple qui lui appartienne, purifié et zélé pour de belles œuvres » (Tt 2:14). Voici donc la raison pour laquelle nous sommes engagés vis-à-vis de l’Église : Dieu lui-même s’est engagé.
Deuxièmement, nous sommes engagés vis-à-vis de la mission de l’Église. Nous croyons qu’elle a une double identité. D’une part, nous sommes appelés hors du monde pour appartenir à Dieu ; d’autre part, nous sommes envoyés dans le monde pour y témoigner et servir. En outre, la mission de l’Église a pour modèle celle de Christ, selon ses propres mots : « « Tout comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » (Jn 20:21) Le sens de sa mission, pour lui, c’était l’incarnation. Il n’est pas resté dans le sûr cocon des cieux, mais il s’est vidé de la gloire qui était la sienne et s’est humilié pour servir. Il est vraiment venu dans notre monde ; il a pris notre nature, vécu notre vie, et a connu la mort qui est celle de l’humanité. Il n’aurait pas pu s’identifier davantage avec nous ; cette identification était totale, bien qu’elle n’impliquât aucune perte d’identité : il est devenu l’un de nous sans cesser d’être lui-même. Il est devenu homme sans cesser d’être Dieu.
Et maintenant, il nous appelle à aller dans le monde des autres, comme lui est venu dans le nôtre. Toute mission authentique est une mission d’incarnation. Nous sommes appelés à faire partie de la réalité socio-culturelle des autres, à pénétrer leur mode de pensée, à tâcher de comprendre les malentendus qu’ils se font sur l’Évangile, la souffrance que représente leur aliénation, à pleurer avec ceux qui pleurent. Et tout cela sans compromettre notre foi, nos valeurs et nos idéaux chrétiens.
Troisièmement, nous nous engageons à la réforme et au renouvellement de l’Église. Dans de nombreux endroits du globe, tout particulièrement dans une bonne partie de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique latine, l’Église est en croissance rapide, bien que celle-ci soit souvent quantitative plus que qualificative : beaucoup de disciples se contentent de l’être superficiellement. Mais elle croît tout de même. Dans d’autres parties du monde, en revanche, en particulier en Occident (s’il m’est permis de généraliser), l’Église ne croît pas. Elle ne se développe qu’au ralenti. Ses eaux stagnent, son souffle est court. Loin de se renouveler, elle est plutôt en état de décomposition. Notre ardent désir est qu’elle soit continuellement réformée et renouvelée par la Parole et l’Esprit de Dieu.
Maintenant que nous avons fait le tour de notre triple engagement (pour l’Église, pour sa mission, pour son renouveau), il est temps de poser une question toute simple : quelle est la vision de Dieu pour son Église ? Quelles sont les caractéristiques d’une Église vivante ? Pour y répondre, nous devons revenir aux commencements et considérer à nouveaux frais l’Église remplie de l’Esprit à Jérusalem, le jour de la Pentecôte. Veillez à rester réalistes ce faisant : nous aimons nous faire une vision idéale ou romantique de l’Église des origines, nous avons ici tendance à voir la vie en rose, on en parle avec révérence ; on manque alors les rivalités, l’hypocrisie, l’immoralité et les hérésies qui ont troublé l’Église au premier siècle, et continuent de la troubler aujourd’hui.
Néanmoins, une chose est certaine : l’Église des origines, nonobstant tous ses excès et ses défaites, avait été radicalement remuée par le Saint-Esprit. À quoi donc ressemblait-elle ? Comment la présence et la puissance du Saint-Esprit s’y manifestaient-elles ? Si nous pouvons répondre à ces questions, en repérant attentivement les points essentiels que mentionne Luc en Actes 2, nous pourrons discerner les caractéristiques d’une Église vivante aujourd’hui. Luc se concentre sur quatre d’entre elles :
Ils persévéraient dans l’enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières. La crainte s’emparait de chacun et il se faisait beaucoup de prodiges et de signes miraculeux par l’intermédiaire des apôtres. Tous ceux qui croyaient étaient ensemble et ils avaient tout en commun. Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et ils en partageaient le produit entre tous, en fonction des besoins. Chaque jour, avec persévérance, ils se retrouvaient d’un commun accord au temple ; ils rompaient le pain dans les maisons et ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur. Ils louaient Dieu et avaient la faveur de tout le peuple. Le Seigneur ajoutait chaque jour à l’Église ceux qui étaient sauvés.
Actes 2:41-47
On notera que ces nouveaux convertis, remplis du Saint-Esprit, n’avaient pas vécu une expérience mystique qui les eût conduits à délaisser leur intelligence, à mépriser la théologie ou à arrêter de réfléchir. Au contraire, ils se retrouvaient sans cesse pour écouter les apôtres enseigner1. Je dis donc sans hésiter que l’anti-intellectualisme et la plénitude du Saint-Esprit sont mutuellement incompatibles. En effet, qui est le Saint-Esprit ? Il est « l’Esprit de vérité » ; c’était une des définitions que Jésus préférait. Il est donc raisonnable que la vérité compte partout où l’Esprit est au travail.
