Apprendre à raisonner (11) : Comment classer les termes
22 janvier 2022

Cet article est le onzième d’une série consacrée à la logique classique (ou aristotélicienne, c’est-à-dire développée par Aristote). Le dixième présentait de manière accessible une distinction importante entre l’extension et la compréhension des termes. Cet article présente différentes façons de classer les termes. Comme d’habitude, je reprendrai énormément le contenu du livre de Peter Kreeft, Socratic Logic, des pages 47 à 54.


Il existe de nombreuses manières de classer les termes en les séparant en deux groupes avec un critère différent à chaque fois.

Les termes sont non ambigus ou ambigus

Un terme est ambigu s’il est utilisé dans un raisonnement dans plus d’un sens. Par exemple, dans « Un saint est une très bonne personne » et « Saint François est une très bonne personne », le mot bon est non ambigu. Il a le même sens dans les deux phrases : « une personne qui fait le bien ». Alors que dans « C’est un bonne hache » et « Un meurtrier n’est pas une bonne personne », il est ambigu. Dans la première phrase, bon signifie « qui fonctionne, qui marche bien » alors que dans la deuxième, il veut dire « une personne qui fait le bien ».

Les termes sont clairs ou obscurs.

Un terme est clair s’il est facile à comprendre.

Les termes sont vagues ou exacts

Un terme est vague s’il n’est pas précis et exact s’il est précis. Par exemple, « grand » dans « Gertrude est grande » est un terme vague alors que « 1 m 70 » dans « Gertrude mesure 1 m 70 » est un terme précis.

Les termes sont univoques, équivoques ou analogiques

Univoque veut dire utilisé seulement dans un sens. Équivoque utilisé dans deux ou plusieurs sens différents sans rapport les uns avec les autres. Analogique utilisé dans deux ou plus de sens différents qui ont à la fois des points communs et des différences.

Par exemple, dans les phrases « Je mange deux pommes » et « Je mange deux hamburgers », le verbe manger est utilisé de manière univoque (dans le même sens). Dans les phrases en anglais « The river has to bank » et « The town has two banks », le terme bank est utilisé de manière équivoque. Dans les deux phrases, bank est utilisé dans un sens complètement différent de l’autre.

Dans la phrase « L’homme bon donne à son bon chien un bon plat », le terme bon est utilisé de manière analogique. Dans ses deux utilisations, bon a un sens différent mais il y a quand même un point commun. Le point commun de bon, c’est « adapté à sa nature, qui fonctionne bien comme il le devrait ». La différence, c’est qu’un plat et un chien ne sont pas bons de la même manière. Un bon plat, c’est plat qui est appétissant, délicieux alors qu’un bon chien, c’est un chien obéissant, qui fait ce qu’on lui dit de faire.

Les termes sont littéraux ou métaphoriques

Par exemple, lorsqu’on dit « Le renard a mangé une poule », on utilise le terme poule littéralement alors que dans « Tu es une poule mouillée ! », poule est utilisé comme une métaphore.

Attention à ne pas confondre analogie et métaphore. Dans « Dieu est le bon berger », le terme bon est utilisé de manière analogique car le berger reflète (à son niveau limité) certaines qualités de la bonté de Dieu mais pas toutes. Mais le terme berger n’est employé que comme une métaphore comme Dieu n’est pas littéralement un berger (un homme qui garde des moutons), alors qu’il est littéralement bon, même si d’une manière infiniment plus grande que le berger.

Les termes sont positifs ou négatifs

Un terme positif indique la présence d’une qualité alors qu’un terme négatif une absence de qualité. Par exemple, bon, beau, généreux, puissant sont des termes positifs. Mais immuable, immatériel, intemporel, athée, agnostique sont des termes négatifs. De manière générale, tous les mots qui commencent par un préfixe privatif comme in- ou a- sont négatifs.

Les termes sont simples ou complexes

Un terme simple ne possède qu’un seul objet de pensée1 alors qu’un terme complexe lie deux ou plus d’objets de pensées qui sont reliés ou séparés entre eux.

Par exemple, pomme, cerise sont des termes simples alors que pomme verte, cerise rouge sont complexes. C’est là qu’on voit que dans leur sens technique, terme et mot sont différents. Un mot ne peut être qu’un terme simple, un terme avec une seulement une seule partie alors qu’un terme peut être composé de plusieurs mots. Un terme, en gros, c’est donc tout ce à quoi on peut penser : autant une pomme qu’une pomme rouge.

