30 novembre 2017

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Dans ma série sur le problème protestant, j’en suis arrivé à la question du canon. J’ai alors abordé très succinctement la question des pères de l’Église et de la Tradition à ce sujet. Dans les diverses réponses reçues à mon article et à la conception protestante du canon, on constate deux réponses principales en ce qui concerne les textes des pères. Avant d’y répondre, je reproduis ici ce que j’avais dit sur les pères dans l’article en question :

La Traduction de l’Ancien Testament qui a la plus longue durée d’existence est la Vulgate. Son traducteur, Jérome, dit explicitement que les apocryphes qu’il a traduit ne doivent pas être compris comme étant dans le canon. Il dit qu’ils ne doivent pas être utilisé pour les questions de doctrine ou pour y trouver un article de foi (Jérôme, Prologue à la traduction sur l’hébreu des livres de Samuel et des Rois, Prologus Galeatus).

Toutefois, certains pères utilisent ces livres comme canoniques. Augustin par exemple et, sous son influence, les conciles nord africains les ont inclus dans la liste du canon. Toutefois, comme le dit Calvin (Institution, III, IV, 8), considérons avec quelle certitude Augustin reçoit ces livres. En effet, celui-ci dit : « Les Juifs ne considèrent pas l’histoire des Maccabées (un des apocryphes) comme la Loi, les Prophètes et les Psaumes, auxquels le Seigneur rend témoignage comme à ses témoins, disant qu’il fallait que tout ce qui y a été écrit de lui s’accomplisse (Luc 24:44). Toutefois, l’Église l’a reçu, non sans utilité, à condition qu’on le lise avec prudence. » (Augustin, Contre Gaudentius, évêque des donatistes, I, XXXVIII). Si Maccabées est « reçu, non sans utilité », ce n’est pas sans condition. On voit donc que même chez ceux qui, comme Augustin, considèrent ces livres comme canoniques, ceux-ci jouissent d’un statut moins élevé que la Torah, les Prophètes et les Psaumes.

Rajoutons à cela l’exposition du Symbole, attribuée à Cyprien par Érasme, mais plus vraisemblablement écrite par Rufin d’Aquilée dans les premières années du Vème siècle. En celle-ci, il est montré qu’on ne les comptait pas alors parmi les livres canoniques.

Le débat historique et patristique est donc trop complexe pour être traité ici. Remarquons seulement que l’appel à la Tradition ne permet pas de trancher en faveur du canon catholique car les pères ayant le canon des protestants ne manquent pas. Et notons simplement que les livres que les protestants ont sont ceux qui sont reconnus par tous et qui remplissent les critères mentionnés plus haut.

On peut opposer à cela plusieurs textes des pères, mais là encore je ne tiens pas à traiter ce sujet de manière complète, c’est impossible. Je tiens plutôt à faire quelques remarques sur les remarques du genre “tel père soutient la canonicité de tel livre”.

Il ne suffit pas qu’un père cite un livre pour dire qu’il est canonique, les pères peuvent citer un livre dans un but apologétique en fonction de leur destinataire, comme le fait la Bible. Il ne suffit pas non plus qu’il cite ce livre comme autorité car des pères comme Clément d’Alexandrie peuvent citer des oeuvres païennes (des philosophes) comme faisant autorité sans pour autant les reconnaitre comme canoniques. Finalement, comme nous le voyons dans le cas d’Augustin, il ne suffit pas que le père dise “tel livre est canonique”, il faut encore saisir dans quel sens il le dit. Gardons cela en tête quand nous lisons les pères.

La Septante

La deuxième remarque que l’on entend souvent suit globalement ce raisonnement : les pères (et les apôtres !) citent la Septante, la Septante comprend les apocryphes donc les pères reconnaissaient les apocryphes. Cet argument est très fallacieux et tombe de lui-même quand on considère l’histoire de la Septante.

Premièrement, remarquons que la Septante n’existe pas au même sens que la Vulgate existe. La Vulgate existe car Jérome a traduit l’Ancien Testament en latin. Ce n’est pas le cas pour la Septante. Comme le fait remarquer le Dr Peter Williams, PhD, spécialiste des versions bibliques, dans sa conférence Why I Don’t Believe In The Septuagint, ce que nous appelons aujourd’hui Septante n’existait pas dans l’Antiquité.

Il semble que tout d’abord des sections puis l’intégralité de la Torah furent traduites en grec. Puis, au fil des siècles, d’autres livres furent traduit, certains furent révisé, d’autres livres encore n’ont pas eu besoin d’être traduit comme les apocryphes qui furent écrit directement en grec.

Quand le codex, cet ancêtre du livre moderne, a été inventé par Rome au IIème siècle puis popularisé progressivement, des livres de diverses origines ont pu être compilé et ajouté en un volume. Mais ce n’est pas sous ce format que l’on avait généralement accès à la Bible. D’ailleurs, le mot Bible vient d’un pluriel signifiant les livres. Un père de l’église n’aurait donc pas eu en tête la même chose que nous aujourd’hui si nous lui parlions de “la Septante”. Les livres étaient séparés, dans des rouleaux ou des codex différents. Si donc un père cite un texte grec qui s’est retrouvé dans les éditions modernes appelées “la Septante”, cela ne veut pas du tout dire qu’il reconnait l’intégralité des livres qui composent aujourd’hui notre Septante.

D’ailleurs, Peter Williams démontre que l’appellation “La Septante” est elle-même moderne. La légende ancienne faisait mention de 72 puis 70 traducteurs, les Septante, ayant traduit la loi de Moïse. Mais quand nous lisons les auteurs anciens, même encore jusqu’au XIXème siècle, nous constatons que ceux-ci font référence à tel livre “selon les Septantes”. Autrement dit, les auteurs anciens ne sont pas en train de citer une version comme on citerai la Vulgate, ils sont en train de citer un livre selon sa traduction par les 70 traducteurs. Très souvent d’ailleurs, les auteurs du XV au XIXème siècle étaient au courant que les 70 sont une légende. Quand donc ils citent l’Ancien Testament selon les Septantes (LXX.), ils sont en train de citer l’Ancien Testament, tel que traduit selon la légende par les 70 traducteurs. Même à ces époques, ils ne considéraient pas qu’il y avait un volume appelé “la Septante” mais plutôt ils étudiaient tel ou tel livre biblique en considérant comment il avait été traduit en grec. Si un autre livre, non biblique a aussi été traduit en grec puis a fini par être intégré en un volume appelé “la Septante”, il ne faut pas en conclure que c’était le cas par le passé.

Conclusion

En bref, soyons prudents avec les arguments basés sur “la Septante”, très souvent ces arguments ignorent l’histoire de ces textes. Soyons tout autant prudents avec les arguments qui consistent à dire que puisqu’un père cite tel livre, il le reconnait comme canonique. Finalement, l’argument basé sur “la Septante” que les catholiques avancent n’a aucun sens puisque, eux aussi, ils rejettent des livres qui sont dans les recueil de l’AT grec selon les Septantes.

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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3 Commentaires

  1. Guillaume Bourin

    Très bien 🙂

    Réponse
  2. Fredgyver

    Bonjour
    Très intéressant, merci pour cette précision.
    Vous dites en fin d’article : “l’argument basé sur « la Septante » que les catholiques avancent …” De quel argument parlez vous ?
    Merci
    Fred

    Réponse
    • Maxime Georgel

      Un argument pour l’inclusion des apocryphes dans le canon.

      Réponse

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