Remarquez quelque chose d’autre au sujet de ces premiers chrétiens. Après avoir reçu le Saint-Esprit, ils n’ont pas supposé que le Saint-Esprit était le seul enseignant dont ils eussent besoin, et n’ont pas jugé pouvoir se passer des autres. Loin de là ! Ils reconnurent que Jésus avait appelé les apôtres à être les enseignants de l’Église, et s’assirent à leurs pieds. Ils étaient avides d’apprendre tout ce qu’ils pouvaient, et se soumettaient à leur autorité qui, d’ailleurs, était confirmée par des miracles. En effet, alors que le verset 42 fait référence au ministère d’enseignement des apôtres, le verset 43 renvoie à leurs signes et prodiges ; la fonction première des miracles tout au long de l’Écriture était effectivement de confirmer chaque nouvelle étape de la révélation, en particulier pour les prophètes dans l’Ancien Testament, et pour les apôtres dans le Nouveau. Ainsi l’apôtre Paul parle-t-il de ses miracles comme des « marques de son ministère » (2 Co 12:122).
Quelle application pouvons-nous tirer de cela pour nous ? Comment est-il possible que nous nous soumettions (et nos Églises avec nous) à l’autorité des apôtres-enseignants ? Il faut affirmer qu’il n’y a pas d’apôtres dans l’Église actuellement ; pour sûr, il y a des évêques et des surintendants, des implanteurs d’Églises et des missionnaires en première ligne, et peut-être pourrions-nous qualifier leurs ministères d’« apostolique », leur donner l’adjectif à défaut du substantif. Mais il serait sage de réserver le nom pour les Douze, Paul, et peut-être Jacques. En tout cas, mes amis pentecôtistes, dont certains revendiquent le titre d’apôtre, seront d’accord avec moi pour dire qu’il n’y a personne dans l’Église d’aujourd’hui (et qu’il n’y a eu personne depuis que l’apôtre Jean est mort) qui ait une autorité comparable à celle des apôtres Paul, Jean, Pierre et Jacques. S’il y en avait, alors nous devrions ajouter leur enseignement à celui du Nouveau Testament.
L’Église primitive comprenait bien cela ; prenez par exemple, Ignace, évêque d’Antioche en Syrie, dont on date la mort autour de l’an 110. Condamné à mort comme chrétien, il faisait route vers Rome pour y être exécuté, et écrivit au moins sept lettres pendant son voyage à diverses Églises (celles de Rome, d’Éphèse, de Smyrne et de Tralles3) ; il y exprima plusieurs fois sa conviction : « Je ne vous donne pas d’ordres, comme Pierre et Paul ; eux étaient des apôtres, je ne suis qu’un condamné4. » Il était évêque, et même une des figures les plus précoces du pouvoir épiscopal, mais il n’était pas apôtre.
Je répète donc ma question : s’il n’y a pas d’apôtres comparables à Pierre ou Paul dans l’Église aujourd’hui, comment pouvons-nous nous soumettre à l’autorité de l’enseignement des apôtres ? La réponse va de soi : l’enseignement des apôtres se trouve dans le Nouveau Testament. C’est là qu’ils nous ont légué leur enseignement sous sa forme définitive. C’est la véritable « succession apostolique » que le Nouveau Testament rend possible.
Les évêques de la Communion anglicane ont fait une déclaration analogue à la Conférence de Lambeth5 en 1958. Au sujet de la Bible, ils écrivent :
L’Église n’est pas « au-dessus » des saintes Écritures, mais « en-dessous » d’elles, en ce sens que le processus de canonisation n’a pas consisté à conférer l’autorité aux livres [bibliques], mais à reconnaître qu’ils la possédaient. Et pourquoi ? Les livres furent reconnus comme porteurs du témoignage des apôtres de la vie, de l’enseignement, de la mort et de la résurrection du Seigneur et de l’interprétation qu’ils firent de ces événements. L’Église doit toujours s’incliner devant cette autorité apostolique.
Avant toute chose, nous affirmons par conséquent qu’une Église vivante est une Église enseignante, une Église soumise à l’autorité de l’enseignement des apôtres. Ses pasteurs exposent en chaire l’Écriture. Les parents qui en font partie éduquent chez eux leurs enfants à partir de l’Écriture, et ses membres la lisent et la méditent quotidiennement pour croître dans leur vie de disciple du Christ. L’Esprit de Dieu conduit le peuple de Dieu à honorer la parole de Dieu. La fidélité à l’enseignement des apôtres est le premier trait caractéristique d’une authentique Église vivante.
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Illustration : Flèche de l’église All Souls de Londres où officia longtemps John Stott.
- Stott cite ici le même verset dans la New English Bible, une traduction à équivalence dynamique, moins littérale.[↩]
- Voir aussi Hé 2:4.[↩]
- Ou Séleucie du Méandre, aujourd’hui Aydın au sud-ouest de la Turquie.[↩]
- Aux Romains, §4.3.Traduction de France Quéré, Les Pères apostoliques. Écrits de la primitive Église, Le Seuil, 1980.[↩]
- Synode rassemblant, tous les dix ans environ, de très nombreux évêques de la Communion anglicane partout dans le monde, réuni à l’initiative de l’archevêque de Cantorbéry.[↩]
Amen !! Magnifique auteur que J STOTT.
Un grand merci pour cette traduction.
Super !!
Merci ! La suite et fin du chapitre paraîtra demain matin.