Les termes sont catégorématiques ou syncatégorématiques

Un terme catégorématique constitue à lui seul une unité de sens2 et peut donc servir de sujet ou de prédicat. Au contraire, un terme syncatégorématique a besoin d’être accompagné par au moins un autre mot pour vouloir dire quelque chose et donc pour pouvoir jouer le rôle de sujet ou de prédicat. Si l’on est rigoureux, un terme syncatégorématique n’est pas un terme mais juste un mot et un terme catégorématique n’est qu’un synonyme de terme.

Par exemple le terme pomme est catégorématique, il signifie bien quelque chose (un fruit particulier) et peut servir de sujet ou de prédicat. Comme dans les phrases « La pomme est rouge » et « Ce fruit devant moi est une pomme. » Le terme le est syncatégorématique car tout seul, il ne veut dire. Il a besoin d’un mot après lui pour signifier quelque chose, comme « le chien », « le chat ». Rassurez-vous, nous n’utiliserons pas souvent cette distinction compliquée.

Certains termes ont par eux-mêmes un sens complet et peuvent remplir seuls le rôle de sujet ou d’attribut ; d’autres n’ont un sens complet que moyennant leur union avec un autre terme ; les logiciens appellent les premiers catégorématiques, les seconds syncatégorématiques : les termes homme, cheval ont une signification complète par eux-mêmes ; les termes aucun, tout s’ajoutent à un autre terme pour en modifier la signification.

D. Mercier, Cours de philosophie. Logique, Louvain ; Paris : Félix Alcan, 1919, vol. 1, p. 126.

Les termes sont universaux, particuliers ou singuliers

Un terme universel désigne tous les membres d’un groupe de choses ; un terme particulier désigne quelques membres d’un groupe de choses ; un terme singulier désigne seulement un seul membre d’un groupe de choses. Par exemple, « tous les hommes » est un terme universel, « quelques hommes » est un terme particulier et « Socrate » est singulier.

Les termes peuvent désigner un groupe de choses soit de manière collective soit de manière divisée

Dans le premier cas, on désigne le groupe comme un tout, en faisant abstraction (en oubliant les) des individus du groupe. Dans le deuxième, on parle du groupe en prenant en compte chaque membre individuellement.

Par exemple, prenons comme groupe de choses une bibliothèque (un groupe de livres). Dans la phrase « La ville a trois bibliothèques », bibliothèque est désignée de manière collective (on ne s’occupe pas des livres que contient chacune des trois bibliothèques). Alors que dans « La bibliothèque contient dix mille livres », bibliothèque est désignée de manière divisée (on pense aux dix mille livres un par un).

Les termes sont concrets ou abstraits

Un terme abstrait est un terme qui exprime le résultat de l’abstraction, une action que nous réalisons avec notre intelligence. Un terme concret désigne une chose à laquelle on peut penser directement sans abstraction.

L’abstraction consiste à extraire, séparer un aspect particulier d’une chose de toutes ses autres aspects afin de ne penser qu’à cet aspect. Par exemple, quand je vois une rose, je peux extraire sa couleur rouge et ignorer tout le reste (la taille de la rose, sa forme, sa tige, etc.). J’ai donc fait abstraction de tout ce qu’il y avait dans la rose, à part de sa couleur rouge.

Par exemple, tous les adjectifs qu’on transforme en substantifs sont des termes abstraits : rouge, bleu, grand, petit, intelligence, chaleur, etc. Toutes les choses qui existent dans la nature en tant qu’individus3 peuvent être désignées par des termes concrets : Laurent, Maxime, Coco (le chien de ma voisine), mon portable, etc.

Les termes sont absolus ou relatifs

Un terme absolu est dépourvu de toute connexion ou relation avec quelque chose d’autre alors qu’un terme relatif est nécessairement lié à quelque chose d’autre. Par exemple, « homme4 », « balle », « triangle », « herbe » sont des termes absolus. « Père », « roi », « berger » sont des termes relatifs : père est lié à mère, roi est lié à peuple, berger est lié aux moutons.


Illustration : Éducation d’Alexandre par Aristote, gravure de Charles Laplante, publiée dans le livre de Louis Figuier, Vie des savants illustres – Savants de l’antiquité (tome 1), Paris, 1866, pp. 134-135.



  1. Quelque chose à quoi on peut penser.[]
  2. Quelque chose qui veut dire quelque chose.[]
  3. On les appelle des substances.[]
  4. Au sens large d’être humain.[]

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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